Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :     Tao  c.  Canada  (Agence des services frontaliers du Canada),  2014  CRAC  6

 

Date :  20140321

Dossier :  CRAC/CART‑1760

ENTRE :

 

 

 

Xiaojun Taodemandeur

 

 

 

 

‑ et ‑

 

 

 

 

  Agence des services frontaliers du Canada, intimée

 

 

 

 

[Traduction de la version officielle en anglais]

 

 

 

 

DEVANT :

Bruce La Rochelle, membre

 

 

 

 

AVEC :

Xiaojun Tao, assurant sa propre représentation; et

 

Denise Bergeron, présentant des observations au nom de l’intimée

 

 

 

 

Affaire intéressant la demande de révision présentée par le demandeur, en vertu de l’alinéa 9(2)(c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, concernant une violation, alléguée par l’intimée, de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux.

 

 

 

 

ET

 

 

 

 

 

 

 

Affaire intéressant l’arrêt Agence des services frontaliers du Canada c. Tao, 2014 CAF 52, par lequel la Cour d’appel fédérale a annulé la décision de la Commission, lui renvoyant l’affaire pour nouvelle décision, conformément aux motifs exposés par la Cour.

 

DÉCISION

 

 

 

 

[1]     Après réexamen des preuves et arguments des parties, conformément à la nouvelle décision prescrite par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Agence des services frontaliers du Canada c. Tao, 2014 CAF 52, et après un examen attentif des motifs de la Cour, la Commission de révision agricole du Canada (la Commission) estime raisonnable de conclure, après réexamen des preuves et arguments présentés par les parties, que l’Agence n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, la présence d’un des éléments essentiels de la violation en cause, à savoir que le produit en question contenait effectivement de la viande. Cela étant, la Commission conclut que M. Tao n’a pas commis la violation détaillée dans l’avis de violation YYZ4971‑0490, en date du 10 juillet 2012, et qu’il n’est par conséquent pas tenu d’acquitter une sanction pécuniaire.

 

Affaire tranchée au seul vu des observations écrites.


MOTIFS

 

L’incident allégué et les questions en litige

 

[2]              Les faits de la cause sont exposés aux paragraphes 28 et 29 de la décision rendue par la Commission dans le dossier Tao c. Canada (ASFC), 2013 CRAC 16 (Tao 2013). En résumé, l’Agence des services frontaliers du Canada affirme que M. Tao a importé au Canada sans obtenir au préalable le permis nécessaire ou autre autorisation lui permettant d’importer ce produit en toute légalité, en violation de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux (C.R.C., ch. 296). M. Tao nie avoir importé au Canada un produit à base de viande. La question à trancher, tant lors de la décision initialement rendue par la Commission, qu’à l’occasion de la nouvelle décision exposée ci-après, est donc de savoir si l’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en question contenait effectivement de la viande.

 

[3]              Le régime législatif applicable en l’espèce est exposé dans Tao (2013), aux paragraphes 4 à 6. Le voici en partie résumé au paragraphe 5 :

 

[5]  Le régime de réglementation […] vise à interdire l’importation de la viande ou de sous-produits de la viande au Canada provenant d’un pays autre que les États-Unis, sauf si un permis d’importation a été obtenu. Dans certains cas, un certificat ou un autre document attestant que la viande ou le sous-produit a été transformé, peut remplacer un permis d’importation.

 

[4]              Le produit en question, qui sera davantage détaillé ci-dessous, est décrit par un inspecteur de l’Agence comme étant du « bœuf confit », importé de Chine. S’il était établi, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en question contenait effectivement de la viande ou un sous-produit animal, il aurait fallu que M. Tao obtienne un permis d’importation, certificat ou autre document en autorisant l’importation, à moins que, au vu de critères très précis, l’inspecteur en autorise l’importation en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Sans cela, M. Tao serait tenu comme ayant commis la violation alléguée, telle que résumée en partie au paragraphe 8 de Tao (2013), à savoir :

 

[8]  Dans l’avis de violation YYZ4971-0490 du 10 juillet 2012, l’Agence prétend que, à cette date à l’Aéroport international Lester B. Pearson de Toronto […] M. Tao [traduction] « a commis une violation, nommément : Défaut de se conformer aux exigences relatives à l’importation de viande : La personne susmentionnée a commis une violation, à savoir : importation d’un sous-produit animal, à savoir de la viande, sans se plier aux exigences prescrites. En contravention de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux ». […]

 

 

 

 

 

Historique des procédures

 

[5]              Dans Tao (2013), la Commission a estimé que l’Agence n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en question contenait de la viande. Au paragraphe 43 de sa décision, la Commission avait en effet conclu en ces termes :

 

[43]  Compte tenu de la nature rigoureuse de l’examen de la preuve exigé par l’arrêt Doyon, la Commission juge que l’Agence n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en question contenait de la viande, et ce, en raison de la faiblesse de la preuve du contenu du produit. Cela posé, la Commission ne juge pas nécessaire d’examiner les autres arguments déposés par l’Agence ou par M. Tao.

 

[6]              La décision de la Commission dépendait du poids accordé à la reconnaissance, par M. Tao, que le produit contenait de la viande, par rapport au poids accordé par la Commission à d’autres preuves avancées par l’Agence. La Commission a estimé, au paragraphe 34 de Tao (2013), que :

 

[34]  Selon la Commission, l’Agence sera rarement en mesure de prouver sa cause en se fondant uniquement sur les aveux d’un prétendu contrevenant, surtout lorsque ce dernier n’a pas été prévenu à l’avance de l’usage pouvant être fait de ses aveux. En l’absence d’un tel avertissement, la Commission sera généralement peu encline à accorder beaucoup de poids à des aveux de la sorte, en présumant qu’une telle preuve soit acceptée.

 

[7]              En cela, la Commission s’est fondée, aux paragraphes 31 et 32 de Tao (2013), sur son interprétation du Règlement sur la déclaration des marchandises importées, et sur le poids qui, selon elle, devait être accordé aux déclarations desservant sa cause qui peuvent être faites par le contrevenant présumé, lorsque celui-ci n’a pas été prévenu des conséquences que cela pourrait entraîner :

 

[31]  De l’avis de la Commission, l’issue de la présente affaire repose sur la question de savoir si l’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en question est en fait de la viande, plus précisément du bœuf. L’Agence affirme que M. Tao a reconnu que le produit était du bœuf; M. Tao nie l’avoir fait. Selon la Commission, même s’il était accepté que M. Tao a reconnu le produit comme étant du bœuf, cette reconnaissance en soi ne prouverait pas cet aspect du dossier présenté par l’Agence. Cela s’explique par le fait que M. Tao ferait des déclarations qui desserviraient sa cause, dans des circonstances où il n’était pas tenu de s’expliquer, et parce qu’il n’avait pas été prévenu en conséquence. Pour admettre une telle preuve et lui accorder du poids, la Commission croit qu’il aurait été très important que l’Agence prévienne M. Tao que toute déclaration faite par un prétendu contrevenant peut être utilisée contre lui.

 

[32]  La Commission cite en référence le paragraphe 5(3) du Règlement sur la déclaration des marchandises importées (DORS/86-873), qui se lit comme suit :

 

53)  Les marchandises importées par des personnes arrivant au Canada à bord d’un moyen de transport commercial autre qu’un autobus doivent être déclarées par écrit.

 

La Cour suprême du Canada a soutenu que l’exigence réglementaire de produire des documents pouvant être auto-incriminants ne porte pas atteinte au principe interdisant l’auto-incrimination : Fitzpatrick c. La Reine [1995], 4 R.C.S. 154. Dans la présente affaire, l’imposition de mesures réglementaires à M. Tao n’est reliée qu’aux déclarations paraissant sur la Carte de déclaration. Il n’est pas tenu d’ajouter quoi que ce soit. […]

 

[8]              En parvenant à ces conclusions, la Commission a exprimé les réserves et le désaccord qu’elle éprouvait à l’égard des décisions antérieures de la Commission invoquées en l’espèce par l’Agence. À cet égard, aux paragraphes 34 à 36 de Tao (2013), la Commission s’exprime notamment en ces termes :

 

[34]  Dans Ngo c. Canada (ACIA) (RTA no 60132, 2 septembre 2004), madame Ngo, dans sa demande de révision, admet avoir importé au Canada une saucisse provenant du Vietnam, mais elle affirme qu’elle ne savait pas qu’elle s’y trouvait. Le président Barton (fonction qu’il occupait alors) s’est fondé sur l’aveu de madame Ngo pour déclarer cette dernière coupable de la violation. À la page 3 de la décision, le président Barton déclare ce qui suit :

 

Étant donné l’aveu de la requérante, la Commission ne peut que conclure à la violation…

 

La Commission exprime des réserves quant à l’apparente nature absolue de la logique du président Barton. La Commission soulève aussi le principe juridique voulant qu’un organisme administratif, tel que la Commission, n’est pas tenu à la doctrine stricte du précédent. […]

 

[35]  Dans Boukhliq c. Canada (ACIA) (RTA no 60156, 8 mars 2005), M. Boukhliq a admis avoir importé au Canada, depuis la Hongrie, ce qu’il a été convenu d’appeler une petite quantité de salami (0,6 kg). À la page 3 de la décision, le président Barton déclare, en partie, ce qui suit :

 

L’aveu clair du requérant semblerait l’emporter sur l’obligation de l’intimée d’établir, selon la prépondérance des probabilités, le fait que la contravention a été commise.

 

Avec tout le respect que la Commission lui doit, la Commission est en désaccord avec la conclusion précédente tirée par l’ex-président Barton.

 

[36]  L’affaire concerne donc la portée selon laquelle l’Agence a établi, au moyen de preuves autres que les aveux fournis par M. Tao sans avertissement préalable (le cas échéant), et en se fondant sur la prépondérance des probabilités, que le produit contenait de la viande. […]

 

 

L’erreur de la Commission

 

[9]              Selon la Cour d’appel fédérale, la décision de la Commission comporte une erreur qui se décompose elle-même en deux parties. Cette erreur est spécifiée par le juge Near au paragraphe 27 de l’arrêt de la Cour d’appel :

 

[traduction]

[27]  J’en conclus que c’est à tort que la Commission a exclu le témoignage de l’ASFC, qui soutenait que M. Tao avait reconnu que les articles trouvés dans ses bagages étaient du bœuf, et que le bœuf est bien de la viande. Ce témoignage aurait dû être admis.

 

[10]         Le premier volet de l’erreur commise par la Commission consistait à ne pas prendre en compte les dispositions pertinentes de la Loi sur les douanes, L.R.C. 1985, ch. 1 (2e suppl.), dispositions directement contraires à la conclusion de la Commission voulant que M. Tao ait été uniquement tenu de remplir une déclaration écrite. En effet, l’article 13 de la Loi sur les douanes, prévoit notamment que :

 

  Toute personne qui déclare des marchandises, […] l’intérieur et à l’extérieur du Canada, ou qui est interceptée par un agent […] doit :

 

a)  répondre honnêtement à toutes les questions que lui pose l’agent sur les marchandises; […]

 

La Cour d’appel fédérale s’est ensuite penchée sur l’erreur qu’avait commise la Commission en ne prenant pas en compte ces dispositions législatives, se prononçant en ces termes aux paragraphes 24 et 25 de son arrêt :

 

[traduction]

[24]  Le premier volet de l’erreur commise par la Commission provient du fait qu’elle a cru, à tort, qu’en remplissant la Carte de déclaration, M. Tao avait, en matière de déclaration du contenu de ses bagages, fait tout ce que lui imposait la loi. Or, en fait, M. Tao, était en outre tenu par la loi, de déclarer les produits qu’il importait, et cette obligation ne consistait pas uniquement à remplir la Carte de déclaration.

 

[25]  […]M. Tao ne pouvait pas se contenter de garder le silence quant à ce qui se trouvait dans ses bagages.

 

[11]         Selon la Cour, le second volet de l’erreur provient du fait que, selon la Commission, le contrevenant présumé devrait être averti que ses déclarations pourraient être invoquées à son encontre par l’Agence. Selon la Commission, le fait qu’un tel avertissement ne soit pas donné, a une incidence sur le poids que la Commission peut accorder aux déclarations qui sont faites, et même porter à les exclure (Tao [2013], aux paragraphes 31 et 34, précédemment cités). C’est en ces termes, qu’au paragraphe 26 de son arrêt, la Cour d’appel s’est prononcée sur ce volet de l’erreur commise par la Commission :

 

[traduction]

[26]  La seconde partie de l’erreur commise par la Commission provient du fait que celle-ci a estimé à tort que, lors de sa conversation avec l’agent de l’ASFC, M. Tao était en droit d’être protégé contre l’auto-incrimination, l’agent de l’ASFC étant tenu de l’avertir en conséquence. Il n’existe, en droit, aucune raison permettant à la Commission d’exclure le témoignage concernant les déclarations que M. Tao aurait faites à l’agent de l’ASFC, au motif que cet agent ne l’avait pas averti des conséquences pouvant découler de ces déclarations.

 

[12]         Selon la Commission, la décision de la Cour dans l’arrêt Tao concerne davantage le fait que des éléments de preuve ont été exclus, ou que la Commission n’en a pas tenu compte, plutôt que le poids que la Commission a pu raisonnablement leur accorder. La Commission doit démontrer qu’elle a attentivement examiné l’ensemble des éléments de preuve. Cela revêt une importance particulière, étant donné qu’un tribunal administratif n’est pas tenu à une stricte observation des règles de la preuve, y compris des règles concernant l’exclusion de certains éléments de preuve. Dans la mesure où sont versées au dossier ou produites à l’audience des preuves auxquelles la Commission ne fait pas allusion dans sa décision, mais qu’une des parties tient pour importantes à l’issue de la cause, cette partie aura normalement, pour ce simple motif, le droit de solliciter le contrôle judiciaire de la décision en question.

 

 

Norme de contrôle appliquée

 

[13]         Au paragraphe 13 de l’arrêt Tao, la Cour d’appel a estimé que s’appliquait dans cette affaire la norme de contrôle de la décision correcte :

 

[traduction]

[13]  Au paragraphe 11 de son arrêt Agence des services frontaliers du Canada c. Castillo, 2013 CAF 271, la Cour a décidé qu’en ce qui concerne les décisions de la Commission portant sur de pures questions de droit et d’interprétation des lois, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[14]         Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a jugé que lorsqu’un tribunal administratif interprète sa loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat, le caractère raisonnable de cette interprétation est à présumer, la déférence est de mise, et la norme de contrôle qui lui est applicable est par conséquent celle de la décision raisonnable. Se prononçant au nom d’une majorité de la Cour, c’est en ces termes que les juges Bastarache et Lebel s’expriment sur ce principe, au paragraphe 54 de l’arrêt :

 

[54]  […] Lorsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise  […]

 

[15]         Les juges Bastarache et Lebel ont cerné les circonstances générales dans lesquelles s’applique la norme de la décision raisonnable, ajoutant qu’« [i]l n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit au regard du caractère raisonnable ». Aux paragraphes 55 et 56, ils s’expriment en ces termes :

 

[55]  Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

 

— Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

 

— Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).

 

— La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents.

 

[56]  Dans le cas où, ensemble, ces facteurs militent en faveur de la norme de la raisonnabilité, il convient de déférer à la décision en faisant preuve à son endroit du respect mentionné précédemment. Il n’y a rien d’incohérent dans le fait de trancher certaines questions de droit au regard du caractère raisonnable. Il s’agit simplement de confirmer ou non la décision en manifestant la déférence voulue à l’égard de l’arbitre, compte tenu des éléments indiqués.

 

[16]         Dans l’arrêt Doyon, précité, jugement fréquemment cité dans les décisions de la Commission, la Cour d’appel fédérale a estimé que la question essentielle était celle du caractère raisonnable de la décision. Ainsi que l’a affirmé le juge Létourneau au paragraphe 32 de cet arrêt :

 

[32]  On ne peut raisonnablement soutenir qu’il y a absence totale de preuve de la violation dans le cas présent. L’exercice de la Commission a consisté à appliquer le droit aux faits de la cause. Sa décision implique donc une question mixte de fait et de droit révisable selon la norme de la décision raisonnable : voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. Il va de soi, cependant, que des erreurs de droit sur la définition des éléments constitutifs de la violation et dans l’administration de la preuve peuvent rendre la décision déraisonnable.

 

[17]         La Commission relève l’opinion exprimée par le juge Letourneau au paragraphe 32 de l’arrêt Doyon, c’est-à-dire que « des erreurs de droit sur la définition des éléments constitutifs de la violation et dans l’administration de la preuve peuvent rendre la décision déraisonnable. » (Accentuation ajoutée)

 

[18]         Outre Agence des services frontaliers du Canada c. Tao, 2014 CAF 52 (Tao), arrêt de la Cour d’appel fédérale à l’origine de la décision de la Commission en l’espèce, la Cour d’appel fédérale a récemment eu trois autres occasions de se pencher sur l’interprétation par la Commission des dispositions applicables : Agence des services frontaliers du Canada c. Castillo, 2013 CAF 271, Procureur général du Canada c. El Kouchi, 2013 CAF 292 et Procureur général du Canada c. Savoie‑Forgeot, 2014 CAF 26. Dans chacune de ces affaires, la CAF a relevé des erreurs de droit dans la manière dont la Commission avait interprété les éléments constitutifs de l’infraction en cause. S’exprimant au nom de la Cour, le juge Near a considéré, au paragraphe 11 de l’arrêt Castillo, que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission était celle de la décision correcte :

 

[11]  Notre Cour professe que la norme de contrôle pertinente en matière d’interprétation des lois en ce qui concerne les décisions législatives de la Commission est celle de la décision correcte : Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152, paragraphes 30-32 (Doyon); Canada (Procureur général) c. Porcherie des Cèdres Inc., 2005 CAF 59, paragraphe 13; Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) c. Westphal-Larsen, 2003 CAF 383, paragraphe 7 (Westphal-Larsen).

