Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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RTA no 60352

 

 

 

 

LOI SUR LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES PÉCUNIAIRES

EN MATIÈRE DAGRICULTURE ET DAGROALIMENTAIRE

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

 

Affaire intéressant une demande de révision des faits relatifs à une violation de la disposition 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux, alléguée par l’intimée, et à la demande de la requérante en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière dagriculture et dagroalimentaire.

 

 

 

 

Trans-Porcs B.M. Inc., requérante

 

 

- et -

 

 

lAgence canadienne dinspection des aliments, intimée

 

 

 

 

LE MEMBRE H. LAMED

 

Décision

 

À la suite dune audience et après avoir examiné toutes les observations écrites et orales, la Commission statue, par ordonnance, que la requérante a commis la violation et doit verser à lintimée la somme de 2 000 $ à titre de sanction pécuniaire, dans les 30 jours suivant la date de signification de la présente décision.

 

 

 

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MOTIFS

 

Une audition a eu lieu à Drummondville, province de Québec le 24 avril 2009.

 

La requérante était représentée par son président, M. Richard Messier.

 

L’intimée était représentée par Me Louise Panet-Raymond.

 

L’avis de violation 0708QC0212 en date du 31 mars 2008, allègue que le requérant a, le ou vers le 5e jour du mois de décembre, à Yamachiche, dans la province de Québec, commis une violation à savoir : — avoir transporté un animal par véhicule moteur, qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause ne pouvait être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu," contrairement à la disposition 138(2) du Règlement sur la santé des animaux.

 

LA PREUVE

 

Dr. Natalie Parent, vétérinaire en poste à l’abattoir A. Trahan Transformation Inc., qui a rédigé le Rapport de non-conformité (Onglet 11, Rapport de l’intimée) n’était pas présente à l’audition. Son Rapport indique que le 5 décembre 2007, vers 10h50, elle a examiné un porc portant le tatouage 18951 provenant de la Clinique Demeter (Ferme St Gabriel) (Bon de réception, Onglet 2, Rapport de l’intimée). Le porc avait été livré à 10h00 et mis dans le parc de retenus. Il était couché sur son côté droit, avec une respiration haletante, et ne bougeait pas en présence de stimulation vocale. La vulve et la peau du porc étaient irritées et la fesse droite enflée. Dr. Parent rapporte que lorsqu’elle a essayé de faire relever le porc, il était sans appui su son membre arrière gauche et ne se déplaçait pas à moins d’être stimulé. Dr. Parent conclut à une boiterie de grade 4. L’examen post mortem a révélé une atrophie musculaire du membre gauche, une arthrite chronique à l’articulation du grasset gauche, une dermatite de contact chronique sur la fesse droite, ainsi que de l’oedémie. (Rapport de non-conformité, Onglet 11, Rapport de l’intimée).

 

M. Messier, transporteur et président de la requérante n’a pas contesté avoir transporté l’animal. Il a témoigné qu’il a effectué le chargement initial de ce porc pendant l’après- midi du 4 décembre dans un camion chargé de porcs destinés à la reproduction provenant de la Clinique Demeter, c'est-à-dire, à être distribués à d’autres producteurs. Ce 1er camion ne pouvait pas se rendre à l’abattoir avec le porc en question pour des raisons de restrictions sanitaires. M. Messier dit avoir transféré le porc dans un deuxième camion destiné à l’abattoir; ce transfert aurait eu lieu vers 08h00 le 5 décembre. Il dit que le porc

 

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était ambulatoire au moment du deuxième chargement. Il dit avoir chargé ce porc en

dernier pour pouvoir le sortir en premier à l’abattoir mais le porc n’était pas isolé des autres porcs dans le deuxième camion. Le bon de réception (Onglet 2, Rapport de l’intimée) indique qu’il y avait un total de 247 porcs dans cette livraison qui a eu lieu à 10h00 le 5 décembre 2007.

