Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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qRéférence :

Kankam c Agence des services frontaliers du Canada, 2022 CRAC 16

 

Dossier : CRAC-2067

ENTRE :

ANTHONY KANKAM

DEMANDEUR

- ET -

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

INTIMÉE

[Traduction de la version officielle en anglais]

DEVANT :

Marthanne Robson, membre

AVEC :

M. Anthony Kankam, agissant pour son propre compte,

 

Mme Gaynor Holden et Mme Cassandra Ianni-Lucio, représentant l’intimée

DATE DE LA DÉCISION :

Le 8 juin 2022


1. APERÇU

[1] Le 22 janvier 2019, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’Agence) a délivré le procès-verbal no 4971-19-0152 (le procès-verbal) assorti d’une sanction de 800 $ à M. Anthony Kankam, alléguant qu’il avait omis de déclarer de la viande de chèvre, en contravention de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux [1] (Règlement SA).

[2] M. Kankam est arrivé au Canada en provenance du Ghana le 19 février 2019, à la suite du décès de son épouse. Il a rempli une carte de déclaration sur laquelle il a répondu « non » à la question portant sur l’importation de produits alimentaires, végétaux et animaux (AVA). Un agent des services frontaliers (l’agent) a examiné ses bagages et trouvé un aliment emballé que M. Kankam a affirmé avoir mangé durant son voyage. L’agent a témoigné que M. Kankam avait indiqué que le produit trouvé dans ses bagages était de la viande de chèvre, un sous-produit animal. L’agent a observé la forte odeur de la viande et sa texture nervurée. M. Kankam a dit qu’il était en deuil et confus et qu’il n’était pas lui-même ce jour-là. Il a demandé à la Commission de l’entendre sur les faits reprochés, affirmant que le produit était du thon.

[3] La Commission conclut que le produit trouvé dans les bagages de M. Kankam était de la viande de chèvre, qu’il n’a pas déclarée aux fins d’inspection. Les passagers doivent déclarer tous les produits alimentaires, végétaux et animaux à la première occasion, généralement en remplissant la carte de déclaration, peu importe que l’aliment soit cuit ou cru, et peu importe que son entrée au pays soit ou non permise avec ou sans documentation. Le deuil et la confusion de M. Kankam à la suite du décès de son épouse ne le dégagent pas de la responsabilité d’avoir commis la violation. Il doit payer la sanction. La Commission a le pouvoir d’établir le délai et les modalités de paiement de la sanction et elle accorde à M. Kankam huit (8) mois pour le faire.

2. CADRE JURIDIQUE

[4] La Loi sur la santé des animaux [2] (Loi SA) et le Règlement SA ont pour objet de prévenir l’introduction de maladies animales au Canada. Un seul incident peut mettre en péril le bien-être des plantes, des animaux et des humains, et potentiellement perturber l’approvisionnement alimentaire, l’économie et l’environnement. Les voyageurs doivent déclarer et présenter pour inspection tous les produits agricoles importés afin que les agents des douanes puissent les identifier et vérifier s’ils satisfont aux exigences règlementaires.

[5] Tous les sous-produits animaux doivent être déclarés avant l’importation ou au moment de celle-ci, que leur entrée au Canada soit ou non autorisée. L’article 40 du Règlement SA prévoit qu’il est interdit d’importer un sous-produit animal, sauf s’il satisfait à certaines exigences.

[6] L’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) établit quels produits alimentaires, végétaux et animaux ne peuvent être importés au Canada ainsi que ceux qui peuvent l’être sur présentation de la documentation appropriée. En vertu des exceptions prévues à la partie IV du Règlement SA, la viande de chèvre provenant du Ghana peut être importée si elle est accompagnée de la documentation exigée. On trouve des explications détaillées à ce propos dans le Système automatisé de référence à l’importation (SARI) [3] , accessible au public.

[7] Les éléments constitutifs d’une violation de l’article 40 du Règlement SA sont les suivants [4] :

  1. le demandeur est la personne désignée dans le procès-verbal;
  2. le demandeur a importé un animal, un produit animal, un sous-produit animal ou des aliments pour animaux au Canada;
  3. aucune des exceptions énumérées à la partie IV duRèglement SAne s’appliquait;
  4. le demandeur n’a pas déclaré le produit en question à son premier contact avec un agent des services frontaliers, et ne l’a donc pas présenté pour inspection.

