Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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LOI SUR LES SANCTIONS ADMINISTRATIVES PÉCUNIAIRES EN MATIÈRE D'AGRICULTURE ET D'AGROALIMENTAIRE

 

DÉCISION

 

 

Affaire intéressant une demande de révision des faits relatifs à une violation de la disposition 40 du Règlement sur la santé des animaux, alléguée par l'intimée, et à la demande de la requérante en vertu de l'alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire.

 

 

 

Maple Lodge Farms Ltd., requérante

 

- et -

 

Agence canadienne d'inspection des aliments, intimée

 

 

 

 

 

 

LE PRÉSIDENT BARTON

 

 

Décision

 

À la suite d'une audience et après avoir examiné toutes les observations orales et écrites des parties, la Commission statue, par ordonnance, que la requérante n'a pas commis la violation et qu'elle n'est pas tenue de payer la sanction pécuniaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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MOTIFS

 

La requérante a demandé la tenue d'une audience aux termes du paragraphe 15(1) du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire. L'audience a eu lieu à Brampton, en Ontario, du 21 au 23 novembre 2007.

 

La requérante était représentée par son avocat, Me Ron E. Folkes.

 

M. Kevin Donaldson, M. Ben Durose, M. Chris Chiasson et le Dr Rachel Ouckama ont témoigné pour le compte de la requérante.

 

L'intimée était représentée par ses avocats, Me Louise Pampalon et Me Samson Wong.

 

M. Albert Witteveen et le Dr Gordon Doonan ont témoigné pour le compte de l'intimée.

 

Les parties ont convenu que les dossiers nos 1399, 1400, 1401 et 1402 de la Commission de révision seraient entendus ensemble.

 

L'avis de violation no 0607ON0089, daté du 22 mars 2007, allègue que la requérante le ou vers le 29 mai 2006, entre 11 h et 18 h 39, à Brampton, dans la province de l'Ontario, a commis une violation, à savoir « Transport or cause to be transported an animal, to wit: 9360 chickens, with undue exposure to weather», contrairement à la disposition 143(1)d) du Règlement sur la santé des animaux. Le paragraphe 143(1) se lit comme suit :

 

../../../fr/H-3.3/C.R.C.-ch.296/153724.html143.(1) Il est interdit de transporter ou de faire transporter un animal dans un wagon de chemin de fer, un véhicule à moteur, un aéronef, un navire, un cageot ou un conteneur, si l'animal risque de se blesser ou de souffrir indûment en raison :

a) de leur construction inadéquate;

b) d'attaches mal assurées, de la présence de têtes de boulons, d'angles ou autres saillies;

c) de l'insuffisance de matelassage, d'isolation ou d'obstruction des ferrures ou autres parties du wagon de chemin de fer, du véhicule à moteur, de l'aéronef, du navire ou du conteneur;

d) d'une exposition indue aux intempéries;

e) d'une ventilation insuffisante.

 

 

 

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L'infraction prévue à l'alinéa 143(1)d) du Règlement sur la santé des animaux constitue une violation au titre du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire.

 

Sur consentement, j'ai permis que l'avis de violation soit modifié pour qu'on y fasse mention du lieu suivant : [traduction] « à ou entre Grassie et Brampton, ou dans les environs ».

 

Les avocats des deux parties ont tous deux reconnu que le Dr Rachel Ouckama et le Dr Gordon Doonan témoignaient à titre d'experts.

 

Après m'être assuré que les deux parties avaient en main une copie des documents suivants, ceux-ci ont été versés au dossier en vue de l'audience :

 

  1. L'avis de violation daté du 22 mars 2007.

 

  1. Demande de révision datée du 5 avril 2007, déposée par l'avocat de la requérante.

 

  1. Rapport de l'intimée, à savoir un recueil reçu par la Commission le 1er mai 2007.

 

  1. Lettre de l'avocat de la requérante datée du 30 mai 2007, à laquelle étaient jointes des observations (deux cartables noirs).