 

[19]         Les incidences de l’arrêt Dunsmuir, et la jurisprudence ultérieure de la Cour suprême en ce domaine, tel que l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 R.C.S. 654, ne sont pas évoquées dans les quatre récents arrêts de la Cour d’appel fédérale cités. Dans l’arrêt Castillo, la Cour adopte la norme de contrôle de la décision correcte, alors que l’affaire ne portait pas sur l’interprétation, par la Commission, de sa loi constitutive, mais sur l’interprétation des dispositions législatives applicables aux faits précis de l’affaire. Selon les termes employés, au paragraphe 34 de l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner), par le juge Rothstein qui s’exprimait au nom de la Cour suprême :

 

[34]  […] sauf situation exceptionnelle — et aucune ne s’est présentée depuis Dunsmuir —, il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de « sa loi propre constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie » est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire.

 

[20]         Dans l’arrêt El Kouchi, rendu après l’arrêt Castillo, la Cour n’a pas jugé nécessaire de revenir sur ce qu’elle avait décidé dans Castillo quant à l’applicabilité de la norme de la décision correcte.  au terme duquel la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte. La cour a estimé que, compte tenu des circonstances de l’affaire El Kouchi, il n’y avait pas lieu de décider en l’occurrence si la norme de contrôle applicable était celle de la décision correcte, ou celle de la décision raisonnable, étant d’avis que l’issue de la cause serait la même quelle que soit la norme de contrôle appliquée. Au paragraphe 13, la juge Gauthier, se prononçant au nom de la Cour, s’est exprimée en ces termes :

 

[13]  Le PGC allègue que notre Cour a établi dans Castillo (CAF) au paragraphe 11 que la norme applicable à cette question est celle de la décision correcte. Toutefois, selon moi, la norme applicable n’a pas d’importance ici, puisque même en appliquant celle de la décision raisonnable le résultat serait le même. En effet, le texte de l’alinéa 34(1)b) du Règlement est clair et non ambigu. Il n’est pas susceptible de plus d’une interprétation raisonnable […]

 

[21]         Puis, plus loin dans l’arrêt El Kouchi, la Cour conclut à une erreur de droit, de la part de la Commission, même si, ainsi que nous l’avons noté plus haut, la Cour ne précise pas si, pour conclure en ce sens, elle a appliqué la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable. Au paragraphe 19 de l’arrêt, la Cour se prononce en ces termes :

 

[19]  […] Il est évident que l’approche adoptée par la Commission a pour effet de contourner l’intention que le législateur a si clairement exprimée. Il n’y a aucune raison valide selon moi de ne pas appliquer le raisonnement de notre Cour dans Castillo (CAF) ici. La Commission a erré en droit en exigeant que l’Agence établisse un lien de causalité indépendant des actions d’une tierce partie et plus particulièrement que le contrevenant avait connaissance de la présence du produit interdit dans ses bagages.

 

Le lien entre le caractère raisonnable de la décision d’un tribunal administratif, l’erreur de droit qu’un tribunal administratif peut commettre quant à un des éléments constitutifs d’une violation, ou l’erreur de droit qu’il peut commettre concernant l’administration de la preuve, question abordée dans l’arrêt Doyon (au paragraphe 32), n’est pas ici explicitement évoquée par la Cour.

 

[22]         En cas d’erreur de droit, le recours est celui que prévoit l’alinéa 18.1(4)c) de la Loi sur les Cours fédérales (L.R.C. 1985, ch. F‑7). La Cour suprême du Canada a eu l’occasion de se pencher sur cette disposition dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339. Selon la majorité de la Cour suprême, la question que soulevait l’affaire Khosa était celle de l’interprétation, par un tribunal administratif, de sa loi constitutive. S’exprimant au nom d’une majorité de la Cour, voici en quels termes le juge Binnie s’est prononcé aux paragraphes 25 et 44 de l’arrêt :

 

[25]  […] Dans Dunsmuir, notre Cour a reconnu que, sans égard à l’existence d’une clause privative, il est maintenant admis qu’une certaine déférence s’impose lorsqu’une décision particulière a été confiée à un décideur administratif plutôt qu’aux tribunaux judiciaires. Cette déférence s’étend non seulement aux questions touchant aux faits et à la politique, mais aussi à l’interprétation, par le tribunal administratif, de sa loi constitutive et des dispositions législatives connexes étant donné « qu’une disposition législative peut donner lieu à plus d’une interprétation valable, et un litige, à plus d’une solution, et que la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel » (Dunsmuir, par. 41).  Le principe de la déférence « reconnaît que dans beaucoup de cas, les personnes qui se consacrent quotidiennement à l’application de régimes administratifs souvent complexes possèdent ou acquièrent une grande connaissance ou sensibilité à l’égard des impératifs et des subtilités des régimes législatifs en cause » (Dunsmuir, par. 49, citant le professeur David J. Mullan, « Establishing the Standard of Review : The Struggle for Complexity? » (2004), 17 C.J.A.L.P. 59, p. 93).  En outre, la déférence « peut également s’imposer lorsque le tribunal administratif a acquis une expertise dans l’application d’une règle générale de common law ou de droit civil dans son domaine spécialisé » (Dunsmuir, par. 54).

 

[…]

 

[44]  L’intervention judiciaire est autorisée si l’office fédéral

 

(c)  a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

Les erreurs de droit sont généralement assujetties à la norme de la décision correcte.  Dans Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, par. 37, par exemple, la Cour a statué que les questions générales de droit international et de droit pénal soulevées dans cette affaire devaient être tranchées suivant la norme de la décision correcte.  Selon l’arrêt Dunsmuir (au par. 54), un décideur spécialisé ne commet pas d’erreur de droit justifiant une intervention si son interprétation de sa loi constitutive ou d’une loi étroitement liée est raisonnable.  L’alinéa c) prévoit donc un motif d’intervention, mais la common law empêchera les juges d’intervenir dans certains cas, lorsqu’un organisme administratif spécialisé interprète sa loi constitutive ou une loi intimement liée à celle‑ci.  Cette nuance n’apparaît pas à la simple lecture de l’al. c), mais c’est le principe de common law qui doit guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au par. 18.1(4). Encore une fois, le libellé général de la Loi sur les Cours fédérales est complété par la common law.

 

[23]         Au paragraphe 13 de l’arrêt Savoie-Forgeot, la juge Trudel adopte la même démarche que la juge Gauthier dans l’arrêt El Kouchi, estimant qu’il n’est pas nécessaire de dire si s’applique en l’occurrence la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable, étant donné que, selon la Cour, l’issue de la cause sera la même dans les deux cas :

 

[13]  La Cour doit, en l’espèce, préciser le critère juridique qu’il convient d’appliquer lorsqu’il est allégué qu’une personne a violé le paragraphe 40 du Règlement.  À mon humble avis, une interprétation juste de la Loi sur la santé des animaux et de son Règlement n’autorise pas l’interprétation qu’en donne la Commission, peu importe la norme de contrôle retenue pour en faire l’analyse.

 

[24]         Dans les affaires Castillo, El Kouchi et Savoie‑Forgeot, la Commission est, en appliquant ses connaissances spécialisées, parvenue à ce qu’elle a jugé être une interprétation raisonnable des éléments constitutifs de la violation prévue par la Loi, infraction qui relève des compétences réglementaires de la Commission. Ces interprétations ont alors été appliquées aux faits de ces trois affaires. Dans les trois cas, la Cour d’appel fédérale a jugé qu’en ce qui concerne les dispositions législatives en question, une seule interprétation était raisonnable, les interprétations qu’en avait données la Commission ne l’étant pas.

 

[25]         Les faits des affaires Castillo, El Kouchi et Savoie‑Forgeot, ainsi que le raisonnement adopté par la Cour, sont à contraster avec l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Tao, arrêt qui est à l’origine de l’actuel réexamen de l’affaire par la Commission. Dans l’arrêt Tao, en ce qui concerne le premier volet de l’erreur relevée par la Cour d’appel (précisée au paragraphe 10, supra), la Cour n’avait pas à se prononcer sur une question d’interprétation des lois, mais, plutôt, sur le fait que la Commission n’avait pas tenu compte d’une disposition législative qui allait directement à l’encontre de l’interprétation qu’en avait donnée la Commission par rapport à une autre disposition législative. Pour ce qui est du second volet de l’erreur relevée par la Cour, le fait que la Commission ait conclu que la présence, ou l’absence d’avertissement donné au contrevenant présumé avait une incidence sur le poids que la Commission pouvait accorder aux déclarations ultérieurement faites par celui-ci (tel que précisé au paragraphe 11, supra), la Cour, citant l’arrêt Castillo, a estimé que, là encore, il convenait de se prononcer au regard de la norme de la décision correcte. Reprenant la conclusion à laquelle elle était précédemment parvenue, la Cour s’exprime en ces termes au paragraphe 13 de l’arrêt Tao (avec accentuation ajoutée):

 

[traduction]

 

[13]  Au paragraphe 11 de son arrêt Agence des services frontaliers du Canada c. Castillo, 2013 CAF 271, la Cour d’appel fédérale avait décidé qu’en ce qui concerne les décisions de la Commission sur de pures questions de droit et d’interprétation des lois, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

 

[26]         Les demandes de contrôle judiciaire présentées par l’Agence dans les quatre autres affaires citées, ont été toutes accueillies par la Cour. Nous aurons l’occasion d’y revenir. Dans les quatre cas, la Cour a relevé des erreurs de droit. Cela soulève la question de savoir dans quelles circonstances une erreur de droit, et en particulier une erreur quant au caractère raisonnable d’une interprétation des lois, suffit à justifier qu’il soit fait droit à une demande de contrôle judiciaire.

 

 

Les valeurs consacrées par la Charte

 

[27]         La Commission est, selon la Cour suprême du Canada, tenue de prendre en compte dans ses délibérations, les valeurs consacrées par la Charte. Cette prescription est examinée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Doré c. Barreau du Québec 2012 CSC 12, au paragraphe 24 :

 

[24]  Il va sans dire que les décideurs administratifs doivent agir de manière compatible avec les valeurs sous-jacentes à l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire, y compris les valeurs consacrées la Charte (voir Chamberlain c. Surrey School District No. 36, 2002 CSC 86, [2002] 4 R.C.S. 710, par. 71; Pinet c. St. Thomas Psychiatric Hospital, 2004 CSC 21, [2004] 1 R.C.S. 528, par. 19-24; et Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815, par. 62-75).

 

[28]         Un tribunal administratif est tenu de démontrer qu’en parvenant à sa décision, il a « mis en balance comme il se doit la valeur pertinente consacrée par la Charte et les objectifs visés par la Loi ». S’exprimant au nom d’une cour unanime, la juge Abella se penche, aux paragraphes 55 à 58 de l’arrêt, sur la manière dont il appartient à un tribunal administratif de prendre en compte les valeurs consacrées par la Charte :

 

[55]  Comment un décideur administratif applique-t-il donc les valeurs consacrées par la Charte dans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi? Il ou elle met en balance ces valeurs et les objectifs de la loi. Lorsqu’il procède à cette mise en balance, le décideur doit d’abord se pencher sur les objectifs en question. Dans Lake, par exemple [Lake c. Canada (Ministre de la Justice), [2008] 1 R.C.S 761], l’importance des obligations internationales du Canada, ses relations avec les gouvernements étrangers ainsi que l’enquête, la poursuite et la répression du crime à l’échelle internationale justifiait, prima facie, la violation de la liberté de circulation visée au par. 6(1) (par. 27). Dans Pinet, c’est « le double objectif de protection de la sécurité du public et de traitement équitable » qui a fondé l’évaluation de la violation du droit à la liberté pour déterminer si elle était justifiée (par. 19).

 

[56]  Ensuite, le décideur doit se demander comment protéger au mieux la valeur en jeu consacrée par la Charte compte tenu des objectifs visés par la loi.  Cette réflexion constitue l’essence même de l’analyse de la proportionnalité et exige que le décideur mette en balance la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte, d’une part, et les objectifs que vise la loi, d’autre part.  C’est à cette étape que le rôle de la révision judiciaire visant à juger du caractère raisonnable de la décision s’apparente à celui de l’analyse effectuée dans le contexte de l’application du test de l’arrêt Oakes [R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103] Comme la Cour l’a reconnu dans RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1995] 3 R.C.S. 199, par. 160, « les tribunaux doivent accorder une certaine latitude au législateur » lorsqu’ils procèdent à une mise en balance au regard de la Charte et il sera satisfait au test de proportionnalité si la mesure « se situe à l’intérieur d’une gamme de mesures raisonnables ».  Il en est de même dans le contexte de la révision d’une décision administrative pour en évaluer le caractère raisonnable où il convient de faire preuve d’une certaine déférence à l’endroit des décideurs à condition que la décision, comme l’affirme la Cour dans Dunsmuir [Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190] « [appartienne] aux issues possibles acceptables » (par. 47).

 

[57]    Dans le contexte d’une révision judiciaire, il s’agit donc de déterminer si — en évaluant l’incidence de la protection pertinente offerte par la Charte et compte tenu de la nature de la décision et des contextes légal et factuel — la décision est le fruit d’une mise en balance proportionnée des droits en cause protégés par la Charte.  Comme le juge LeBel l’a souligné dans Multani [Multani c. Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, [2006] 1 R.C.S. 256], lorsqu’une cour est appelée à réviser une décision administrative qui met en jeu les droits protégés par la Charte, « [l]a question se réduit à un problème de proportionnalité » (par. 155) et requiert d’intégrer l’« esprit » de l’article premier dans la révision judiciaire. Même si cette révision judiciaire est menée selon le cadre d’analyse du droit administratif, il existe néanmoins une harmonie conceptuelle entre l’examen du caractère raisonnable et le cadre d’analyse préconisé dans Oakes puisque les deux démarches supposent de donner une marge d’appréciation aux organes administratifs ou législatifs ou de faire preuve de déférence à leur égard lors de la mise en balance des valeurs consacrées par la Charte, d’une part, et les objectifs plus larges, d’autre part.

 

[58]  Si, en exerçant son pouvoir discrétionnaire, le décideur a mis en balance comme il se doit la valeur pertinente consacrée par la Charte et les objectifs visés par la loi, sa décision sera jugée raisonnable.

 

La Cour suprême ajoute, au paragraphe 54 :

 

[54]  Quoi qu’il en soit, comme la juge en chef McLachlin l’a souligné dans Catalyst [Catalyst Paper Corp. C. North Cowichan (District), [2012] 1 R.C.S. 5] « le caractère raisonnable de la décision s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents. Il s’agit essentiellement d’une analyse contextuelle » (par. 18).  Il continue donc à être justifier de faire preuve de déférence à l’endroit du décideur administratif compte tenu de son expertise et de sa proximité aux faits de la cause puisque, même quand les valeurs consacrées par la Charte sont en jeu, il sera généralement le mieux placé pour juger de l’incidence des valeurs pertinentes de ce type au regard des faits précis de l’affaire.  Cela étant dit, tant les décideurs que les tribunaux qui procèdent à la révision de leurs décisions doivent analyser les questions qui leur sont soumises en gardant à l’esprit l’importance fondamentale des valeurs consacrées par la Charte.

 

[29]         La Commission reconnaît que l’application, dans le cadre d’une procédure administrative, des valeurs consacrées par la Charte est problématique, étant donné les incertitudes entourant la nature et la portée de ces valeurs, contrairement à ce qu’il en est des droits qui sont inscrits dans la Charte. Ainsi, parmi les garanties inscrites dans la Charte, celles qui ont le plus de pertinence en l’occurrence se trouvent sous la rubrique « Garanties juridiques » (articles 7 à 14 de la Charte), partie de la Charte souvent jugée ne pas s’appliquer de manière générale aux procédures civiles ou administratives. La Cour a ainsi relevé, dans Tao (2013), au paragraphe 32, que selon la Cour suprême du Canada, un règlement imposant de produire des documents qui pourraient être auto-incriminants ne porte pas atteinte au principe interdisant l’auto-incrimination : Fitzpatrick c. La Reine [1995], 4 R.C.S. 154, au paragraphe 32. Dans son arrêt M. (A.) c. Ryan [1997] 1 R.C.S. cependant, la Cour suprême du Canada a estimé, au paragraphe 23, que dans les circonstances, tels les procès civils, où les droits inscrits dans la Charte ne s’appliquent pas en eux-mêmes, les valeurs consacrées par la Charte doivent néanmoins être pris en compte lorsqu’il s’agit, par exemple, d’interpréter la manière dont s’appliquent, dans un cas donné, les principes de la common law. Dans R. c. Conway [2010] 1 R.C.S. 765, la Cour suprême du Canada a précisé, au paragraphe 78 de l’arrêt, qu’un tribunal administratif doit, dans l’exercice de ses fonctions légales, agir conformément à la Charte et aux valeurs qui la sous-tendent.

 

 

La preuve présentée à la Commission

 

[30]         La preuve présentée à la Commission consiste donc en des observations écrites présentées par l’Agence (Rapport modifié, daté du 26 septembre 2012, qui incorpore par renvoi le Rapport initialement déposé par l’Agence le 23 août 2012 [les deux versions formant « le Rapport »]), et par M. Tao (demande de révision du 28 juillet 2012, observations additionnelles communiquées par lettre en date du 21 septembre 2012 et autres observations, comme autorisées par la Commission, transmises par lettre en date du 30 octobre 2012).

