Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :     473629 Ontario Inc. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments   2014 CRAC 29

 

 

 

 

Date : 20141024

Dossier : CART/CRAC‑1734

 

 

 

 

Entre :

 

 

 

 

 

 

 

473629 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de Little Rock Farm Trucking), demanderesse

 

 

 

 

‑ et ‑

 

 

 

 

Agence canadienne d’inspection des aliments, intimée

 

[Traduction de la version officielle en anglais]

 

 

 

 

Devant :       

Le président Donald Buckingham

 

 

 

 

Avec :

Edward Oldfield, avocat pour la demanderesse,

 

Jacqueline Wilson, avocate pour l’intimée.

 

 

 

 

Affaire intéressant une demande de révision des faits présentée par la demanderesse en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, relativement à une violation, alléguée par l’intimée, de l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la santé des animaux.

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

 

 

Après avoir tenu une audience de vive voix et examiné les observations verbales et écrites des parties, la Commission de révision agricole du Canada statue, par ordonnance, que la demanderesse, 473629 Ontario Inc. (faisant affaire sous le nom de Little Rock Farm Trucking), n’a pas commis la violation énoncée dans l’avis de violation n° 1213ON0370, daté du 19 juin 2013, en ce qui a trait aux événements survenus le 30 septembre 2012, et n’est pas tenue de verser une sanction pécuniaire à l’intimée, l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

 

 

 

 

 

 

 

 

L’audience a eu lieu à Kitchener, Ontario,

 

 

du lundi 5 mai au mercredi 7 mai 2014.

Kitchener, ON,


MOTIFS

 

1.                 Les incidents reprochés et les questions en litige

 

[1]              La présente affaire, l’une des trois affaires opposant les parties que la Commission a entendues en mai 2014, concerne la vie et la mort de poules de réforme pendant leur transport vers un abattoir canadien. En effet, 425 poulets décédés ont été découverts le 1er octobre 2012 à bord d’une remorque conduite par des employés de 473629 Ontario Inc., société faisant affaire sous le nom de Little Rock Farm Trucking (LRFT). Les poulets morts ont été découverts par des employés du transformateur de volaille Maple Lodge Farms (MLF) et par des représentants de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (Agence) au cours du déchargement de la remorque. En conséquence, le 19 juin 2013, l’Agence a délivré à l’encontre de LRFT l’avis de violation n° 1213ON0370 dans lequel elle a allégué que LRFT avait transporté ou fait transporter des animaux d’une façon susceptible de les blesser ou de les faire souffrir indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries.

 

[2]              L’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la santé des animaux (ci‑après appelé Règlement sur la SA) est ainsi libellé :

 

Il est interdit de transporter ou de faire transporter un animal dans un wagon de chemin de fer, un véhicule à moteur, un aéronef, un navire, un cageot ou un conteneur, si l’animal risque de se blesser ou de souffrir indûment en raison […] d) d’une exposition indue aux intempéries.

 

[3]              Le rôle de la Commission consiste à savoir si l’Agence a établi tous les éléments nécessaires au soutien de l’avis de violation susmentionné, plus précisément si LRFT, en qualité de transporteur de volaille :

 

         a transporté ou fait transporter la volaille en question;

         est responsable des blessures ou souffrances indues causées à la volaille en raison d’une exposition indue aux intempéries (réelle ou probable), eu égard à la façon dont elle s’est occupée de la volaille pendant qu’elle en avait la garde et le contrôle.

 

[4]              De plus, si la Commission conclut que l’Agence a établi tous les éléments exigés au soutien de l’avis de violation contesté, elle doit décider si celle-ci a prouvé que le montant de la sanction est autorisé en vertu de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (ci‑après appelée Loi sur les SAP) et du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (ci‑après appelé Règlement sur les SAP).

2.                 L’historique des procédures

 

[5]              La Commission a entendu trois affaires opposant les parties en mai 2014. Même si chaque affaire découle d’une demande de révision qui lui est propre et donnera lieu à une décision séparée la concernant, la Commission a ordonné, avec le consentement des parties, que les affaires soient entendues ensemble. L’historique des procédures des trois affaires est reproduit ci-dessous séparément et, dans les cas opportuns, pour les trois ensemble.

 

 

2.1            Affaire n° 1 – L’incident de septembre (CART/CRAC-1734)

 

[6]              La première affaire découle de l’avis de violation n° 1213ON0370, daté du 19 juin 2013, selon lequel le 30 septembre 2012, entre Lacolle (Québec) et Brampton (Ontario), LRFT [traduction] « a commis une violation, à savoir, a transporté ou fait transporter des animaux en les exposant indûment aux intempéries, soit 6 720 poulets transportés vers l’établissement de Maple Lodge Farms à bord de la remorque D‑73, y compris 425 oiseaux trouvés morts à l’arrivée, contrairement à l’alinéa 143.(1)d) du Règlement sur la santé des animaux, ce qui constitue une violation de l’article 7 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et de l’article 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire ». Tout au long des présents motifs, cette affaire est appelée l’« incident de septembre ».

 

 

2.2            Affaire n° 2 – L’incident d’octobre (CART/CRAC‑1735)

 

[7]              La deuxième affaire « connexe » découle de l’avis de violation n° 1213ON0388, daté du 19 juin 2013, selon lequel le 29 octobre 2012, entre Fort Erie et Brampton (Ontario), LRFT [traduction] « a commis une violation, à savoir, a transporté ou fait transporter des animaux en les exposant indûment aux intempéries, soit 7 680 poulets transportés vers l’établissement de Maple Lodge Farms à bord de la remorque DEL‑64, y compris 537 oiseaux trouvés morts à l’arrivée, contrairement à l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la santé des animaux, ce qui constitue une violation de l’article 7 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et de l’article 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire ». Tout au long des présents motifs, cette affaire est appelée l’« incident d’octobre ».

 

 

2.3            Affaire n° 3 – L’incident de janvier (CART/CRAC‑1737)

 

[8]              La troisième affaire « connexe » découle de l’avis de violation n° 1314ON0509, daté du 19 juin 2013, selon lequel le 30 janvier 2013, entre Lacolle (Québec) et Brampton (Ontario), LRFT [traduction] « a commis une violation, à savoir, a transporté ou fait transporter des animaux sans ventilation adéquate, soit 7 680 poulets transportés vers l’établissement de Maple Lodge Farms à bord de la remorque DEL‑62, y compris 583 oiseaux trouvés morts à l’arrivée, contrairement à l’alinéa 143(1)e) du Règlement sur la santé des animaux, ce qui constitue une violation de l’article 7 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et de l’article 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire ». Tout au long des présents motifs, cette affaire est appelée l’« incident de janvier ».

 

 

2.4            Historique des procédures commun aux trois affaires

 

[9]              Chacun des trois avis de violation a été réputé avoir été notifié à LRFT par l’Agence le 19 juin 2013. Conformément à l’article 4 du Règlement sur les SAP, chaque violation a été considérée comme une « violation grave » donnant lieu à une sanction de 7 800 $.

 

[10]         Dans trois lettres datées du 21 juin 2013 et envoyées par télécopieur et par courrier recommandé à la Commission, LRFT, par l’entremise de son propriétaire et secrétaire trésorier, Mark Reuber (M. Reuber), a demandé à la Commission de réviser les faits de chacune des trois violations conformément à l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les SAP.

 

[11]         Dans une lettre datée du 2 août 2013, Edward Oldfield (Me Oldfield), conseiller juridique de LRFT, a exposé les motifs des demandes de révision de sa cliente. Le personnel de la Commission a confirmé auprès de Me Oldfield que LRFT souhaitait que ladite Commission révise ses dossiers en anglais dans le cadre d’une audience de vive voix qui se tiendrait dans un endroit du sud-ouest de l’Ontario. Le 19 août 2013, l’Agence a fait parvenir une copie du rapport relatif à chaque avis de violation à LRFT et à la Commission. La Commission a reçu les rapports en question le 20 août 2013.

 

[12]         Dans une lettre datée du 20 août 2013, la Commission a proposé à LRFT et à l’Agence de déposer leurs observations supplémentaires, le cas échéant, d’ici le 19 septembre 2013. Dans une lettre datée du 18 septembre 2013, Jacqueline Wilson (Me Wilson), conseillère juridique de l’Agence, a déposé un document (soit une version générique du rapport sur les conditions de chargement de Maple Lodge Farms) à titre d’élément de preuve à prendre en compte dans chaque affaire. L’audience de vive voix a eu lieu les 5, 6 et 7 mai 2014 à Kitchener (Ontario).

 

 

3.                 La preuve

 

[13]         Au début de l’audience, la Commission a ordonné (avec le consentement de toutes les parties) que les trois affaires soient entendues ensemble, pourvu que les parties précisent, au besoin, l’affaire ou les affaires auxquelles la preuve s’appliquait.

 

[14]         Dans chaque affaire, le dossier écrit de l’Agence comprenait l’avis de violation pertinent, une version générique du rapport sur les conditions de chargement de Maple Lodge Farms et le rapport pertinent de l’Agence daté du 19 août 2013. Le dossier écrit de LRFT comprenait pour chaque affaire la demande de révision pertinente datée du 21 juin 2013 ainsi que les explications supplémentaires exposées dans la lettre du 2 août 2013 que Me Oldfield a fait parvenir à l’Agence au sujet des faits et arguments se rapportant à chaque incident.

 

[15]         La Commission a entendu le témoignage des personnes nommées dans le tableau qui suit :

 

Tableau 1

T É M O I N S

Nom du témoin

Titre du poste

Domaine d’expertise

Incident visé par la preuve

Partie ayant convoqué le témoin

Dr Anco Farenhorst

Docteur en médecine vétérinaire

Pathologie des poulets

Tous les incidents

l’Agence

Dr Andrew Gomulka

Incidents de septembre et de janvier

Dr Gurcharan Sandhu

Incident d’octobre

M. Bruce Freiburger

Inspecteur de l’Agence

-

Incident de septembre

M. Johnny Vavala

Incident d’octobre

M. Peter  Devellis

Incident de janvier

M. Mark Reuber

Propriétaire et secrétaire-trésorier de LRFT

-

Tous les incidents

LRFT

 

[16]         Les pièces mentionnées au tableau 2 ci-dessous ont été déposées à titre d’éléments de preuve au cours de l’audience :

 

Tableau 2

P I È C E S

Numéro de la pièce

Titre de la pièce

[traduction]

Incident visé par la preuve

Partie ayant présenté la pièce

1

Copie lisible du document de l’onglet 4 du rapport de l’Agence

Incident d’octobre

l’Agence

3

Conseil de recherches agroalimentaires du Canada

« Code de pratiques recommandées pour le soin et la manipulation des animaux de ferme – Transport »

Tous les incidents

4

Configuration des cageots d’une remorque destinée au transport de volailles

Incidents de septembre et de janvier

2

Rapport sur les conditions de chargement de MLF

Incident d’octobre

LRFT

 

 

3.1            Preuve commune aux trois incidents – Généralités

 

[17]         La preuve relative au type d’animal et à la procédure générale suivie pour le transport des poulets était commune aux trois incidents. Chaque témoin a présenté des éléments de preuve au sujet du transport des poules depuis des fermes américaines jusqu’à l’abattoir de MLF au cours de la période pertinente.

 

[18]         M. Reuber, de LRFT, a expliqué de manière générale comment le processus se déroule du début à la fin. Le Dr Farenhorst, qui a témoigné pour l’Agence, a expliqué comment le transport sans cruauté des animaux doit être effectué conformément à certaines normes et à certains critères élaborés par le gouvernement et par l’industrie. Les cinq autres témoins ont expliqué le processus à suivre depuis le point de déchargement jusqu’à la transformation des poulets à l’abattoir. Les règles énoncées à la partie XII du Règlement sur la SA exigent que le processus entier se déroule sans cruauté.

 

[19]         Tous les poulets transportés lors de l’incident de septembre, de l’incident d’octobre et de l’incident de janvier étaient des poules de réforme, soit des femelles âgées d’environ 17 mois qui avaient atteint la fin de leur cycle de production à titre de pondeuses. Lors de chaque incident, les pondeuses avaient été utilisées dans des fermes du nord-est des États‑Unis et étaient transportées au Canada pour être abattues.

 

[20]         Selon les données générales de l’industrie, les producteurs des États-Unis conservent les pondeuses à des fins de production un peu plus longtemps que les producteurs canadiens. Étant donné qu’elles sont affectées à une production constante d’œufs, les poules de réforme ont souvent un plumage minime et des réserves de calcium moindres et pèsent habituellement autour de quatre livres. Les propriétaires de poules de réforme sont fréquemment à la recherche d’acheteurs qui abattront et utiliseront les poules en contrepartie de montants peu élevés.

 

[21]         Les poules de réforme visées par chaque incident étaient des poules que les producteurs américains vendaient à MLF à un prix d’un cent la livre (onglet 3 du rapport de l’Agence). MLF a retenu les services de LRFT pour transporter les volailles à l’aide de remorques appartenant à MLF. Tous les témoins ont reconnu qu’il était normal de s’attendre à ce que des poules meurent pendant le transport au cours de chaque incident en raison de leur stade de vie, de leur état général et des distances du transport. Les témoignages ont révélé qu’un taux de mortalité de plus de quatre pour cent des poules déclenchait habituellement une enquête de la part du personnel de l’Agence au sujet des circonstances de la mort.