 

  1. Lettre de l'avocat de la requérante datée du 13 septembre 2007, à laquelle étaient joints des préavis de leur intention de déposer des dossiers d'entreprise.

 

  1. Lettre de l'avocat de l'intimée, datée du 29 octobre 2007, à laquelle étaient jointes des observations supplémentaires.

 

  1. Lettre de l'avocat de l'intimée datée du 9 novembre 2007, à laquelle était joint un exposé des faits non signé.

 

  1. Lettre de l'avocat de la requérante, datée du 12 novembre 2007, à laquelle étaient jointes des observations supplémentaires.

 

  1. Lettre de l'avocat de l'intimée, datée du 13 novembre 2007, à laquelle était jointe une liste de témoins.

 

  1. Lettre de l'avocat de l'intimée, datée du 16 novembre 2007, à laquelle était jointe une copie du sommaire de la déposition du Dr Gordon Doonan et un exposé des faits signé.

 

 

 

 

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  1. Lettre de l'avocat de l'intimée datée du 19 novembre 2007, à laquelle était jointe une copie du curriculum vitae du Dr Gordon Doonan.

 

  1. Lettre de l'avocat de la requérante, datée du 19 novembre 2007, à laquelle était joint un rapport supplémentaire préparé par le Dr Rachel Ouckama.

 

J'ai demandé aux avocats d'utiliser la numérotation ci-dessus lorsqu'ils se réfèrent à l'un des documents susmentionnés.

 

Exposé conjoint des faits

 

Avant l'audience, les avocats des parties ont tous deux signé et reconnu la véracité du compte rendu des faits ci-dessous, exposés dans le document no 10 :

[traduction]

1.      Le 29 mai 2006, quatre chargements de poulets ont été transportés par camion depuis la ferme d'Albert et Elizabeth Witteveen, à Grassie en Ontario (ferme Witteveen), jusqu'à Maple Lodge Farms Ltd., établissement 285, à Brampton en Ontario (Maple Lodge). Les chargements ont été numérotés comme suit : T‑19‑1 (dossier RT 1399), T‑15‑1 (dossier RT 1400), T‑18 (dossier RT 1401), et T‑13‑1 (dossier RT 1402).

 

2.      Les quatre camions, désignés par les numéros T‑13, T‑19, T‑15, et T‑18, sont des tracteurs classiques 2002, de classe commerciale, qui en date du 29 mai 2006 étaient immatriculés au nom de Maple Lodge Farms Ltd., en tant que locataire.

 

3.      Les chargements (nos T‑19‑1, T‑13‑1, T18, and T15‑1) étaient tous des chargements de coquelets.

 

4.      Le camion assurant le transport du chargement T19‑1 est arrivé à la Ferme Witteveen à 10 h 15. Le chargement de 8 544 coquelets a eu lieu entre 10 h 30 et 12 h 25 à raison de 12 poulets par cageot. Le chargement T19‑1 a quitté la ferme Witteveen à 12 h 30 et elle est arrivée à 13 h 48 à Maple Lodge.

 

5.      Les coquelets du chargement T19‑1 ont été déchargés et abattus entre 16 h 30 et 17 h 50 approximativement. Lors du déchargement par les employés de Maple Lodge, on a constaté que 1 997 coquelets étaient morts. La plupart des poulets morts avaient été transportés dans des cageots se trouvant au centre de la remorque.

 

6.      Le camion assurant le transport du chargement T13‑1 est arrivé à la Ferme Witteveen à 10 h 25. Le chargement de 9 360 coquelets dans des cageots contenant chacun 12 poulets a eu lieu entre environ 11 h et 12 h 25; le camion a quitté la Ferme Witteveen à 12 h 35. Les coquelets ont été livrés à Maple Lodge vers 14 h.