 

 

 

 

Déclarations que M. Tao aurait faites au sujet de la viande

 

[31]         Il y a désaccord quant au point de savoir si M. Tao a effectivement dit que les produits trouvés dans ses bagages contenaient de la viande. Le produit que l’inspecteur de l’Agence décrit comme étant du « bœuf confit » (Rapport, onglet 6, « Étiquette d’article interceptée »). Voici comment sont résumés dans Tao (2013), les témoignages contradictoires livrés respectivement par l’Agence et par M. Tao quant à ce qui aurait été dit au moment où les articles en question ont été découverts :

 

Voici le témoignage de l’Agence, tel que résumé dans Tao (2013), à l’alinéa 28b) :

 

[28](b)  Après en avoir établi la propriété, l’inspecteur de la ligne secondaire a examiné les bagages de M. Tao et découvert plusieurs emballages ornés d’images de vaches. L’inspecteur a demandé à M. Tao ce qu’était le produit, ce à quoi il a répondu du « bœuf ».  L’inspecteur a ensuite demandé à M. Tao « est-ce que la bœuf de la viande? », ce à qui M. Tao a répondu « oui », et épelé correctement le mot « viande », suite à la demande de l’inspecteur. Quand l’inspecteur lui a demandé pourquoi il avait omis de déclarer le produit, M. Tao aurait affirmé que [traduction] « en Chine, le produit est une friandise; c’est de la viande, mais c’est une friandise ». Puisque M. Tao a rapidement été en mesure de décrire le produit comme étant du bœuf, son argument selon lequel il ne pouvait connaître le contenu à moins d’ouvrir l’emballage ne tient pas la route. (Rapport, Réfutation des arguments du demandeur, paragraphes 12 et 14; Rapport, onglet 5; Déclaration du 10 juillet 2012 signée par l’inspecteur de la ligne secondaire, no de matricule 17220; [« Rapport « Prêt à témoigner » de l’inspecteur »]).

 

Puis, selon le témoignage de M. Tao, tel que résumé dans Tao (2013), aux alinéas 29g) et h) :

 

[29](g)  Le produit en question a été empaqueté pour ressembler à une friandise. M. Tao prétend qu’« un [TRADUCTION] type de viande est différent d’un produit fait de viande » (demande de révision, page 2). Il affirme aussi qu’il ignore ce qu’est une « friandise de bœuf », n’a jamais décrit le produit comme étant une « friandise de bœuf » ou une « friandise de viande », et que le terme a été utilisé par l’inspecteur, et non par lui (lettre du 30 octobre 2012, pages 2 et 3).

 

[29](h)  M. Tao reconnaît que l’inspecteur a ouvert un des produits emballés, l’a senti et a demandé à M. Tao s’il s’agissait de bœuf. M. Tao dit avoir répondu à la question en répétant la même question : « du bœuf? » (lettre du 30 octobre 2012, page 2).

 

[32]         Dans le cadre de ce réexamen des preuves produites, il convient de revenir sur la manière précise dont M. Tao avait présenté les faits. Dans sa lettre du 30 octobre 2012, aux paragraphes 3 et 4, M. Tao s’exprime en ces termes (traduction d’extraits textuels) :

 

3.  […] Comme preuves, l’agent a présenté des paquets de quelque chose qui est, certes, du bœuf, mais pas du « bœuf confit ». Je ne sais même pas ce que c’est que le « bœuf confit »! Ni moi, ni l’agent d’inspection n’a jamais parlé de « bœuf confit » […]

 

4.  En outre, je n’ai jamais dit ou déclaré que le produit qui a été saisi était un produit à base de bœuf. Étant donné que le produit en cause était emballé sous forme de friandise, je ne pouvais pas être certain qu’il s’agissait de viande de bœuf, ou d’autre chose, même si je pouvais m’assurer que c’était de la viande (du porc, ou du bœuf?). C’est pourquoi je l’ai apporté à l’agent, et nous avons discuté de la catégorie à laquelle ce produit appartenait. L’agent a ouvert un des paquets, et l’a senti. Le produit se trouvait dans un double emballage, un papier aluminium, et une sorte de cellophane. Puis, l’agent a confirmé : « Eh, du bœuf? ». Je n’en étais pas certain moi-même, et j’ai répondu « Bœuf ». Le produit a ensuite été confisqué en tant que preuve d’une violation aux dispositions légales. L’agent a inscrit quelque chose sur l’étiquette qui y avait été attachée, et dans son rapport. Je n’ai jamais moi-même dit « Bœuf confit » ou « viande confite », et n’ai jamais employé ce genre d’expression enfantine […]

 

[33]         Lors d’un réexamen du témoignage de l’inspecteur, consigné dans « sa déclaration Prêt à témoigner » en date du 10 juillet 2012, figurant à l’onglet 5 du Rapport de l’Agence, l’inspecteur déclare ce qui suit (traduction d’extraits textuels) :

 

 

[…] J’ai examiné en premier le bagage à main de M. Tao. J’y ai trouvé plusieurs paquets contenant ce qui devait être, d’après moi, des produits à base de viande. Plusieurs de ces paquets étaient décorés d’images de vaches. Afin de confirmer auprès de lui mon impression, j’ai demandé à M. Tao de quoi étaient constitués ces produits, et il a répondu « bœuf ». Afin de confirmer que M. Tao pouvait effectivement lire, et comprendre la Carte de déclaration, je lui ai demandé « C’est de la viande, le bœuf? » et M. Tao m’a répondu « Oui ». Je lui ai alors demandé « Comment épelez-vous viande? » Il m’a répondu [traduction] « V-I-A-N-D-E ». Je lui ai alors demandé pourquoi il n’avait pas déclaré ces produits à base de viande, et il m’a répondu, à peu de chose près, « En Chine, c’est une friandise, c’est de la viande, mais c’est une friandise ». […]

 

[34]         Ainsi que la Cour d’appel fédérale le rappelle dans son arrêt Tao, la Commission ne peut pas écarter les éléments de preuve produits par l’Agence au motif que M. Tao n’aurait pas été averti de l’emploi que l’Agence pourrait faire de ses déclarations et que M. Tao n’était, selon la Commission, pas tenu d’ajouter quoi que ce soit à ce qu’il avait consigné dans la déclaration écrite. Voilà les deux volets de l’erreur que, dans l’arrêt Tao, la Cour d’appel fédérale reproche à la Commission d’avoir commise. Si la Cour d’appel relève cette erreur dans la décision initiale de la Commission, c’est qu’elle estime que les éléments de preuve produits devant un tribunal administratif doivent, de manière générale, être soupesés plutôt que rejetés, d’autant plus qu’en matière administrative, les strictes règles de la preuve ne s’appliquent pas. C’est ainsi qu’au paragraphe 54 de l’arrêt Doyon, cette ligne de conduite est prescrite à la Commission :

 

[54]  La principale fonction d’un tribunal de première instance consiste à recevoir et à analyser la preuve. Dans l’exercice de cette importante fonction, il peut rejeter une preuve pertinente, mais il ne peut omettre de la considérer, surtout si elle en contredit une autre sur un élément essentiel du litige […]. S’il décide de la rejeter, il doit fournir une explication […].

 

Dans Tao (2013), l’erreur de la Commission a été d’exclure ou d’écarter, a première vue, certaines preuves, au lieu de les soupeser avant de les rejeter, ou de ne guère leur accorder de poids. Le fait d’avoir rejeté à tort ces éléments de preuve peut être considéré comme une erreur de droit. Selon la juge Sharlow, se prononçant au nom de la Cour dans Madison c. Canada, 2012 CAF 80, au paragraphe 11 :

 

[11]  […] Il y a erreur de droit lorsqu’il y a exclusion des éléments de preuve constituant du ouï-dire […] sans que l’on ait d’abord examiné si ces éléments de preuve sont suffisamment fiables et probants […]

 

[35]         Selon la Commission, la directive formulée dans l’arrêt Tao, prise dans le contexte de directives précédemment exposées par la Cour dans les arrêts Madison et Doyon, veut dire que la Commission doit soupeser les éléments de preuve eu égard aux circonstances, et ne pas les exclure ou en faire abstraction. La Commission doit également prendre en compte la directive formulée par la Cour dans l’arrêt Tao, au paragraphe 26, selon laquelle [traduction] « Il n’y a en droit aucune raison permettant à la Commission d’exclure les preuves concernant les déclarations que M. Tao aurait faites à l’agent de l’ASFC au motif que celui-ci n’aurait pas averti M. Tao de l’emploi, qui pourrait être fait de ses déclarations ». La Commission doit également prendre en compte l’instruction énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Doré, qui lui prescrit d’incorporer à ses décisions les valeurs consacrées par la Charte, et parvenir à un équilibre entre ces valeurs et l’objet de la loi.

 

[36]         Soupesant les éléments de preuve concernant ce qu’auraient déclaré M. Tao et l’inspecteur à l’égard du produit en question, au moment où celui-ci a été découvert, la Commission estime que les témoignages sont dans les deux cas d’une valeur probante comparable, même s’ils sont contradictoires. En voici l’illustration :

 

(a)  Selon l’inspecteur, lorsqu’il a posé la question à M. Tao, celui-ci a déclaré qu’il s’agissait effectivement de bœuf. Selon M. Tao, par contre, étant donné qu’il n’était pas certain de ce que contenait le produit, il a, à la question de l’inspecteur, répondu par une autre question : [traduction] « du bœuf? »

 

(b)  L’inspecteur affirme avoir demandé à M. Tao si le bœuf c’est de la viande, à quoi M. Tao aurait répondu par l’affirmative. L’inspecteur a demandé à M. Tao d’épeler le mot [traduction] « viande », ce que M. Tao fit. M. Tao affirme ne pas avoir très bien su, d’après l’emballage, ce que contenait le produit : [traduction] « le produit saisi se trouvait dans un emballage de friandise, et ressemblait à une friandise, et je ne pouvais pas être certain s’il s’agissait d’un produit à base de bœuf ou d’autre chose, même si je pouvais m’assurer qu’il contenait de la viande (du porc ou du bœuf?). » À un autre moment, M. Tao a affirmé que [traduction] » En plus, à titre de preuve, l’agent a présenté les emballages d’un produit qui contenait certainement du bœuf, mais pas du ‘bœuf confit’. Je ne sais pas ce qu’est le « bœuf confit! »

 

(c)   L’inspecteur a fourni un résumé, plutôt qu’un compte rendu textuel de ce que M. Tao aurait dit au sujet de l’aspect « friandise » du produit en question : « Je lui ai alors demandé pourquoi il n’avait pas déclaré ces produits à base de viande, et il a répondu à peu de chose près que, en Chine, c’est une friandise; c’est de la viande, mais c’est une friandise ». Sur l’étiquette apposée au produit saisi, ce produit est donné comme étant du [traduction] « Bœuf (bœuf confit) ». M. Tao nie fermement avoir jamais employé le mot « friandise » à l’égard du produit : [traduction] « À cette occasion, je n’ai jamais dit ‘bœuf confit’ ou utilisé une expression enfantine telle que ‘viande-bonbon’ ».

 

[37]         Étant donné qu’en l’espèce la révision se déroule entièrement par écrit, la Commission n’est pas en mesure d’obtenir des parties des précisions quant à ce qui a effectivement été dit, ou quant à ce que l’on entendait dire, comme il serait possible de le faire au cours d’une audience. Conformément au pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu, la Commission n’a pas, non plus, demandé aux parties de lui fournir des précisions écrites, ayant décidé de procéder uniquement au vu de la documentation versée au dossier. Les observations de M. Tao sont consignées dans les trois documents qu’il a été autorisé à produire : sa demande de révision initiale, les observations qu’il a fait parvenir le 26 septembre 2012, et les observations qu’il a transmises le 30 octobre 2012. M. Tao avait, le 28 septembre 2012, tenté de présenter des observations dans lesquelles il demandait une prolongation des délais. Ses observations en date du 30 octobre 2012, ont, avec l’autorisation de la Commission, été acceptées en remplacement de ses observations du 28 septembre 2012. Ses observations du 28 septembre 2012 ont été versées au dossier, mais n’ont pas été prises en compte par la Commission dans le cadre de sa décision.

 

[38]         La Commission relève que les témoignages peuvent avoir été influencés par les réactions très émotionnelles, les propos peu mesurés et les expressions injurieuses employées par M. Tao. Selon la description qu’en donne l’inspecteur dans le résumé du témoignage qu’il entendrait livrer, description qui n’a été, à aucun point de la procédure, contredite par M. Tao (traduction d’extraits textuels) :

 

[…] Je lui ai alors fait savoir qu’en ne déclarant pas l’importation d’un produit alimentaire soumis à réglementation, il s’exposait à une amende de 800 $. Il me répondit « Vous ne m’imposerez pas d’amende. Cette amende est trop élevée. Vous pouvez jeter le produit, mais je ne vais pas payer l’amende ». J’ai alors demandé à M. Tao s’il avait obtenu un permis pour l’importation de ces produits à base de viande; non, il n’en avait pas. M. Tao a commencé à argumenter, insistant que je pouvais me débarrasser des produits en question, mais ne pas lui imposer une amende. J’ai décidé qu’il y avait lieu de lui imposer une amende afin de bien lui faire comprendre la gravité de l’infraction. Après avoir achevé l’inspection de ses autres bagages, j’ai demandé à M. Tao de s’asseoir et de se mettre à l’aise en attendant que je finisse de remplir les formalités. Peu de temps après, je l’ai rappelé et j’ai commencé à lui expliquer l’avis de violation, la réduction du montant de l’amende en cas de paiement volontaire, et les procédures d’appel. À plusieurs reprises, M. Tao m’a interrompu pour faire valoir à nouveau que l’amende était trop élevée et que je pouvais garder les friandises, mais ne pas lui imposer d’amende. Il déclara qu’il ne l’acceptait pas, refusa de signer quoi que ce soit, ajoutant qu’il n’avait aucunement besoin que je lui donne lecture de quoi que ce soit ou que je lui donne des explications, car il est avocat et peut très bien lire tout cela lui‑même. J’ai tout de même fini par lui expliquer en quoi consistait l’avis de violation, et la procédure d’appel, et l’ai dirigé vers la sortie […]

 

[39]         Pour sa part, M. Tao expose en les termes ci-dessous les circonstances de ce qui s’est passé (traduction d’extraits textuels) :

 

 

Le témoignage de l’agent est intégralement faux et inacceptable.

(Observations du 21 septembre 2012, paragraphe 1).

 

Il a profité du fait que je n’étais pas au courant des formalités et m’a imposé une amende injuste. L’accusation est injustifiée et déshonorable.

(Observations du 21 septembre 2012, paragraphe 2)

 

Étant donné que l’agent a livré, à l’appui de sa déclaration, un faux témoignage, il a, de propos délibéré, fait fi de mes demandes alors que j’avais fait de mon mieux, au poste d’inspection, pour éviter de commettre une infraction. Il a sciemment profité du fait que je n’avais aucune connaissance des règlements spécifiques applicables en l’occurrence, et l’accusation formulée contre moi est contraire à la justice. Je vous demande de rejeter cette accusation.

(Observations du 21 septembre 2012, paragraphe 4)

 

[…] les agents ont fait de fausses déclarations appuyées sur de fausses preuves destinées à vous induire en erreur.

(Observations du 30 octobre 2012, paragraphe 2)

 

Il s’agit d’un récit entièrement fabriqué. […] Dans sa déclaration modifiée, l’agent s’est à nouveau livré à un récit qui n’est pas exact. La seconde version est encore plus ridicule. […] Dans sa déclaration modifiée, l’agent invente des propos. Cette déclaration est entièrement fabriquée; elle n’est ni exacte ni honnête. Je voudrais que la Commission ne tienne aucun compte de sa déclaration modifiée.

(Observations du 30 octobre 2012, paragraphes 2, 3 et 4)

 

[40]         La Commission doit, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur la crédibilité d’un témoignage, prendre garde de ne pas se laisser indûment influencer par le comportement exhibé lors du témoignage. La Commission peut se baser en cela sur les principes que les tribunaux ont dégagés dans le cadre de poursuites pénales. Le comportement peut être un indice de crédibilité, mais il doit être évalué non pas isolément, mais dans le contexte des faits de la cause. Les conclusions au plan de la crédibilité ne doivent pas reposer uniquement sur une évaluation du comportement. Résumant, dans la décision R. v Smith, 2011 ONSC 5377 (CanLII), l’état du droit sur la question, le juge MacDonnell de la Cour supérieure de l’Ontario, s’est prononcé en ces termes, au paragraphe 8 de son jugement :

 

[traduction]

[8]  […] Je reconnais qu’à plusieurs reprises, la Cour d’appel de l’Ontario a eu l’occasion de rappeler que c’est à tort que l’on se prononce sur la crédibilité au seul vu du comportement des témoins : voir, par exemple, R. v. J.F. (2003), 177 C.C.C. (3d) 1, au paragraphe 101; R. v. Norman (1993), 87 C.C.C. (3d) 153, à la page 173; R. v. Gostick (1999), 137 C.C.C. (3d) 53, aux pages 59 à 61. J’estime, cependant, que cela ne contredit en rien ce que le juge Lamoricière a affirmé dans Owens [(1986), 33 C.C.C. (3d) 275] et n’est aucunement incompatible avec l’emploi que le juge de première instance a fait en l’espèce des preuves relatives au comportement. Ni dans l’affaire Owens ni en l’espèce, le comportement de l’accusé à l’audience n’a été le seul fondement de la décision touchant sa crédibilité […]

 

[41]         En l’espèce, la Commission a examiné les observations transmises par M. Tao le 21 septembre 2012, afin de préciser ce que M. Tao a dit, ou ce qu’il entendait. Au paragraphe 1 de ses observations, M. Tao s’exprime en les termes suivants (traduction d’extraits textuels) :

 

[1]  Comme je l’ai dit, et comme il est affirmé dans le papier bleu rempli par l’agent, l’aliment en question ressemble à des « friandises ». […] Étant donné qu’il ressemble à des friandises, j’ai dit à l’inspecteur qu’il s’agissait d’un aliment qui ressemblait à des « friandises ». […] L’agent a ajouté « bœuf (bœuf confit) », mais je n’étais pas d’accord. Je n’ai jamais mangé ou vu de telles choses. Et on ne pouvait pas dire si ces produits confits contenaient du bœuf ou du porc! Je n’en savais rien. D’après ce que je sais de l’industrie chinoise, et de la plupart des produits à base de viande fabriqués en Chine, si on avait été en mesure de le confirmer, je dirais que les produits en question étaient du porc, et non du bœuf. Actuellement, la plupart des produits à base de bœuf fabriqués en Chine sont importés des États-Unis ou du Canada! Il en est ainsi, car, traditionnellement, la Chine n’est pas un producteur de bœuf ou de viande d’agneau. Je ne sais donc pas si les preuves que l’agent a fournies à votre commission sont exactes. Il est clair que, dans sa déclaration, l’agent n’a pas livré un témoignage entièrement fiable.