[8] L’organisme qui délivre le procès-verbal doit établir, selon la prépondérance des probabilités, tous les éléments constitutifs de la violation. Si tous les éléments sont établis, la Commission détermine si le demandeur a établi un moyen de défense admissible ou un motif juridique pouvant le dégager de la responsabilité d’avoir commis la violation. Si le demandeur n’en établit aucun, la Commission détermine si la sanction a été infligée conformément à la loi.

3. QUESTIONS EN LITIGE

[9] Le seul élément constitutif de la violation en litige est la question de savoir si le produit trouvé dans les bagages de M. Kankam était de la viande de chèvre ou du thon (élément no 2). M. Kankam ne conteste pas qu’il est la personne désignée dans le procès-verbal (élément no 1). M. Kankam n’avait pas en sa possession la documentation qui lui aurait permis d’importer de la viande de chèvre provenant du Ghana en vertu de la partie IV du Règlement SA (élément no 3). M. Kankam n’a déclaré aucun produit alimentaire (élément no 4).

[10] L’Agence a présenté une carte de déclaration où figurent le nom et l’adresse de M. Kankam ainsi qu’une signature. Il n’a pas nié avoir rempli cette carte de déclaration. Sur la carte, le chiffre « 57 » a été ajouté à la main et une ligne a été tracée sur les réponses « non » à toutes les questions qui suivent l’énoncé « J’apporte (nous apportons) au Canada : », notamment celle portant sur les « viande, poisson, fruits de mer, œufs, produits laitiers, fruits, légumes, semences, noix, plantes, fleurs, bois, animaux, oiseaux, insectes, et des parties, produits ou sous-produits quelconque de ce qui précède ». L’Agence et l’agent ont indiqué qu’il s’agissait de la question portant sur les [TRADUCTION] « aliments, végétaux et animaux (AVA) », mais le mot « aliments » ne figure pas dans le texte. Peu importe si M. Kankam importait du thon ou de la viande de chèvre, il devait le déclarer. Il ne l’a pas fait.

[11] Question no 1 : Le produit trouvé dans les bagages de M. Kankam était-il de la viande de chèvre ou du thon?

[12] Question no 2 : La question fondamentale en l’espèce est de savoir si M. Kankam a invoqué un moyen de défense admissible ou un autre motif juridique pouvant le dégager de la responsabilité d’avoir commis la violation.

  1. Le fait de ne pas savoir que la viande de chèvre cuite doit être déclarée constitue-t-il un moyen de défense admissible?
  2. Le fait d’omettre de déclarer un produit alimentaire en raison d’un deuil ou de la confusion constitue-t-il un moyen de défense admissible?
  3. L’affirmation de M. Kankam selon laquelle [TRADUCTION] « il n’était pas lui-même ce jour-là » en raison de son deuil et de sa confusion constitue-t-elle un moyen de défense de common law fondé sur l’automatisme?

4. ANALYSE

I. Question no 1 : Le produit trouvé dans les bagages de M. Kankam était-il de la viande de chèvre ou du thon?

[13] Les notes manuscrites de l’agent indiquent que [TRADUCTION] « l’examen a révélé la présence de 1,5 k de viande de chèvre ». Une partie de la photocopie des notes est illisible, mais on peut ensuite y lire que [TRADUCTION] « le sujet avait de la viande de chèvre dans ses bagages à main et a affirmé qu’il pensait ne pas avoir à la déclarer parce qu’elle était cuite ». Le rapport narratif, qui est une version dactylographiée des notes de l’agent, indique que [TRADUCTION] « [l]e sujet avait un sac de viande de chèvre dans ses bagages à main et a mentionné qu’il en avait mangé dans l’avion et pendant qu’il se trouvait dans l’aéroport. Le sujet a affirmé qu’il ne l’avait pas déclarée parce qu’elle était cuite ». M. Kankam a témoigné qu’il avait dit à l’agent qu’il avait des aliments dans ses bagages, et que l’agent lui avait demandé si c’était de la viande de chèvre. Il a témoigné ne jamais avoir indiqué que le produit était de la viande de chèvre.

[14] L’agent a témoigné qu’il avait déterminé que le produit était de la viande, mais sans être certain du type de viande. Il a demandé à M. Kankam de quel type de viande il s’agissait. M. Kankam a dit que c’était de la viande de chèvre. L’agent a déclaré qu’il ne peut supporter l’odeur du poisson et que, s’il s’était agi de thon, il aurait su que c’était du poisson, lequel est admissible selon le SARI [5] . Il a indiqué que le produit était très gras, et qu’il dégageait une savoureuse odeur d’oignon et d’ail ainsi qu’une odeur de viande. Il a décrit le produit comme étant de la viande très rouge, et nervurée. L’agent ne savait pas de quel type de viande il s’agissait : porc, chèvre ou bœuf. Il a témoigné que M. Kankam lui avait dit que c’était de la chèvre. La photo du produit prise par l’agent et présentée en preuve montre des parties d’os coupées qui ressemblent à des os que l’on retrouve dans la viande et ne ressemblent pas à des arêtes de poisson.