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7.      Les volailles ont été déchargées entre 17 h 50 et 18 h 40 approximativement. Lors du déchargement par les employés de Maple Lodge, on a constaté que 2 663 coquelets étaient morts. La plupart des poulets morts avaient été transportés dans des cageots se trouvant dans la partie supérieure et au centre de la remorque.

 

8.      Le camion assurant le transport du chargement T15‑1 est arrivé à la ferme Witteveen à 12 h 45. Huit mille cinq cent quatre-vingt-douze coquelets ont été chargés entre 13 h 1 et 15 h 20, à raison de 12 poulets par cageot, et le camion a quitté la ferme Witteveen à 15 h 25. Le chargement de coquelets est arrivé à Maple Lodge à 16 h 50 approximativement.

 

9.      Les volailles ont été déchargées entre 19 h 50 et 21 h approximativement. Lorsque les employés de Maple Lodge ont effectué le déchargement, on a constaté que 5 612 coquelets étaient morts. La plupart des volailles mortes avaient été transportées dans des cageots se trouvant dans la partie supérieure et au centre de la remorque.

 

10.  Le camion assurant le transport du chargement T‑18 est arrivé à la ferme Witteveen à 12 h 45. Le chargement a eu lieu entre 13 h et 15 h 45; 8 940 coquelets ont été placés dans des cageots, à raison de 12 volailles par cageot. Le camion a quitté la ferme Witteveen à 16 h. Les coquelets sont arrivés à Maple Lodge vers 17 h 40.

 

11.  Les volailles ont été déchargées entre 18 h 40 et 19 h 50 approximativement. Lors du déchargement par les employés de Maple Lodge, on a constaté que 5 434 coquelets étaient morts. La plupart des volailles mortes avaient été transportées dans des cageots se trouvant dans la partie supérieure et au centre de la remorque.

 

12.  Lorsqu'on a commencé à charger les quatre camions, il faisait au moins 28 degrés Celsius et l'indice humidex était d'au moins 36 degrés Celsius. Des températures entre 31 et 36 degrés Celsius ont été enregistrées à la ferme Witteveen pendant le chargement des camions.

 

13.  Dans la région de Hamilton, on a enregistré les températures suivantes dans les journées qui ont précédé le transport des volailles. Le 29 mai 2006 : un maximum de 17,6 degrés Celsius (le 26 mai 2006), 24,8 degrés Celsius (le 27 mai 2006) et 26,6 degrés Celsius (le 28 mai 2006). L'indice humidex a atteint 29 degrés Celsius le 27 mai 2006 et 33, le 28 mai 2006. Selon Environnement Canada, le 29 mai 2006, la température maximale dans la région de Hamilton était de 32,9 degrés Celsius et l'indice humidex a atteint 40 degrés Celsius.

 

 

 

 

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14.  Pendant chacun des trajets de Grassie, en Ontario, à Brampton, en Ontario, qui ont duré entre une heure vingt minutes et une heure quarante minutes, la température et l'indice humidex sont restés au deçà de 30 et 40 degrés respectivement.

 

15.  En arrivant à Maple Lodge, les chargements ont été placés dans des écuries d'attente pendant des périodes variant entre une heure et quatre heures avant que le déchargement et l'abattage aient lieu. Pendant cette période, la température pour les volailles a varié entre 31 et 37 degrés Celsius. Les remarques suivantes figurent dans les rapports sur les conditions de chargement : [traduction] en ce qui concerne T13‑1 : « Les volailles semblent mal en point - elles ont très chaud »; en ce qui concerne T15‑1 : « Les volailles ont chaud; leur respiration est haletante »; en ce qui concerne T19‑1 : « Les volailles ont très chaud; leur respiration est haletante ». (Aucun rapport sur les conditions de chargement n'a été versé au dossier en ce qui concerne T18‑1.)