 

Ajoutons qu’aux paragraphes 1 et 4 de la demande de révision qu’il a présentée , en date du 28 juillet 2012, M. Tao décrit comme suit les articles en question (traduction d’extraits textuels) :

 

 [1]  …[…] Étant donné que je n’avais pas touché aux paquets qui avaient été mis dans mes bagages par des membres de ma famille, sans que j’en sois averti, je n’avais pas la moindre idée de ce qu’ils contenaient avant que les sacs soient déchirés et ouverts […]

 

[…]

 

[4]  D’après moi, un type de viande n’est pas la même chose qu’un produit fait à base de viande. Je précise que l’emballage de ce produit et le produit lui-même ressemblent à une friandise (l’emballage étant du même type que les emballages de friandises). N’ayant aucune connaissance du domaine de l’importation, je ne peux vraiment pas dire où ce produit se situerait dans un catalogue.

 

[42]         En ce qui concerne les déclarations qui auraient été faites, l’Agence soutient que [traduction] « Lorsque l’inspecteur 17220 lui a demandé d’identifier le produit en question, M. Tao n’a pas hésité à répondre qu’il s’agissait de bœuf. » (« Réfutation des arguments du demandeur », paragraphe 12). Après examen des témoignages livrés par M. Tao et par l’Agence au sujet de ce qui s’était passé au moment où les marchandises en question ont été découvertes, voici les conclusions auxquelles parvient la Commission. Selon la Commission, il est raisonnable de conclure en ce qui concerne ce qu’aurait déclaré M. Tao, qu’il n’était pas certain quant à la matière ayant servi à fabriquer le produit en question, mais qu’il avait l’idée que le produit contenait de la viande, plutôt du porc que du bœuf. Cette conclusion semble raisonnable malgré les réserves qu’ait pu inspirer le comportement de M. Tao, notamment son comportement à l’égard de l’inspecteur de l’Agence, et les arguments écrits qu’il a ultérieurement présentés. L’opinion de M. Tao au sujet des produits en question sont indépendants de son désaccord avec l’Agence quant à qui aurait, le premier, parlé de friandise, et quant à savoir si M. Tao a cru que l’expression « viande confite » ou autre expression, pouvait être employée à l’égard de quelque chose qui n’aurait en fait pas été de la viande.

 

[43]         Compte tenu des témoignages livrés, la Commission estime qu’on ne peut pas raisonnablement conclure que M. Tao a reconnu explicitement que le produit en question était de la viande ou, plus particulièrement, du bœuf. La Commission estime que, compte tenu des circonstances, on peut tout au plus raisonnablement accorder, sur ce point, un poids égal au témoignage de l’Agence et à celui de M. Tao. En l’occurrence, M. Tao a raisonnablement mis en doute les aveux qu’on lui prêtait sur ce point.

 

[44]         Ainsi que nous l’avons vu plus haut, pour ce qui est des déclarations de M. Tao, la Commission doit prendre en compte les directives tant de la Cour d’appel fédérale, que de la Cour suprême. S’étant prononcée sur le caractère raisonnable du témoignage concernant les aveux prêtés à M. Tao, après avoir précisé la teneur des directives en question, la Commission estime ne pas avoir à aborder ici la question des effets combinés de ces directives.

 

 

Autres preuves et arguments pris en compte dans Tao (2013)

 

[45]         Il est, selon la Commission, raisonnable de conclure qu’il n’a pas été établi, selon la prépondérance des probabilités, que M. Tao a explicitement reconnu que les articles en question étaient à base de viande et, plus précisément, à base de bœuf. Si la Commission estimait pouvoir raisonnablement conclure que M. Tao avait explicitement reconnu qu’il s’agissait de viande, ou de bœuf, le poids à accorder à cet aveu explicite serait considéré comme une question à part. La Commission doit maintenant se pencher sur les autres preuves et arguments avancés par l’Agence afin de décider si, selon la prépondérance des probabilités, la nature des articles saisis ou les autres éléments constitutifs de la violation ont été établis.

 

[46]         Dans Tao (2013), les preuves et arguments avancés par l’Agence, et jugés pertinents par la Commission, se rapportaient aux preuves photographiques et aux preuves concernant la nature des articles représentés dans les photos. L’Agence a d’abord présenté deux photos admises par la Commission comme photographies des articles saisis. Selon la description que la Commission en donne dans Tao (2013), au paragraphe 36 :

 

[36]  […] La Commission accepte que l’inspecteur au numéro de matricule 17220 a pris ces photos. On y voit plusieurs sacs, dont un opaque, les autres étant faits de plastique à travers duquel on aperçoit le contenu, et chaque pièce est emballée individuellement. Un des sacs a apparemment été ouvert. Cependant, les photos ne fournissent aucune indication du contenu des divers produits. Sur aucun des emballages, le texte n’a été traduit et, à l’œil, les articles ressemblent à des friandises.

 

[47]         L’Agence a tenté d’établir la nature des articles saisis en obtenant sur Internet des photographies que la Commission a admises comme correspondant aux articles en question. La description du contenu est en chinois. L’Agence a versé au dossier des traductions faites à l’aide de Google  et d’autres traductions de source non précisée, sans rapport précis avec les photos obtenues sur Internet. La Commission a conclu que cela ne permettait pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, la nature des articles saisis. Le raisonnement et la conclusion de la Commission à cet égard se trouvent exposés aux paragraphes 41 à 43 de Tao (2013) :

 

[41]  La Commission accepte que les trois photos figurant à l’onglet 10 montrent des articles de mêmes types que ceux en possession de M. Tao au moment de l’inspection. La Commission accepte que les articles en possession de M. Tao au moment de l’inspection, sont représentés dans les photos figurant à l’onglet 6. La difficulté consiste à relier les traductions des contenus présumés des emballages aux contenus des emballages saisis à M. Tao. Pour ce qui est d’un des emballages, une traduction à l’aide de Google fournie en annexe décrit le produit comme étant « du bœuf/de la charque ». Une autre traduction de source inconnue, présentée comme étant « sans titre », fait état de « bœuf déchiqueté ». Quant au deuxième type d’emballage, il semble y avoir une traduction abrégée d’un texte chinois beaucoup plus détaillé, qui décrit le produit comme baignant dans une « bonne marinade à saveur de bœuf », mais nulle part il est précisé qu’il s’agit en fait de bœuf. Une fois de plus, la traduction est de source inconnue. Pour ce qui est du troisième type d’emballage, on a encore une fois produit ce qui semble une traduction abrégée d’un texte chinois beaucoup plus détaillé, dans laquelle le produit est décrit comment étant du « bœuf déchiqueté épicé » et de la « charque séchée » contenant « de la ronde de bœuf ». La source de la traduction n’est encore une fois pas précisée. L’Agence a choisi de ne pas traiter de ces documents dans ses arguments. L’Agence n’a pas fourni de preuve établissant un lien entre chacun des emballages et les traductions fournies. L’Agence n’a pas précisé la nature et la compétence des sources de traduction. Dans ces circonstances, la Commission est, sur le fondement de l’arrêt Doyon, strictement mise en garde contre la formulation de conclusions à partir de la preuve, ou l’établissement du bien-fondé des arguments de l’Agence.

 

[42]  La Commission signale aussi que les détails du contenu d’un emballage peuvent ne pas suffire à établir pour de bon le caractère illicite de l’article qu’il contient. En l’espèce, par exemple, même si la traduction du contenu du deuxième type d’emballage était acceptée, la formulation « bonne marinade à saveur de bœuf », sans plus, ne prouve pas que le produit contient du bœuf. La Commission a tiré des conclusions similaires dans Taylor c. Canada (ASFC), 2010 CRAC 32.

 

[43]  Compte tenu de la nature rigoureuse de l’examen de la preuve exigé par l’arrêt Doyon, la Commission juge que l’Agence n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en question contenait de la viande, et ce, en raison de la faiblesse de la preuve du contenu du produit. Cela posé, la Commission ne juge pas nécessaire d’examiner les autres arguments déposés par l’Agence ou par M. Tao.

 

[48]         Après réexamen des preuves photographiques produites par l’Agence, la Commission estime raisonnable de reprendre en l’espèce le raisonnement et la conclusion exposés dans Tao (2013).

 

[49]         Dans Tao (2013), la Commission a relevé que la conclusion voulant que les preuves photographiques produites n’aient pas permis d’établir, selon la prépondérance des probabilités, la nature des articles en question, ne préjuge aucunement des arguments avancés par l’Agence. Il en est ainsi parce que, en matière de saisie et de testage, l’Agence se voit reconnaître, par la loi, des pouvoirs considérables. L’opinion de la Commission sur ce point est exposée au paragraphe 44 de Tao (2013) :

 

[44]  L’Agence se fait rappeler qu’elle a le droit de saisir et de tester des articles qu’elle croit défendus d’importation sans certificat, après quoi un avis de violation peut être produit, tout dépendant des résultats des tests. Comme le précise l’alinéa 26(1)b) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire, dans le cas d’une violation grave, comme la violation ainsi caractérisée en l’espèce, l’Agence a deux ans pour produire l’avis de violation, à partir de la date à laquelle l’Agence, au nom du ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, prend connaissance de la prétendue violation. Dans le cas d’une violation mineure, l’Agence dispose de six mois pour émettre un avis de violation. Par conséquent, dans tous les cas de prétendue violation, l’Agence a amplement le temps de rassembler et soumettre sa preuve. L’Agence est encouragée à se prévaloir de ce droit, lorsque la nature de l’article n’est pas autrement facile à établir.

 

[50]         Les pouvoirs de l’Agence en matière de saisie et de rejet aux termes de la Loi sur la santé des animaux, sont exposés aux paragraphes 40, 42, 43 et 45 :

 

 L’inspecteur ou l’agent d’exécution peut saisir et retenir tout animal ou toute chose s’il a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont servi ou donné lieu à une infraction à la présente loi ou à une violation ou qu’ils serviront à la prouver.

 

42.  Dans les meilleurs délais, l'inspecteur ou l'agent d'exécution porte à la connaissance du propriétaire des biens – animaux ou choses – visés ou de la dernière personne à en avoir eu la possession, la responsabilité ou la charge des soins, les motifs de la saisie.

 

43. (1)  L’inspecteur ou l’agent d’exécution – ou la personne qu’il désigne – peut soit entreposer les biens saisis sur le lieu même de la saisie, soit les transférer dans un autre lieu ou ordonner à leur propriétaire ou à la dernière personne à en avoir eu la possession, la responsabilité ou la charge des soins de le faire.

 

[…]

 

(3)  L’inspecteur ou l’agent d’exécution qui les a saisis peut prendre toute mesure de disposition – notamment de destruction – à l’égard des biens retenus qui sont périssables; le produit de l’aliénation est versé au receveur général.

 

45. (1)  Sauf en cas de poursuite où elle peut se prolonger jusqu’à l’issue définitive de l’affaire, la rétention des biens saisis – ou du produit de leur aliénation – prend fin après la constatation, par l’inspection ou l’agent d’exécution, de leur conformité avec la présente loi et les règlements, soit à l’expiration d’un délai de cent quatre-vingt jours à compter de la date de la saisie ou du délai plus long fixé par règlement.

 

[51]         Donc, l’Agence aurait pu retenir jusqu’à six mois les articles saisis, afin d’en déterminer la composition. Après en avoir établi la composition, l’Agence avait alors jusqu’à deux ans pour émettre un avis de violation. L’Agence a choisi, après la saisie, d’ordonner la destruction des articles en question, précisant qu’on s’en est débarrassé dans un contenant de déchets internationaux, conformément aux détails consignés sur l’« Étiquette d’article intercepté » (Rapport, onglet 5; rapport résumant le témoignage qu’entendait livrer l’inspecteur; onglet 6, « Étiquette d’article intercepté »).

 

[52]         La Commission estime que ces circonstances illustrent bien la situation évoquée par la juge Abella au paragraphe 56 de l’arrêt Doré :

 

[56]  Ensuite, le décideur doit se demander comment protéger au mieux la valeur en jeu consacrée par la Charte compte tenu des objectifs visés par la loi. Cette réflexion constitue l’essence même de l’analyse de la proportionnalité et exige que le décideur mette en balance la gravité de l’atteinte à la valeur protégée par la Charte, d’une part, et les objectifs que vise la loi, d’autre part. C’est à cette étape que le rôle de la révision judiciaire visant à juger du caractère raisonnable de la décision s’apparente à celui de l’analyse effectuée dans le contexte de l’application du test de l’arrêt Oakes […]

 

Les objectifs visés par la Loi en l’occurrence ont été précisés par la Cour dans l’arrêt Tao, au paragraphe 14 :

 

[traduction]

[14]  La Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21, a pour effet de protéger le Canada de l’introduction de maladies animales étrangères en réglementant l’importation au Canada des produits et des sous-produits animaux et la façon dont ils sont importés.

 

La proportionnalité dont fait état la juge Abella se rapporte à la question de savoir si l’application par un organisme administratif des valeurs consacrées par la Charte gênerait déraisonnablement les objectifs visés par la Loi. Étant donné les pouvoirs de saisie accordés à l’Agence par la Loi sur la santé des animaux, et les délais que cette loi prévoit pour la délivrance d’un avis de violation, l’application des valeurs consacrées par la Charte susceptibles de jouer dans l’intérêt d’un contrevenant présumé, ne semble pas devoir gêner déraisonnablement la réalisation des objectifs visés par la Loi sur la santé des animaux. Compte tenu des autres fondements de la décision de la Commission, il n’y a pas lieu de s’étendre sur ces conclusions.

 

 

Autres preuves et arguments dont il n’a pas été tenu compte dans Tao (2013)

 

[53]         Dans Tao 2013, la Commission a estimé être à même de se prononcer au vu de ce qu’elle estimait être des conclusions raisonnables concernant les aveux prêtés à M. Tao et les preuves photographiques, sans prendre en compte d’autres arguments avancés par les parties. Ainsi, au paragraphe 43 de Tao (2013), la Commission a conclu en ces termes :

 

[43]  Compte tenu de la nature rigoureuse de l’examen de la preuve exigé par l’arrêt Doyon, la Commission juge que l’Agence n’a pas réussi à établir, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en question contenait de la viande, et ce, en raison de la faiblesse de la preuve du contenu du produit. Cela posé, la Commission ne juge pas nécessaire d’examiner les autres arguments déposés par l’Agence ou par M. Tao.

 

Compte tenu du réexamen des éléments de preuve et des arguments prescrit par la Cour d’appel fédérale, la Commission estime devoir, avant de parvenir à une conclusion, se pencher sur les preuves et arguments qui n’avaient pas été pris en compte dans Tao (2013).

 

 

(a)             Pourquoi M. Tao a été soumis à une inspection secondaire

 

[54]         Dans Tao 2013, la Commission relève un désaccord entre l’Agence et M. Tao quant aux raisons pour lesquelles celui-ci aurait été soumis à une inspection secondaire. La question est exposée en ces termes par la Commission au paragraphe 30 de Tao (2013) :

 

[30]  La Commission rappelle à l’Agence qu’un sommaire de dossier ne constitue pas une preuve. L’exposé des faits contenus dans le Rapport fait valoir que M. Tao a été dirigé vers la ligne d’inspection secondaire parce qu’il avait déclaré avoir acheté ou reçu des marchandises, à l’étranger, d’une valeur de 1 000 $, et qu’il devait donc se rendre à la ligne d’inspection secondaire pour acquitter des droits et des taxes sur la somme excédant son exemption de 750 $. La Carte de déclaration fait mention du montant de 1 000 $, mais aucune preuve directe provenant de l’une ou l’autre des parties à l’inspection ne démontre que c’est la raison pour laquelle M. Tao a été dirigé vers la ligne d’inspection secondaire. M. Tao conteste vigoureusement cette déclaration, indiquant plutôt que, selon lui, il a été dirigé vers la ligne d’inspection secondaire parce qu’il avait acheté divers médicaments chinois. Aucune preuve provenant de l’Agence ou de M. Tao ne démontre qu’il a acquitté des droits ou des taxes sur la somme excédentaire déclarée.

 

[55]         La raison ayant porté l’Agence à soumettre M. Tao à une inspection secondaire est exposée en ces termes, dans le Rapport de l’Agence, sous la rubrique « Exposé des faits » :

 

[traduction]

M. Tao a également déclaré avoir, alors qu’il se trouvait à l’étranger, acheté ou reçu des marchandises, y compris des cadeaux, de l’alcool et du tabac, d’une valeur de 1 000 $. L’inspecteur primaire a envoyé M. Tao au poste d’inspection secondaire pour qu’il acquitte les droits de douane et les taxes sur le dépassement de son exemption de 750 $.