[15] Je retiens le témoignage de l’agent selon lequel M. Kankam avait indiqué que le produit était de la viande de chèvre. M. Kankam n’a présenté aucun élément de preuve étayant son affirmation selon laquelle le produit trouvé dans ses bagages était du thon. Je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, la photo présentée en preuve représente un produit de viande, et non du thon, et que le produit trouvé dans les bagages de M. Kankam était de la viande de chèvre.

II. Question no 2 : M. Kankam a-t-il établi un moyen de défense admissible ou un motif juridique pouvant le dégager de la responsabilité d’avoir commis la violation?

[16] Une violation du Règlement SA est une infraction de responsabilité absolue. Cela signifie que, si une personne a commis l’acte prohibé, lequel consiste, en l’espèce, à importer un sous-produit animal sans le déclarer, il existe très peu de moyens de défense admissibles. Le paragraphe 18(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’griculture et d’agroalimentaire [6] (Loi SAPMAA) exclut expressément les moyens de défense fondés sur la diligence raisonnable (j’ai fait de mon mieux) et l’erreur de fait (j’ai fait erreur) à l’égard d’une violation du Règlement SA. La common law permet depuis longtemps le recours à certaines justifications ou excuses juridiques [7] , comme l’erreur provoquée par une personne en autorité et l’automatisme.

1.1. Le fait de ne pas savoir que la viande de chèvre cuite doit être déclarée constitue-t-il un moyen de défense admissible?

[17] Le fait que M. Kankam croyait qu’il n’avait pas à déclarer la viande de chèvre parce qu’elle était cuite et qu’il en avait mangé en collation dans l’avion ne constitue pas un moyen de défense admissible. Le paragraphe 18(1) de la Loi SAPMAA exclut expressément le moyen de défense fondé sur l’erreur de fait (j’ai fait erreur).

1.2. Le fait d’omettre de déclarer un produit alimentaire en raison d’un deuil ou de la confusion constitue-t-il un moyen de défense admissible?

[18] M. Kankam a expliqué qu’il revenait du Ghana parce que son épouse était décédée. Il a expliqué que, parce qu’il était en deuil et confus, il n’avait pas pu faire preuve de diligence raisonnable au moment de déclarer les produits qu’il importait. Le paragraphe 18(1) de la Loi SAPMAA exclut expressément le moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable.

1.3. L’affirmation de M. Kankam selon laquelle [TRADUCTION] « il n’était pas lui-même ce jour-là » en raison de son deuil et de sa confusion constitue-t-elle un moyen de défense de common law fondé sur l’automatisme?

[19] Dans l’arrêt Stone [8] , la Cour suprême du Canada a défini l’automatisme comme « un état de conscience diminué, plutôt qu’une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actes ». Dans Klevtsov [9] , la Cour d’appel fédérale a reconnu que l’automatisme pouvait constituer un moyen de défense à l’égard d’une violation relative à l’importation de fruits au Canada sans les déclarer, même si les faits de cette affaire ne permettaient pas de l’invoquer. La Cour a souligné qu’il fallait satisfaire à deux critères pour établir ce moyen de défense : premièrement, le caractère involontaire de l’acte doit être allégué et, deuxièmement, une preuve psychiatrique doit confirmer l’allégation [10] .

[20] M. Kankam n’a pas allégué le caractère involontaire de l’acte, alléguant plutôt qu’il était en deuil et confus. Pour que soit établi le moyen de défense de l’automatisme, il doit y avoir une preuve de l’existence de facteurs comme l’intensité de l’élément déclencheur, le témoignage corroborant d’observateurs et des antécédents médicaux d’états de dissociation. Aucun facteur n’est déterminant à lui seul. M. Kankam n’a présenté aucune preuve médicale. L’agent a noté que M. Kankam était en mesure de soutenir une conversation au cours de laquelle il a identifié le produit et précisé le but de son voyage, et de répondre aux questions usuelles visant à savoir s’il avait fait ses bagages. Cela est très loin de satisfaire aux critères pour établir une défense d’automatisme. L’affirmation de M. Kankam selon laquelle [TRADUCTION] « il n’était pas lui-même ce jour-là » en raison de son deuil et de sa confusion à la suite du décès de son épouse ne le dégage pas de la responsabilité d’avoir commis la violation.