 

[22]         Au cours de chacun des incidents, le pourcentage de poulets décédés a dépassé quatre pour cent. Voici le total de poulets trouvés morts au cours du déchargement lors de chaque incident :

         Incident de septembre : 425 poulets décédés sur 6 720 (6,3 %);

 

         Incident d’octobre : 537 poulets décédés sur 7 680 (7,0 %);

 

         Incident de janvier : 583 poulets décédés sur 7 680 (7,6 %).

 

[23]         La preuve a également révélé que le processus suivi pour le transport des poulets depuis leur ferme d’origine jusqu’à un abattoir en vue de leur transformation, qu’il s’agisse de poules de réforme ou non, est généralement le suivant :

1.      Le transformateur et le producteur engagent des négociations au sujet de la vente et de la livraison des oiseaux depuis les granges du producteur jusqu’à l’abattoir du transformateur.

 

2.      Les poulets sont rassemblés, attrapés, placés dans des cages et embarqués dans des camions, puis transportés vers leur destination.

 

3.      À l’arrivée à l’abattoir, la cargaison est pesée et placée en file d’attente en vue de la transformation.

 

4.      Lorsque vient le moment de la transformation, les poulets sont retirés de la remorque, puis transportés au poste d’abattage de l’abattoir.

 

[24]         De nombreux intervenants participent aux différentes étapes de ce processus et en surveillent le déroulement. Au début du processus, le producteur est habituellement présent à l’arrivée d’une équipe de ramasseurs et de responsables de l’embarquement des poulets. Les ramasseurs capturent les poulets et les placent dans des cageots. Au fur et à mesure que les cageots sont remplis et chargés sur une remorque, le chauffeur avance son camion jusqu’à ce que sa remorque soit pleine. Une fois l’embarquement terminé, le chauffeur sécurise le chargement (habituellement au moyen de bâches), puis conduit les poulets à l’usine de transformation située à quelques kilomètres plus loin, voire plusieurs centaines de kilomètres plus loin.

 

[25]         Une fois là-bas, les poulets attendent leur tour en vue de la transformation (un délai jusqu’à 12 heures, parfois davantage, peut s’écouler dans certains cas). Les cageots sont ensuite débarqués du camion et apportés à l’intérieur de l’abattoir, où ils sont sortis des cageots, puis abattus et transformés. On procède à une inspection ante mortem et post mortem des poulets pour vérifier leur état de santé et s’assurer que le transport s’est déroulé sans cruauté. Si des poulets morts ou malades sont trouvés, ils sont comptés et un rapport standard est préparé à ce sujet. Le cas échéant, l’Agence prend des mesures coercitives contre l’entité qui a violé les dispositions réglementaires sur la santé ou sur le transport sans cruauté des animaux à une étape ou l’autre du processus.

 

 

3.2            Preuve commune aux trois incidents – Témoignage d’expert du Dr Farenhorst

 

[26]         Le DAnco Farenhorst (Dr Farenhorst), vétérinaire de l’Agence, a été reconnu en qualité d’expert en matière d’application des politiques relatives au transport sans cruauté des animaux et d’interprétation des données scientifiques concernant le transport des volailles. Il a présenté un témoignage pertinent quant aux trois incidents.

 

[27]         Le DFarenhorst a fait savoir à la Commission qu’il n’était sur place lors d’aucun des trois incidents, mais qu’il avait examiné tous les documents établis dans chaque cas afin de se préparer à témoigner. Il a mentionné l’existence de codes sur la manutention et le transport des animaux, qui ont été élaborés par plusieurs parties prenantes, y compris des organismes de réglementation, des associations provinciales, des transporteurs, des organisations de l’industrie, des chercheurs scientifiques et des éducateurs.

 

[28]         Les codes visent à fournir des normes à l’intention des intervenants participant au soin, à la manipulation et au transport d’animaux. Bien qu’ils ne constituent pas des lois, les codes énoncent des normes communes à toutes les parties. Les documents suivants du Conseil de recherches agroalimentaires du Canada constituent deux codes pertinents quant aux trois incidents :

 

         Code de pratiques recommandées pour le soin et la manipulation des poulettes, pondeuses et poules de réforme (code sur la volaille);

 

         Code de pratiques recommandées pour le soin et la manipulation des animaux de ferme – Transport (code sur le transport).

 

[29]         Le DFarenhorst a expliqué qu’une poule de réforme est un poulet qui a terminé sa production d’œufs. Le processus de production des poules pondeuses débute lorsque celles‑ci sont âgées d’environ 19 semaines et se poursuit pendant une année complète au Canada (cette période est un peu plus longue aux États-Unis).

 

[30]         Dans l’est du Canada et des États-Unis, une fois cette période de production terminée, les poules de réforme sont envoyées pour être abattues, tandis que dans l’ouest canadien, elles sont simplement éliminées. Le Dr Farenhorst a souligné que plus les poules sont utilisées longtemps en production, plus elles sont usées.

 

[31]         À la fin de la ponte, les oiseaux canadiens sont très fragiles et les oiseaux américains le sont davantage, parce qu’ils emploient habituellement une plus grande partie de leurs ressources corporelles, perdent leurs plumes par suite de la mue et doivent être manipulés avec soin. Le Dr  Farenhorst a expliqué à la Commission que les oiseaux plus âgés ont généralement des os plus fragiles, parce que leurs réserves de calcium ont été transférées aux coquilles d’œufs tout au long de leur cycle de production.

 

[32]         En qualité d’expert, Le DFarenhorst a affirmé que ces oiseaux sont particulièrement susceptibles de subir un stress du transport découlant :

 

         de bâches manquantes;

 

         d’une exposition à du temps pluvieux (notamment lorsque la température extérieure ambiante est fraîche ou froide, c’est-à-dire qu’elle ne dépasse pas le niveau inférieur de la zone de confort des poulets, qui se situe entre 13°C et 28 °C);

 

         d’un plumage déficient.

 

[33]         De l’avis de cet expert, le transport des poules dans ces conditions irait à l’encontre des normes énoncées au paragraphe 7.2.2 du code sur la volaille et au paragraphe 2.2.1 du code sur le transport, dont voici le texte :

 

7.2.2  Le chauffeur du véhicule est responsable du soin et du bien-être de toutes les volailles au cours du transport. Il devrait prendre en considération les conditions météorologiques et ajuster les dispositifs de couverture pour permettre aux oiseaux de se réchauffer ou de se rafraîchir au besoin.

 

2.2.1 Les facteurs suivants présentent de plus grands dangers pour les animaux en transit : a) le transport sur de longues distances, du chargement au lieu d’origine, y compris la capture des volailles, jusqu’au point de destination final; b) la faible valeur économique des animaux transportés; c) les intempéries et d) les autres facteurs qui peuvent ajouter à l’inconfort des animaux pendant le transport – p.  ex. l’état gravide, le jeune âge ou l’âge avancé.

 

[34]         Le D Farenhorst a reconnu ce qui suit :

 

         MLF était un transformateur important de poules de réforme;

 

         les deux codes susmentionnés autorisaient le transport de poules de réforme et d’oiseaux pendant une période maximale de 36 heures consécutives;

 

         il faut s’attendre à ce que le taux de décès des oiseaux en transit augmente en fonction de la durée du transport ou de l’âge des oiseaux;

 

         il y a toujours des oiseaux qui meurent pendant ce transport;

 

         malgré le fait que la perte de plus de 4 % d’une cargaison donnerait automatiquement lieu à une inspection de la part de l’Agence, le taux de 4 % n’est pas acceptable et toute perte pourrait inciter le vétérinaire responsable à déclencher une inspection.

 

[35]         Lorsqu’il s’est fait demander pourquoi les oiseaux pouvaient mourir pendant le transport, Le DFarenhorst a répondu que le décès peut être imputable à différentes causes, dont la maladie, des facteurs liés au transport, des blessures, la chaleur excessive, le gel ou un ensemble de ces éléments.

 

[36]         Le DFarenhorst a ajouté que la manipulation des poulets par les ramasseurs pouvait occasionner des blessures aux oiseaux, voire contribuer à leur décès pendant le transport. Il a affirmé que cette cause est mentionnée dans le code sur le transport :

 

8.7.2  La capture négligente des volatiles constitue une source commune de blessure. Les oiseaux blessés sont particulièrement vulnérables au stress dû au transport. Cette pratique est cruelle et augmente les pertes de produits commercialisables.

 

[37]         Le D Farenhorst a convenu que, même si un transformateur peut être tenu responsable de l’état des oiseaux à l’arrivée du chargement, conformément au code sur le transport, le chauffeur qui conduit la cargaison est responsable des animaux pendant le transport :

8.7.23  Le chauffeur du véhicule est responsable du soin et du bien-être de tous les volatiles au cours du transport. Il devrait prendre en considération les conditions météorologiques et ajuster les dispositifs de couverture pour permettre aux oiseaux de se réchauffer ou de se rafraîchir au besoin.

 

 

3.3            Éléments de preuve propres à l’incident de septembre (CART/CRAC‑1734)

 

3.3.1       Les faits non contestés

 

[38]         Le producteur en cause lors de l’incident de septembre était Giroux’s Poultry Farm Inc., situé à Chazy, dans l’État de New York. L’équipe qui s’est occupée de la capture des oiseaux provenait de Brian’s Poultry Services Ltd., de Mildmay, en Ontario, et a été engagée directement par MLF. Le poids moyen de chaque poule transportée  était de 3,98 lb et la densité de chargement était de 14 oiseaux par cageot. La remorque D-73 comportait 480 cageots contenant au total 6 720 poules. LRFT était le transporteur des oiseaux et son employé, M. Widdes, le chauffeur chargé d’assurer la livraison de la cargaison à MLF, le transformateur.

 

[39]         La capture des poules et le chargement de la remorque ont débuté le 30 septembre 2012, à 9 h. Deux heures après le début du chargement, M. Widdes est parti avec la remorque D-73 à 11 h; il est arrivé au lieu de transformation plus tard le même jour, à 22 h 30, après avoir parcouru une distance de 632 km.

 

[40]         Le processus de transformation des poulets transportés dans la remorque D‑73 devait débuter le lendemain matin, le 1er octobre 2012, à 9 h 10, mais a commencé un peu plus tôt, soit à 7 h 33. Un délai d’attente de neuf heures et trois minutes s’est écoulé avant le début du déchargement des oiseaux à l’établissement de MLF. Le déchargement de tous les oiseaux a pris fin à 8 h 12 et une période totale de 23 heures et 12 minutes s’est écoulée entre le début du chargement et la fin du déchargement.

 

[41]         Au total, 425 poules mortes ont été trouvées le matin du 1er octobre 2012 lors du déchargement de la remorque D-73 à l’usine de transformation. Plus tôt le même jour, le personnel de l’Agence a procédé à des inspections ante mortem de la cargaison à l’usine de transformation (M. Freiburger à 4 h 15 et le Dr Gomulka à 7 h 01). Le même jour, le Dr Gomulka a également procédé à une inspection post mortem à 9 h 21. L’enquêteur de l’Agence, M.  Michael Cole,  a mené l’enquête concernant l’incident de septembre.

 

 

3.3.2       La preuve concernant le mode de chargement et le transport vers l’établissement de MLF

 

3.3.2.1            Onglet 1 du rapport de l’Agence – Compte rendu du chargement des oiseaux vivants de LRFT à l’égard de la remorque D‑73

 

[42]         Le chauffeur de LRFT a rempli le compte rendu du chargement des oiseaux vivants de  Little Rock Farm Trucking à l’égard de la remorque D‑73 (compte rendu du chargement de LRFT) avant que des poules mortes soient découvertes, lequel document constitue un registre des conditions de chargement et de déplacement de la remorque D-73 le 30 septembre 2012.

 

[43]         Il appert du compte rendu du chargement de LRFT que, le 30 septembre, le chargement a duré deux heures et demie et le transport proprement dit, onze heures. Pendant cette période, la température extérieure a oscillé entre dix et treize degrés Celsius. Le temps était tantôt nuageux, pluvieux ou dégagé et de la pluie a été enregistrée à 14 h 30 et 17 h 30. À 20 h 30, le ciel était dégagé.

 

[44]         Il appert du compte rendu du chargement de LFRT que, de 14 h 30 (lorsqu’il a plu pour la première fois selon le compte rendu) jusqu’à l’heure d’arrivée, le chauffeur avait placé une bâche du côté gauche de la remorque D-73. Dans ce même document, le chauffeur de LRFT a répondu « non » à la question de savoir s’il y avait eu des problèmes liés au chargement des oiseaux et au transport vers l’usine de transformation. Le compte rendu révèle que le chauffeur s’est arrêté trois fois pendant le transport pour vérifier les oiseaux et rajuster les bâches.

 

[45]         Lors des arrêts, le chauffeur n’a remarqué aucun changement touchant l’état des oiseaux. Toutefois, il a donné le résumé suivant : [traduction] « J’ai été coincé trois fois dans des embouteillages en tout et partout; les oiseaux étaient alors couverts d’une bâche d’un pouce et demi d’épaisseur du côté gauche et il pleuvait très fort à Montréal ». Le chauffeur n’a inscrit aucune réponse à la question du nombre estimatif d’oiseaux morts à l’arrivée (« Estimation du nombre d’oiseaux morts à l’arrivée »).