 

[56]         Voici en quels termes (Observations du 30 octobre 2012, paragraphe 2), M. Tao conteste vigoureusement les faits exposés dans le Rapport de l’Agence. (Traduction d’un extrait textuel, avec accentuation par M. Tao) :

 

Cette histoire est une totale invention. Je n’ai jamais déclaré, acheté ou reçu en cadeau à l’étranger de l’alcool et du tabac, que j’aurais introduit ce jour-là au Canada à ce poste-frontière. Il est, dans ce document, fait état d’alcool et de tabac, mais je n’en ai moi-même pas déclaré! Ce type de produit n’a donné lieu au paiement d’aucune taxe. On ne m’a, en outre, jamais demandé d’acquitter un droit de douane ou une taxe, en raison du dépassement de mon exemption de 750 $, contrairement à ce qu’affirme l’agent. Je ne comprends pas du tout d’où est sortie cette histoire. Je demande que l’on examine attentivement les preuves de cette allégation. Si j’ai été dirigé vers le poste d’examen secondaire, c’est parce que j’ai déclaré avoir acheté un certain nombre de médicaments. Dans sa déclaration modifiée, l’agent raconte à nouveau des histoires.

 

[57]         Dans Tao (2013), la Commission ne pousse pas plus loin son examen de ce désaccord entre M. Tao et l’Agence au sujet des faits. La Commission a, implicitement, considéré que les raisons ayant porté à soumettre M. Tao à une inspection secondaire, n’était d’aucune pertinence en ce qui concerne les autres questions en cause. La Commission maintient cet avis dans le cadre de la révision actuelle. Le renvoi à une inspection secondaire relève du pouvoir discrétionnaire de l’inspecteur primaire. La Commission estime ne pas être compétente pour contester une mesure discrétionnaire prise par un représentant de l’Agence (Williams c. Canada (ASFC), 2011 CRAC 19, au paragraphe 30), à condition qu’il y ait effectivement eu exercice d’un pouvoir discrétionnaire (Bougachouch c. Canada (ASFC), 2013 CRAC 20, aux paragraphes 31 et 32; Tam c. Canada (ASFC), 2013 CRAC 41, aux paragraphes 7 à 15) et que ce pouvoir ait été exercé de bonne foi (Eustergerling c. Canada (ASFC), 2012 CRAC 19, aux paragraphes 41 à 45). À moins que ne soient établies la mauvaise foi, ou l’absence de pouvoir discrétionnaire, les raisons ayant motivé une inspection secondaire échappent aux compétences de la Cour. Sur ce point, un raisonnement plus circonstancié est avancé dans l’arrêt Attaran c. Canada (Affaires étrangères), 2011 CAF 182, où, aux paragraphes 17 et 18, la juge Dawson, se prononçant au nom de la Cour, s’exprime en ces termes :

 

[17]  Pour reprendre les termes de la Cour suprême dans l’arrêt Criminal Lawyers’ Association [Ontario (Public Safety and Security) c. The Criminal Lawyers’ Association[2010] 1 R.C.S. 815], au paragraphe 46, un pouvoir discrétionnaire conféré par une loi doit être exercé en conformité avec les objectifs sous-jacents à son octroi. Cette affirmation est compatible avec l’arrêt Telezone [343091 Canada Inc. c. Canada (Ministre d’Industrie),  [2002] 1 C.F. 421] dans lequel notre Cour a déclaré, au paragraphe 47, « lorsque la Loi confère au responsable d’une institution fédérale le pouvoir discrétionnaire de refuser de communiquer un document visé par une exception, la légalité de l’exercice de ce pouvoir doit faire l’objet d’un examen s’appuyant sur les motifs qui permettent normalement, en droit administratif, de revoir l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire administratif, notamment le caractère déraisonnable ». Un des motifs de révision d’une décision administrative vise le pouvoir discrétionnaire, qui doit être exercé conformément aux limites imposées dans la loi (voir l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 56). Ainsi, les parties ne contestent pas que notre Cour peut intervenir si l’intimé n’a pas pris en compte l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

[18]  Si la Cour est convaincue que le pouvoir discrétionnaire a été exercé, la deuxième question consiste à voir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon raisonnable.

 

Ajoutons que, sur ce point, les principes généraux ont été dégagés par la Cour suprême dans Maple Lodge Farms c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2. Selon le juge McIntyre, aux pages 7 et 8 de l’arrêt :

 

 C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi, et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

 

[58]         Compte tenu des circonstances en l’espèce, la Commission estime superflu de se pencher plus avant sur le désaccord opposant M. Tao à l’Agence quant aux raisons qui ont porté à soumettre M. Tao à une inspection secondaire.

 

 

(b)            Les arguments avancés par M. Tao, qui fait valoir que les photos versées au dossier par l’Agence ne représentent pas les articles saisis, et qu’il n’en est pas correctement rendu compte dans l’avis de violation.

 

[59]         Étant donné les arguments versés au dossier, dans Tao (2013) la Commission a implicitement pris en compte, sans toutefois l’évoquer explicitement, l’argument de M. Tao voulant que les photographies produites par l’Agence ne représentent pas, du moins complètement, les articles saisis. Au paragraphe 22 de l’arrêt Tao, la Cour d’appel a relevé que M. Tao n’avait pas présenté de mémoire des faits et du droit, mais avait déposé un avis de comparution et développé devant la Cour un argument allant dans le même sens :

 

[traduction]

[22]  […] [M. Tao] affirme que l’ASFC n’a pas produit de preuves suffisantes de la violation en cause. Dans les observations orales développées devant la Cour, M. Tao a demandé à la Cour de confirmer la décision de la Commission, mettant en doute l’authenticité des preuves photographiques présentées par l’ASFC.

 

[60]         Dans Tao (2013), la conclusion à laquelle la Commission est parvenue quant au caractère représentatif des photos en question découlait implicitement du poids qu’elle avait accordé aux divers éléments de preuve. Son raisonnement et les conclusions auxquelles elle est parvenue sur ce point figurent aux alinéas 28g), 29l) ainsi qu’au paragraphe 41 de Tao (2013) :

 

28(g)  L’inspecteur a pris des photos des articles, qui ont par la suite été placés dans un contenant de déchets internationaux, conformément au Règlement (Rapport, onglet 5; Rapport « Prêt à témoigner »  de l’inspecteur; onglet 6, Étiquette pour marchandises interceptées décrites comme étant du « bœuf (bœuf confit) », et photo de l’Étiquette). [Tao (2013), « Arguments et preuve produits par l’Agence»]

 

29(l)  La preuve photographique sur laquelle l’Agence se fonde ne correspond pas à des photos des produits trouvés dans les bagages de M. Tao (lettre du 21 septembre 2012, page 1; lettre du 30 octobre 2012, pages 1 et 2). [Tao (2013) « Arguments et preuve produits par le demandeur »]

 

[41]  La Commission accepte que les articles, en possession de M. Tao au moment de l’inspection, sont représentés dans les photos figurant à l’onglet 6…

 

[61]         Dans le cadre de ce réexamen des preuves produites, les arguments détaillés avancés par M. Tao, s’ajoutant à la mise en doute par M. Tao devant la Cour de « l’authenticité des preuves photographiques » sont exposés ci-dessous (traduction d’extraits textuels; accentuation par M. Tao) :

 

Les preuves sont fausses. Les paquets de nourriture représentés dans les photos ne m’appartiennent pas.

 

[…] Les articles en cause pesaient environ une livre et se trouvaient dans un sac en plastique transparent! Pourquoi n’est-ce pas comme cela dans les photos? C’était très certainement emballé avec un petit morceau de nourriture qui ressemblait à une friandise dans un simple sac blanc sur lequel ne figurait aucun texte, ni aucune photo. […] Je ne sais vraiment pas pourquoi l’agent fait état de produits différents de ceux que j’avais apportés! Je peux dire, avec une certitude absolue, que certains de ces objets ne correspondent pas aux produits que j’avais présentés à l’inspecteur. Ainsi, toutes les preuves produites par l’agent pour accompagner sa réponse sont fausses et inacceptables. [Observations du 21 septembre 2012, paragraphe 1]

 

En ce qui concerne l’onglet 6 de ce qu’a communiqué l’agent […] l’étiquette de renseignement « B 03343 » montre clairement et explicitement que la marchandise saisie consiste en un seul article et en rien d’autre. L’agent a, sur cette étiquette, décrit la marchandise comme étant du [traduction] « Bœuf (bœuf confit) ». Il a en outre correctement inscrit 0,5 kg, pour le poids. Mais, dans les photos qui sont jointes, on voit cinq articles qui ne sont pas déclarés et inscrits sur l’étiquette. Ils ne correspondent en rien à l’étiquette, ni quant au poids, ni quant à la forme ou au modèle. Ainsi que je l’ai déjà dit, la marchandise saisie par l’agent se trouvait dans un simple sac en plastique blanc ne comportant aucune image publicitaire, ni aucune description. L’article pesait effectivement 0,5 kg, comme l’indique l’étiquette. L’agent a ainsi produit à l’appui des allégations qu’il a formulées contre moi des preuves qui ne correspondent pas à la réalité, et des articles qui ne sont pas les bons. Les preuves produites ne correspondent pas aux indications qu’il avait consignées et que l’on peut voir ici écrites de sa main

[Observations du 30 octobre 2012, paragraphe 1]

 

[62]         Contredisant les affirmations de M. Tao, l’Agence a produit une déclaration signée de l’inspecteur, dans laquelle ce dernier affirme avoir « pris les photos des articles soumis à réglementation ». Les photos, versées au Rapport de l’Agence, sont revêtues du numéro de l’avis de violation délivré à l’encontre de M. Tao. Cette déclaration porte la date du 10 juillet 2012, c’est-à-dire la même date que l’avis de violation. Le fait qu’une déclaration écrite porte la même date que l’avis de violation renforce sa crédibilité, et peut également influer sur le poids accordé aux témoignages subséquents. Ainsi, en ce qui concerne le poids relatif accordé à des notes consignées le même jour, et à un affidavit rédigé ultérieurement, dans Alam c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2004 CF 182, la juge Mactavish s’exprime en ces termes au paragraphe 19 :

 

[19]  J’ai examiné les notes du STIDI de l’agente des visas. Ces notes sont appuyées par un affidavit de l’agente qui explique, en donnant beaucoup de détails, le raisonnement qu’elle a suivi quand elle a refusé d’accorder la demande. Il ressort de l'affidavit qu'au moment où l'agente l'a signé, elle se souvenait encore très bien de son entrevue avec M. Alam. Cependant, l'affidavit a été signé plusieurs mois après l'entrevue, probablement quand l'agente a constaté que sa décision était contestée. Dans les circonstances, je préfère m'en tenir essentiellement aux motifs exprimés dans les notes du STIDI et de n'accorder que très peu de poids à l'explication fournie par l'agente après coup.

 

[63]         La Commission a déjà eu l’occasion de rappeler qu’il doit exister un lien entre les photos présentées par l’Agence et les circonstances entourant la violation alléguée : Mak c. Canada (ASFC), 2013 CRAC 11, au paragraphe 57; Yan c. Canada (ASFC), 2013 CRAC 26 au paragraphe 59. L’Agence est tenue d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que les photos qu’elle verse au dossier représentent effectivement les articles saisis. Selon la Commission, un tel lien a été établi en l’espèce par la déclaration d’un inspecteur de l’Agence, signée par lui le jour même de la saisie, et précisant que les photos correspondent effectivement aux marchandises visées dans l’avis de violation.

 

[64]         Dans l’une des deux photos, on voit un sac blanc semblable à celui décrit par M. Tao. La Commission estime raisonnable de conclure que les articles en question avaient été retirés du sac blanc, plus grand, à côté duquel ils ont été placés avant d’être photographiés. Selon la Commission, M. Tao fait essentiellement valoir que les produits saisis doivent, dans l’avis de violation, faire l’objet d’une description détaillée correspondant à ce que l’on voit dans les photos. La Commission estime que M. Tao n’est pas fondé à avancer un tel argument.

 

[65]         La Commission relève qu’à la colonne 2 de l’article 79 de la section 2, de l’annexe 1 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, DORS/2000‑18, la violation de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux, qui figure à la colonne 1, est décrite de la manière suivante : « Importer un sous‑produit animal sans se conformer aux exigences prévues ». Ce sommaire est autorisé à l’article 3 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire :

 

3.  Les sommaires figurant à la colonne 2 de l’annexe 1 sont établis pour caractériser, dans un procès-verbal, la violation de la disposition correspondante figurant à la colonne 1 de la même annexe.

 

Dans Finley Transport c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 42, au paragraphe 24, la Commission a estimé que l’emploi de tels sommaires est obligatoire et non facultatif, précisant que la demanderesse peut néanmoins faire valoir que si le sommaire ne reprend pas les éléments constitutifs de la violation, « il est porté préjudice au moyen de défense sur lequel elle entendait initialement se fonder. » La Commission ayant conclu précédemment que l’Agence n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en question contenait de la viande, que ce soit du bœuf ou du porc, il n’y a pas lieu de se demander si la présence de viande de porc, plutôt que de viande de bœuf, ne serait pas un élément essentiel de la violation.

 

[66]         Après examen des témoignages de l’inspecteur de l’Agence et de M. Tao, la Commission estime que, selon la prépondérance des probabilités, les photos produites par l’Agence représentent bien les articles trouvés en la possession de M. Tao, et saisis.

 

 

(c)             Lors de l’inspection primaire, M. Tao aurait fait une déclaration orale qui aurait dû être acceptée, mais qui n’a pas été prise en compte

 

[67]         M. Tao affirme avoir tenté de faire une déclaration orale, mais que ses efforts en ce sens ont été contrecarrés ou ignorés. Selon M. Tao, ses efforts en vue de faire une déclaration orale auraient dû être considérés comme l’équivalent d’une déclaration écrite. Voici en quels termes M. Tao fait valoir ses arguments (traduction d’extraits textuels).

 

Demande de révision, en date du 28 juillet 2012 :

 

Cette allégation ne correspond pas à la réalité, car j’avais déclaré en présence de l’agent que je n’importais pas un « sous-produit animal » […]

(Paragraphe 1)

 

Étant donné la presse autour du comptoir (de nombreuses personnes avaient hâte d’en finir avec l’inspection), je n’ai pas eu le temps de vérifier mes bagages pour voir tout ce qui s’y trouvait. J’ai voulu faire une déclaration orale, mais l’agent s’est montré impatient envers un passager comme moi.

(Paragraphe 2)

 

J’ai déclaré oralement et à plusieurs reprises à l’agent que je préférais retirer de mes bagages et détruire avant de passer la frontière toute marchandise que je ne serais pas autorisé à importer. Or, l’agent a complètement ignoré ma déclaration orale.

(Paragraphe 3)

 

J’estime que, selon la loi, une déclaration orale a le même effet qu’une déclaration écrite. J’estime qu’il serait juste de permettre à un passager comme moi qui en fait la demande de faire une déclaration complémentaire avant de passer l’inspection […]

(Paragraphe 5)

 

Observations du 21 septembre 2012 :

 

[…] Et, enfin, j’ai fait diligence afin d’éviter de commettre une violation, en posant à l’agent la question pertinente, avant de remplir la déclaration, demandant à me débarrasser des produits en question avant de franchir la frontière et de remplir correctement la Carte de déclaration. La violation qu’ils m’ont imputée est donc injuste et dénuée de fondement.

(Paragraphe 3)

 

[68]         L’Agence affirme en réponse que la presse autour du comptoir d’inspection n’empêchait pas M. Tao de déclarer les produits en question, comme il était tenu de le faire :

 

[TRADUCTION]

 

M. Tao affirme ne pas avoir eu le temps de vérifier ce qui se trouvait dans son bagage à main avant de se présenter à l’inspection primaire, et qu’il préférait détruire les marchandises qu’il n’était pas censé introduire au Canada. Il a expliqué qu’il y avait une ruée sur le comptoir d’inspection.

(Rapport de l’Agence, paragraphe 9, « Réfutation des arguments du demandeur »)

 

L’intimée fait valoir que le paragraphe 16(1) de la Loi sur la santé des animaux oblige toute personne important au Canada un produit ou sous‑produit d’animaux à le présenter à un inspecteur ou à un agent des douanes.

(Rapport de l’Agence, paragraphe 12, « Réfutation des arguments du demandeur »)

 

M. Tao fait valoir qu’en raison de la précipitation, il n’a pas eu le temps de vérifier le contenu de son sac et qu’il a un peu plus tard essayé de faire une déclaration complémentaire avant que l’inspecteur 17220 ne lui impose une amende.

 

L’intimée fait valoir que M. Tao a eu l’occasion de faire une déclaration écrite sur le formulaire E311, qu’il a eu après cela une deuxième occasion de déclarer ses marchandises au comptoir de devant, et qu’à une troisième occasion, M. Tao n’a eu rien à déclarer à l’inspecteur 17220 qui, lors de l’examen des bagages de M. Tao, a trouvé les marchandises en question.

(Rapport de l’Agence, paragraphe 15, « Réfutation des arguments du demandeur »)

 

[69]         La Commission fait droit à la réfutation de l’Agence. Dans Tao (2013), au paragraphe 32, la Commission cite en référence le paragraphe 5(3) du Règlement sur la déclaration des marchandises importées (DORS/86-873), qui prévoit que :

 

5. (3)  Les marchandises importées par des personnes arrivant au Canada à bord d’un moyen de transport commercial autre qu’un autobus doivent être déclarées par écrit.