 

16.  Les conducteurs de Maple Lodge ont fait les remarques suivantes à l'ACIA en ce qui concerne les volailles mortes pendant le transport, avant d'être amenées dans les écuries d'attente de Maple Lodge : [traduction] en ce qui concerne T13‑1 : « Des volailles se trouvant dans les rangées extérieures sont mortes »; en ce qui concerne T15‑1 : « Par la suite, d'autres volailles sont mortes »; en ce qui concerne T19‑1 : « Les volailles semblaient bien aller »; et « Oui, nous avons communiqué avec eux pour leur dire ce qui se passait - que plusieurs volailles étaient mortes ».

 

17.  Voici les chiffres enregistrés lors du déchargement concernant le nombre de volailles mortes à l'arrivée : pour T13‑1 : 2 663 ou 28 % du chargement; pour T19‑1 : 1 997 ou 23 % du chargement; pour T15‑1 : 5 612 ou 65 % du chargement; et pour T18 : 5 434 ou 61 % du chargement. Au total, pour les quatre chargements, 15 706 sur 35 436 volailles ou 44 % de celles‑ci étaient mortes à l'arrivée.

 

18.  Le 6 juin 2006, le Dr Brian Binnington de l'Université de Guelph a pratiqué une nécropsie sur 10 volailles de chacun des chargements, T13‑1, T18, et T‑15‑1. Rien ne permet de conclure, selon l'examen effectué par le Dr Binnington, que ces 30 coquelets étaient atteints d'une maladie infectieuse. Les résultats des nécropsies effectués par le Dr Binnington sont compatibles avec la thèse du coup de chaleur.

 

19.  Le 29 mai 2006, le Dr Manmohan Multan, un vétérinaire de l'ACIA, a effectué une nécropsie sur 10 volailles faisant partie du chargement T‑19‑1. Rien ne permet de conclure, selon l'examen effectué par le Dr Multan, que ces coquelets étaient atteints d'une maladie infectieuse. Ces conclusions sont compatibles avec la thèse du coup de chaleur. Le Dr Multani est d'avis que la mort des volailles a été causée par des températures ambiantes et un degré d'humidité élevés.

 

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Je souhaite remercier les avocats des deux parties qui se sont efforcés de réduire la durée de l'audience en admettant plusieurs des faits pertinents et en reconnaissant la qualité d'expert de leurs témoins experts respectifs.

 

Conclusions de fait supplémentaires

 

Compte tenu de la preuve, je tire également les conclusions de fait suivantes :

 

1.      Selon les différentes prévisions météorologiques pour la région, la requérante ne pouvait prévoir que le 29 mai 2006 la température atteindrait 36°C et l'indice humidex, 40°C. Ce n'est qu'à 10 h 45 qu'on a pris conscience du problème. Auparavant, les conditions dans les granges étaient normales et la procédure de capture et de chargement suivait son cours, sans incidents.

 

2.      Dans la mesure du possible, pendant toute la période pertinente, la requérante s'est conformée pour l'essentiel aux dispositions pertinentes du Code de pratiques recommandées pour le soin et la manipulation des animaux de ferme intitulé Transport du Conseil de recherches agroalimentaires du Canada et de son code intitulé Poulets, dindons et reproducteurs du couvoir à l'abattage.

 

3.      La requérante s'est conformée aux dispositions pertinentes de son programme de manutention des volailles, qui figurent dans le document no 4.

 

4.      Après le chargement des coquelets dans les camions de la requérante, le nombre de volailles mortes ou estropiées et d'avortons restant dans les granges n'était pas anormalement élevé. M. Witteveen a dit en avoir compté entre 25 et 30 dans une grange. Si on soustrait le nombre de volailles chargées dans les camions et celles qui sont mortes avant le 29 mai du nombre de volailles qu'on estime avoir regroupé, le nombre d'oiseaux dans la grange devrait être un peu plus élevé que le nombre estimé. Toutefois, la preuve ne permet pas de déterminer quel était le nombre de volailles mortes, de volailles estropiées et d'avortons.