 

 

3.3.2.2            Onglet 16 du rapport de l’Agence – Rapport du chauffeur de LRFT sur le nombre d’animaux morts à l’arrivée

 

[46]         Le rapport du chauffeur de Little Rock Farm Trucking, qui a conduit la remorque n° D-73, au sujet du nombre d’animaux morts à l’arrivée a été rempli par le personnel de LRFT et consigné le 14 octobre 2012. Le rapport comporte plusieurs questions reproduites ci-dessous, qui portent sur les conditions concernant le chargement et le transport des poules le 30 septembre 2012 [traduction] :

[Question] 2.        Dans quel état se trouvaient les oiseaux selon vous avant le chargement?
[Réponse] Certains oiseaux étaient morts à la ferme; le chauffeur a dit qu’ils ne mettaient pas les oiseaux morts dans les tiroirs.

[Question] 6.        À votre avis, comment les ramasseurs manipulaient-ils les oiseaux? [Réponse] Les ramasseurs étaient bons; le chauffeur a simplement souligné qu’il s’agissait de gros oiseaux.

[Question] 9.        Décrivez la façon dont la remorque a été contrôlée tout au long du voyage.
[Réponse] Des bâches visant à protéger les oiseaux contre la pluie pendant le transport ont été utilisées.

[Question] 11.      Y a-t-il eu des changements majeurs touchant la température/les conditions météorologiques pendant le trajet?
[Réponse] Pluie abondante à Montréal.

[Question] 12.      Y a-t-il eu d’autres événements au cours de votre voyage qui pourraient avoir touché l’état de santé des oiseaux?
[Réponse] Circulation ralentie plusieurs fois à Montréal pendant qu’il pleuvait. Selon le chauffeur, le ralentissement pourrait avoir causé un retard d’une heure et demie à trois heures au total.

[Question] 13.      Avez-vous fait des arrêts pendant le trajet? Dans l’affirmative, pendant combien de temps et pour quelle raison?
[Réponse] Trois arrêts pour rajuster les bâches.

 

 

3.3.2.3      Onglet 17 du rapport de l’Agence – Fiche de troupeau

 

[47]         La fiche de troupeau (fiche de troupeau) a été remplie par le producteur Giroux Poultry Farm Inc. Il appert de cette fiche que le taux de mortalité estimatif des volailles lors du chargement des oiseaux s’élevait déjà à 4 %.

 

[48]         L’Agence n’a présenté aucun témoignage verbal direct au sujet des conditions de chargement et de transport de la remorque D-73 avant l’arrivée de celle-ci à l’établissement de MLF le 30 septembre 2012.

 

 

3.3.2.4      Témoignage de M. Reuber

 

[49]         Au cours de son témoignage, Mark Reuber (M. Reuber), propriétaire et secrétaire trésorier de LRFT, a déclaré que, le 30 septembre 2012, LRFT a suivi la même procédure que celle qu’elle utilisait depuis une dizaine d’années, au cours de laquelle elle a transporté 16 203 cargaisons de poules de réforme vers l’établissement de MLF.

 

[50]         Il a expliqué comme suit le rôle joué par LRFT relativement à la cargaison transportée lors de l’incident de septembre (ainsi que d’autres cargaisons similaires) :

 

      MLF envoie par télécopieur à LRFT une liste des sites de ramassage de volailles;

 

      MLF informe LRFT du nombre de cargaisons à prendre à chaque site de ramassage, de la date fixée pour l’arrivée au site de ramassage et de la date fixée pour le retour de la volaille chez MLF en vue de l’abattage;

 

      LRFT attribue les cargaisons aux camions en fonction des capacités requises;

 

      Le chauffeur de LRFT va chercher les remorques requises chez MLF, qui est propriétaire des remorques en question et les nettoie;

 

      Le chauffeur de LRFT prend le camion de celle-ci et la remorque de MLF et se rend à chaque site de ramassage;

 

      Des ramasseurs qui sont des tierces parties et qui se trouvent au site de ramassage donnent des directives précises au chauffeur de LRFT quant au moment et à l’endroit où la capture doit avoir lieu;

 

      Les ramasseurs capturent les volailles et les placent dans des cageots disposés sur des chariots;

 

      Le chauffeur de LRFT transfère la cargaison dans la remorque;

 

      Une fois que le chauffeur a terminé le chargement de la remorque, il doit sécuriser la cargaison à l’aide de bâches, conformément aux conditions en vigueur;

 

      LRFT est responsable des volailles depuis le chargement au site de ramassage jusqu’à l’arrivée à l’établissement de MLF.

 

[51]         M. Reuber a convenu que les volailles de réforme doivent être manipulées avec soin, parce qu’elles sont plus âgées, que leur plumage est déficient et que leurs réserves d’énergie sont presque épuisées. Malgré ces problèmes, M. Reuber a expliqué qu’il n’est pas nécessairement plus difficile de garder les oiseaux au chaud pendant le transport. À son avis, l’utilisation appropriée de bâches permet d’assurer un contrôle adéquat de la température de la cargaison.

 

[52]         M. Reuber a souligné qu’il connaissait bien le code sur la volaille du Conseil de recherches agroalimentaires du Canada, mais non le code sur le transport du même organisme. Cependant, il a expliqué que tous les chauffeurs de LRFT (y compris M. Widdes, qui a conduit la remorque le 30 septembre 2012) recevaient une formation sur la façon de prendre soin de leurs cargaisons et de préparer les rapports sur le chargement. M. Reuber a précisé que la formation donnée aux chauffeurs de LRFT au sujet du transport sans cruauté des animaux comprenait une séance de formation d’orientation d’une journée qui couvrait différents aspects de ce transport. Le reste de la formation portait sur les pratiques relatives au bâchage, sur l’apprentissage par observation d’un autre chauffeur pendant deux ou trois semaines et sur la possibilité de communiquer avec un répartiteur en cas de problème au cours du trajet une fois la formation initiale terminée.

 

[53]         M. Reuber a convenu que le compte rendu du chargement de LRFT (onglet 1 du rapport de l’Agence) avait été rempli par le personnel de celle-ci et qu’il était mentionné dans le document que des bâches avaient été disposées sur le côté gauche de la remorque D-73 (et non sur le côté droit). M. Reuber a expliqué que cette façon de procéder était normale, car elle allait de pair avec la procédure à suivre lorsque le temps était pluvieux et que la température dépassait dix degrés Celsius.

 

[54]         Dans ces conditions, les chauffeurs de LRFT doivent placer des bâches sur le côté de la remorque exposé à la pluie et laisser l’autre côté ouvert pour permettre la ventilation. M. Reuber a identifié une photographie (pièce 4) du type de remorque utilisée par MLF et LRFT pour la cargaison D‑73. Il a expliqué que, dans ce type de remorque, il y avait un espace d’au plus un pouce et demi à deux pouces entre les bâches supérieures et latérales; de plus, la remorque était munie d’une plateforme solide à l’avant, à l’arrière, sur le dessus et sur le dessous, ainsi que d’un dispositif de ventilation à l’arrière et à l’avant, qu’il est possible d’ouvrir et de fermer.

 

[55]         En se fondant sur l’expérience qu’il avait lui-même vécue lorsqu’il transportait des cargaisons, M. Reuber a affirmé que la température à l’intérieur de la remorque est normalement plus élevée que la température extérieure ambiante, même pour des oiseaux sans plumes, en raison de la plateforme solide dont la remorque est munie à l’avant, à l’arrière, au-dessus et en dessous.

 

 

3.3.3       Preuve concernant l’état dans lequel les poules se trouvaient à l’établissement de MLF avant la transformation

 

[56]         La Commission n’a été saisie d’aucun élément de preuve montrant que le chauffeur de LRFT ou un autre membre du personnel de celle-ci est resté à l’établissement de MLF après la livraison de la cargaison de la remorque D-73 à 22 h 30 le 30 septembre 2012. Cependant, dans son rapport, l’Agence a fourni plusieurs documents comportant des renseignements pertinents au sujet de ce qui s’est passé au cours de cette période.

 

 

3.3.3.1            Onglet 4 du rapport de l’Agence – Rapport de MLF sur les conditions de chargement à l’égard de la remorque D-73

 

[57]         Une copie du rapport de MLF sur les conditions de chargement à l’égard de la remorque D‑73 (rapport sur les conditions de chargement de MFL), rempli par le personnel de MLF, a été remise à la Commission. Le document était difficile à lire, en raison de la mauvaise qualité de la copie. Il appert toutefois du document que la cargaison a été inspectée huit fois entre 23 h 09 et 6 h 38, pendant l’attente précédant la transformation à l’établissement de MLF. Selon les registres, une inspection a été effectuée à 23 h 09, 0 h 09, 1 h 08, 2 h 13, 3 h 39, 4 h 22, 5 h 27 et 6 h 38.  

 

[58]         Au cours de ces inspections, la température dans l’aire d’attente a varié de douze à seize degrés Celsius. La température interne de la cargaison a varié comme suit :

 

         Avant de la cargaison – de 14,6 °C à 18,6 °C;

 

         Milieu de la cargaison – de 15,3 °C à 18,6 °C ;

 

         Arrière de la cargaison – de 12,1 °C à 18,9 °C.

 

[59]         Selon le rapport sur les conditions de chargement de MLF, les ventilateurs latéraux de l’aire d’attente étaient ouverts à compter de la première inspection à 23 h 09 et sont restés fermés à compter de la cinquième inspection à 3 h 39 jusqu’au moment de la transformation. De plus, il n’y avait aucune bâche sur la cargaison pendant toute la période au cours de laquelle celle-ci est restée dans l’aire d’attente.

 

[60]         En ce qui concerne l’état des oiseaux, le rapport sur les conditions de chargement de MLF montre que ceux-ci étaient [traduction] « alertes/vigoureux », que leur plumage n’était pas de bonne qualité (pour les quatre premières inspections) et qu’ils avaient un plumage de bonne qualité (pour les quatre dernières inspections). Aucun signe de maladie évidente n’a été observé au cours de l’une ou l’autre des inspections.

 

[61]         Le rapport sur les conditions de chargement de MLF comportait une rangée de données concernant le nombre d’oiseaux morts à l’arrivée. Selon les données inscrites dans la colonne réservée à l’inspection de 23 h 09, il y avait onze oiseaux morts à l’arrivée dans la section du bas et neuf oiseaux morts à l’arrivée dans la section centrale de la remorque. Aucune mention additionnelle ne figure dans cinq des autres colonnes relatives à l’inspection; cependant, dans la colonne relative à l’inspection de 2 h 13, la mention « 3 00 » ou « 3 UD » figure et, dans la colonne relative à l’inspection de 3 h 39, la mention suivante apparaît : [traduction] « @ 11 h 05 67 ». La seule autre remarque importante apparaissant sur le document est la mention selon laquelle « Don » a communiqué ses résultats au répartiteur à 3 h 54 et à 6 h 38.

 

 

3.3.3.2            Onglet 6 du rapport de l’Agence – Relevé d’abattage de l’ACIA

 

[62]         Le relevé d’abattage de l’ACIA (relevé d’abattage de l’ACIA) pour le 1er octobre 2012 a été rempli par le personnel de MLF à 4 h 15, puis inspecté et signé par M. Freiburger, employé de l’Agence. Il appert de ce document que la cargaison D-73 était la onzième cargaison de volaille destinée à l’abattage et qu’elle avait été placée avant d’autres.

 

[63]         Ce même document montre également que les oiseaux étaient alertes, que les ventilateurs des aires d’attente avaient été fermés, que la remorque était sèche, que les poulets étaient en mauvais état, puisque 70 étaient morts à l’arrivée, et que la température du chargement s’élevait à 18 °C. De plus, il est mentionné qu’un nombre plus élevé de volailles mortes avait été trouvé du côté du passager de la remorque.

 

 

3.3.3.3            Onglet 7 du rapport de l’Agence – Relevé du nombre de volailles à abattre

 

[64]         Le relevé de MLF sur le nombre de volailles à abattre pour le 1er octobre 2012 a été rempli par le personnel de MLF, mais des membres du personnel de l’ACIA y ont ajouté des remarques. Selon ce document, à 7 h 01, la cargaison de la remorque D-73 comportait [traduction] « des oiseaux au plumage déficient, dont plusieurs avaient été trouvés morts dans le bas de la remorque ». Les initiales « AG » figuraient à côté de cette remarque.

 

 

3.3.3.4            Onglet 8 du rapport de l’Agence – Relevé d’abattage de MLF

 

[65]         Le relevé d’abattage de Maple Lodge Farms pour le 1er octobre 2012 (relevé d’abattage de MLF) a été rempli par des membres du personnel de MLF et montre qu’à 7 h 33, la cargaison de la remorque D-73 comportait 425 oiseaux morts à l’arrivée et 309 autres oiseaux condamnés à la transformation.