 

C’est dire que le Règlement exige une déclaration écrite. Ajoutons que, comme le rappelle l’Agence, le paragraphe 16(1) de la Loi sur la santé des animaux exige que tout produit ou sous-produit animal soit présenté aux fins d’inspection. De plus, comme la Cour d’appel fédérale le précise aux paragraphes 18 et 19 de l’arrêt Tao, rectifiant par là même le fait que la Commission n’avait, à tort, pas cité les articles 12 et 13 de la Loi sur les douanes, il y a également obligation de déclarer toute importation de marchandises et l’obligation de a) répondre de manière véridique à toute question posée par un agent au sujet des marchandises et b) à la demande d’un agent, de présenter ces marchandises, en retirant l’emballage et en ouvrant le paquet.

 

[70]         Interprétées conjointement, les dispositions de la Loi sur la santé des animaux, de la Loi sur les douanes et du Règlement sur la déclaration des marchandises importées ne permettaient pas à M. Tao de se contenter de déclarer oralement « Je n’ai aucune intention d’importer des marchandises non autorisées », même à supposer qu’une déclaration orale puisse jamais être considérée comme l’équivalent d’une déclaration écrite, question sur laquelle il n’y a pas lieu de se prononcer en l’espèce. Dans Savoie‑Forgeot c. Canada (ASFC), 2013 CRAC 7 (« Savoie‑Forgeot [2013] ») une agente de bord au courant des exigences réglementaires régissant les importations de marchandises présenta un reçu visant plusieurs articles importés, ces articles n’ayant cependant pas été détaillés dans sa Carte de déclaration. Elle avait néanmoins coché « Oui » à la case de la Carte de déclaration demandant si elle apportait au Canada « Viande ou produit à base de viande; produits laitiers; fruits, légumes, semences; noix; plantes et animaux, parties d’animaux; fleurs coupées; terre; bois ou produits du bois; oiseaux; insectes ». L’inspecteur primaire remplaça sa réponse par « Non ». Lors de l’inspection secondaire, on trouva en la possession de Mme Forgeot des conserves de produits à base de viande. Un avis de violation lui fut délivré, bien que les articles en question aient été détaillés dans le reçu qu’elle avait présenté avec sa Carte de déclaration lors de l’inspection primaire. Voici en quels termes la Commission s’est exprimée à l’alinéa 16 (iii) de sa décision :

 

16 iii.  Suite à l’inspection primaire, Mme Forgeot s’est rendue à l’inspection secondaire avec sa facture afin de payer les taxes sur son vin et de passer à l’inspection de ses valises. Lorsque l’agente secondaire lui a demandé ce qu’elle avait à déclarer, Mme Forgeot a répondu qu’elle avait du vin, ainsi que d’autres produits dont des boîtes de conserve et du pain. Elle a témoigné qu’en tant qu’agente de bord, elle connaissait les produits dont elle n’avait pas le droit d’importer, comme le lait, le beurre, le fromage de chèvre, les viandes fraîches et la charcuterie. En contre-interrogatoire, Mme Forgeot a précisé que lors de l’inspection primaire, elle a déclaré avoir du fromage, une salade, des boîtes de conserve, du pain et qu’elle a énuméré ce qui se trouvait sur sa facture. À l’inspection secondaire, elle a déclaré avoir des bouteilles de vin, des boîtes de conserve, du pain, et qu’elle a ensuite ouvert sa valise pour permettre à l’agente secondaire de vérifier le contenu. Elle a fait valoir qu’il y avait eu erreur de communication entre l’agente primaire et l’agente secondaire quant à ce qu’elle avait déclaré lors de la première inspection et qu’elle n’avait pas répondu à la question de l’agente primaire, à savoir qu’elle ramenait que du fromage.

 

[71]         Dans Savoie‑Forgeot (2013), la Commission a conclu que, compte tenu des circonstances, la voyageuse avait en fait déclaré tous les articles en question lors de la première inspection et que, selon ce que la Commission considérait être une interprétation raisonnable des dispositions législatives applicables, l’Agence était tenue d’accorder à la voyageuse l’occasion de justifier l’importation des articles en cause. Voici, tel qu’exposé aux paragraphes 25, 34 et 35 de sa décision, le raisonnement adopté par la Commission :

 

[25]  Par conséquent, il incombe à l’Agence de prouver, selon la prépondérance des probabilités, tous les éléments de la violation qui servent de fondement au procès-verbal. Lorsqu’il s’agit d’une violation de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux, l’Agence doit prouver que :

 

                                 i.            Mme Forgeot est la personne qui a commis la violation;

 

                               ii.            Mme Forgeot est entrée au Canada ayant en sa possession un sous-produit d’origine animale, en l’occurrence, deux boîtes de conserve contenant de la viande;

 

                             iii.            si Mme Forgeot avait réellement en sa possession des produits de viande lorsqu’elle est entrée au Canada, que les agents des douanes ont donné à Mme Forgeot une occasion raisonnable de montrer que l’importation a été faite conformément à la Partie IV du Règlement sur la santé des animaux.

 

[34]  Dans ces circonstances, les éléments de preuve fournis par l’Agence et par Mme Forgeot à cet égard, ne suffisent pas à convaincre la Commission sur la prépondérance des probabilités à savoir que les agents des douanes ont donné à Mme Forgeot une occasion raisonnable de montrer qu’elle importait des produits de viande. La preuve fournie par Mme Forgeot et par l’Agence démontre que Mme Forgeot a coché « oui » à la question à savoir si elle rapportait au Canada les produits suivants : « viande ou produits à base de viande; produits laitiers; fruits; légumes; semences; noix; plantes et animaux, parties d’animaux; fleurs coupées; terre; bois ou produits du bois; oiseaux; insectes ». [Sic pour l’ensemble de la citation de la carte de déclaration E311].

 

[35]  La Commission accepte le témoignage de Mme Forgeot, qui n’est pas contredit par l’Agence, et qui stipule qu’elle a dit à l’agente primaire qu’elle avait des choses à déclarer, qu’elle lui a ensuite présenté sa facture, et que c’est l’agente qui avait changé sa déclaration (sur sa carte E311) de « oui » à « non ». La Commission est d’avis que ce changement par le personnel de l’Agence ne supporte pas l’argument de l’Agence à savoir que Mme Forgeot n’avait pas déclaré sa nourriture, incluant les produits d’origine animale. Dans les faits, cette déclaration n’a pas été faite par Mme Forgeot. Plutôt que de lui demander d’expliquer en détail la nature des produits qu’elle avait déclarés sur sa facture, l’agente primaire a coché sur la carte de déclaration qu’elle n’en avait pas et la deuxième agente, qui a fouillé les bagages de Mme Forgeot, lui a remis un avis de violation pour les produits qu’elle avait bien déclarés en premier lieu. Par conséquent, la Commission conclut de fait que, sur sa carte de déclaration, la réponse de Mme Forgeot indiquait qu’elle avait les produits de types suivants : « viande ou produits à base de viande; produits laitiers; fruits; légumes; semences; noix; plantes et animaux, parties d’animaux; fleurs coupées; terre; bois ou produits du bois; oiseaux; insectes ». Par conséquent, l’Agence avait une obligation de préciser davantage et plus soigneusement auprès de Mme Forgeot quant à ce qu’elle avait en sa possession au point d’entrée au Canada.

 

[72]         Dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Savoie-Forgeot, 2014 CAF 26, la Cour d’appel fédérale, lors du contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission dans Savoie‑Forgeot (2013), a décidé que, selon une interprétation correcte de la Loi sur la santé des animaux et de son règlement d’application, quelle que soit la norme de contrôle appliquée, la Loi n’imposait à l’Agence aucune obligation d’accorder à la voyageuse l’occasion de justifier son importation des articles en cause. Aux paragraphes 13 et 26 de l’arrêt (accentuation ajoutée), la juge Trudel conclut en les termes suivants :

 

[13]  La Cour doit, en l’espèce, préciser le critère juridique qu’il convient d’appliquer lorsqu’il est allégué qu’une personne a violé le paragraphe 40 du Règlement. À mon humble avis, une interprétation juste de la Loi sur la santé des animaux et de son Règlement n’autorise pas l’interprétation qu’en donne la Commission, peu importe la norme de contrôle retenue pour en faire l’analyse

 

...

 

[26]  Je conclus donc que la Commission a commis une erreur d’interprétation de l’article 40 du Règlement. Cette disposition n’impose pas à l’ASFC l’obligation de démontrer que ses agents ont fourni à Mme Savoie‑Forgeot une « occasion raisonnable […] de montrer que l’importation a été faite conformément à la Partie IV du Règlement sur la santé des animaux » (motifs, au paragraphe 25). Il incombe à la personne introduisant des sous-produits animaux au Canada de déclarer tout ce qu’elle ramène au pays. La question qu’aurait dû poser la Commission est simplement celle de savoir si, en se fondant sur les faits en l’espèce, Mme Savoie‑Forgeot a déclaré les articles en sa possession, ceux-ci étant disponibles en vue de leur inspection. Dans l’affirmative, elle n’aurait pas violé les dispositions de l’article 40 du Règlement étant donné qu’elle aurait permis que les articles soient inspectés et qu’ils soient confisqués s’ils posaient un risque de propagation de maladies. Si toutefois elle n’avait pas déclaré ces articles, elle aurait violé l’article 40 étant donné qu’elle a été trouvée en possession d’articles illicites et qu’elle ne les a pas volontairement rendus disponibles en vue de leur inspection.

 

[73]         Si tant est que la loi ait prévu un certain nombre de justifications, c’est à la voyageuse qu’il appartenait de les invoquer en même temps qu’elle présentait les marchandises en cause à l’inspection. Aux paragraphes 17 (accentuation ajoutée) et 18, la Cour expose le raisonnement qu’elle a adopté en ce qui concerne les procédures à suivre lors des inspections primaires et secondaires, lorsqu’il s’agit de décider si les marchandises en cause ont effectivement été importées :

 

[17]  Le terme « importer » n’est pas défini dans la Loi sur la santé des animaux ni dans son Règlement. Une interprétation téléologique et contextuelle de l’article 40 du Règlement nous permet d’avancer que même si le processus d’importation d’un sous-produit animal a pu être amorcé par l’introduction de ce sous-produit en sol canadien, le processus n’a pas été complété à ce stade. À son arrivée au Canada, une personne a l’obligation de déclarer les articles qu’elle a en sa possession, conformément à l’article 12 de la Loi sur les douanes. Elle a aussi l’obligation, soit avant soit au moment de l’importation, de présenter en vue de leur inspection, les sous-produits animaux à un inspecteur, à un agent d’exécution ou à un agent des douanes, conformément à l’article 16 de la Loi sur la santé des animaux. Si un inspecteur ou un agent détermine que le sous-produit ne pose pas de risque de propagation de maladies ou que la personne présente un certificat attestant le pays d’origine de ces produits et leur sécurité, l’importation est alors permise, conformément aux paragraphes 41(1) et 41.1(1) du Règlement. Le processus d’importation du sous-produit sera à ce stade complété et les personnes concernées sont alors libres de quitter la zone d’inspection avec ces articles. Toutefois, si le sous‑produit présente un risque de propagation de maladies ou s’il est inadmissible à l’importation, pour quelque motif que ce soit, l’inspecteur ou l’agent ordonnera qu’il soit confisqué ou renvoyé à l’étranger, conformément aux paragraphes 17 ou 18 de la Loi sur la santé des animaux. À ce stade, l’importation de ces produits serait interrompue vu qu’aucune autre tentative d’introduction de ces articles au Canada ne serait permise.

 

[18]  Il s’ensuit que, dans les cas où une personne déclare qu’elle a en sa possession des sous-produits animaux et les rend accessibles pour une inspection, il ne faudrait pas conclure qu’elle a violé l’article 40 du Règlement. Même si lors d’une inspection il s’avère qu’elle a en sa possession des sous‑produits animaux qui ne rencontrent pas les exceptions prévues à la Partie IV du Règlement, elle n’a pas encore complété le processus d’importation de ces sous-produits au Canada.

 

[74]         Dans Savoie‑Forgeot (2013), les marchandises en cause avaient été détaillées par la voyageuse puisqu’elles figuraient sur le reçu qu’elle avait présenté. Or, en l’espèce, on ne dispose guère que des déclarations de caractère général faites à l’inspecteur par M. Tao, selon lesquelles il ne souhaitait importer rien qui ne devait pas l’être, et préférait jeter tout article dont l’importation était interdite. Contrairement, cependant, à ce qu’il en était dans Savoie‑Forgeot (2013), où la voyageuse avait répondu « Oui » à la question qui lui était posée sur la Carte de déclaration, M. Tao a, en l’occurrence, répondu « Non ». À supposer qu’il n’ait pas été sûr que c’était la bonne réponse, il avait la possibilité, lors de l’inspection primaire, d’ouvrir ses bagages à main, et de présenter les articles en question à l’inspecteur. Au lieu de procéder ainsi, il s’est rendu au poste d’inspection secondaire, où il a encore une fois déclaré ne pas souhaiter importer des articles dont l’importation était interdite. Mais c’est alors, suite à une inspection secondaire, que furent découvertes les marchandises visées par l’avis de violation. Or, selon la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Savoie‑Forgeot, une déclaration faite lors de l’inspection secondaire n’est pas considérée avoir été faite en temps utile :

 

[25]  Il convient de souligner que la divulgation de marchandises et la démarche visant à les rendre disponibles en vue de leur inspection devraient être effectuées au premier contact avec les représentants des douanes, et non ultérieurement, lorsqu’une fouille semble imminente ou qu’elle est en cours. Il n’est pas permis à un voyageur de jouer sur ses chances de ne pas être dirigé vers un poste de fouille secondaire et de déclarer des produits seulement s’il semble évident qu’ils seront découverts à la suite d’une fouille […]

 

 

(d)            M. Tao ne comprenait pas en quoi consistaient les restrictions à l’importation, et il n’a eu aucune possibilité raisonnable de s’en informer

 

[75]         M. Tao soutient qu’il aurait dû être informé de toute restriction à l’importation. Voici les arguments qu’il fait valoir (traduction d’extraits textuels de son témoignage. C’est M. Tao lui-même qui souligne) :

 

[traduction]

[…] J’estime que, si l’on me considère comme l’importateur, je suis en droit de savoir quelles sont les exigences que la loi impose aux importations. Je ne suis manifestement pas en tort si j’ai demandé ces renseignements, mais que l’on ne m’a pas fourni les indications et les explications nécessaires touchant les « exigences prescrites » en matière d’« importation ».

(Demande de révision, 28 juillet 2012, paragraphe 4)

 

Concernant les renseignements pertinents à l’intention des touristes se présentant à la frontière canadienne

 

Dans sa déclaration, l’agent affirme que les renseignements pertinents sont fournis de manière complète aux touristes se présentant à la frontière. Or, en tant que touriste, on m’a simplement remis, avant mon arrivée à la frontière, une Carte de déclaration, et la première fois que j’ai vu la brochure, c’est lorsqu’elle était jointe à la déclaration de l’agent. J’estime que des renseignements complets devraient être fournis à l’aéroport ou au poste‑frontière. Or, à bord de l’avion, je n’ai eu connaissance d’aucun renseignement détaillé concernant les formalités douanières. Une fois l’avion atterri, chacun se presse pour ramasser ses bagages et personne n’a vraiment le loisir de consulter l’Internet afin de se renseigner, ou d’étudier les brochures. Cela étant, les touristes ont du mal à s’informer, même si, comme l’affirme l’agent, les renseignements sont intégralement disponibles. D’après moi, en pareilles circonstances, les touristes devraient avoir la possibilité de se renseigner sur la réglementation applicable à leurs produits. Les agents du gouvernement ne devraient pas refuser de fournir les renseignements pertinents et ne devraient pas avoir la possibilité d’imposer une amende en profitant du fait que les touristes ignorent la réglementation applicable […]

(Observations du 21 septembre 2012, paragraphe 2)

 

[76]         Les attentes dont M. Tao fait état à l’égard des renseignements douaniers, semblent viser les arguments avancés en réponse par l’Agence, plutôt que les déclarations de l’inspecteur ou les renseignements fournis par celui-ci. Au paragraphe 16 de la rubrique « Réfutation des arguments du demandeur » contenue dans le rapport de l’Agence, celle-ci fait valoir (traduction d’extraits textuels) :

 

[traduction]

16.  M. Tao affirme être en droit de se voir remettre des renseignements concernant les exigences applicables à l’importation au Canada des marchandises en question, faisant valoir qu’on ne lui a pas fourni ces renseignements.

 

L’intimée fait pour sa part valoir que les renseignements en cause peuvent facilement être consultés sur Internet, sur les sites Internet du gouvernement, et que l’Agence des services frontaliers du Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments met des brochures d’information à la disposition des voyageurs à tous les postes-frontière et points d’entrée/départ du Canada, afin, justement, d’informer les voyageurs des conditions d’importation des diverses marchandises.

 

[77]         À l’appui de son argument voulant que M. Tao ait eu facilement accès aux renseignements sur les conditions d’importation, l’Agence renvoie aux renseignements disponibles sur Internet ainsi qu’aux brochures publiées par ses soins. La Commission estime que la nature et la portée des renseignements à la disposition de M. Tao ne sont d’aucune pertinence lorsqu’il s’agit de décider s’il y a effectivement eu violation. Le dicton « Nul n’est censé ignorer la loi » (rappelé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Pontes, [1995] 3 RCS 440) s’applique particulièrement lorsque la violation en cause est, comme en l’espèce, une infraction de responsabilité stricte. La Commission a eu l’occasion d’appliquer ce principe à plusieurs reprises. Citons, comme exemple récent de cela, Farzad c. Canada (ASFC), 2013 CRAC 33 et Abou‑Latif c. Canada (ASFC), 2013 CRAC 35. La Commission estime que les renseignements fournis aux voyageurs par l’Agence le sont par courtoisie. Elle considère que toute lacune dans de tels renseignements, ou toute insuffisance au niveau de l’accès que les voyageurs peuvent y avoir, est sans pertinence lorsqu’il s’agit de décider s’il y a effectivement eu violation.