 

M. Janin Boucher, agronome de la Clinique Demeter et propriétaire du porc en question a témoigné à l’audition. Il a expliqué que 70% de ses porcs sont utilisés à la reproduction, et l’autre 30%, ayant des imperfections, vont à l’abattoir. M. Boucher a témoigné qu’il voit lui-même 90% des animaux lorsqu’ils sont chargés pour le transport et qu’il s’assure que l’animal est ambulatoire pour le trajet et pour le déchargement à l’abattoir. Il a ajouté que le porc en question avait une boiterie légère au moment du chargement mais il était ambulatoire. M. Boucher a aussi témoigné que, d’après son expérience, et d’après la description de Dr. Parent de la condition du porc lors de son arrivée à l’abattoir, il ne s’agit pas de boiterie de grade 4 due à une blessure subie avant le chargement, mais d’un comportement d’un porc gelé. Il postule que le porc s’était probablement collé contre les parois en aluminium du camion pendant le transport, avait très froid lors de son arrivée à l’abattoir et aurait subi des engelures à la peau. Il a expliqué qu’un animal blessé a tendance à se mettre dans un coin pour se protéger, que le porc est élevé à une température de 20 degrés Celsius, et que celui-ci a passé plus de 15 heures dans le camion. M. Boucher a dit que l’on ne pouvait pas prévoir que le porc serait gelé dans le deuxième transfert.

 

ANALYSE

 

Il convient de reproduire ici l’alinéa 138 (2) a) du Règlement sur la santé des animaux C.R.C. c.296 (Règlement) :

 

138. (2) Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit de charger ou de faire charger, ou de transporter ou de faire transporter, à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire un animal :

 

a) qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu;

 

Pour qu’il existe une violation de l’alinéa 138(2) a), l’intimée doit établir les éléments suivants, tels que dressés au paragraphe 41 de l’arrêt récent de la Cour fédérale d’appel, Michel Doyon v. Procureur Général du Canada 2009 CAF 152 (Doyon):

 

 

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1.      qu’il y a eu chargement (incluant le fait de charger) ou transport (incluant le fait de faire transporter;

 

2.      que le chargement ou le transport s’est fait à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire;

 

3.      que la cargaison chargée ou transportée était un animal;

 

4.      que le transport ne pouvait se faire sans souffrances indues;

 

5.      que ces souffrances indues ont été subies au cours du voyage prévu (en anglais "expected journey");

 

6.      qu’un transport sans souffrances indues ne pouvait se faire à cause de l’infirmité, de la maladie, d’une blessure, ou de la fatigue de l’animal ou pour toute autre cause; et

 

7.      qu’il existe un lien de causalité entre le transport, les souffrances indues et l’infirmité, la maladie, la blessure ou la fatigue de l’animal ou toute autre cause.

La preuve des premiers trois éléments est non contestée.

 

Les éléments 4 et 6 devraient être traités ensemble, puisque l’élément 6 vient limiter les causes possibles des souffrances indues. Afin d’analyser ces deux éléments, la Commission entend qu’il faut poser la question suivante, à la fois prospective et rétrospective : À la fin du transport, lorsque l’on constate que l’animal en a souffert indûment, est-ce que la preuve indique qu’au moment du chargement ou du transport le responsable était ou devait être en mesure de prévoir qu’à cause d’infirmité de maladie, de blessure, de fatigue, ou de toute autre cause, le chargement ou transport causerait lesdites souffrances?

 

Commençant par la fin, c'est-à-dire par l’état du porc lors de son arrivée à l’abattoir, la Commission doit se demander si le Rapport de non-conformité fait preuve de son contenu, en l’absence du témoignage du Dr. Parent, et surtout à la lumière du fait que la requérante n’a pas eu l’occasion de la contre interroger.

 

L’article 74 de la Loi sur la Santé des Animaux 1990, c. 21 énonce ce qui suit :

 

 

 

 

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74. (1) Dans les poursuites pour violation ou pour infraction, la déclaration, le certificat, le rapport ou tout autre document censé signé par le ministre, l’inspecteur, l’analyste ou l’agent d’exécution est admissible en preuve sans qu’il soit nécessaire de prouver l’authenticité de la signature qui y est apposée ni la qualité officielle du signataire; sauf preuve contraire, il fait foi de son contenu.