 

 

3.3.3.5            Onglet 15 du rapport de l’Agence – Rapport d’enquête de MLF sur le transport d’animaux vivants

 

[66]         Le rapport d’enquête de Maple Lodge Farms sur le transport d’animaux vivants (rapport d’enquête de MLF sur le transport) à l’égard de la remorque D-73 a été rempli par le personnel de MLF et consigné le 2 octobre 2012. Selon ce rapport, la cargaison de la remorque D-73 comptait 6,32 % d’oiseaux morts à l’arrivée et 4,59 % de poulets condamnés par le producteur. En ce qui concerne les conclusions de l’enquête interne, les commentaires suivants figurent dans le rapport en question [traduction] :

 

« Température de 10 °C et temps nuageux pendant le chargement; les oiseaux semblaient corrects, le chargement a duré 2,5 h; les volailles ont été manipulées sans cruauté pendant le chargement. Trois heures après avoir quitté la ferme, le chauffeur a dû placer une bâche du côté gauche parce qu’il pleuvait. De plus, il a été ralenti trois fois par des embouteillages à son retour, ce qui représente un retard total de 3,39 h. Le personnel de l’établissement a signalé 67 oiseaux morts à l’arrivée; cette cargaison a été placée avant d’autres en vue de la transformation ».

 

3.3.3.6            Onglet 16 du rapport de l’Agence – Rapport du chauffeur de LRFT sur le nombre d’oiseaux morts à l’arrivée

 

[67]         Le rapport de LRFT sur le nombre d’oiseaux morts à l’arrivée a été rempli par le personnel de LRFT et consigné le 14 octobre 2012. Les questions 15 et 16 du document en question permettent d’obtenir des détails concernant l’arrivée du chargement et les conditions de l’attente à l’établissement de MLF le 30 septembre et le 1er octobre 2012 [traduction] :

 

[Question] 15.      Si un réceptionnaire a vérifié la cargaison, y a-t-il formulé des commentaires ou remarques soulevant des préoccupations?
[Réponse] Le réceptionnaire a consigné le nombre d’oiseaux morts à l’arrivée.

 

[Question] 16.      Décrivez les configurations des bâches dans l’aire d’attente de l’établissement et précisez si les ventilateurs fonctionnaient ou non. [Réponse] Les bâches du côté gauche étaient fermées.

 

 

3.3.3.7            Onglets 9 et 12 du rapport de l’Agence – Témoignage écrit de M. Freiburger, inspecteur de l’Agence

 

[68]         M. Bruce Freiburger (M. Freiburger), inspecteur de l’Agence, a fourni un témoignage écrit concernant le rôle qu’il a joué lors de l’inspection de la remorque D‑73. Dans son rapport concernant l’inspection du véhicule utilisé pour le transport des volailles (qui figure à l’onglet 9 du rapport de l’Agence), M. Freiburger a souligné qu’il a vu pour la première fois la remorque D‑73 dans l’abri d’attente de MLF vers 4 h 30 le 1er octobre 2012. Il a remarqué la présence de la remorque lorsqu’il se trouvait avec l’agent de triage de MLF, M. Jerry Botelho. M. Freiburger a écrit qu’à ce moment-là, il a constaté ce qui suit [traduction] :

 

« […] Les oiseaux avaient un plumage déficient et des poulets morts avaient été vus dans des cageots extérieurs du bas. Le nombre d’oiseaux morts du côté du passager était plus élevé. Jerry et moi-même avons dénombré environ 90 oiseaux morts à l’arrivée; Jerry a donc appelé le répartiteur et ils ont décidé de faire passer la cargaison D-73 avant d’autres, parce que les oiseaux étaient stressés. La cargaison de cette remorque était la huitième à abattre, mais a été avancée au troisième rang. Le processus a été interrompu, de sorte que la transformation de la cargaison de la remorque D-73 n’a pas débuté avant 7 h 33. J’ai vu cette remorque à l’extérieur de la baie à 7 h 10 et j’ai pris les températures en utilisant un thermomètre manuel au laser. La température s’élevait à 22,3 °C à l’avant, à 23 °C au milieu et à 21,8 °C à l’arrière. Les oiseaux étaient alertes, mais leur plumage était déficient. J’ai surveillé le déchargement des chariots, le nettoyage de la remorque, le tri des animaux morts à l’arrivée par Kevin Pessoa, l’accrochage des volailles étourdies et l’élimination d’autres volailles trouvées mortes à l’arrivée. Toutes les tâches ont été accomplies de manière conforme. Le processus a pris fin à 8 h 12 et j’ai constaté qu’un total de 425 (dont 101 dénombrés par le trieur) oiseaux avaient été trouvés morts à l’arrivée; j’étais alors en compagnie du superviseur de la réception des cargaisons Tony Almeida. Ce pourcentage était supérieur au seuil de 4 %, de sorte qu’un échantillon a été mis de côté à des fins de nécropsie vétérinaire sous l’étiquette n° 135467 […] »

 

[69]         Dans sa note figurant à l’onglet 12 du rapport de l’Agence, M. Freiburger souligne qu’à 4 h 15 [traduction] :

« Je me suis rendu aux abris d’attente. J’ai pris la température de l’abri et de la remorque. J’ai rencontré l’agent de triage Jerry Botelho dans l’abri n° 22. Il venait de vérifier les cargaisons D-46 et D-73 dans l’abri 23 et les volailles des deux cargaisons étaient stressées. J’ai examiné les deux cargaisons et j’ai convenu qu’il avait raison. La cargaison de la remorque D-46 comportait 90 oiseaux morts à l’arrivée et celle de la remorque D-73, 70. La plupart des oiseaux morts à l’arrivée se trouvaient du côté du passager (côté gauche) de la remorque. Jerry a téléphoné au service de répartition pour l’informer de ses constatations – la transformation des deux cargaisons allait être devancée – les deux cargaisons provenaient du même producteur (États-Unis). Les oiseaux morts à l’arrivée se trouvaient dans les cageots extérieurs du bas. Ligne 3 (volailles), le processus n’a pas débuté avant environ 6 h 30. »

 

 

3.3.3.8            Témoignage de M. Freiburger, inspecteur de l’Agence

 

[70]         M. Freiburger a expliqué qu’il avait travaillé comme inspecteur du gouvernement chez MLF pendant plus de 25 ans. Dans le cadre de ses fonctions, il effectue des inspections hebdomadaires des cargaisons entrantes pour vérifier si des violations ont été commises. M. Freiburger était en poste depuis 4 h le matin du 1er octobre 2012. Il a vu pour la première fois la cargaison de la remorque D-73 à 4 h 15 et a conclu que les volailles de cette cargaison étaient stressées. Il a vu 70 oiseaux morts, principalement du côté du passager de la remorque.

 

[71]         Il a souligné dans son rapport, qui se trouve à l’onglet 6 du rapport de l’Agence, que les oiseaux semblaient moins bien qu’à l’état normal, qu’ils avaient perdu beaucoup de plumes et qu’ils étaient généralement en piètre état, même si la température interne du chargement s’élevait à environ 18 °C, soit la température normale. M. Freiburger a affirmé avoir observé tout le processus de déchargement de la cargaison D-73. Dès qu’il a constaté que le nombre d’oiseaux morts dépasserait le seuil de quatre pour cent, il a demandé au personnel de MLF de prélever un échantillon aléatoire d’oiseaux, qu’il a ensuite étiqueté, puis envoyé à des vétérinaires de l’Agence à des fins de nécropsie.

 

[72]         Même s’il ne connaissait pas l’emplacement exact où se trouvait l’échantillon de poulets morts de la cargaison, il croit que les oiseaux provenaient probablement du milieu et de l’arrière de la remorque. M. Freiburger a expliqué à la Commission que le personnel de MLF avait apparemment modifié la configuration des bâches entre 2 h 13 et 3 h 39, en raison d’un changement de température qui avait touché la cargaison.

 

[73]         M. Freiburger a affirmé que les poules en question se trouvaient à la fin de leur cycle de vie, qu’elles étaient en piètre état, que leur plumage était déficient et qu’elles avaient été exposées à des conditions météorologiques défavorables, de sorte qu’elles étaient très vulnérables. M. Freiburger a également convenu que 4 % des poulets de la ferme Giroux avaient été laissés de côté, parce qu’ils étaient déjà morts.

 

[74]         M. Freiburger a ajouté que les oiseaux de la cargaison de la remorque D-73 sont restés pendant deux autres heures à l’établissement de MLF en raison d’une interruption de la chaîne d’abattage. Il a convenu que le rapport sur les conditions de chargement rempli par le personnel de MLF comportait certaines corrections et anomalies. Fait intéressant à souligner, le rapport en question montrait que les oiseaux avaient un plumage déficient à certaines heures d’inspection, mais non à d’autres. Il a souligné que, d’après la colonne relative à l’inspection faite à 23 h 05, le rapport sur les conditions de chargement de MLF indiquait que 20 oiseaux avaient été trouvés morts à l’arrivée, alors qu’à un autre endroit du même formulaire, 67 oiseaux morts à l’arrivée avaient été consignés. Enfin, M. Freiburger a mentionné à la Commission que LRFT livrait régulièrement à MLF des cargaisons de poules de réforme et qu’elle avait transporté plusieurs remorques par jour pendant plusieurs années vers l’usine, mais qu’elle ne livrait plus de volailles à MLF.

 

 

3.3.3.9            Onglet 13 du rapport de l’Agence – Témoignage du Dr Gomulka, représentant de l’Agence

 

[75]         Le deuxième témoin de l’Agence, le DAndré Gomulka (DGomulka), a présenté un rapport d’inspection écrit (onglet 13 du rapport de l’Agence) au sujet du rôle qu’il a joué lors de l’inspection des poulets morts de la cargaison D-73. Dans son rapport, le DGomulka a mentionné qu’il avait effectué une inspection ante mortem de la cargaison à 7 h 01 et qu’il avait constaté que les oiseaux avaient un plumage déficient et que bon nombre d’oiseaux placés au bas de la remorque étaient morts.

 

[76]         Selon son rapport, le Dr Gomulka a également effectué une nécropsie post mortem à l’égard de 10 des volailles mortes provenant de la cargaison à 9 h 21 le même jour, soit le 1er octobre 2012. Il a constaté que les volailles mortes de l’échantillon présentaient une chaire intéressante, mais qu’elles avaient un aspect cyanotique (couleur bleuâtre en raison d’un manque d’oxygène et d’une mauvaise qualité du plumage). Il a aussi constaté que, dans le cas de 10 des volailles, la température interne variait de 11 °C à 26 °C, alors que la température normale s’élevait à environ 41 °C. Ces données ont incité le Dr Gomulka à croire que certains des oiseaux étaient morts depuis plus longtemps que d’autres.

 

[77]         Voici les conclusions que le Dr Gomulka a tirées et qui ont été consignées dans son rapport d’inspection concernant la nécropsie qu’il avait effectuée [traduction] :

Commentaires : Les volailles mortes de l’échantillon présentent une chaire intéressante et beaucoup de gras. Les oiseaux ont un aspect cyanotique et leur plumage est déficient.  De plus, ils en sont encore au cycle de production active d’œufs.

 

1.  La cyanose n’est pas une lésion propre à une maladie spécifique, mais est souvent observée chez les oiseaux qui sont morts depuis un certain temps, étant donné que l’épuisement d’oxygène se manifeste après les changements autolytiques suivant le décès.

[…]

 

3)  Aucune pathologie ne montre ou ne donne à penser qu’une cause infectieuse de décès a été constatée lors de la nécropsie.

 

4) L’agriculteur n’a signalé aucun problème de santé chez les volailles…

 

[…]

 

5) L’emplacement des volailles mortes trouvées dans la remorque (de nombreuses volailles mortes se trouvaient au bas de la remorque) donne à penser que les oiseaux ont été soumis à des conditions météorologiques défavorables pendant un trajet assez long (11 heures). […]

[…]

 

6)  La température observée chez les oiseaux morts de l’échantillon est très variée. Les oiseaux morts peuvent être répartis en trois groupes : a) les oiseaux au corps le plus froid : 11,1 °C, 11,2 °C, 11,3 °C; c’est là la température qui se rapproche le plus de la température ambiante à Brampton à 7 h. La température enregistrée à Brampton le 1er octobre 2012 et annoncée par le réseau météorologique était de 12 °C/53,6 °F. Cela signifie que ces oiseaux sont morts tôt, étant donné que la température corporelle interne était égale à la température extérieure. Cette conclusion va également de pair avec une note selon laquelle 67 oiseaux morts ont été trouvés dans la remorque à l’arrivée (voir le rapport d’enquête sur les conditions de transport d’animaux sur pied pour la remorque D‑73 le 1er octobre 2012); b) les oiseaux au corps modérément froid : 15,5 °C, 15,8 °C, 18,6 °C; c) les oiseaux au corps plus chaud : 25,1 °C, 25,3 °C, 26,5 °C ces oiseaux sont ceux qui sont morts en dernier […]. Le grand écart de température observé chez les oiseaux de l’échantillon m’indique que les oiseaux ne sont pas morts en même temps, mais que le processus de mort était plutôt continu.

 

[…]

 

Conclusion : selon mon avis professionnel, le taux élevé de mortalité constaté chez les oiseaux de la cargaison D-73 est imputable à une protection inadéquate des volailles au plumage déficient contre les intempéries au cours du transport/de l’entreposage.

 

 

3.3.3.10        Témoignage d’expert du Dr Gomulka, témoin de l’Agence

 

[78]         Le Dr Gomulka a été reconnu en qualité de témoin expert sur la pathologie des poulets. Il a souligné à la Commission qu’il est l’officier vétérinaire de l’Agence chez MLF depuis 2001 et qu’il effectue des inspections ante mortem et post mortem sur les cargaisons à leur arrivée à l’établissement de celle-ci. Des inspections ante mortem sont menées deux fois par quart de travail, tandis que le Dr Gomulka procède à une inspection post mortem uniquement lorsque le nombre d’oiseaux morts à l’arrivée de la cargaison dépasse 4 %.

