Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence:      A.S. L’Heureux Inc.  c.  Canada  (Agence canadienne d’inspection des aliments)

                                2014 CRAC 17                              

 

 

 

 

 

Date :  20140618

Dossier :  CART/CRAC‑1709

 

 

 

 

 

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

 

 

 

 

A.S. L’Heureux Inc.Demanderesse

 

 

 

 

‑ et ‑

 

 

 

 

  Agence canadienne d'inspection des aliments, Intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

DEVANT :

Bruce La Rochelle, membre

 

 

 

 

 

 

 

 

AVEC :

Marie-Josée Trudeau, avocate, pour la Demanderesse, et

 

Anne-Marie Lalonde, représentante pour l’Agence

 

 

 

 

 

 

 

 

Affaire concernant la demande de révision présentée par la demanderesse, en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, relativement à la violation alléguée par l’intimée, de l'alinéa  138(2)(a)  du Règlement sur la santé des animaux.

 

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

 

 

Après avoir examiné toutes les observations écrites des parties, la Commission de révision agricole du Canada (la Commission) statue, par ordonnance, que la demanderesse a commis la violation, telle que décrite dans l’avis de violation n1213QC0133-1 daté du 19 février 2013 et qu'elle est tenue de payer à l’intimée, l'Agence canadienne d'inspection des aliments, une sanction pécuniaire au montant de 6,600 $ dans les trente (30) jours suivant la date de notification de la présente décision.

 

 

 

 

Sur des observations écrites seulement.


L’incident reproché et les procédures pertinentes

 

[1]              Par l’avis de violation No. 1213QC0133-1, en date du 19 février 2013, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) allègue que A. S. L’Heureux Inc. (A.S. L’Heureux) a commis une violation, le 16 mars 2011, à Rivière-du-Loup.  L’Agence a le droit de délivrer un avis de violation jusqu’à deux ans après que soit portée à sa connaissance la violation reprochée, selon paragraphe 26(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (L.C. 1995, ch. 40) qui prévoit comme suit :

 

 (1) Les poursuites pour violation se prescrivent par six mois à compter de la date où le ministre a eu connaissance des éléments constitutifs de la violation, lorsque celle-ci est mineure, et par deux ans, lorsqu’elle est grave ou très grave.

 

[2]                Suivant l’avis de violation, A.S. L’Heureux est accusée de (verbatim) « charger, faire charger, transporter, faire transporter un animal qui ne peut être transporté sans souffrances », en contravention à l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux.  L’animal en question était un porc avec une bosse sous l’abdomen.

 

[3]              Après avoir reçu signification de l’avis de violation, le 26 février 2013,  A. S. L’Heureux, par le biais de son avocate,  Marie-Josée Trudeau, a présenté une demande de révision, datée le 13 mai 2013, et reçue par la Commission la même date.    Au coup d’œil à premier instant, il semble que A.S. L’Heureux a soumis sa demande de révision trop tard. La date limite est de 30 jours suivant la date de la signification de l’avis de violation,  selon paragraphe 11 (2) du  Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire.

 

[4]              La date ``tardive`` de la demande de révision est parce qu’A.S. L’Heureux a fait, à la première occasion, une demande de transaction au ministre, selon l’alinéa 9(2)a) et l’article 10 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (L.C. 1995, ch. 40).  La demande a été refusée le 25 avril 2013.  Selon l’article 12 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, A. S. L’Heureux avait 15 jours suivant la date de la notification de la décision du Ministre, pour présenter une demande de révision à la Commission.  Le 15 mai 2013, l’Agence a envoyé à la Commission, par courrier électronique, une copie de la décision du ministre datée du 25 avril 2013, ainsi q’un certificat de notification, daté du 30 avril 2013.

 

[5]              Le 22 mai 2013, A.S. L`Heureux a présenté, par le biais de son avocate Marie-Josée Trudeau et par courrier recommandé, les documents originaux, en replaçant les documents soumis par télécopieur.  Par lettre datée du 16 mai 2013, envoyée par courriel et par courrier,  la Commission, a avisé A.S. L’Heureux que le paragraphe 14(3) de la  Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (DORS/2000-187) exige la présentation des documents originaux.    Lorsque le demandeur ne présente pas des originaux (par exemple, une demande de révision comportant signature originale), la Commission peut prononcer l’irrecevabilité de la demande de révision : voir  Avis de pratique no 11: Déterminer la recevabilité des demandes de révision et échanges de documents entre le demandeur, l’intimé et la Commission  (1 mai 2013).