 

5.      La plupart des volailles sont mortes au moment du chargement, bien que certains coquelets soient morts pendant le trajet entre la ferme Witteveen et l'abattoir de la requérante ou dans la période qui a précédé l'abattage. La mort des volailles est survenue en raison de l'effet cumulatif du stress occasionné par le fait qu'elles ont été privées d'eau et de nourriture, regroupées en vue de la capture dans des granges déjà bien remplies, capturées et amenées têtes en bas et enfermées dans des cageots, et exposées à une forte hausse de la température et de l'humidité.

 

 

 

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6.      Les deux parties ont convenu que c'est à compter du moment où la première volaille a été chargée dans le premier camion que la requérante a assumé une responsabilité, en tant que transporteur.

 

7.      À 10 h 45, on a découvert les premières volailles mortes dans les cageots se trouvant dans la partie supérieure de la remorque du chargement T‑19‑1. À ce moment, la température atteignait près de 30oC. Il s'agit de la première indication que les volailles ont souffert indûment.

 

8.      À partir de ce moment, jusqu'au déchargement en vue de l'abattage, ni ceux qui étaient chargés de capturer les coquelets, ni les employés travaillant dans l'établissement de transformation ne savaient, ni n'étaient en mesure de constater grâce à une inspection visuelle du camion, qu'il y avait autant de volailles mortes à l'arrivée à Maple Lodge .

 

Violation

 

Je suis d'avis que l'intimée a établi, selon la prépondérance des probabilités, que la requérante a exposé les poulets à des températures excessives pendant le chargement. Il s'agit donc de déterminer si la requérante dispose d'un moyen de défense valide.

 

Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire se lit comme suit :

 

18. (1) Le contrevenant ne peut invoquer en défense le fait qu'il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu'il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l'existence de faits qui, avérés, l'exonéreraient.

 

Par conséquent, les dispositions qui concernent les violations en cause établissent un régime de responsabilité stricte et le fait d'agir de bonne foi ou raisonnablement, ou de faire preuve de diligence ne constitue pas un moyen de défense. Ce n'est que dans le calcul du montant de la sanction, établi selon la gravité de la violation, que ces facteurs, le cas échéant, pourront être pris en compte.

 

Appeler à déterminer ce qui constitue des « souffrances indues », la Cour d'appel fédérale a statué dans l'arrêt Porcherie des Cèdres, 2005 CAF 59, que le mot « indu » signifie notamment « déraisonnable ». L'avocat de la requérante a eu recours à ce raisonnement pour soutenir que pour déterminer si sa cliente a commis une violation, il faut se demander si elle a agi raisonnablement compte tenu de l'ensemble des circonstances ou, à l'inverse, si elle n'a pas agi de façon déraisonnable. Compte tenu du paragraphe 18(1), je ne peux retenir les conclusions que la requérante tire de l'arrêt Porcherie des Cèdres.

 

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L'avocat de la requérante a également fait valoir que l'intimée a commis une erreur en se fondant sur un « raisonnement post hoc ». Il fait valoir que la thèse de l'intimée consiste à dire que vu le taux de mortalité élevé, la requérante a nécessairement été négligente et commis une violation. Je ne partage pas ce point de vue. De plus, la négligence n'est pas une condition préalable à l'existence d'une violation.

 

Toutefois, dans ses observations et à l'audience, l'avocat de la requérante a constamment fait valoir que lorsqu'elle s'est rendu compte de la crise à 10 h 45, la requérante n'avait d'autre choix que de continuer, aussi rapidement que possible, le chargement et le transport des volailles. Autrement dit, bien qu'elle ait su que les coquelets souffraient indûment, la requérante a jugé nécessaire de continuer le chargement et d'amener les coquelets à son abattoir sans perdre de temps. Elle a cru que c'était la seule façon d'empêcher l'inévitable.

 

Bien que l'avocat de la requérante n'ait pas expressément invoqué le moyen de défense de common law fondé sur la nécessité, il a, de manière constante, soulevé tous les éléments essentiels de cette défense dans les observations qu'il a soumis à la Commission par écrit et oralement.