 

La preuve de Dr. Parent quant à la condition du porc ante mortem lors de son arrivée à l’abattoir est non contredite : il avait la respiration haletante, ne réagissait pas à la présence du vétérinaire, la vulve et la peau étaient irritées, et manifestait des signes de douleur tels que la tête et les oreilles basses, le dos rond et des sons particuliers. Dr. Parent conclut que d’après ces observations, le porc souffrait.

 

Pourtant, le témoignage de M. Boucher, un témoin connaissant dans le domaine de l’élevage des porcs, bien qu’il ne soit pas vétérinaire, suggère une autre raison pour la condition du porc à son arrivée, celle du gel. Cette explication constitue, pour la Commission, un début de preuve contraire à la conclusion de Dr Parent suite à l’examen post mortem à l’effet que l’animal avait été fragilisé à la ferme avec une condition préexistante au transport, a subi des souffrances indues et n’aurait pas du être transporté. Cette autre explication possible fait en sorte que la Commission ne peut accepter à la face même du Rapport, la conclusion de Dr. Parent sans avoir eu le bénéfice de son témoignage et la possibilité d’entendre un contre interrogatoire, et doit en tenir compte dans l’analyse de la causalité.

 

Il faut aussi noter que même si l’animal avait une condition préexistante, ceci ne veut pas dire qu’il était automatiquement inéligible au transport. La Commission réfère aux paragraphes 46 et 47 de l’affaire Doyon, précitée, ou après avoir analysé l’arrêt Attorney General of Canada v Porcherie des Cèdres Inc. 2005 CAF 59, le juge Létourneau dit :

 

[46] Je ne crois pas qu’il faille conclure de cette décision [Porcherie des Cèdres Inc.] que la moindre souffrance existante avant le transport, si minime soit-elle, débouche nécessairement sur une violation de l’alinéa 138(2)a) s’il y a eu transport de l’animal. Je crois pas non plus que ce soit là l’intention du législateur si je m’en remets à l’information mise à la disposition des intervenants (producteurs, transporteurs, inspecteurs, et poursuivants) pour respecter et faire respecter la Loi.

 

[47] En somme, de par son actus reus, l’alinéa 138(2)a) n’interdit pas le transport à l’abattoir d’un animal souffrant, tout comme il n’y permet pas le transport d’un animal en santé, dans des circonstances qui lui occasionnent des souffrances indues.

 

 

 

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Dans le cas sous étude, M. Messier a témoigné que le porc était ambulatoire lors du premier chargement durant l’après midi du 4 décembre, (et même lors du deuxième vers 08h00 le 5 décembre, mais ceci est moins crédible pour les raisons énoncés plus loin). Le témoignage de M. Boucher à l’effet que le porc avait une légère boiterie à la ferme, et ceci concorde avec la conclusion du post mortem quant à une arthrite chronique à l’articulation du grasset gauche. À la lumière de ces trois éléments de preuve, la Commission vient à la conclusion que l’animal était légèrement infirme, mais éligible au transport lors du début du trajet prévu.

 

Si ce n’est pas par infirmité, maladie, blessure, ou fatigue à l’origine que le porc est arrivé dans un état souffrant (et il reste à discuter plus loin s’il s’agissait de souffrances indues, selon l’élément #5 des exigences dans l’arrêt Doyon), est-ce dû à une autre cause, plus précisément aux conditions de transport. Les témoignages de M. Messier et M. Boucher nous indiquent que le transport a eu lieu sur plus de 15 heures, étalé sur une après midi, une nuit et une matinée. Leurs témoignages ne sont pas clairs quant à la nuitée du 4 au 5 décembre, mais d’après ce que la Commission a pu comprendre, le porc en question a passé la nuit dans le premier camion, qui était vide après la distribution des porcs à reproduction, pour ensuite être chargé avec 246 autres porcs dans le deuxième camion. Ici, la Commission note une contradiction dans la preuve de la requérante. D’un côté, M. Messier dit que le porc était ambulatoire lors du deuxième chargement à 08h00 le 5 décembre ; pourtant M. Boucher suggère que la condition non ambulatoire du porc à 10h30 le 5 décembre est due au fait qu’il était gelé. La Commission ne sait pas comment un porc ambulatoire à 08h00 peut être gelé à 10h30 surtout après avoir voyagé avec 246 autres porcs qui auraient produit un certain effet de réchauffement. Cela met en doute la qualité ambulatoire du porc à 08h00 le 5 décembre.