 

[6]              L’Agence a présenté son Rapport (le Rapport), daté le 6 juin 2013 et reçu par la Commission le 10 juin 2013. Conformant aux dispositions de l’alinéa 36(1)b) des Règles de la Commission de révision (agriculture et agroalimentaire) (DORS/99-451), le Rapport comportait  « tous les renseignements relatifs à la violation ainsi que la décision du ministre ».   La Commission estime que la décision du ministre, envoyée à la Commission avant la présentation du Rapport, fait partie du Rapport.  Dans son Rapport, l’Agence n’a pas inclus des observations concernant la preuve et le droit.   

 

[7]                Normalement, l’Agence fait des observations concernant la preuve et le droit en les intégrant dans son Rapport.  Il peut s’agir d’arguments basés sur les faits allégués. L’inclusion d’observations dans le Report présentant « tous les renseignements relatifs à la violation »,  n’est pas obligatoire.  Selon l’article 37 des  Règles de la Commission de révision (agriculture et agroalimentaire), la Commission doit donner aux parties un avis  portant que les parties disposent de 30 jours suivant la date de l’accusé de réception par la Commission « pour fournir tout renseignement ou observation additionnels, y compris tout document ou tout autre élément de preuve ».  La Commission a donné aux parties du tel avis par lettre datée du 11 juin, envoyée par courriel et poste régulière. 

 

[8]              Seule l’Agence a envoyé des observations en réponse, par lettre datée du 11 juillet 2013, reçue par la Commission par courriel le même date et par messagerie le 12 juillet 2013 (observations de l’Agence).  Le 12 juillet, la Commission a envoyé les observations de l’Agence à Marie-Josée Trudeau, l’avocate que la demanderesse a nommée pour la représenter,  La demanderesse,  par son avocate,  n’a à ce jour présenté aucune observation.

 

[9]              La Commission tient à souligner que l’Agence doit faire sa preuve,  dans le cas où une demande de révision a été reçue par la Commission, même si la demanderesse n’a fiat aucune observation : voir Meneses-Benitez c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada),  2012 CRAC 12 et Hassan c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRAC 32.   La Commission n’a pas encore déterminé  les circonstances dans lesquelles ils est possible de conclure qu’une demande de révision est considérée être abandonnée. En générale, ces circonstances dépendront des autorisations prévues par la loi (Pfizer Inc. c. Canada (Commissaire aux brevets), [2000] 196 FTR 160 [CF]),  une requête d’un partie (PCL Constructors Northern Inc., 2005 CIRB 306 [Conseil canadien des relations industrielles]) ou de l’avertissement communiqué au parties, avant que la Commission rende sa décision quant à l’abandon (Décision No. 2149/11, Tribunal d’appel de la sécurité professionnelle et d’assurance contre les accidents au travail [2011]).

 

 

 

Preuve et arguments présentés à la Commission

 

 

[10]          Les motifs invoqués par la demanderesse dans sa demande de révision sont les suivants  (verbatim) : 

 

Le porc était ambulatoire  A)  l’hernie ne gênait pas son mouvement, B) l’hernie ne présentait pas de plaie à vif. Aucune trace de sang m’a été constaté au déchargement et le porc était vigoureux. 

 

[11]         La demanderesse doit prouver les faits allégués, selon la prépondérance des probabilités.   Comme la Cour d’appel fédérale l’a dit dans Canada (Procureur général) c. Bougachouch 2014 CAF 63, sous la plume du juge Noël, aux paragraphes 33 et 36 (extrait) :

 

[33]      […] l’affirmation du défendeur est basée sur une simple impression.  Or, une impression ne fait pas preuve […]

 

[36]      En résumé, la Commission a agi de façon déraisonnable en opérant un renversement du fardeau de la preuve à partir d’une simple impression […]

 