 

Le paragraphe 18(2) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire est ainsi libellé :

 

18.(2) Les règles et principes de la common law qui font d'une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d'une poursuite pour infraction à une loi agroalimentaire s'appliquent à l'égard d'une violation sauf dans la mesure où ils sont incompatibles avec la présente loi.

 

Le paragraphe 65(1) de la Loi sur la santé des animaux prévoit que quiconque contrevient au Règlement sur la santé des animaux commet une infraction.

 

Compte tenu du paragraphe 18(2), je ne crois pas qu'en l'espèce le recours au moyen de défense fondé sur la nécessité pour justifier une violation soit incompatible avec la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire.

 

Le moyen de défense de common law fondé sur la nécessité

 

L'arrêt de principe en ce qui concerne la possibilité d'invoquer la nécessité comme moyen de défense et son applicabilité est l'arrêt R c. Perka, [1984] 2 R.C.S. 232. Les exigences relatives à l'applicabilité de ce moyen de défense sont examinées plus en profondeur et précisées dans les arrêts R. c. Hibbert, [1995] 2 S.C.R. 973, et R c. Latimer, [2001] 1 S.C.R. 3.

 

 

 

 

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Il faut satisfaire à trois exigences pour que la nécessité puisse être invoquée comme moyen de défense. Premièrement, il doit y avoir danger imminent. Deuxièmement, la requérante ne doit pas avoir d'autre solution raisonnable et légale que celle qui a été retenue. Troisièmement, il doit y avoir proportionnalité entre le mal infligé et le mal évité.

 

1) Danger imminent

 

À 10 h 45, après avoir été mis au courant que des poulets mouraient pendant le chargement, M. Ben Durose, fort de ses nombreuses années de travail chez la requérante, a estimé que tout le troupeau serait en danger si on ne procédait pas, le plus rapidement possible, au transport et à l'abattage prévus. À ce moment, il a donné des instructions en ce sens aux conducteurs et aux employés chargés de capturer les volailles et il leur a demandé de laisser la partie supérieure des cageots vide, de manière à protéger les volailles se trouvant en dessous.

 

Il ressort en outre des arrêts de principe qu'il ne suffit pas que le danger soit prévisible ou probable, il doit être sur le point de survenir et être quasi certain de se produire. Pour déterminer si cette exigence ainsi que l'exigence fondée sur « l'absence de solution raisonnable et légale » sont remplies, la Cour suprême s'est appuyée sur un critère objectif modifié, ce qui implique une évaluation objective, dans le cadre de laquelle il faut toutefois prendre en compte la situation et les caractéristiques du contrevenant (en l'espèce, M. Ben Durose). M. Durose était le directeur du contrôle de la qualité du bétail chez la requérante, pour laquelle il travaillait et effectuait des tâches liées au chargement et au transport depuis 33 ans.

 

De plus, selon l'arrêt Perka, lorsque la situation dangereuse aurait manifestement pu être prévue et évitée, le contrevenant ne peut raisonnablement pas invoquer le danger immédiat. Or, en l'espèce, j'ai déjà constaté que la forte hausse de la température et de l'humidité - la principale cause du problème - n'était pas prévisible.

 

2) Absence de solution raisonnable et légale

 

Dans l'arrêt Perka, la Cour pose les questions suivantes en ce qui concerne l'exigence relative à l'absence de solution raisonnable et légale. Compte tenu du fait que le contrevenant se devait d'agir, pouvait-il vraiment agir de manière à éviter le danger ou à prévenir le mal sans contrevenir à la loi? Y avait-il moyen de s'en sortir légalement? S'il y avait une solution raisonnable et légale autre que celle de contrevenir à la loi, il n'y a pas nécessité.

 

Cela suppose une appréciation réaliste des choix dont disposait la requérante, encore une fois en appliquant le critère objectif modifié.