[21] À l’audience, M. Kankam a exprimé d’autres préoccupations quant à l’expérience qu’il a vécue avec l’Agence à son arrivée à l’aéroport de Toronto. M. Kankam a témoigné qu’il avait perdu son passeport à un moment donné avant ou après avoir quitté l’avion. Dans son souvenir, il n’avait pas suivi la [TRADUCTION] « procédure normale » applicable à l’inspection primaire et secondaire. Il se souvenait d’avoir rempli la carte de déclaration, mais ne se souvenait pas des réponses qu’il avait inscrites. Il se souvenait que, lorsqu’il était arrivé à l’inspection secondaire, l’agent avait déjà son passeport. L’agent ne se souvenait pas d’avoir eu le passeport de M. Kankam lorsque celui-ci était arrivé à l’inspection secondaire. De son propre aveu, M. Kankam était confus ce jour-là. L’agent a témoigné que le code « 57 » écrit à la main sur la carte de déclaration de M. Kankam signifiait un renvoi pour inspection secondaire des bagages. Quelle que soit la suite des événements l’ayant amené dans l’aire d’inspection secondaire, rien n’indiquait que quelque chose d’inapproprié ou d’inéquitable s’était produit.

5. SANCTION

[22] La Loi SAPMAA [11] et le Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire [12] établissent un régime de sanctions administratives pécuniaires (amendes) apportant une solution de rechange juste et efficace aux accusations criminelles quant à l’application des lois et règlements en matière d’agroalimentaire, notamment la Loi SA et le Règlement SA. La Loi SAPMAA confère aux agents des services frontaliers le pouvoir discrétionnaire de dresser un procès-verbal assorti d’une sanction ou d’un avertissement [13] .

[23] La violation de l’article 40 du Règlement SA est qualifiée de « grave » [14] . Le montant de la sanction applicable à une violation grave commise par une personne physique, sauf dans le cadre d’une entreprise ou à des fins lucratives, est de 800 $ [15] .

[24] La Loi SAPMAA ne confère pas expressément à la Commission le pouvoir de remplacer un procès-verbal assorti d’une sanction par un procès-verbal assorti d’un avertissement, de réduire la sanction ou d’y renoncer ou de pardonner la violation. La Commission a conclu qu’elle ne peut pas modifier la sanction ou y renoncer pour des motifs d’ordre humanitaire ou financier ou en raison des circonstances [16] . La sanction a été établie conformément à la Loi SAPMAA et au Règlement SAPMAA.

6. CONCLUSION/ORDONNANCE

[25] M. Kankam a omis de déclarer de la viande de chèvre en violation de l’article 40 du Règlement SA. Il n’a établi aucun moyen de défense admissible ou motif juridique pouvant le dégager de la responsabilité d’avoir commis la violation. La sanction de 800 $ a été infligée conformément à la Loi SAPMAA et au Règlement SAPMAA. La Commission a le pouvoir d’établir le délai et les modalités de paiement de la sanction [17] . M. Kankam doit payer la sanction à l’Agence des services frontaliers du Canada dans les huit (8) mois suivant la date de notification de la présente décision. Il pourra faire des paiements partiels au cours de la période de huit (8) mois.

[26] Cette violation ne constitue pas une infraction criminelle. Cinq ans après la date à laquelle il aura payé entièrement la sanction, M. Kankam pourra demander au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire de rayer la violation de son dossier, conformément à l’article 23 de la Loi SAPMAA.

(Originale signée)

Marthanne Robson

Membre

Commission de révision agricole du Canada



[3] Gouvernement du Canada, Système automatisé de référence à l’importation (SARI); en ligne : https://airs-sari.inspection.gc.ca/airs_external/francais/decisions-fra.aspx.

[5] Gouvernement du Canada, Système automatisé de référence à l’importation (SARI); en ligne : https://airs-sari.inspection.gc.ca/airs_external/francais/decisions-fra.aspx.

[7] Ibid., par. 18(2).

[11] Loi SAPMAA, supra note 6.

[13] Loi SAPMAA, supra note 6, par. 7(2).

[14] Règlement SAPMAA, supra note 8, annexe 1.

[15] Règlement SA, supra note 2, al. 5(1)c).

[17] Paragraphe 14(2) de la Loi SAPMAA.

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