[12]         Dans l’affaire Bougachouch, M. Bougachouch était devant la Commission à titre de  demandeur en premier instance, tout comme la demanderesse en l’espèce : voir Bougachouch c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRAC 20, et 2014 CRAC 7.  Par conséquent, selon arrêt Bougachouch de la Cour d’appel fédérale, la Commission ne peut accorder de l’importance aux « impressions » de la demanderesse dans une demande de révision, à moins que la Commission ait devant elle une preuve lui permettant d’expliquer l’impression autrement.  Comme la Cour d’appel dans l’arrêt Bougachouch a rappelé à la Commission, au paragraphe 33 (extrait), en citant l’arrêt Doyon qu’elle avait antérieurement prononcé :

 

[33]      […] Comme l’a affirmé notre Cour dans Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152 au paragraphe 28, la Commission devait « s’appuyer sur une preuve qui repose sur des assises factuelles et non sur de simples conjectures, encore moins de la spéculation, des intuitions, des impressions ou du ouï-dire ».

 

[13]         La preuve devant la Commission est comme suit :

 

(i)                La demande de révision de la demanderesse

(ii)              Le Rapport de l’Agence (Rapport)

(iii)            Les observations de l’Agence (observations)

 

 

 

 

Faits non contestés

 

[14]          Les faits non contestés sont les suivants (Rapport, « Résumé de la violation ») :

 

(a)  Le 16 mars 2011, A.S. L’Heureux a transporté 180 porcs de la Ferme Labrecque et Frères Inc., située à St-Bernard, à l’abattoir Les Viandes du Breton Inc., située à Rivière-du-Loup. 

 

(b)  La distance parcourue entre l’abattoir et la ferme est d’environ 231 km et d’une durée approximative de 2 h 20.

 

(c)   Lors du déchargement des porcs,  la Dre Line Pelletier, vétérinaire à l’Agence a remarqué la présence d’un porc présentant une bosse sous l’abdomen. 

 

(d)  Après avoir examiné l’animal, Dre Pelletier a constaté que le porc avait une grosse masse difforme sous son abdomen.  Elle a aussi constaté que la masse était une hernie ombilicale.   De plus, elle a remarqué que la hernie présentait une plaie à vif dans sa partie déclive d’environ 7 cm de diamètre. 

 

Question en affaire

 

[15]         La question principale en l’espèce est celle de savoir si ce porc peut être transporté sans souffrances indues.   Plus spécifiquement, selon l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux :

 (2) […] il est interdit de charger ou de faire charger, ou de transporter ou de faire transporter, à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire un animal :

a) qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu […]

Question préliminaire: le libellé de l’avis de violation

[16]         On remarque que le libellé de l’avis de violation n’est pas le même que celui de l’alinéa 138(2)a).   Dans l’avis de violation, l’Agence a utilisé « sans souffrances », même si la disposition prévoit « sans souffrances indues au cours du voyage prévu ».  Dans l’affaire Finley Transport Limited  c.  Canada  (Agence canadienne d’inspection des aliments),  2013  CRAC  42, la Commission a fait des commentaires au sujet du libellé d’un avis de violation.   Au paragraphe 24 de la décision Finley Transport, la Commission a affirmé que l’Agence doit utiliser le libellé des sommaires figurant à la colonne 2 de l’Annexe 1 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (DORS/2000-187)., même s’il y a une différence avec le libellé de la disposition.  Les éléments de la violation sont les éléments qui sont précisés dans la disposition.   

 

Analyse de la preuve et des arguments

 

[17]         Selon Dre Pelletier, la hernie ombilicale du porc faisait en sort de gêner la démarche naturelle de l’animal.  De plus,  lorsque le porc était en mouvement, la hernie basculait, et les membres arrières frappaient contre la hernie.   Plus précisément, dans un courriel du 4 juin 2013 que la Dre Pelletier a transmis à Véronique Dumontier, enquêteur à l’Agence,  Dre Pelletier  s’exprime comme suit  (Rapport, onglet 7, verbatim):

 

Complément des constations ante mortem.

 

Lors de mon examen ante mortem de l’animal en mouvement, j’ai observé les membres arrières de l’animal qui frappaient l’hernie ombilicale lorsque celle-ci basculait d’un côté à l’autre alors que l’animal ce déplaçait dans le parc de retenu.  Cette hernie gênait par le fait même la démarche naturelle de l’animal et expose celui-ci à des blessures accidentelles lors des manipulations et pendant le transport.  De plus, ces activités exposent l’animal à un risque certain de rupture d’hernie et d’éviscération subséquente.