 

[79]         En ce qui concerne la cargaison D‑73, le Dr Gomulka a confirmé qu’il avait procédé à une inspection ante mortem du chargement au cours de laquelle il a consigné, à 7 h 01, des remarques selon lesquelles la cargaison D-73 comportait [traduction] « des oiseaux au plumage déficient, dont plusieurs ont été trouvés morts dans le bas de la remorque ». Le Dr Gomulka a également déclaré qu’il avait effectué la nécropsie post mortem sur 10 poulets de cette cargaison à compter de 9 h 21 le 1er octobre 2012.

 

[80]         Lorsqu’il a passé en revue ses constatations avec la Commission, il a expliqué que la température corporelle d’au moins trois des oiseaux était très basse, soit environ 11 °C. Selon son avis professionnel, les oiseaux morts dont la température corporelle s’élève à 26 °C sont morts depuis moins de huit heures, alors que ceux dont la température est de 11 °C sont morts depuis plus longtemps.

 

[81]         Le Dr Gomulka a convenu que le stress subi par les poules de réforme dans les circonstances de l’incident de septembre pourrait être lié à de nombreux facteurs, dont les suivants :

 

1.      La capture des poules;

 

2.      Le chargement des poules dans des cageots;

 

3.      La période pendant laquelle les poules restent dans leurs cageots;

 

4.      La durée du trajet;

 

5.      Le retrait des poules de leur moulée;

 

6.      Les conditions météorologiques pendant le chargement et le transport et pendant l’attente à l’usine avant la transformation;

 

7.      La mauvaise qualité du plumage des oiseaux;

 

8.      Les fractures d’os subies par les poules entre le chargement et le déchargement.

 

[82]         En ce qui concerne le rapport sur les conditions de chargement de MLF, le Dr Gomulka a précisé qu’il n’avait préparé aucune partie du document et qu’il n’y a ajouté aucune remarque. D’après l’interprétation qu’il donne à ce document, il n’est pas possible de savoir s’il y avait 20 ou 67 oiseaux morts à l’arrivée de la cargaison D-73 vers 23 h le 30 septembre 2012.

 

[83]         En ce qui a trait à son rapport d’inspection (onglet 13 du rapport de l’Agence), le Dr Gomulka a convenu que les oiseaux qui montraient des signes de rigidité cadavérique (n° 7 et n° 10) et les oiseaux au corps plus chaud (n° 2, n° 4, n° 8 et n° 10) sont probablement tous morts pendant l’attente précédant l’abattage dans l’abri d’attente de MFL. Il a également convenu que la température dans cet abri est passée de 18,6 °C à 12 °C pendant le délai d’attente pour la cargaison D-73 à l’établissement de MLF. Ce type de chute de température serait probablement dangereux pour des oiseaux au plumage déficient.

 

[84]         Le Dr Gomulka a reconnu que sa conclusion découlant de son rapport joint à l’onglet 13 du rapport de l’Agence aurait dû montrer qu’une mauvaise manipulation des poulets pendant le transport ou l’entreposage précédant la transformation peut être une cause de mortalité des oiseaux, que les oiseaux décédés dont la température corporelle était de 26 °C ont été les derniers poulets à mourir et sont probablement morts après l’arrivée de la cargaison à l’abri d’attente de MLF et qu’il ne pouvait pas savoir exactement où et quand les oiseaux dont la température corporelle était plus basse étaient morts. Le Dr Gomulka a mentionné à la Commission que, lorsque 4 % des oiseaux d’une cargaison meurent, l’Agence procède à une nécropsie post mortem, ce qui suppose que jusqu’à 4 % des oiseaux d’une cargaison peuvent décéder sans la faute de qui que ce soit.

 

[85]         Ce même témoin a ajouté que les oiseaux au plumage déficient perdaient plus rapidement de la chaleur et que des facteurs comme le refroidissement éolien et l’humidité pendant le transport pouvaient aussi contribuer à une perte plus rapide de la chaleur chez des oiseaux semblables à ceux de la cargaison D-73. Le Dr Gomulka a confirmé que la mention de 67 oiseaux morts à l’arrivée qui figurait dans son rapport ne correspondait pas au nombre inscrit dans le rapport sur les conditions de chargement de MLF, mais plutôt à celui qui figurait dans le rapport d’enquête de MLF sur le transport d’animaux vivants (onglet 4 du rapport de l’Agence), lequel n’était pas tout à fait clair.

 

 

3.3.3.11        Témoignage d’expert du DFarenhorst, témoin de l’Agence, au sujet de l’incident de septembre

 

[86]         Le troisième témoin de l’Agence, le Dr Anco Farenhorst (Dr  Farenhorst), a affirmé que les poules au plumage déficient de la cargaison D-73 ont été spécifiquement exposées à des éléments stressants pendant le transport, notamment :

 

         une bâche manquante;

 

         un temps humide;

 

         une température extérieure ambiante variant de 10° à 13 °C.

 

[87]         À son avis, le transport dans ces conditions irait à l’encontre des normes énoncées au paragraphe 7.2.2 du code sur la volaille et au paragraphe 2.2.1 du code sur le transport.

 

[88]         Le Dr Farenhorst a mentionné à la Commission que, plus le transport est long ou plus les oiseaux sont âgés, plus il faut s’attendre à ce que le taux de décès des oiseaux transportés augmente. Il a convenu que, à la date à laquelle les oiseaux de la cargaison D-73 ont été abattus, des oiseaux morts à l’arrivée ont été trouvés dans toutes les cargaisons reçues par MLF. Il a expliqué qu’il y aura toujours des oiseaux morts dans des cargaisons similaires. Lorsqu’il s’est fait demander pourquoi il en était ainsi, le Dr Farenhorst a répondu que plusieurs causes pouvaient être responsables, y compris des maladies, des facteurs liés au transport, des blessures, le réchauffement excessif, le gel ou un ensemble de ces éléments. Le Dr Farenhorst a convenu que le comportement des équipes de capture et la façon dont elles manipulaient les poulets pouvaient également provoquer des blessures (allant jusqu’au décès) chez les oiseaux pendant le transport.

 

 

4.                 Analyse et principes de droit applicables

 

[89]         Le rôle de la Commission est de déterminer la validité des sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire infligées sous le régime de la Loi sur les SAP, dont l’objet est ainsi énoncé à l’article 3 :

 

3.  La présente loi a pour objet d’établir, comme solution de rechange au régime pénal et complément aux autres mesures d’application des lois agroalimentaires déjà en vigueur, un régime juste et efficace de sanctions administratives pécuniaires.

 

[90]         L’article 2 de la Loi sur les SAP définit « loi agroalimentaire » en ces termes :

 

2.  […] « Loi agroalimentaire » la Loi sur les produits agricoles au Canada, la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole, la Loi relative aux aliments du bétail, la Loi sur les engrais, la Loi sur la santé des animaux, la Loi sur l’inspection des viandes, la Loi sur les produits antiparasitaires, la Loi sur la protection des végétaux ou la Loi sur les semences.

 

[91]         Aux termes de l’article 4 de la Loi sur les SAP, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, ou le ministre de la Santé, selon les circonstances, peut prendre un règlement pour désigner des violations punissables :

 

4. (1)  Le ministre peut, par règlement :

 

a)  désigner comme violation punissable au titre de la présente loi la contravention — si elle constitue une infraction à une loi agroalimentaire :

 

(i)  aux dispositions spécifiées d’une loi agroalimentaire ou de ses règlements...

 

 

[92]         Le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a pris un tel règlement, soit le Règlement sur les SAP, qui définit comme des violations certaines infractions à des dispositions de la Loi sur la santé des animaux et le Règlement sur la SA, ainsi que certaines infractions à des dispositions de la Loi sur la protection des végétaux et de son règlement d’application. Ces violations sont énumérées à l’annexe 1 du Règlement sur les SAP, qui renvoie à l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la SA.

 

 

[93]         Les tribunaux ont examiné le régime des SAP avec passablement de soin, étant donné, surtout, que les violations sont de responsabilité absolue. Dans Doyon c. Procureur général du Canada, 2009 CAF 152 (Doyon), le juge Létourneau, qui s’exprimait au nom de la Cour d'appel fédérale, a décrit le régime comme suit :

 

[27]  En somme, le régime de sanctions administratives pécuniaires a importé les éléments les plus punitifs du droit pénal en prenant soin d’en écarter les moyens de défense utiles et de diminuer le fardeau de preuve du poursuivant. Une responsabilité absolue, découlant d’un actus reus que le poursuivant n’a pas à établir hors de tout doute raisonnable, laisse au contrevenant bien peu de moyens de disculpation.

 

[94]         En outre, dans l’arrêt Doyon, la Cour d'appel fédérale souligne que la Loi sur les SAP impose un lourd fardeau à l’Agence :

 

[20]  Enfin, et il s’agit là d’un élément important de toute poursuite, la charge de la preuve d’une violation appartient au ministre ainsi que le fardeau de persuasion. Il doit établir selon la prépondérance des [probabilités] la responsabilité du contrevenant : voir l’article 19 de la Loi.

 

[95]         L’article 19 de la Loi sur les SAP est ainsi rédigé :

 

19.  En cas de contestation devant le ministre ou de révision par la Commission, portant sur les faits, il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, la responsabilité du contrevenant.

 

[96]         Dans Doyon, afin de déterminer si un demandeur avait violé le Règlement sur la SA, la Cour d'appel fédérale devait interpréter le sens des mots « il est interdit […] de transporter […] un animal qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu » figurant à l’alinéa 138(2)a) de ce Règlement. À cette fin, elle a disséqué et analysé les différents « éléments » d’une violation que l’Agence doit établir au soutien d’un avis de violation, soit sept éléments dans le cas d’une violation de cette disposition précise. Cette approche va de pair avec les plus récentes observations que la Cour d'appel fédérale a formulées dans Canada (ACG) c. Stanford, 2014 CAF 234 (Stanford), où, aux paragraphes 41 à 44, Mme la juge Dawson explique la façon d’interpréter les textes législatifs, encore là dans le contexte de l’interprétation à donner à la Loi sur les SAP et à son règlement d’application [traduction] :

 

[41] L’approche privilégiée en matière d’interprétation des lois a été exposée de la façon suivante par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, 1998 CanLII 837 au paragraphe 21 :

 

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Voir également R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraphe 29.

 

[42]  La Cour suprême a énoncé de nouveau ce principe de la façon suivante au paragraphe 10 de l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54,  [2005] 2 R.C.S. 601 :

 

Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [non souligné dans l’original]

 

[43]  Cette formulation de l’approche applicable en matière d’interprétation des lois a récemment été reprise dans les arrêts Celgene Corp. c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, paragraphe 21, et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, paragraphe 27.

 

[44]  Il est implicite dans la méthode contextuelle d’interprétation des lois que le sens ordinaire et grammatical des mots employés dans une disposition n’est pas le seul élément porteur de sens. Le tribunal doit tenir compte de l’ensemble du contexte de la disposition qu’il doit interpréter, et ce, « même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident » (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, paragraphe 48). Le tribunal qui interprète une disposition tente d’établir l’intention du législateur grâce au texte et à l’ensemble du contexte. L’intention du législateur est « [l’]élément le plus important de cette analyse »
(R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, 1999 CanLII 678, paragraphe 26).

 

[97]         Par conséquent, conformément à une interprétation selon laquelle la violation reprochée est « lue dans [son] contexte et dans [son] sens grammatical et ordinaire, en harmonie avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur », comment faut-il interpréter la violation énoncée à l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la SA? En voici le texte : « il est interdit de transporter […] un animal dans […] un véhicule à moteur […], si l’animal risque de se blesser ou de souffrir indûment en raison […] d’une exposition indue aux intempéries ».

 

[98]         Au cours de sa plaidoirie finale, l’avocate de l’Agence a cité à la Commission plusieurs décisions visant à l’aider à interpréter cette disposition, notamment : Les Fermes G. Godbout & Fils Inc. c. Canada (ACIA), 2006 CAF 408 (Godbout); R. c. Maple Lodge Farms (2013), dossier de la CJO, (Brampton 10‑1160) (Maple Lodge Farms); Poirier‑Bérard c. Canada (ACIA), 2012 CRAC 23 (Poirier‑Bérard), Exceldor Coopérative c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 9 (Exceldor, 2013 CRAC 9); 0830079 B.C. Ltd. c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 34 (S&S Transport); Finley Transport Ltd. c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 42, et E. Grof Livestock Ltd. c. Canada (ACIA), 2014 CRAC 11.