 

 

 

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Pour paraphraser l'arrêt Perka, il faut se demander s'il s'agissait vraiment de la seule réaction possible pour la personne en question ou si, en réalité, elle a fait ce qu'on pourrait à juste titre appeler un choix, auquel cas il y avait une solution raisonnable et légale.

 

Compte tenu de son témoignage, je n'estime pas que M. Ben Durose a fait un choix. Il a pris une décision réfléchie, fondée sur expérience, en vue d'empêcher l'inévitable.

 

Le Dr Doonan a relevé plusieurs options que la requérante aurait peut‑être pu envisager. Dans leur témoignage, M. Durose et le Dr Ouckama ont répondu à chacune des hypothèses concernant chacune de ces options.

 

Certaines de ces options ont un rapport avec la « diligence raisonnable » et non avec les solutions légales dont disposait la requérante au moment critique.

 

Option : Les camions et les personnes chargées de capturer les volailles auraient dû arriver à la ferme Witteveen plus tôt. Réponse : L'horaire est fixé quelques jours avant le chargement après avoir été notifié par M. Witteveen de la date à laquelle son troupeau respectera les normes pondérales. La requérante fixe ensuite la date du chargement et de l'abattage. Une fois la date fixée, il est très difficile de la modifier étant donné que les camions sont presque constamment en service et que les chaînes d'abattage doivent être modifiées suivant la méthode appliquée, choisie entre deux méthodes en fonction du type de volaille à abattre. De plus, il faut lors de l'établissement des horaires prendre en compte que les personnes chargées de capturer les volailles travaillent par quarts.

 

Option : Il aurait dû y avoir un plus grand nombre de véhicules. Réponse : Aucun autre véhicule n'était disponible et même si cela avait été le cas il aurait fallu attendre que les autres véhicules soient chargés. Il aurait donc été nécessaire de charger les derniers camions au moment où la température était la plus intense, soit entre 16 h et 18 h.

 

Option : Les camions n'auraient dû être que partiellement chargés et les autres volailles laissées sur place, pour être transportée à un autre moment. Réponse : Lorsque la capture commence, les volailles sont déjà soumises à un stress étant donné qu'elles ont été privées d'eau et de nourriture et regroupées dans un espace équivalent aux deux tiers d'une grange déjà bondée. La requérante a estimé que ce stress ajouté à l'accumulation de chaleur aurait causé la mort de toutes les volailles qui seraient restées dans la grange. Dans son témoignage, la requérante fait savoir qu'à la Ferme Witteveen, au mois de juillet 2006 - après qu'elle a reçu les violations en cause en l'espèce - dans des conditions très similaires, elle a interrompu une opération de chargement après avoir chargé 10 000 volailles, laissant 25 000 volailles dans les granges. Toutes les volailles laissées dans les granges sont mortes. Au début de l'audience, lorsqu'il a été fait mention de cet

 

 

 

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événement, je ne l'ai pas jugé pertinent pour déterminer si la requérante avait fait preuve de diligence étant donné que la diligence ne peut être invoquée comme moyen de défense. Toutefois, j'estime qu'il est pertinent dans l'application du critère objectif modifié en vue de déterminer s'il y avait une solution raisonnable et légale. Le Dr Ouckama a également témoigné qu'il n'est pas recommandé de procéder à des chargements partiels en raison des risques biologiques que cela comporte. Les personnes chargées de capturer les volailles pourraient infecter une volaille laissée sur place et l'infection pourrait être transmise au reste du troupeau.

 

Option : Placer moins de volailles dans chaque cageot. Réponse : Il aurait fallu que d'autres cageots soient disponibles sur place, ce qui n'était pas le cas. Cela aurait retardé le chargement et mis en danger d'autres volailles. Les cageots ont été remplis selon les normes recommandées et il est très peu probable que le fait d'y placer un moins grand nombre de volailles aurait fait une différence.