 

Une plaie à vif est douloureuse et l’animal souffre indûment lors des contacts rapprochés avec les autres animaux; ceux-ci étant inévitables et qui sont quasi constants pendant ces mêmes activités.  De plus, le fait de « s’auto-infliger » des coups involontairement en se déplaçant cause également de la souffrance et de l’inconfort à l’animal.

 

Dre Line Pelletier

 

Dans son Rapport (onglet 8), l’Agence a fourni trois photos du porc, qui démontrent la hernie ombilicale, avec les blessures rouges.

 

[18]         A.S. L’Heureux n’a pas présenté aucune preuve contraire.   Les seules observations d’A.S. L’Heureux figurent dans sa demande de révision.  En l’espèce, compte tenu de la qualité de la preuve des parties, la Commission est d’avis que la preuve de l’Agence est plus convaincante, selon la prépondérance des probabilités.   Par conséquent, la Commission estime que l’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités que a) le porc a subi une hernie ombilicale et b) le porc a été blessé, en raison de la hernie ombilicale, lors du transport.  Ces conclusions suffisent-elles pour conclure que le porc est a été soumis une souffrance indue? 

 

[19]          Le fait que le porc est ambulatoire n’est pas décisif pour déterminer s’il y a eu souffrance indue. Dans l’affaire E. Grof Livestock Ltd. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CRAC 11 au paragraphe 36, la Commission a examiné le lien entre le niveau d’ambulation et la souffrance indue :

 

[36]      Contrairement à l’avis exprimé par l’avocat d’E. Grof Livestock…la question en litige ne concerne pas le degré de boiterie, mais plutôt les circonstances entourant une blessure visible qui peut être considérée comme reliée à cette boiterie. Il faut donc examiner la nature, l’étendue et le moment de la blessure, dans le cadre d’une évaluation globale de la question de savoir si l’animal pouvait être chargé ou transporté sans souffrances indues.

 

[20]         Au sujet de la nature de la souffrance indue,  la Commission s’est inspirée dans l’affaire E. Grof Livestock, au paragraphe 79, de l’arrêt Canada (Procureur général) c. Porcherie des Cèdres, 2005 CAF 59 :

 

[79]      Dans l’arrêt Porcherie des Cèdres, précité, la Cour d’appel fédérale a statué, au paragraphe 17, que, pour que des souffrances soient « indues », il n’est pas nécessaire qu’elles soient « excessives », malgré qu’une définition du dictionnaire indique qu’« indu » peut notamment signifier « excessif ». La Cour a plutôt adopté la position suivante, au paragraphe 26, sous la plume du juge Nadon :

 

[26]  [...]  Il ne m’apparaît nullement raisonnable d’interpréter les mots « indu[e] » et « undue » comme signifiant « excessif » et « excessive ». À mon avis, une interprétation raisonnable de « indu[e] » et « undue », dans le contexte de la législation pertinente, ne peut que mener à la conclusion que ces mots signifient plutôt « inapproprié », « inopportun », « injustifié », « déraisonnable », « undeserved », « unwarranted », « unjustified », « unmerited ». Cette interprétation fait en sorte qu’un animal souffrant ne pourra être chargé et transporté, puisqu’un tel chargement ou transport aura pour effet de causer à l’animal des souffrances « injustifiées » et « déraisonnables » [...]

 

La Cour a également noté, aux paragraphes 27 et 35 :

 

[27]  J’en viens donc à la conclusion que le transport d’un animal blessé (et donc souffrant) ne pourra que causer à cet animal des souffrances qui ne peuvent être justifiées ou des souffrances inappropriées. En utilisant le texte anglais de l’alinéa 138(2)a) du Règlement, les souffrances qui seront causées à l’animal en cours de transport seront « unjustified » ou « unwarranted ».

 

[35]  [...]  il ne peut faire de doute que la législation pertinente a pour but d’empêcher que des animaux souffrent de façon injustifiée ou déraisonnable. Plus particulièrement, le Règlement a pour but d’empêcher le transport d’animaux souffrants. [...]