 

[99]         De plus, comme l’avocate de l’Agence l’a souligné au cours de sa plaidoirie finale, la Commission a déjà, dans le passé, appliqué la méthode d’interprétation énoncée dans Doyon en disséquant les éléments d’une violation visée à l’alinéa 143(1)d), au paragraphe 24 de la décision qu’elle a rendue dans Exceldor, 2013 CRAC 9. Dans cette décision-là, la Commission énumère les cinq éléments que l’Agence doit établir pour étayer la validité d’une violation de l’alinéa 143(1) d) du Règlement sur la SA. Ces cinq éléments, également énumérés au paragraphe 28 de la décision que la Commission a rendue dans Exceldor Coopérative c. Canada (ACIA), 2014 CRAC 8, sont les suivants :

 

1.      Un  animal a été transporté;

 

2.      L’animal a été transporté dans un wagon de chemin de fer, un véhicule à moteur, un aéronef, un navire, un cageot ou un conteneur;

 

3.      L’animal transporté risquait de se blesser ou de souffrir indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries;

 

4.      L’auteur de l’acte reproché a transporté, ou a fait transporter, l’animal en question;

 

5.   Il existait un lien de causalité entre le transport effectué par le contrevenant, ou en son nom, dans lequel l’animal risquait de se blesser ou de souffrir indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries et l’exposition aux intempéries.

 

 

4.1            Conclusions concernant les éléments 1 et 2

 

[100]     Les éléments 1 et 2 n’exigent aucune interprétation plus poussée. Soit un animal a été transporté dans un véhicule à moteur en l’espèce, soit il ne l’a pas été. La Commission conclut que l’Agence a établi les éléments  1 et 2. Il appert de la preuve que les poulets ont été transportés dans la remorque D-73 le 30 septembre 2012.

 

 

4.2            Conclusion concernant l’élément 4

 

[101]     Dans la même veine, la question de savoir si l’auteur de la violation reprochée a transporté les oiseaux à la date en question ne nécessite pas une interprétation plus poussée. La Commission et la Cour d'appel fédérale se sont déjà prononcées au sujet d’une interprétation téléologique de ce qui constitue un « transport » dans le contexte du Règlement sur la SA. Au paragraphe 45 de la décision S&S Transport, la Commission s’exprime comme suit :

 

L’avocat de l’Agence a cité plusieurs décisions de la Commission dans le cadre desquelles on s’est penché sur la définition de « transport » au sens du Règlement sur la santé des animaux, y compris Sure Fresh Foods c. Canada (ACIA), 2010 CRAC 16; F. Ménard Inc. c. Canada (ACIA), RTA 60126, et Glenview Livestock Ltd. c. Canada (ACIA), RTA 60162. La Commission se fonde également sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) c. Ouellet, 2010 CAF 268, portant sur le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission relative à une violation du paragraphe 141(1) du Règlement sur la santé des animaux, selon lequel « […] il est interdit à quiconque de charger dans un wagon de chemin de fer, un véhicule à moteur, un aéronef ou un navire, ou à un transporteur de transporter, des animaux d’espèces différentes ou de poids ou d’âge sensiblement différents sans les avoir séparés ». Dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale a précisément rejeté une conclusion de la Commission selon laquelle le « transport » prend fin lorsque les animaux se trouvent dans leur moyen de transport en attente d’un déchargement imminent à l’abattoir. Il semble donc que la définition de « transport » au sens du Règlement sur la santé des animaux soit maintenant un principe juridique bien établi. Bien que le « transport » englobe évidemment le temps effectivement passé « sur la route », il comporte plusieurs étapes, y compris les gestes physiques de charger, transporter et décharger les animaux. Il ne fait aucun doute que le lien de causalité dans l’affaire Ouellet était très direct et limité dans le temps. En effet, dans cette affaire, c’est le transporteur qui avait posé un geste interdit puisque c’était lui qui avait permis à la vache et aux veaux qui avaient été séparés de se retrouver ensemble en attendant le déchargement à l’abattoir, ce qui contrevient au paragraphe 141(1). Dans cette affaire, le temps d’attente avant le déchargement n’était que de 10 minutes. Cependant, il existe, même dans le cas présent où chacun des acteurs a participé activement à l’une ou à plusieurs des étapes de chargement, de transport et de déchargement des animaux, un lien de causalité, quoique moins direct que celui qui a été présenté dans l’affaire Ouellet. […]

 

 

[102]     L’affaire S&S Transport portait sur une violation du paragraphe 140(2) du Règlement sur la SA, selon lequel l’Agence devait prouver que les oiseaux dans cette affaire-là étaient entassés pendant leur transport au point de risquer de se blesser ou de souffrir indûment. La Commission a conclu que les oiseaux avaient été disposés de manière entassée par les personnes chargées de la capture et qu’ils sont demeurés entassés à chaque étape du processus, y compris (1) le chargement, (2) le trajet, (3) l’arrivée et le déchargement de la remorque à l’établissement de transformation et (4) la période d’attente précédant l’abattage à l’établissement de transformation. Au cours de chaque étape du « transport », l’entassement reproché s’est poursuivi de telle sorte que les oiseaux risquaient de se blesser ou de souffrir indûment.

 

[103]     Dans la présente affaire, une définition similaire de la portée du transport s’appliquerait, même si la violation reprochée concerne l’alinéa 143(1)d) plutôt que le paragraphe 140(2) du Règlement sur la SA. Compte tenu de cette définition, le transport des oiseaux a débuté par leur chargement par l’équipe employée par MLF (Brian’s Poultry Services Ltd.), s’est poursuivi par le voyage au cours duquel les poulets ont été transportés par LRFT dans une remorque de MLF entre New York et le sud de l’Ontario, puis par la livraison de la remorque par le chauffeur de LRFT dans l’abri d’attente de MLF, et n’a pris fin que lorsque les oiseaux ont finalement été déchargés pour être abattus par le personnel de MLF.

 

[104]     Une preuve abondante a été présentée au sujet de chacune des étapes du transport des poulets à bord de la remorque D-73. La preuve a révélé que le transport de la cargaison a été très long : il a débuté à 9 h le 30 septembre 2012, dans l’État de New York, et a pris fin à 8 h 11 le 1er octobre 2012 à Brampton (Ontario), ce qui représente une période d’à peine un peu moins de 24 heures. Il appert clairement de la preuve que LRFT n’a jamais été propriétaire des poulets. De plus, eu égard à la preuve, il est raisonnable d’affirmer qu’il est peu probable que LRFT ait eu la garde et la maîtrise des poulets lors du chargement (la première étape du transport) ou de l’attente à l’établissement de MLF (la dernière étape du transport) en ce qui concerne les 6 270 poulets transportés à bord de la remorque D-73. Ce qui est indéniable, c’est que LRFT était le transporteur des oiseaux au cours des deuxième et troisième étapes du transport, soit le trajet et la remise de la remorque chargée à l’établissement de MLF. En conséquence, en ce qui concerne l’élément 4, la Commission conclut que LRFT a effectué le transport des poulets.

 

[105]     Dans le cadre de cette conclusion, il importe de souligner que la preuve montre sans l’ombre d’un doute qu’aucun membre du personnel de LRFT n’était présent à l’établissement de MLF pendant la période de mise en attente de la cargaison D-73 en vue de la transformation à la fin de la soirée du 30 septembre jusqu’au matin du 1er octobre 2012. Il est également indéniable que cette façon de procéder correspondait à la pratique acceptée dans l’industrie. M. Reuber a déclaré au cours de son témoignage que MLF déterminait les cargaisons à ramasser, fournissait à LRFT les remorques devant servir à ramasser les cargaisons de poulets et attendait le retour de ces remorques à son établissement à un moment précis. En réalité, d’après la preuve présentée, LRFT n’a exercé aucun contrôle, sinon un contrôle très minime, sur les poulets au cours de leur capture et de leur chargement à bord de la remorque de MLF ou après le dépôt de ladite remorque à l’établissement de transformation de celle-ci.

 

[106]     En conséquence, une différence importante existe entre la présente affaire et les litiges que la Cour de justice de l’Ontario a récemment tranchés dans les affaires de Maple Lodge Farms. Dans ces affaires-là, MLF était liée de façon claire et continue à la garde et au contrôle des oiseaux lors de chaque aspect du transport : elle avait embauché les personnes chargées de capturer les oiseaux, puis avait demandé à ses employés de conduire ses remorques à ses établissements de transformation, où ses employés ont déchargé la cargaison. De plus, les poulets lui appartenaient. En conséquence, dans ces affaires-là, il n’était pas nécessaire d’analyser les rôles et responsabilités des différentes personnes ayant participé au transport des oiseaux, car toutes celles-ci semblaient relever du contrôle de LMF.

 

[107]     Dans la présente affaire, aucun élément de preuve ne donne à penser que MLF s’attendait à ce que LRFT participe au processus après avoir laissé la remorque de MLF à l’établissement de celle-ci. En conséquence, la Commission en arrive à la conclusion que la participation de LRFT au transport des poulets a pris fin à 22 h 30 le 30 septembre 2012, lorsque LRFT a laissé la remorque qu’elle transportait à l’établissement de transformation de MLF. La Commission convient qu’il est possible d’établir que l’action ou l’inaction du personnel de LRFT avant la remise de la remorque à l’établissement de transformation de MLF ait eu des séquelles après ce moment. Cependant, si aucune séquelle ne peut être attribuée à un moment où LRFT avait la garde et le contrôle des poulets, il serait contraire à la logique d’affirmer que LRFT a continué à transporter les oiseaux ou était responsable du transport de ceux-ci alors qu’aucun des membres de son personnel n’est resté avec la remorque et que cette présence n’aurait pas été exigée ni même tolérée après que MLF eut pris en main la surveillance et le contrôle de la remorque D-73 à compter de 22 h 30 le 30 septembre 2012.

 

 

4.3            Conclusion concernant l’élément 3

 

[108]     La Commission a examiné attentivement les décisions qu’elle a rendues dans les 24 affaires où une violation de l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la SA constituait le fondement d’une allégation de violation du Règlement sur les SAP. La Commission est également consciente des principes directeurs qu’a exposés la Cour d'appel fédérale dans Doyon, Canada (PG) c. Porcherie des Cèdres Inc., 2005 CAF 59 (Porcherie des Cèdres) et, plus récemment, dans Stanford, en ce qui concerne l’interprétation du Règlement  sur la SA. C’est ce qui constitue le transport d’un animal dans des circonstances où celui-ci « risque de se blesser ou de souffrir indûment en raison […] d’une exposition indue aux intempéries » – soit l’élément 3 d’une violation alléguée de l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la SA – que la Commission doit déterminer.  Il faut lire ces mots dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

[109]     Cependant, il convient de souligner que, dans le cas d’une violation prévue à l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la SA, le mot « indu » figure deux fois, plus précisément le mot « indûment », qui apparaît à côté du mot « souffrir », et le mot « indue », qui qualifie l’« exposition », ce qui est plutôt inhabituel. Cette insistance de la part du législateur est manifestement intentionnelle et il faut donc lui donner l’importance qui convient.

 

[110]     Bien que l’objet et l’esprit de la Loi sur la SA et de son règlement d’application ne soient pas énoncés en toutes lettres dans les textes législatifs, l’importance de réglementer le transport sans cruauté des animaux à l’intérieur du système canadien de l’agriculture et de l’agroalimentaire est reconnue à l’alinéa 64 (1) i) de la Loi sur la SA, qui est ainsi libellé :

 

Le gouverneur en conseil peut, par règlement, prendre des mesures visant à protéger la santé des personnes et des animaux par la lutte contre les maladies et les substances toxiques ou leur élimination, ainsi que toute autre mesure d’application de la présente loi et, notamment, […] empêcher que les animaux soient maltraités, notamment en : (i) régissant leur garde, y compris les soins à leur donner et les mesures concernant leur disposition, (ii) régissant leur transport tant à l’intérieur qu’à destination ou en provenance du Canada; (iii) prévoyant le traitement, la destruction ou toute autre forme de disposition des animaux gardés ou transportés dans des conditions inacceptables.

 

[111]     De plus, la partie XII du Règlement sur la SA, où figure la norme énoncée à l’alinéa 143(1)d), est intitulée « Transport des animaux ». Eu égard à leur contenu, les dispositions du Règlement sur la SA qui apparaissent dans cette partie doivent également être considérées comme des dispositions établissant des normes qui visent à protéger la santé des animaux pendant que ceux-ci sont transportés de la ferme du producteur jusqu’à l’abattoir du transformateur.

 

[112]     En conséquence, les dispositions relatives à la protection de la santé des animaux de la Loi sur la SA et de son règlement d’application n’existent pas dans le vide. Le contexte du texte législatif réside dans la nécessité de protéger la santé des animaux à l’intérieur des systèmes de production agricole et agroalimentaire qui existent actuellement au Canada.

 

[113]     Bien que le législateur ait édicté une disposition précise afin de protéger la santé des animaux contre le risque que ceux-ci souffrent indûment pendant leur transport en raison d’une exposition indue aux intempéries, il est nécessaire d’interpréter cette disposition afin de maintenir un équilibre entre les activités commerciales régulières des intervenants des systèmes de production agricole et agroalimentaire et la protection des animaux dans le cadre de ces systèmes. En conséquence, il faut lire l’utilisation par le législateur des mots « souffrir indûment » et « exposition indue aux intempéries » dans la définition d’une violation dans le contexte de cet équilibre, eu égard à l’esprit et à l’objet de la Loi sur la SA et de son règlement d’application.