 

Plusieurs questions demeurent sans réponses : pourquoi charger le porc la veille de sa livraison dans un camion non apte à se rendre à l’abattoir, obligeant le transporteur à laisser le porc dans le camion toute la nuit, et à recharger le porc le lendemain dans un autre camion pour encore deux heures de trajet, et tout cela au mois de décembre au Québec ? (Bien qu’aucune preuve n’a été soumise quant à la température, la Commission constate que d’après un rapport annexé à cette décision qu’en date du 3 et 4 décembre 2007, le Québec avait été frappé par une tempête de neige importante).

 

Ni M. Messier ni M. Boucher n’a laissé entendre que le cheminement du porc tel que décrit était autre que le trajet prévu, qu’il se soit produit un contretemps quelconque causant un délai dans le voyagement. Est-ce qu’un transporteur pourrait raisonnablement prévoir qu’un porc (même en santé) qui passe plus de 15 heures dans un camion, dont les parois sont en aluminium, y compris la nuit quand le camion était probablement vide et

 

 

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donc pas chauffé par la présence d’autres animaux, par un mois de décembre déjà en conditions hivernales, pourrait subir des souffrances ? La Commission est d’avis que la requérante, un transporteur d’expérience, était est en mesure de prévoir qu’un tel trajet, prévu à l’avance, ne pouvait se faire sans causer de souffrances à l’animal. Cette conclusion est appuyée par le témoignage de M. Boucher, qui postule que la condition du porc lors de son arrivée à l’abattoir était due au fait qu’il était gelé. Le porc ne pouvait être gelé pour une cause autre que les circonstances de son transport, circonstances qui semblent s’être produites, sinon volontairement par le transporteur, au moins dans le cours normal du voyage prévu par le transporteur.

 

La Commission vient à la conclusion qu’il y a un lien de causalité entre les conditions du transport et la condition souffrante du porc constatée par Dr. Parent, et que l’élément #7 dans l’arrêt Doyon est établi. Il n’y a pas d’autre explication pour le changement dans l’état de l’animal entre son départ de la ferme, adéquat pour le transport, et son état dégradé lors de son arrivée à l’abattoir, à part la durée (15 heures) et les conditions (hivernales) du transport.

Reste l’élément # 5 de l’arrêt Doyon à établir : s’agissait-il de souffrances indues ? Depuis l’arrêt Porcherie des Cèdres, précité, souffrances indues signifie souffrances injustifiées, déraisonnables, ou inopportunes. Cette définition n’a pas été modifiée (voir paragraphe [31] de l’arrêt Doyon). Dans le présent cas, la Commission conclut que le fait que les éléments causant les souffrances de ce porc ont été prévisibles et évitables en prévoyant un autre trajet, plus direct, moins long, dans un camion au lieu de deux, font en sorte que les souffrances de ce porc ont été injustifiées et donc indues.

À la lumière de cette analyse de la preuve, la Commission conclut que les sept éléments énoncés à l’arrêt Doyon comme étant nécessaires pour établir une violation en vertu de l’alinéa 138(2)a) du Règlement ont été établis. La Commission ordonne à la requérante de payer la sanction pécuniaire de 2 000 $ dans les trente jours suivant la date de signification de cette décision.

 

 

Fait à Montréal le 8 juin 2009.

 

 

 

 

 

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Le membre, H. Lamed

 

 

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