 

[21]         Au paragraphe 31 de l’arrêt Doyon, précité, la Cour a largement adopté la définition d’« indue » énoncée dans l’arrêt Porcheries des Cèdres :

 

[31]  Le présent litige ne remet pas en cause cette interprétation [dans Porcherie des Cèdres]. Mais il remet en cause les paramètres mêmes de la violation, soit ses éléments constitutifs et la portée qu’il faut leur donner. Il porte aussi sur la suffisance et la valeur probante de la preuve de souffrances indues, du lien de causalité ainsi que sur l’interprétation et l’application que la Commission a faites de cette preuve.

 

[22]     Au paragraphe 86 de la décision E. Grof Livestock, la Commission a décrit son devoir comme suit :

           

[86]      Compte tenu de ce qui précède, il incombe à la Commission de déterminer, selon la norme de la décision raisonnable et selon la prépondérance des probabilités, (a) si les souffrances étaient « inopportunes », « injustifiées » ou « déraisonnables », conformément à l’interprétation législative du mot « indues » dans l’arrêt Doyon, et (b) si ces souffrances inopportunes, injustifiées ou déraisonnables peuvent être reliées au transport de l’animal […]

 

[23]     Après avoir pondéré les observations présentées par l’Agence et A.S. L’Heureux (dans sa demande de révision seulement), la Commission préfère la preuve de l’Agence, plus particulièrement la témoignage de la Dre Pelletier.  Comme la Dre Pelletier a indiqué (Rapport, onglet 7) :

 

Cette hernie gênait par le fait même la démarche naturelle de l’animal et expose celui-ci à des blessures accidentelles lors des manipulations et pendant le transport.  De plus, ces activités exposent l’animal à un risque certain de rupture d’hernie et d’éviscération subséquente.

 

[24]     Par conséquent, la Commission a conclu, conformément aux directives de la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Porcherie des Cèdres et Doyon,  que la souffrance du porc doit être  considérée comme étant une souffrance « indue », au sens d’« inapproprié » ou de « déraisonnable ».   De plus, il y a un lien entre la souffrance indue et le transport.  Il est certainement prévisible  qu’un porc avec une hernie ombilicale d’une telle grosseur serait blessé pendant le transport.  La Commission conclu qu’A.S. L’Heureux a commis la violation, comme allégué par l’Agence.

 

Contrôle de l’évaluation de la cote de gravité

 

[25]     Puisque la Commission conclu qu’A.S. L’Heureux avait commis la violation alléguée, la Commission doit maintenant examiner que l’Agence a faite de la cote de gravité et l’incidence de cette cote sur le montant de la sanction. Les critères à prendre en compte pour établir la cote de gravité d’une violation sont précisés à l’annexe 3 du Règlement sur les sanctions pécuniaires administratives en matière d’agriculture et d’agroalimentaire. Ces critères, au nombre de trois, sont : (i) les antécédents (en matière d’observation de la loi), (ii) l’intention ou la négligence et (iii) le tort.

 

(i)       Antécédents en matière d’observation de la loi

 

[26]     Pour ce qui concerne les antécédents en matière d’observation de la loi, A. S. L’Heureux a commis une violation dans le passé sous le régime de la Loi sur la santé des animaux et de son règlement d’application au cours des cinq années précédant le jour où la violation dont il est ici question a été commise.   L’Agence a fait référence (Rapport, page 11) à un (citation directe) « procès-verbal (anciennement avis de violation) » au sujet d’une violation commise en janvier 2009.  L’avis de violation était avec avertissement au lieu de sanction.  A.S. L’Heureux n’a pas contesté le fait qu’il y a eu violation antérieurement.    De ce fait, conformément à l’annexe 3, une cote de gravité de 3 est attribuée au titre de cette violation antérieure. 

 

(ii)      Intention ou négligence

 

[27]     Pour ce qui concerne l’intention ou la négligence, l’Agence conclut que la violation a été commise à cause d’un acte négligent, et elle attribue en conséquence une cote de gravité de 3.  Le raisonnement de l’Agence est le suivant (Rapport,  page 12, verbatim) :

 

Dans la présente affaire, l’ACIA considère que A.S. L’Heureux a été négligente, puis qu’il aurait suffi un seul coup d’œil au pour que le chauffeur réalise que celui-ci n’était pas apte au transport en raison de son hernie.  L’état de l’animal était visible à l’œil nu et le chauffeur de A.S. L’Heureux avait le devoir de s’assurer que chacun des porcs qui montaient à bord de son véhicule était apte à être transporté sans souffrances indues.