 

 

4.3.1       « En raison d’une exposition indue aux intempéries »

 

[114]     Dans Porcherie des Cèdres, au paragraphe 26 (bien qu’elle l’ait fait dans le contexte de violations de l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la SA), la Cour d'appel fédérale a examiné le sens du mot « indue » dans la phrase « souffrances indues ». Elle a décidé que le mot « indue » figurant à côté de « souffrances » signifiait des souffrances au sens plus usuel et plus englobant de « inapproprié » , « inopportun » , « injustifié » , « déraisonnable ». De plus, la Cour d'appel fédérale a cité plus tard avec approbation cette interprétation dans le jugement qu’elle a rendu dans Doyon, au paragraphe 30.

 

[115]     Étant donné que le mot « indue » est utilisé en liaison avec « exposition », il faut également examiner, à tout le moins, le sens habituel que donnent les dictionnaires à ce mot; selon le Canadian Oxford Dictionary, le mot « indu » signifie [traduction] « excessif, démesuré, injustifié, inapproprié, inopportun ou injuste ».

 

[116]     En conséquence, eu égard à l’objet du Règlement sur la SA, qui est un règlement visant à protéger la santé des animaux à l’intérieur des systèmes de production agricole existants, la Commission conclut que le mot « indue », dans le contexte des mots « exposition indue aux intempéries » au sens le plus restreint (selon la définition tirée de l’arrêt Porcherie des Cèdres), renvoie aux situations où les animaux sont exposés aux intempéries « de façon injustifiée » ou « de façon déraisonnable ». Si un sens plus large était retenu, les mots « exposition indue » engloberaient un ensemble plus exclusif de situations où les animaux sont exposés aux intempéries « de manière inappropriée » ou « de manière excessive ».

 

[117]     Que la définition large ou restreinte des mots « exposition indue aux intempéries » soit retenue, l’intervenant du système agroalimentaire canadien sera responsable lorsque des animaux qui sont sous sa garde et sous son contrôle sont exposés aux caprices du climat canadien d’une manière qui n’est pas « justifiée ». Les participants canadiens des industries de la viande doivent poursuivre leurs activités tout au long de l’année dans tous les types de conditions météorologiques pouvant régner au Canada. Lorsque des personnes physiques ou morales s’occupent d’animaux destinés à la consommation humaine depuis le chargement jusqu’à l’abattage, elles exposent ceux-ci aux conditions météorologiques. En l’absence le mot « indue », cette disposition du Règlement sur la SA interdirait le transport d’animaux destinés à la consommation humaine chaque fois qu’ils pourraient être exposés à des conditions météorologiques qui les feraient souffrir ou risqueraient de le faire. Le législateur semble avoir jugé cette norme trop élevée pour l’industrie et a donc ajouté le qualificatif « indue » de façon que seuls certains types d’exposition aux intempéries donnent lieu à une responsabilité.

 

[118]     Si l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la SA vise uniquement une exposition « injustifiée » ou « démesurée » aux caprices du climat canadien, quelles seraient les circonstances couvertes? Il existe trois types de circonstances que les mots « exposition indue aux intempéries » couvriraient vraisemblablement.

 

[119]     Le premier type de circonstances est le cas où les producteurs, transporteurs ou transformateurs savent ou devraient savoir que des conditions météorologiques difficiles sont probables et choisissent de transporter les animaux indépendamment des risques occasionnés par ce mauvais temps. De nombreux exemples de ce scénario sont présentés dans les décisions citées par l’Agence. Ainsi, dans Maple Lodge Farms, le transporteur de la cargaison examinée en premier lieu par la Cour de justice de l’Ontario a fait charger les poulets lors de températures inférieures à zéro degré Celsius (de -5 °C à -7 °C) pendant une forte tempête de neige. Il a ensuite transporté les poulets, qui étaient mouillés avant même de quitter la ferme du producteur, jusqu’à l’établissement de transformation et un nombre élevé d’oiseaux sont morts. La Cour a conclu que les volailles avaient souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries. Dans la même veine, le transporteur de la cargaison examinée en deuxième lieu par la Cour avait fait charger les poulets alors que le temps était encore plus froid (entre -13 °C et -16 °C), au milieu de l’hiver (malgré le fait qu’il ne neigeait pas). Il a ensuite transporté les poulets jusqu’à l’usine de transformation et un nombre élevé de volailles sont mortes. La Cour a conclu à juste titre que les volailles de cette cargaison avaient également souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries.

 

[120]     Dans Poirier‑Bérard, affaire tranchée par la Commission, les températures hivernales enregistrées au cours du chargement et du transport des poulets en question étaient encore plus extrêmes (de -22 °C à -29 °C) et, lorsqu’une nécropsie a été effectuée sur les poulets morts de la cargaison, des cristaux de glace ont été trouvés dans le tissu musculaire de certaines des carcasses. Encore là, la Commission a conclu que les volailles avaient souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries.

 

[121]     Dans chacun de ces cas et, par extension, dans tout type de situation similaire, les producteurs, transporteurs et transformateurs courent vraiment le risque de charger, de transporter et de détenir des animaux jusqu’à l’abattage dans des conditions qui exposent indûment ceux-ci aux intempéries. Ces animaux sont exposés de façon « déraisonnable » et injustifiée aux intempéries parce que le chargement et le transport d’animaux dans de telles conditions météorologiques sont très risqués et augmentent le risque qu’un grand nombre d’oiseaux soient trouvés morts si le moindre problème survient au cours du processus de transport allant du chargement au déchargement. Ce n’est que si les conditions de transport sont optimales lors de conditions météorologiques extrêmes que le transporteur évitera un taux élevé de mortalité de sa cargaison et échappera à la responsabilité connexe.

 

[122]     Un deuxième type de circonstances où les animaux pourraient souffrir indûment découlerait de conditions météorologiques extrêmes qui ne sont pas prévisibles – un violent orage soudain, une tempête de neige aveuglante ou une chute ou hausse soudaine de température, par exemple. Étant donné que les violations découlant de la Loi sur les SAP et de son règlement d’application sont des infractions de responsabilité absolue, si l’exposition indue aux intempéries, même imprévisible, constitue la cause, réelle ou probable, de la souffrance indue subie par les animaux, l’élément n° 3 de la violation sera établi. Il en sera ainsi même si, dans de telles conditions, le transporteur ne pouvait pas vraiment faire quoi que ce soit pour empêcher les animaux de souffrir indûment en raison de leur exposition indue aux intempéries.

 

[123]     Enfin, un troisième type de circonstances serait le cas où les animaux sont indûment exposés aux intempéries parce que le transporteur omet tout simplement de prendre des précautions adéquates pour protéger les animaux transportés contre les caprices du climat canadien. Les conditions météorologiques ne seront peut-être pas extrêmes; cependant, dans ces circonstances, les transporteurs et transformateurs doivent agir rapidement et avec prudence, en se fondant sur les normes de l’industrie, pour atténuer les effets des conditions météorologiques défavorables sur les animaux. Lorsqu’ils ne protègent pas leurs animaux dans ces situations en raison d’une erreur humaine (bâchage inadéquat, attente excessive, équipement ou procédé de protection inadéquat) ou d’un manque de formation alors que cette protection est exigée en raison des conditions météorologiques, les animaux seront indûment exposés aux intempéries.

 

[124]     En conservant à l’esprit ces trois différents types de circonstances, la Commission doit analyser la preuve pour savoir si les animaux en l’espèce ont souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries. Au cours de sa plaidoirie finale, l’avocate de l’Agence a demandé à la Commission de conclure que les oiseaux avaient souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries, eu égard, principalement, aux éléments suivants :

 

         Le témoignage de M. Freiburger selon lequel entre 10 et 70 oiseaux morts ont été observés à bord de la remorque D-73 à l’arrivée ou peu après l’arrivée de celle-ci à l’établissement de MLF le soir du 30 septembre 2012;

 

         Le témoignage de M. Freiburger selon lequel 425 oiseaux morts ont été trouvés à bord de la remorque D-73 lorsque la cargaison a été déchargée en vue de la transformation le matin du 1er octobre 2012;

 

         Le rapport du chauffeur de LRFT selon lequel il a dû faire face à de la pluie à Montréal et à des embouteillages lors du trajet entre l’établissement du producteur et celui du transformateur, et selon lequel il a placé des bâches uniquement du côté du chauffeur pendant le transport de la cargaison alors qu’il pleuvait;

 

         Le témoignage des représentants de l’Agence et les rapports de celle-ci selon lesquels les poulets trouvés morts se trouvaient principalement du côté du passager de la remorque D-73;

 

         L’avis d’expert que le Dr Gomulka a formulé dans son rapport écrit et au cours de son témoignage et selon lequel, après avoir effectué une nécropsie sur 10 oiseaux, il estimait que le taux élevé de mortalité des poulets transportés à bord de la remorque D-73 était imputable à une protection inadéquate des volailles au plumage déficient contre les conditions météorologiques défavorables au cours du transport et de l’entreposage;

 

         Le témoignage d’expert du Dr Farenhorst selon lequel le chauffeur de LRFT n’a pas respecté les obligations énoncées dans le code sur le transport et le code sur la volaille.

 

[125]     Pour analyser la preuve que l’Agence a présentée afin d’établir l’élément 3 et lui attribuer le poids qui convient, la Commission se fonde sur l’arrêt Doyon, où la Cour d'appel fédérale a révisé la conclusion que la Commission avait tirée au sujet d’une disposition différente, mais connexe, du Règlement sur la SA, et a formulé les remarques suivantes :

 

[28]  Aussi, le décideur se doit-il d’être circonspect dans l’administration et l’analyse de la preuve de même que dans l’analyse des éléments constitutifs de l’infraction et du lien de causalité. Cette circonspection doit se refléter dans les motifs de sa décision, laquelle doit s’appuyer sur une preuve qui repose sur des assises factuelles et non sur de simples conjectures, encore moins de la spéculation, des intuitions, des impressions ou du ouï-dire.

 

[…]

 

b)         L’analyse et l’administration de la preuve

 

[54]  La principale fonction d’un tribunal de première instance consiste à recevoir et à analyser la preuve. Dans l’exercice de cette importante fonction, il peut rejeter une preuve pertinente, mais il ne peut omettre de la considérer, surtout si elle en contredit une autre sur un élément essentiel du litige : voir Oberde Bellefleur OP, Clinique dentaire O. Bellefleur c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13; Parks c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. n° 770 (QL); Canada (Attorney General) v. Renaud, 2007 FCA 328; et Maher c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 223. S’il décide de la rejeter, il doit fournir une explication : ibidem.

 

 

[126]     En quoi consiste la preuve concernant les conditions météorologiques du 30 septembre 2012? Selon la preuve non contredite, lors du chargement de la remorque D‑73, le temps était sec (il ne pleuvait pas), le ciel était couvert et le thermomètre atteignait 10 °C. Le chauffeur a noté qu’à 11 h 30, lorsqu’il a quitté la ferme du producteur, le temps était nuageux et il faisait 13 °C. Il a souligné qu’il a plu pour la première fois à 14 h 30 et que la température s’élevait à 11 °C, tel qu’il est mentionné dans le compte rendu du chargement des oiseaux vivants de LRFT à l’égard de la remorque D-73, qui figure à l’onglet 1 du rapport de l’Agence. À 17 h 30, le chauffeur a noté à nouveau qu’il pleuvait et que la température s’élevait à 11 °C. À 20 h 30 et à son arrivée à l’établissement de MLF à 22 h 30, le chauffeur de LRFT a noté que le temps était clair (la pluie avait cessé) et que le thermomètre atteignait 13 °C. Ces conditions météorologiques ne sont pas inhabituelles pour le mois de septembre dans l’est du Canada. Ce n’était ni très chaud ni extrêmement froid. Selon les renseignements consignés au sujet de la pluie, celle-ci n’a pas duré très longtemps et n’était pas intense. Le temps était peut-être un peu frais, mais il s’agissait somme toute d’une journée d’automne loin d’être désagréable. En conséquence, les conditions météorologiques en vigueur le 30 septembre 2012 ne seraient pas visées par les deux premiers types de circonstances donnant lieu à une « exposition indue aux intempéries ». Les conditions n’étaient pas extrêmes (et prévisibles) au départ et ne sont pas devenues soudainement inhabituelles, menaçantes ou extrêmes (même si elles n’étaient pas prévisibles) pendant le trajet ou l’attente à l’établissement de MLF.

 

[127]     Dans ces circonstances, la preuve a-t-elle établi que le chauffeur ne s’est pas acquitté de sa responsabilité liée à la protection des oiseaux le 30 septembre 2012? Il importe de souligner qu’il ne s’agit pas de savoir s’il a agi avec « diligence raisonnable » le jour en question, ce qui ne constituerait pas un moyen de défense en vertu de la Loi sur les SAP, mais plutôt de savoir si sa conduite a contribué à exposer indûment les oiseaux aux intempéries. Le 30 septembre 2012, le temps était couvert et incertain, tantôt nuageux et tantôt pluvieux. Il appert de la preuve que le chauffeur s’est arrêté plusieurs fois pour vérifier sa cargaison et que, pendant le trajet, il a placé la bâche du côté gauche afin de s’assurer que les poulets seraient protégés en cas de pluie. Il n’a pas utilisé la bâche du côté droit, afin d’éviter que les oiseaux n’aient trop chaud, ce qui aurait pu être le cas si des bâches avaient été placées des deux côtés du camion.