 

Option : Reporter le transport des poulets. Réponse : Comme il a déjà été indiqué, les horaires de transport et d'abattage sont établis bien avant leur date prévue et il était trop tard pour fixer une autre date.

 

Option : Avoir recours à un nombre plus élevé de personnes chargées de capturer les volailles. Réponse : Comme l'a expliqué M. Kevin Donaldson, pendant le chargement, il n'y a de la place que pour deux personnes dans le camion, soit l'une des personnes chargées de capturer les volailles et lui‑même. S'il y avait plus de personnes chargées de capturer les volailles, elles entraveraient le processus plutôt que de le faciliter.

 

Option : On aurait dû utiliser des ventilateurs et un système d'arrosage portatifs dans les camions pendant le chargement à la ferme Witteveen. Réponse : Aucun n'était disponible et le Dr Ouckama a témoigné que même si tel avait été le cas rien ne permettait de conclure que cela aurait vraiment aidé. Il fallait également tenir compte des questions de sécurité concernant l'usage de tels équipements.

 

Option : Les camions de la requérante auraient dû être climatisés. Réponse : De tels véhicules ne sont pas utilisés en Amérique du Nord.

 

Option : Des volailles auraient dû être laissées à l'extérieur pendant que d'autres étaient chargées. Réponse : Il n'y avait ni espaces ombragés ni clôtures à l'extérieur.

 

3) Proportionnalité

 

Pour déterminer si cette exigence est respectée, il faut appliquer un critère objectif. La

 



 

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chaleur s'est intensifiée dans les granges, et la température et l'indice humidex les plus élevés ont été atteints entre 16 h et 18 h. Pendant la capture et le chargement, les portes des granges restent ouvertes ce qui nuit à l'efficacité du système de ventilation des granges. En l'espèce, il s'agissait d'un ancien système de ventilation transversale. Bien qu'il soit conforme aux normes en vigueur, il n'était pas à la fine pointe de la technologie.

 

De plus, la température dans les granges n'aurait pas été moins élevée que la température extérieure. Selon la requérante, ce n'est que lorsque les camions auraient démarré et que l'air aurait commencé à circuler que le sort des volailles se serait amélioré. Lorsque les camions seraient arrivés aux installations de la requérante, elles auraient été placées à l'ombre et on aurait eu recours à des ventilateurs et à des pulvérisateurs pendant presque toute la période précédant l'abattage.

 

Au surplus, comme je l'ai indiqué précédemment, au même endroit et dans des circonstances quasi identiques, lorsqu'on a décidé d'interrompre un chargement et de laisser les autres volailles dans la grange, celles‑ci sont toutes mortes.

 

La décision de continuer le chargement n'a pas été motivée par des considérations économiques étant donné que la requérante n'aurait pas subi de pertes financières pour les volailles laissées dans la grange. Elle a assumé la responsabilité des volailles à compter du moment où le chargement a commencé et elle a essuyé la perte liée au fait que des volailles étaient mortes à leur arrivée à l'usine de transformation.

 

Compte tenu de ce qui précède, je conclus que les pertes subies étaient moins grandes que les pertes que l'on a tenté d'éviter.

 

Le raisonnement qui sous‑tend le moyen de défense de common law fondé sur la nécessité est énoncé comme suit dans l'arrêt Perka :

 

Au cour de ce moyen de défense, il y a le sentiment d'injustice que soulève la punition pour une violation de la loi commise dans des circonstances où la personne n'avait pas d'autre choix viable ou raisonnable; l'acte était mauvais, mais il est excusé parce qu'il était vraiment inévitable.

 

Je suis d'avis que, par sa preuve, la requérante a satisfait aux exigences du moyen de défense de common law fondé sur la nécessité. La requérante est par conséquent excusée d'avoir indûment exposé les volailles aux intempéries.

 

Fait à Ottawa le 12 février 2008.

 

 

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Thomas S. Barton, c.r., président

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