 

[28]     La Commission souscrit à l’évaluation faite par l’Agence.  A.S. L’Heureux, à qui incombe la responsabilité des actes de négligence commis par un employée, n’a présenté aucune preuve contraire.  La Commission est d’avis, en l’espèce, qu’il y a eu manquement, de la part d’A.S. L’Heureux, à une obligation légale de diligence, lié à une conduite qui diffère de celle qu’une personne raisonnable aurait adoptée dans des circonstances similaires.

 

[29]     Comme la Commission a souligné dans la décision E. Grof Livestock, précitée, au paragraphe 93, la visibilité de la blessure ou des autres aspects de l’état de physique de l’animal reste très pertinent, surtout en examinant les circonstances de négligence ou de l’intention :

 

[93]      Si la blessure avait été visible sur la partie extérieure de la patte, de telle sorte qu’aucune personne raisonnable n’aurait pu ne pas la voir, la cote de gravité au titre de l’intention ou de la négligence aurait pu être différente. Dans la décision Finley Transport Limited c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2013 CRAC 42, la Commission a conclu que la négligence est parfois une négligence grossière, et que, dans certaines circonstances, une négligence grossière peut être considérée comme équivalant à une intention. Comme la Commission l’a affirmé dans la décision Finley Transport, au paragraphe 93 :

 

[93]  […]  La Commission estime que la négligence peut découler d’une si grande indifférence à un résultat pourtant parfaitement prévisible que le résultat peut être considéré comme ayant été voulu […]

 

 [30]    L’Agence a affirmé « …qu’il aurait suffi un seul coup d’œil au pour que le chauffeur réalise que celui-ci n’était pas apte au transport en raison de son hernie.  L’état de l’animal était visible à l’œil nu… »  La Commission est d’accord avec l’Agence, surtout après avoir vu les photos du porc  qu’elle a présentées (Rapport, onglet 8).   En revanche,  le porc faisait partie d’un groupe de 180 porcs transportés en même temps.  La Commission ne peut donc conclure, suivant la prépondérance des probabilités, que le porc en question a été précisément vu par le chauffeur ou les autres employés affectés au chargement.  Il n’y a aucun élément de preuve sur ce point.  Par conséquent, la Commission ne peut conclure qu’il y a « une négligence grossière [qui] peut être considérée comme équivalant à une intention », comme l’a énoncé la Commission dans la décision E. Grof Livestock.

 

(iii)     Le tort

 

[31]     Au sujet du gravité du tort, l’Agence a attribué une cote de gravité de 5, ce qui correspond à une conclusion selon laquelle le tort lié à la violation  « a) soit un tort grave ou étendu à la santé animale… » (article 3a) de la partie 3 de l’annexe 3 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire). Le raisonnement de l’Agence est comme suit (Rapport,  page 13, verbatim) :

 

En l’espèce, A. S. L’Heureux inc. a chargé un porc qui présentait une hernie qui gênait le mouvement ce qui présentait une plaie à vif.  En agissant ainsi, A.S. L’Heureux inc. a transporté un porc en lui causant des souffrances indues puisque celui-ci a été transporté sur une distance de 231 km et d’une durée approximative de 2 h 20 et ce, jusqu’à l’abattoir alors qu’il était non-transportable et qu’il aurait dû être euthanasié à la ferme.  Ce faisant,  A.S. L,Heureux a causé un tort grave à la santé animale.

 

[32]     La Commission est d’accord avec l’Agence, compte tenu de la preuve qu’elle a présentée.   Dans la décision E. Grof Livestock, la Commission a abordé, aux paragraphes 98 et 99, le lien entre « souffrance indue » et la gravité du tort :   

 

[98]      En s’appuyant, d’une part, sur le libellé de la disposition créant la violation, et d’autre part, sur le libellé des dispositions relatives à la cote de gravité eu égard au tort, l’Agence a conclu en l’espèce que les « souffrances indues » avaient causé un « tort mineur ». À première vue, cela semble contradictoire : comment une situation liée à des souffrances indues peut-elle également être associée à un tort mineur? Et cela soulève une préoccupation quant à savoir si les souffrances doivent être majeures pour être indues. Selon les définitions susmentionnées de « souffrances indues » données dans l’arrêt Doyon, précité, les souffrances doivent être « inappropriées », « injustifiées » ou « déraisonnables ».