 

 

(e)             L’agent aurait-il dû permettre l’importation du produit, l’introduction d’une maladie au Canada étant en l’occurrence peu probable

 

[78]         Selon l’article 41.1 du Règlement sur la santé des animaux, sous réserve de certaines exceptions dont il n’a pas lieu de faire état ici, un inspecteur peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, autoriser l’importation au Canada de certaines marchandises. En bref, ce pouvoir discrétionnaire permet à l’inspecteur de conclure qu’il est peu probable que le produit en question, par sa nature, sa destination ou sa transformation, entraîne l’introduction d’une maladie au Canada. À condition que le produit en question ne soit pas destiné à servir d’aliments pour animaux, l’importation en est permise selon la décision de l’inspecteur. Voici de manière précise ce que prévoit l’article 41.1 :

 

 (1)  Malgré l’article 41, il est permis d’importer un sous-produit animal ou une chose contenant un sous-produit animal, autres que ceux visés aux articles 45, 46, 47, 47.1, 49, 50, 51, 51.2 et 53, si l’inspecteur a des motifs raisonnables de croire que l’importation du sous-produit ou de la chose, par sa nature, sa destination ou sa transformation, n’entraînera pas — ou qu’il est peu probable qu’elle entraîne — l’introduction au Canada de toute maladie déclarable, de toute maladie mentionnée à l’annexe VII et de toute épizootie grave que l’espèce de laquelle il provient est susceptible de contracter et qui peut être transmise par lui, pourvu que le sous-produit ou la chose ne soit pas destiné à servir d’aliments pour animaux ou d’ingrédient pour de tels aliments. Il est interdit d’utiliser ou de faire en sorte que soit utilisé un sous-produit animal ou une chose contenant un sous-produit animal importé conformément au paragraphe (1) comme aliments pour animaux ou comme ingrédient pour de tels aliments.

 

(2)  Il est interdit d’utiliser ou de faire en sorte que soit utilisé un sous-produit animal ou une chose contenant un sous-produit animal importé conformément au paragraphe (1) comme aliments pour animaux ou comme ingrédient pour de tels aliments.

 

M. Tao soutient que l’inspecteur aurait dû, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, lui permettre d’importer le produit en question (traduction d’extraits textuels):

 

J’estime que le produit saisi en l’occurrence est, ou devrait être tenu pour un sous-produit animal qui a été traité, préparé, transformé, stocké et manipulé conformément à la réglementation applicable afin d’éviter l’introduction au Canada d’une maladie déclarable. Je me demande par conséquent si le produit saisi est effectivement interdit par la loi.

 

J’ajoute que l’agent d’inspection aurait dû avoir des motifs raisonnables de croire, compte tenu de son expérience et de ses connaissances spécialisées, que l’importation du sous-produit ou de la chose en question, en raison de sa nature, de sa destination ou de sa transformation, ne risquait pas d’entraîner l’introduction au Canada d’une maladie déclarable. […] Il n’aurait par conséquent pas dû prendre des mesures extrêmes et me reprocher une violation de la loi. Or, c’est cependant comme cela qu’il a agi. Je m’interroge vraiment au sujet des raisons qui l’ont porté à agir de la sorte envers moi.

(Observations du 30 octobre 2012, paragraphe 5)

 

[79]         L’exercice, par un inspecteur, du pouvoir discrétionnaire qui lui est reconnu, dans la mesure où ce pouvoir est effectivement exercé et exercé de bonne foi, n’est, comme nous l’avons précisé plus haut (paragraphe 57, supra), pas une question relevant des compétences de la Commission. Ainsi, la décision qu’un inspecteur peut prendre de ne pas autoriser l’importation d’un produit, et de délivrer un avis de violation lors de l’importation d’un tel produit, ne sont pas des questions au niveau desquelles la Commission va en général intervenir. Ayant choisi d’interdire l’importation du produit, d’en ordonner la saisie et de délivrer un avis de violation, l’inspecteur est néanmoins tenu d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa décision de refuser d’autoriser l’importation était justifiée.

 

 

(f)               L’intervention d’un tiers – les marchandises n’ont pas été mises dans ses bagages par M. Tao

 

[80]         M. Tao affirme que les articles en question ont été mis dans ses bagages par des membres de sa famille, sans qu’il en ait connaissance et que, par conséquent, il ne devrait pas être tenu pour responsable de ce qui s’est passé (traduction d’extraits textuels):

 

Étant donné que je n’ai pas eu le moindre contact avec les paquets qui ont été mis dans mes bagages par des membres de ma famille, sans que j’en sois averti, avant de déchirer l’emballage et d’ouvrir les sacs, je n’avais pas la moindre idée de ce qu’ils contenaient.

(Demande de révision, 28 juillet 2012, paragraphe 1)

 

[81]         En réponse, l’Agence cite plusieurs décisions de la Commission pour étayer sa thèse selon laquelle on ne saurait invoquer en défense le fait que les articles en cause ont, sans qu’on le sache, été mis dans ses bagages par des tiers. L’Agence soutient par ailleurs que le fait d’invoquer l’intervention d’un tiers équivaut à invoquer l’ignorance de la loi, moyen de défense qui n’est pas reconnu :

 

 

L’intimée soutient qu’aux termes du paragraphe 18(2) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, une justification ou une excuse invoquée au regard de cette  loi doit être conforme aux principes de la common law voulant que [le fait de ne pas avoir été au courant d’une exigence légale ne puisse être invoqué comme excuse].

 

(Rapport de l’Agence, paragraphe 13, « Arguments de l’intimée»; sommaire en parenthèses par l’Agence)

 

Le paragraphe 18(2) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire prévoit en effet que :

 

18. (2)  Les règles et principes de la common law qui font d’une circonstance une justification ou une excuse dans le cadre d’une poursuite pour infraction s’appliquent à l’égard de toute violation sauf dans la mesure où ils sont incompatibles avec la présente loi.

 

La Commission a déjà, aux paragraphes 75 à 77 de la présente décision, évoqué l’argument avancé par M. Tao qui affirme ne pas avoir eu connaissance des interdictions à l’importation. La Commission a déjà dit que le fait de ne pas avoir été au courant ne saurait être invoqué en défense et insiste bien, au paragraphe 77, sur le fait que ce moyen de défense est notamment inapplicable lorsque la violation en cause est une infraction de responsabilité stricte. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission n’a pas jugé nécessaire de citer le paragraphe 18(2). Selon la Commission, il convient de distinguer entre le fait de ne pas avoir su ce qui se trouvait dans les bagages, et le fait de ne pas avoir été au courant de l’interdiction concernant ce qui se trouvait dans les bagages.

 

[82]         À l’appui de sa thèse, l’Agence cite les décisions Tourgeman (RTA‑60104, [2004]), Ngo (RTA‑60132, [2004]), Boukhliq (RTA‑60156, [2005]), Yang (RTA‑60216, [2006]), Younes (RTA‑60186, [2005]) et Buxton (2012 CRAC 6). Aux paragraphes 34 et 35 de Tao (2013), ainsi qu’au paragraphe 8 de la présente décision, la Commission se penche sur les décisions Ngo et Boukhliq en ce qu’elles ont trait à la déclaration sans réserve qu’un requérant peut faire au sujet de la composition d’un produit, alors qu’il n’a pas été averti du fait que ses dires pourraient être retenus contre lui. Ainsi que la Cour d’appel fédéral l’a rappelé dans l’arrêt Tao, au paragraphe 26, de telles preuves ne peuvent pas être exclues; la Commission est tenue de les soupeser. Aussi bien dans l’affaire Ngo que dans l’affaire Boukhliq, le requérant affirmait que l’article en cause avait été placé dans ses bagages par un membre de la famille sans l’en avertir. En se fondant sur son interprétation du paragraphe 18(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, la Commission a estimé (Ngo page 3; Boukhliq page 3) que le fait que le demandeur ne savait pas que l’article en question avait été mis dans ses bagages ne pouvait être invoqué comme moyen de défense. Le paragraphe 18(1) prévoit en effet que :

 

 (1)  Le contrevenant ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

 

Les autres décisions de la Commission citées en l’espèce par l’Agence aboutissaient de manière générale à la même conclusion. Ne peut être invoqué en défense le fait de ne pas avoir su ce qui se trouvait dans ses bagages, les articles en question y ayant été mis par un membre de la famille : Tourgeman (à la page 4), Yang (aux pages 3 et 4) et Buxton (au paragraphe 19). Dans Younes, la question (évoquée à la page 3) n’a pas eu à être examinée, la décision étant fondée sur d’autres motifs. Dans Buxton, au paragraphe 19, la Commission s’exprime en les termes suivants :

 

[19]  Mme Buxton ne dispose que de très peu de moyen de défense. En l’espèce, l’article 18 de la Loi exclut pratiquement toutes les excuses qu’elle pourrait invoquer, comme le fait de prétendre que sa sœur avait rangé la viande dans sa valise (qu’elle l’ait su ou non) […]

 

[83]         Après Buxton, la Commission a eu l’occasion de revenir sur la question de l’intervention d’un tiers, dans Castillo c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRAC 22 (« Castillo [2012] ») et El Kouchi c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRAC 12 (« El Kouchi [2013a] »). Dans ces deux affaires, la Commission n’a pas abordé la question de savoir si le paragraphe 18(1) permettait que soit invoquée comme moyen de défense l’intervention d’un tiers; la Commission avait à de multiples reprises conclu que, selon une interprétation raisonnable de cette disposition, un tel moyen de défense ne pouvait pas être invoqué. La Commission s’est plutôt penchée sur les éléments constitutifs de l’infraction.

 

[84]         Dans Castillo (2012), l’infraction alléguée était à l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux, qui prévoit que :

 

40.  Il est interdit d’importer un sous-produit animal, du fumier ou une chose contenant un sous-produit animal ou du fumier, sauf en conformité avec la présente partie.

 

[85]         Dans Castillo (2012), au lieu de réexaminer la conclusion à laquelle elle était déjà parvenue quant aux moyens de défense pouvant être invoqués au regard du paragraphe 18(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, la Commission s’est penchée sur ce qu’elle considérait être une interprétation raisonnable des éléments constitutifs de l’infraction en cause. Au paragraphe 27 de sa décision, la Commission précise en ces termes les éléments constitutifs de l’infraction :

 

[27]  Par conséquent, il incombe à l’Agence de prouver, selon la prépondérance des probabilités, tous les éléments de la violation qui servent de fondement à l’avis de violation. Lorsqu’il s’agit d’une violation de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux, l’Agence doit prouver ce qui suit :

 

(1)  M. Castillo est la personne qui a commis la violation;

 

(2)  M. Castillo a importé au Canada un sous-produit animal, en l’occurrence du poulet frit;

 

(3)  si M. Castillo a effectivement importé des produits de viande au Canada, les agents des douanes lui ont donné une occasion raisonnable de démontrer que l’importation a été faite en conformité avec la partie IV du Règlement sur la santé des animaux.

 

[86]         Sur le fondement de cette interprétation des éléments de l’infraction, la Commission a jugé nécessaire que soit donnée à M. Castillo la possibilité raisonnable de justifier son importation des articles en question. Si, au vu des faits de la cause, l’intervention d’un tiers est, selon la Commission, une explication vraisemblable de la manière dont les produits se sont retrouvés dans les bagages de M. Castillo, les articles en question y ayant été effectivement mis sans que celui-ci en ait connaissance, M. Castillo n’avait pas la possibilité raisonnable de les déclarer, ou de justifier leur importation. Voici comment la Commission analyse la question aux paragraphes 35 à 38 de sa décision :

 

[35]  D’ordinaire, l’Agence démontre à la Commission qu’elle a respecté les exigences en ce qui concerne le troisième élément constitutif de la violation en prouvant, d’une part, que le voyageur a coché faussement la case « Non » en réponse à la question sur la viande sur la carte de déclaration alors qu’il savait qu’il avait en sa possession des produits de viande, ou encore qu’il avait compris cette même question lorsque l’inspecteur primaire la lui a posée et qu’il lui a répondu « Non », et, d’autre part, que le voyageur avait compris la demande de l’Agence concernant la présentation d’un certificat, d’un document ou d’un permis permettant l’importation d’un produit de viande, ou qu’on lui avait donné une occasion raisonnable de présenter un tel document, et qu’il ne l’a pas fait.

 

[36]  La Commission estime que M. Castillo et l’inspecteur no 20973 sont tous deux des témoins très crédibles. Ils étaient calmes, posés et donnaient des réponses franches. Il n’y avait aucun signe de mémoire sélective qui aurait pu soulever un doute au sujet de l’authenticité de l’un ou l’autre des témoins. L’inspecteur no 20973 a trouvé du poulet frit dans les bagages de M. Castillo. M. Castillo a admis ouvertement que l’inspecteur avait trouvé le poulet dans son sac au moment de l’inspection, mais il a aussi dit à la Commission avoir été surpris parce qu’il ne savait pas que le poulet s’y trouvait. M. Castillo a déclaré sous serment que sa mère avait placé le poulet dans ses bagages à son insu. Il s’agit d’un élément de preuve très crédible, et la Commission l’accepte. La preuve présentée par l’Agence ne soulève aucun doute quant au témoignage de M. Castillo, et l’Agence ne remet aucunement en question la crédibilité générale de M. Castillo.

 

[37]  En l’occurrence, les éléments de preuve fournis par l’Agence et par M. Castillo ne suffisent pas à convaincre la Commission que les agents des douanes ont donné à M. Castillo une occasion raisonnable de démontrer qu’il avait importé des produits de viande, pas en raison de problèmes de langue ou de compréhension, mais plutôt en raison d’un manque de preuve, suivant la prépondérance des probabilités, que M. Castillo savait qu’il avait de la viande en sa possession avant que l’inspecteur ne fouille ses bagages lors de la deuxième inspection. La Commission estime que l’Agence n’a pas su prouver que M. Castillo avait eu une occasion raisonnable de déclarer le produit de viande. Plutôt que de demander à M. Castillo pourquoi il n’avait pas déclaré le produit – produit que M. Castillo n’avait jamais vu avant que le l’inspecteur ne le trouve au moment de l’inspection secondaire –, l’inspecteur lui a remis un avis de violation.

 

[38]  M. Castillo ne pouvait pas indiquer sur la carte de déclaration qu’il avait de la viande dans ses bagages puisqu’il ne savait pas qu’il en avait. Dans ces circonstances, il était naturel que M. Castillo coche la case « Non » sur la carte de déclaration en réponse à la question concernant la présence de viande dans ses bagages. De plus, à l’inspection primaire, il a donné la même réponse. Ce n’est qu’à l’inspection secondaire qu’il s’est rendu compte qu’il avait en sa possession de la viande qu’il n’avait pas déclarée. Il s’agissait là de la première occasion raisonnable de déclarer le produit aux autorités canadiennes. Il incombait à l’Agence de poser plus de questions à M. Castillo au sujet de ce qu’il avait en sa possession même si cela ne pouvait être fait qu’à l’inspection secondaire lorsque la viande clandestine a été trouvée. Le simple fait de remettre un avis de violation au voyageur perplexe ne suffit pas à répondre aux exigences très peu élevées que l’Agence est tenue de respecter pour prouver le troisième élément constitutif de la violation de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux. Si M. Castillo avait su qu’il avait du poulet dans ses bagages, il aurait pu saisir, ou s’abstenir de saisir, l’occasion raisonnable de démontrer qu’il s’était conformé aux dispositions pertinentes de la partie IV du Règlement sur la santé des animaux, plus précisément en déclarant à l’inspecteur qu’il avait en sa possession des produits qu’il n’était pas certain d’être autorisé à conserver en entrant au Canada.

 

[87]         Il convient de relever que dans Castillo (2012), l’absence d’occasion raisonnable de justifier l’importation des articles en cause se mélangeait (au paragraphe 38 de Castillo [2012]) à l’idée du manque d’occasion raisonnable de déclarer les articles en cause, le requérant n’ayant pas su que ces articles avaient été mis dans son bagage par un tiers.

 

[88]         Dans El Kouchi (2013a), la violation alléguée était du paragraphe 34(1) du Règlement sur la santé des animaux, qui prévoit que :

 

34. (1)  Il est interdit d’importer du lait ou des produits du lait d’un pays autre que les États-Unis, ou d’une partie d’un tel pays, à moins :

 

(a)  que le pays ou la partie de pays n’ait été désigné comme étant exempt de la fièvre aphteuse en vertu de l’article 7;

 

(b)  de produire un certificat d’origine signé par un fonctionnaire du gouvernement du pays d’origine du produit attestant que le pays d’origine ou la partie de ce pays est celui visé à l’alinéa a).

 

Dans El Kouchi (2013a), la Commission a jugé que l’existence d’un lien de causalité ininterrompu entre la violation et son auteur constituait un élément essentiel de l’infraction. Voici comment la Commission s’est exprimée sur ce point au paragraphe 25 d’El Kouchi (2013a) :

 

[25]  La rigueur du régime SAP doit raisonnablement s’appliquer à la fois au requérant, M. El Kouchi, et à l’Agence. Par conséquent, il incombe à l’Agence de prouver, selon la prépondérance des probabilités, l’ensemble des éléments de la violation qui servent de fondement à l’avis de violation. Bien que l’avis de violation 3961-12-M-0124, en date du 25 avril 2012, porte sur l’omission de M. El Kouchi de produire le certificat exigé, une violation de l’alinéa 34(1)b) du Règlement sur la santé des animaux exige que l’Agence établisse les quatre éléments suivants à savoir que :

 

(1)              M. El Kouchi est la personne qui a commis la violation;

 

(2)              M. El Kouchi a apporté (importé) du lait ou des produits du lait d’un pays autre que les États-Unis;

 

(3)              M. El Kouchi n’a pas fourni à un inspecteur de l’Agence un certificat d’origine signé par un fonctionnaire du gouvernement du pays d’origine du produit attestant que le pays d’origine est désigné comme étant exempt de la fièvre aphteuse;

 

(4)              Il existe un lien de causalité direct entre les actions d’importation de produit du lait et le contrevenant, indépendant des actions d’une tierce partie.