 

[128]     M. Reuber a affirmé au cours de son témoignage que la méthode de bâchage utilisée par le chauffeur de LRFT ce jour-là était correcte et prudente et a permis de protéger les oiseaux contre la pluie, mais que le chauffeur n’a pas trop couvert ceux-ci afin d’éviter qu’ils n’aient trop chaud. Cette pratique correspondait à la pratique courante suivie dans l’industrie, eu égard à la température dans les circonstances de ces fluctuations normales, et a permis de protéger des oiseaux du côté de la remorque où la pluie tombait davantage tout en préservant l’ensemble de la cargaison contre un risque de chaleur excessive. La Commission accepte le témoignage écrit du chauffeur de LRFT et le témoignage de M. Reuber selon lesquels la cargaison n’a pas été soumise à des conditions météorologiques extrêmes ni exposée indûment aux intempéries en raison d’une erreur du chauffeur le 30 septembre 2012.

 

[129]     La preuve que l’Agence a présentée au sujet des conditions météorologiques auxquelles les oiseaux ont été exposés le 30 septembre 2012 est beaucoup moins convaincante que celle de LRFT. En effet, cette preuve a été recueillie de nombreuses heures après les événements du transport; de plus, elle était hypothétique et reposait en grande partie sur un avis professionnel qui allait à l’encontre de bon nombre des autres éléments de preuve présentés en l’espèce. C’est pourquoi la Commission n’a pas attribué beaucoup d’importance à la preuve de l’Agence.

 

[130]     L’Agence invoque le témoignage de M. Freiburger, qui a observé la cargaison dans l’abri d’attente de MLF, et le témoignage d’expert des Drs Farenhorst et Gomulka. M. Freiburger et DFarenhorst ont tous les deux présenté une preuve claire et dépourvue de toute équivoque. Le DFarenhorst a affirmé que la cargaison avait été transportée alors que la température a varié de 10 °C à 13 °C, soit près du seuil de la zone de confort des poulets, ce qui aurait constitué une condition stressante dans le cas d’oiseaux au plumage déficient. Cependant, les témoins ont affirmé que, même si la température extérieure a varié de 10 °C à 13 °C, il est probable que la température à l’intérieur de la remorque D-73 ait été sensiblement plus élevée, compte tenu de la chaleur générée par 6 720 poulets, et serait sans doute une température confortable pour des poules de réforme. La Commission accepte ces conclusions de fait et estime donc qu’il y a peu de raisons d’accorder du poids à l’avis d’expert du Dr Farenhorst selon lequel, le 30 septembre 2012, le chauffeur de LRFT ne s’est pas acquitté des responsabilités énoncées à son endroit dans le code sur le transport et le code sur la volaille.

 

[131]     M. Freiburger a affirmé au cours de son témoignage qu’il avait vu bon nombre des poulets morts du côté du passager de la cargaison D-73, mais que, dans l’ensemble, la remorque semblait sèche. Ces premières observations de la cargaison ont été faites plus de cinq heures et demie après l’arrivée de celle-ci à l’établissement de MLF. M. Freiburger n’a nullement écrit que les oiseaux étaient mouillés, que ce soit à ce moment-là ou à d’autres moments. L’argument de l’Agence selon lequel l’exposition indue aux intempéries découlait du fait que les oiseaux ont été mouillés par la pluie reçue pendant le trajet n’est pas appuyé par la preuve présentée par M. Freiburger ou par LRFT.

 

[132]     Enfin, le témoignage du DGomulka au sujet de ce qu’il a observé lors de l’examen ante mortem général qu’il a fait de l’ensemble de la cargaison plus de huit heures après l’arrivée de celle-ci à l’établissement de MLF et au sujet des données qu’il a consignées dans son rapport de nécropsie post mortem était composé d’éléments épars, disjoints et hypothétiques. Il n’a pas été un témoin convaincant. En conséquence, la Commission accorde très peu de poids à ses observations écrites et à son avis professionnel. Cela étant dit, en ce qui concerne son témoignage au sujet de l’exposition indue aux intempéries, le DGomulka n’a fait aucune mention d’oiseaux mouillés dans son rapport d’inspection ante mortem. De plus, dans son rapport de nécropsie, il a souligné que seulement trois des dix oiseaux de l’échantillon étaient mouillés. Par ailleurs, en contre-interrogatoire, il a mentionné à la Commission que les conditions météorologiques ne pourraient constituer qu’un seul de plusieurs facteurs susceptibles d’avoir causé la mort des poulets. Eu égard à cette preuve équivoque, la Commission estime qu’il y a lieu d’accorder une importance minime à la conclusion suivante qu’il formule à la fin de son rapport de nécropsie [traduction] : « Selon mon avis professionnel, le taux élevé de mortalité constaté chez les oiseaux de la cargaison D-73 est imputable à une protection inadéquate des volailles au plumage déficient contre les intempéries au cours du transport/de l’entreposage. »

 

[133]     En conséquence, la Commission conclut que les oiseaux n’ont pas été indûment exposés à des intempéries le 30 septembre 2012, de sorte que l’Agence n’a pas réussi à établir l’élément 3 de la violation reprochée.

 

 

4.3.2       Les oiseaux ont souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries ou pour d’autres raisons

 

[134]     Même si la Commission a tort de conclure que les oiseaux de la cargaison D-73 n’ont pas été indûment exposés aux intempéries le 30 septembre 2012, la preuve donne également à penser que plusieurs éléments étaient susceptibles de causer des souffrances indues aux oiseaux ce jour-là. En conséquence, la Commission n’est pas convaincue que l’Agence a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les oiseaux « ont souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries », mais croit plutôt que les souffrances indues sont vraisemblablement imputables à un ensemble d’autres facteurs.

 

[135]     Tel qu’il est mentionné plus haut, il appert de la séquence temporelle du transport de la cargaison D-73 que LRFT a eu la garde et le contrôle de celle-ci de 9 h à 22 h 30 le 30 septembre 2012. Selon la preuve présentée par des membres du personnel de MLF, entre 10 et 70 oiseaux morts ont été découverts peu après que le chauffeur de LRFT eut livré la cargaison à l’établissement de MLF à 22 h 30 le 30 septembre 2012. L’avocate de l’Agence soutient que ces décès ont été causés par la pluie, qui est tombée vers Montréal pendant trois à six heures, ainsi que par les embouteillages auxquels le chauffeur a fait face pendant le trajet. En conséquence, les décès seraient suffisants pour permettre de conclure que des oiseaux ont souffert « indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries ».

 

[136]     Or, la preuve présentée en l’espèce montre qu’il en est autrement. M. Reuber et les Drs Farenhorst et Gomulka évoquent de nombreux autres facteurs qui pourraient avoir causé la mort des poulets, dont l’âge des oiseaux, le fait qu’ils avaient terminé leur cycle de vie utile comme poules pondeuses, les conditions de la capture, la durée du trajet, le temps d’attente précédant la transformation, ainsi que les conditions météorologiques au cours du transport.

 

[137]     Afin d’inciter la Commission à conclure que les animaux de la cargaison ont souffert indûment en raison d’une exposition aux intempéries, l’Agence soutient également que la plupart des poulets morts ont d’abord été observés du côté du passager, lequel n’était pas recouvert d’une bâche pendant le transport. Selon le témoignage d’expert du Dr Farenhorst, le nombre d’oiseaux morts et l’endroit où ils se trouvaient donnent à penser qu’ils sont décédés par suite d’une exposition aux intempéries. M. Freiburger a également affirmé que les oiseaux morts qu’il avait observés au cours de son inspection ante mortem à 4 h 15 se trouvaient du côté du passager de la remorque. Cependant, la preuve n’a pas permis de savoir combien d’oiseaux morts avaient été observés à l’arrivée de la cargaison D-73 à l’établissement de MLF : y avait-il seulement 10 oiseaux morts, ou plutôt 67 ou 70, et où se trouvaient-ils? – surtout du côté du passager ou sur l’étage du bas?

 

[138]     Eu égard à la preuve présentée, la Commission conclut qu’à 22 h 30 le 30 septembre 2012, il n’y avait aucun élément de preuve ou donnée clair quant au nombre de poulets morts que comptait la cargaison ou quant à leur emplacement. De plus, étant donné que la cargaison est ensuite passée sous la garde et le contrôle de MLF, la Commission n’est pas convaincue que la preuve montre clairement à quel moment et à quel endroit d’autres oiseaux sont morts par la suite et qui était responsable de leurs décès.

 

[139]     Quels sont les éléments de preuve montrant qu’une ou plusieurs autres causes pourraient expliquer les décès? Il y a le témoignage écrit du producteur initial, qui se trouve à l’onglet 17 du rapport de l’Agence et selon lequel le taux de mortalité estimatif des oiseaux à leur départ de la ferme du producteur s’élevait à 4 %. D’autres décès peuvent donc être survenus pendant le trajet. Bien que les causes ne soient pas énumérées, ce taux de mortalité n’était pas imputable au transport ou à une exposition indue aux intempéries. À cet égard, le Dr Gomulka a convenu avec l’avocat de LRFT que le stress infligé aux poules de réforme dans les circonstances de l’incident de septembre pourrait être lié à de nombreux facteurs, dont (1) la capture des poules; (2) le chargement des poules dans des cageots; (3) la période pendant laquelle les poules sont restées dans leurs cageots; (4) la durée du trajet; (5) le retrait des poules de leur moulée; (6) les conditions météorologiques pendant le chargement et le transport et pendant l’attente à l’usine avant la transformation; (7) la mauvaise qualité du plumage des oiseaux et (8) les fractures d’os subies par les poules entre le chargement et le déchargement.

 

[140]     Eu égard à ce qui précède, la Commission n’est pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’Agence a établi que les oiseaux avaient souffert indûment, que ce soit effectivement ou vraisemblablement, en raison d’une exposition indue aux intempéries. En conséquence, même si les poulets ont probablement été exposés à des souffrances indues et que, effectivement, 425 oiseaux de la cargaison D-73 sont morts à un certain moment entre le chargement et le déchargement en vue de l’abattage, ils n’ont pas, selon la prépondérance des probabilités, souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries.

 

 

4.4            Conclusion concernant l’élément 5

 

[141]     Compte tenu des principes d’interprétation que le juge Létourneau a formulés dans  Doyon, l’Agence doit également établir un lien de causalité entre LRFT, le transport et la blessure ou souffrance indue, réelle ou probable, causée à l’animal en raison d’une exposition indue aux intempéries. Ce lien de causalité a été commenté plus haut relativement à la question de savoir si les poulets avaient souffert et étaient morts en raison d’une exposition indue aux intempéries ou en raison d’une autre cause. Dans le cas de cet aspect également, la preuve présentée par l’Agence n’est pas suffisante pour permettre à la Commission de conclure que, pendant qu’elle avait la garde et le contrôle de la cargaison au cours du transport, LRFT a agi d’une façon telle que des poulets ont souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries.

 

[142]     La pluie et les embouteillages auxquels le chauffeur a dû faire face pendant le déplacement entre l’établissement du producteur et celui du transformateur sont sans doute des événements qui se produisent fréquemment pendant le transport d’animaux. Lorsque les conditions météorologiques deviennent extrêmes ou que les précautions à prendre pour protéger les animaux pendant le transport sont ignorées, il se pourrait que le chauffeur ait agi de façon que ses animaux souffrent indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries. En revanche, selon une preuve abondante présentée au cours de l’audience, à la date en question, les conditions météorologiques n’étaient pas extrêmes et, lorsque le temps s’est gâté pendant le trajet, le chauffeur a pris les précautions habituelles nécessaires pour protéger sa cargaison. Qui plus est, il a été établi que les décès des poulets pourraient avoir été causés par plusieurs facteurs.

 

[143]     La Commission est consciente de la preuve conflictuelle présentée en l’espèce au sujet du moment où les oiseaux sont décédés et de la façon dont ils sont morts. Cependant, il n’en demeure pas moins que la preuve n’est tout simplement pas suffisante pour permettre de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que les poulets ont souffert indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries par suite de la conduite de LRFT.

 

 

5.                 Les moyens de défense disponibles en droit

 

[144]     La Commission sait également que la Loi sur les SAP crée un régime de responsabilité très peu tolérant, puisqu’elle ne permet pas d’invoquer la diligence raisonnable ou l’erreur de fait comme moyen de défense. Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les SAP est ainsi libellé :

 

18. (1)  Le contrevenant ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

 

[145]     Toutefois, les conclusions que la Commission a formulées ci-dessus ne concernent pas une défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait de la part de LRFT. De toute évidence, si LRFT avait invoqué des arguments de cette nature, l’énoncé sans équivoque de l’intention du législateur au paragraphe 18(1) précité aurait entraîné leur rejet.

 

 

6.                 Conclusion

 

[146]     En conséquence, la Commission conclut que, selon la prépondérance des probabilités, l'Agence n’a pas réussi à établir tous les éléments essentiels de la violation, de sorte que LRFT n’a pas commis la violation reprochée. Par conséquent, LRFT n’est pas tenue de payer une sanction pécuniaire en l’espèce. Eu égard à cette conclusion, il n’est pas nécessaire que la Commission examine la question de savoir si l’Agence a prouvé que le montant de la sanction est justifié au titre de la Loi sur les SAP et de son règlement d’application.

 

 

Fait à Ottawa (Ontario), le 24e jour du mois d’octobre 2014.

 

 

 

 

 

 

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Dr Donald Buckingham, président

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