 

[99]      Il convient de noter que les cotes de gravité reliées au tort visent un vaste éventail de situations de violation, qui ne se limitent pas aux violations sous le régime de la Loi sur la santé des animaux ou de son règlement d’application : en effet, le tort visé peut avoir été causé « à la santé humaine, animale ou végétale ou à l’environnement ». À première vue, il semblerait que les torts mineurs se rapportent plus vraisemblablement aux violations prévues par d’autres lois en matière d’agriculture et d’agroalimentaire qui ne concernent pas les souffrances indues éprouvées par des animaux.

 

[33]     La cote de gravité totale devient est donc de 11: soit 3 (antécédents en matière de violations) + 3 (négligence) + 5 (tort).  En vertu de l’annexe 2 du Règlement sur les sanctions
pécuniaires administratives en matière d’agriculture et d’agroalimentaire
, le montant de la sanction est majoré de 10 % : soit de 6,0000 $ à 6,600 $.   La Commission souscrit à la cote de gravité totale évaluée par l’Agence.  

 

Remarques au sujet de manque de preuve d’A. S. L’Heureux

 

[34]     La Commission a fait remarquer ci-dessus, aux paragraphes 8 et 9,  qu’A.S. L’Heureux n’a présenté aucune preuve au soutien des raisons qu’elle avait exprimées dans sa demande de révision.   De plus, la Commission a énoncé les circonstances dans lesquelles il serait possible de conclure qu’une demande de révision a été abandonnée.   La Commission estime troublant le fait qu’une procédure grave a été introduite, et que seulement une partie a présenté des observations détaillées.

 

[35]     La Commission n’a pas actuellement le droit de condamner une partie aux dépens.   Comme la Commission a indiqué dans la décision Webb c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada),  2013 CRAC 27, au paragraphe 20:

 

[20]      Aucune disposition législative ne confère actuellement à la Commission le pouvoir d’adjuger les dépens. Il en est ainsi, bien que la Commission soit constituée en cour d’archives par l’article 8 de la Loi sur les produits agricoles au Canada, L.R.C., 1985, c. 20 (4e suppl.) […]

 

[36]     De plus, la Commission a fait des commentaires à ce sujet dans la décision Favel Transportation Inc. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2013 CRAC 17,  au paragraphe 33 :

 

[33]       La question de savoir si la Commission devrait avoir le pouvoir d'accorder des dépens est une question de politique qui relève du législateur. Il n’appartient pas à la Commission de déterminer qu’elle a la compétence requise simplement parce qu’elle estime qu’elle devrait accorder des dépens en l’espèce […]

 

[37]     La preuve manque gravement dans le dossier d’A.S. L’Heureux, lequel ne comporte que sa demande de révision qui ne repose que sur des déclarations not étayées.  Si la Commission avait le pouvoir d’accorder des dépens, il est possible qu’elle en ait adjugé en l’espèce.

 

Conclusion

 

[38]     Après avoir examiné toutes les observations écrites des parties, la Commission de révision agricole du Canada (la Commission) statue, par ordonnance, que la demanderesse a commis la violation, telle que décrite dans l’avis de violation n1213QC0133-1, daté du 19 février 2013, et qu'elle est tenue de payer à l’intimée, l'Agence canadienne d'inspection des aliments, une sanction pécuniaire au montant de 6,600 $ dans les trente (30) jours suivant la date de notification de la présente décision.

 

[39]     La Commission souhaite informer A.S. L’Heureux qu’une conclusion selon laquelle celle-ci a commis la violation alléguée ne signifie pas qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction criminelle. Compte tenu des antécédents de cette société en matière de violations, et en présumant qu’elle n’en commettra plus à l’avenir, la société pourra demander à l’avenir à ce que son nom soit retiré du registre des auteurs de violations que tient le ministre.

 

 

Fait à Ottawa, Ontario, en ce 18ieme jour du mois de juin 2014.

 

 

 

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Bruce La Rochelle, membre

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