 

[89]         Dans El Kouchi (2013a), après avoir conclu à la crédibilité du témoignage livré par M. El Kouchi, qui affirmait que l’article en question avait été mis dans ses bagages par sa mère, sans qu’il en ait eu connaissance, la Commission a considéré qu’il y avait eu interruption du lien de causalité. Castillo (2012) était cité à l’appui de cet argument, malgré une certaine différence au niveau de l’élément constitutif de la violation en cause dans Castillo (2012). Aux paragraphes 35 et 36 d’El Kouchi (2013a), la Commission s’est exprimée en ces termes :

 

[35]  Aujourd’hui, le régime de SAP étant appliqué très rigoureusement, comme l’évoque la Cour dans Doyon, la Commission se doit d’être extrêmement circonspecte lorsqu’elle statue sur les éléments constitutifs de la violation alléguée faisant l’objet d’une demande de révision. Habituellement, l’Agence démontre à la Commission qu’elle a respecté les exigences en ce qui concerne le quatrième élément constitutif de la violation en prouvant que le voyageur savait, ou a dû savoir, que le produit en question était en sa possession. Il y a normalement une présomption sur la connaissance des voyageurs du contenu de leur bagage et d’autant plus que l’inspecteur pose souvent cette question aux voyageurs. Mais il y a certainement de rares cas où une personne n’est pas entièrement consciente du contenu de ses bagages, par exemple, lorsqu’un étranger, ou même un proche, y glisse un élément à l’insu du voyageur. Dans le cas de Castillo c. Canada (ASFC), 2012 CRAC 22, la Commission a déjà trouvé que lorsqu’une personne se trouve dans l’impossibilité de savoir qu’elle apporte des éléments inconnus, celle-ci peut évidemment s’attendre à ce que les produits lui soient confisqués. Toutefois, dans ce cas, un avis de violation avec une sanction pécuniaire ne doit pas être automatique. Un avis de violation émis dans ces conditions n’est pas juste.

 

[36]  De plus, dans les cas d’Exceldor c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 9 et d’Exceldor c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 10, la Commission a jugé que, si la causalité directe a été brisée par une tierce partie, il est impossible de trouver le lien de causalité nécessaire pour fonder une contravention sous la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et son Règlement. Donc, en l’occurrence, les éléments de preuve fournis par l’Agence ne suffisent pas à convaincre la Commission que M. El Kouchi savait qu’il y avait du beurre dans sa valise. Or, M. El Kouchi ne pouvait pas indiquer sur sa carte de déclaration qu’il en avait puisqu’il l’ignorait. Dans ces circonstances, il était naturel que M. El Kouchi coche la case « non » sur sa carte de déclaration en réponse à la question concernant la présence des produits du lait dans ses bagages. De plus, lors de l’inspection primaire, il a donné la même réponse. Ce n’est qu’à l’inspection secondaire qu’il s’est rendu compte qu’il avait du beurre en sa possession et qu’il ne l’avait pas déclaré. Il s’agissait là d’une première occasion raisonnable de déclarer le produit aux autorités canadiennes. Il incombait à l’Agence de poser plus de questions à M. El Kouchi au sujet de ce qu’il avait en sa possession, même si cela ne pouvait être fait qu’à l’inspection secondaire, lorsque le beurre non déclaré a été trouvé. À ce point, l’inspecteur lui a remis un avis de violation avec sanction. Le simple fait de remettre un avis de violation au voyageur perplexe ne suffit pas à répondre aux exigences très peu élevées que l’Agence est tenue de respecter pour prouver le quatrième élément constitutif de la violation de l’alinéa 34(1)b) du Règlement sur la santé des animaux.

 

[90]         Tant en ce qui concerne Castillo (2012) qu’El Kouchi (2013a), l’Agence a sollicité le contrôle judiciaire de la décision par la Cour d’appel fédérale. Dans les deux cas, la Cour a fait droit à la demande, renvoyant l’affaire devant la Commission pour nouvel examen. Après réexamen, la Commission a conclu à une violation, revenant dans les deux cas sur sa décision initiale : Castillo c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRAC 36; El Kouchi c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRAC 40 (« El Kouchi [2013b] »). Les arrêts de la Cour d’appel dans les affaires Castillo et El Kouchi ont été examinés aux paragraphes 13 et 25 de la présente décision au regard de la norme de contrôle applicable.

 

[91]         Dans l’arrêt Castillo, la Cour d’appel se prononce en ces termes aux paragraphes 24 à 26 de sa décision :

 

[24]  Monsieur Castillo n’était peut-être pas au courant que le poulet se trouvait dans son bagage, mais cela ne lui est d’aucun secours vu le libellé des dispositions et l’intention claire du législateur d’instaurer un régime de responsabilité absolue pour ce genre de violations. Comme notre Cour l’a déjà dit, le régime de SAP peut être sévère (Westphal Larsen, [2003 CAF 383] au paragraphe 12), mais le législateur voulait clairement qu’il le fût, vu l’important objectif qui consiste à protéger le Canada de l’introduction de maladies animales étrangères.

 

[25]  Il est possible qu’une personne ayant reçu un avis de violation en vertu de l’article 40 veuille présenter des éléments de preuve à la Commission afin d’établir que l’agent lui a donné l’avis de violation sans lui donner une occasion de démontrer que l’importation a été faite en conformité avec l’une ou l’autre des dispositions dont il est question au paragraphe 14. De tels éléments de preuve pourraient éventuellement expliquer la raison pour laquelle aucun document n’a été présenté à l’agent quand l’importation a été déclarée ou découverte, selon le cas. Cependant, de tels éléments de preuve ne peuvent pas, en droit, exonérer l’intéressé de sa responsabilité si, comme c’était le cas en l’espèce, il n’y a aucun document à présenter.

 

[26]  À la simple lecture des dispositions législatives, la décision de la Commission suivant laquelle M. Castillo aurait dû avoir une occasion raisonnable de justifier l’importation du Salvador de sous-produits animaux au-delà des dispositions de la partie IV après leur découverte équivaut à une erreur de droit.

 

La Cour a ainsi conclu que, selon le sens ordinaire des dispositions législatives en cause, ce que la Commission avait considéré comme une interprétation raisonnable des éléments constitutifs de l’infraction en cause ne paraissait pas raisonnable. La Cour ne s’est pas penchée de manière précise sur la manière dont la Commission avait analysé la question du lien de causalité ininterrompu.

 

[92]         Dans El Kouchi, la Cour a réfuté l’idée que l’existence d’un lien de causalité ininterrompu constitue un quatrième élément constitutif de l’infraction. La Cour a en effet considéré que l’infraction en cause ne comporte que les trois premiers éléments constitutifs dont il est fait état au paragraphe 88, supra. Selon la Cour, qui s’est livrée à une comparaison avec le libellé de la disposition législative en cause dans l’affaire Doyon, pour être considérée comme un élément constitutif de l’infraction, l’existence d’un lien de causalité doit être prévue dans la définition de l’infraction en cause. C’est en ces termes qu’aux paragraphes 14 à 20 de son arrêt, la Cour s’exprime sur ce point :

 

[14]           Comme l’indique la Commission, elle a déjà annulé un avis de violation en vertu du Règlement dans une situation où le produit non autorisé (dans ce cas, un sous-produit animal interdit en vertu de l’article 40 du Règlement) avait été mis dans les valises du contrevenant par une tierce personne (sa mère) sans qu’il en soit au courant dans Castillo 2012. Deux commentaires s’imposent à cet égard.

 

[15]           D’abord, dans cette décision, rendue quelques mois avant la décision en l’espèce, la Commission avait aussi énoncé les éléments que l’Agence devait établir. Il est déconcertant de constater que malgré la similitude des dispositions en jeu qui portent sur des interdictions d’importer des produits, le fardeau de preuve de l’Agence se limitait a trois éléments (qui correspondent plus ou moins aux trois premiers éléments utilisés en l’espèce). Il n’était alors aucunement question de prouver un lien de causalité direct entre l’importation et le contrevenant.

 

[16]           Deuxièmement, dans Castillo (CAF), notre Cour a très clairement décidé au paragraphe 24 :

 

[24]      Il se peut que M. Castillo n'ait pas su que le poulet se trouvait dans ses bagages, mais cela ne lui est d'aucun secours, en raison du libellé clair des dispositions et de l'intention manifeste du législateur d'imposer un régime de responsabilité absolue pour ces infractions. Comme notre Cour l'a déjà affirmé, le régime des sanctions administratives pécuniaires peut mener à des résultats sévères (Westphal Larsen, [2003 CAF 383] au paragraphe 12), mais le législateur souhaitait manifestement qu'il en soit ainsi, compte tenu de l'importance de l'objectif énoncé, soit de protéger le Canada de l'introduction de maladies animales étrangères. [Traduction non-officielle]

 

[17]           Quant à l’énoncé des éléments à établir pour prouver une violation de l’alinéa 138 (2)(a) du Règlement que l’on retrouve dans Doyon (paragraphe 41), il est difficile de concevoir qu’il puisse s’appliquer à une violation de l’alinéa 34(1)(b) du Règlement, puisque le libellé de ces deux dispositions est complètement différent.

 

[18]           Le texte même de l’alinéa 138(2)(a) du Règlement qui porte sur le transport d’animaux fait référence à divers facteurs causant des souffrances indues au cours du voyage prévu. C’est ce vocabulaire qui a motivé la référence à un lien de causalité entre le transport, les souffrances indues et les facteurs décrits dans cette disposition. L’alinéa 34(1)(b) indique simplement et clairement qu’il est interdit d’importer un produit du lait d’un pays autre que les États-Unis, à moins que le pays soit désigné comme étant exempt de la fièvre aphteuse ou qu’un certificat d’origine soit produit.

 

[19]           La Commission n’explique pas sur quelle base elle pouvait appliquer ce passage de Doyon en l’espèce. De plus, la distinction qu’elle fait pour éviter l’application du paragraphe 18(1) de la Loi sur les sanctions ne tient tout simplement pas. Il est évident que l’approche adoptée par la Commission a pour effet de contourner l’intention que le législateur a si clairement exprimée. Il n’y a aucune raison valide selon moi de ne pas appliquer le raisonnement de notre Cour dans Castillo (CAF) ici. La Commission a erré en droit en exigeant que l’Agence établisse un lien de causalité indépendant des actions d’une tierce partie et plus particulièrement que le contrevenant avait connaissance de la présence du produit interdit dans ses bagages.

 

[20]           Notre Cour a indiqué dans le passé que le présent régime est très punitif, voire draconien : Doyon au paragraphe 21. Qu’elle soit d’accord ou non avec ce régime ou la façon dont il est appliqué, la Commission doit appliquer la loi.

 

[93]         Dans El Kouchi (2013a), la Commission s’est essentiellement intéressée aux éléments constitutifs de l’infraction tels qu’ils découlent de l’article 34 du Règlement. Ainsi que nous l’avons vu, lorsqu’elle a eu, par le passé, l’occasion de se pencher sur les moyens de défense pouvant être invoqués au regard de l’article 18 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, la Commission n’a pas reconnu comme moyen de défense l’intervention d’un tiers. Dans El Kouchi, comme permettent de le constater les extraits de l’arrêt cité en l’espèce, la Cour d’appel s’est penchée sur l’interprétation que la Commission avait donnée de l’infraction en cause, et sur ce que la Commission avait tenu pour un élément constitutif de l’infraction, y voyant une erreur de droit qui avait pour effet de tourner l’application de l’article 18.

 

[94]         La Commission estime que, dans les arrêts Castillo et El Kouchi, la Cour a jugé que les infractions aux articles 34 et 40 du Règlement sur la santé des animaux, sont sensiblement les mêmes et que l’on ne devrait par conséquent pas les distinguer au niveau de leurs éléments constitutifs. La Cour a estimé que certains des éléments constitutifs de l’infraction cernés par la Commission constituaient des erreurs appelant correction dans le cadre du contrôle judiciaire. Il en va particulièrement ainsi de la question du lien de causalité. Dans El Kouchi, la Cour a jugé que l’existence d’un lien de causalité ayant son origine dans les actions d’une tierce partie n’est d’aucune pertinence quant aux éléments constitutifs. Un lien de causalité ininterrompu n’est pas, non plus, un élément constitutif de l’infraction. Qui plus est, comme la Cour a statué dans Castillo, l’« occasion raisonnable de justifier l’importation » n’est pas, là non plus, un élément constitutif de l’infraction. Comme nous l’avons vu, dans Castillo (2012) la Commission avait considéré comme équivalentes l’« occasion raisonnable de démontrer que l’importation avait été faite en conformité » et l’« occasion raisonnable de déclarer » le produit. Au paragraphe 26 de l’arrêt Savoie‑Forgeot, la Cour a confirmé ce qu’elle avait décidé dans l’arrêt Castillo. Ce qui n’est toujours pas clair, cependant, c’est quel pourrait être le rapport, si tant est qu’il en ait un, entre la rupture du lien de causalité, ou l’« occasion raisonnable de déclarer » et ce que, dans l’arrêt Savoie-Forgeot, la Cour d’appel a dit de la nature légale de l’importation. La question n’a pas à être examinée ici.

 

[95]         En l’espèce, l’argument avancé par M. Tao qui soutient que les articles en question ont été, sans qu’il le sache, placés dans ses bagages par des membres de sa famille, est, dans l’état actuel du droit, (El Kouchi), dénué de pertinence lorsqu’il s’agit d’établir les éléments constitutifs de la violation de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux. Ajoutons que, comme le démontre la décision Buxton, la Commission considère que l’intervention d’un tiers n’est pas admis comme moyen de défense au regard du paragraphe 18(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire.

 

 

Résumé

 

[96]         En résumé, M. Tao avançait six arguments à l’appui de sa thèse que l’avis de violation ne devrait pas être confirmé :

 

a.             M. Tao n’a fait aucune déclaration orale reconnaissant ou identifiant explicitement la composition du produit;

 

b.            Les preuves photographiques ne représentaient pas les articles saisis, et, en outre, l’avis de violation aurait dû détailler ce que représentaient les preuves photographiques, et y correspondre;

 

c.             Une déclaration orale a effectivement été faite lors de l’inspection primaire, et elle devrait en tout état de cause être considérée comme l’équivalent d’une déclaration écrite;

 

d.            M. Tao n’avait pas compris les restrictions à l’importation, et ne s’est pas vu accorder l’occasion raisonnable de s’en informer;

 

e.             L’inspecteur de l’Agence aurait dû, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, laisser entrer le produit en question;

 

f.              Les articles en cause n’avaient pas été mis dans les bagages de M. Tao par celui‑ci, mais par des membres de sa famille, sans qu’il en ait connaissance.

 

[97]         Dans le cadre de son réexamen des preuves et des arguments avancés, la Commission s’est penchée attentivement sur les observations présentées par M. Tao ainsi que sur les réponses détaillées que l’Agence y a apportées, et les éléments de preuve connexes. Les observations exhaustives de M. Tao, et les réponses détaillées de l’Agence sont en rapport avec le caractère détaillé et exhaustif de la décision de la Commission. Celle-ci a conclu qu’aucun des arguments développés par M. Tao ne se justifie, à l’exception de l’argument qu’il avance au sujet de la déclaration qu’il aurait faite, lors de l’inspection secondaire, quant à la composition du produit, la Commission considérant qu’il conviendrait tout au plus d’accorder sur ce point le même poids au témoignage de l’Agence et à celui de M. Tao. Cela étant, la Commission estime qu’il appartenait à l’Agence d’autrement démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le produit en cause contenait effectivement de la viande. Ce n’est pas nécessaire de se pencher en l’occurrence sur la question de savoir si, vu le libellé de l’avis de violation, l’Agence avait à démontrer que le produit contenait plus précisément du bœuf. Selon la Commission, les ambiguïtés entourant les preuves photographiques font que l’on ne peut pas raisonnablement conclure que l’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les produits en question contenaient de la viande. La Commission considère qu’en l’occurrence, il aurait été dans l’intérêt des deux parties que l’Agence exerce son droit de soumettre le produit en cause à des analyses dont les résultats auraient été joints à son dossier.

 

 

Conclusion

 

[98]         Après réexamen des preuves et arguments des parties, conformément à la nouvelle décision prescrite par la CAF dans l’arrêt Agence des services frontaliers du Canada c. Tao, 2014 CAF 52, et après un examen attentif des motifs de la Cour, la Commission de révision agricole du Canada (la Commission) estime raisonnable de conclure, après réexamen des preuves et arguments présentés par les parties, que l’Agence n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, la présence d’un des éléments essentiels de la violation en cause, à savoir que le produit en question contenait effectivement de la viande. Cela étant, la Commission conclut que M. Tao n’a pas commis la violation détaillée dans l’avis de violation YYZ4971‑0490, en date du 10 juillet 2012, et qu’il n’est par conséquent pas tenu d’acquitter une sanction pécuniaire.

 

 

Fait à Ottawa (Ontario), ce 21e jour de mars 2014.

 

 

 

 

 

 

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Bruce La Rochelle, membre

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