Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :

Irakoze c Agence des services frontaliers du Canada, 2022 CRAC 12

 

Dossier : CRAC-2162

 

ALINE IRAKOZE

DEMANDERESSE

- ET -

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

INTIMÉE

DEVANT :

Geneviève Parent, Membre

AVEC :

M. Jessy Ishimwe, représentant pour la demanderesse; et

 

M. Kristian Turenne, représentant de l’intimée

DATE DE LA DÉCISION :

Le 17 mai 2022

Affaire concernant une demande de révision formulée à la Commission de révision agricole du Canada conformément à l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi SAPMAA) et relative au procès-verbal no 3961-20- 0094 qui allègue que la demanderesse a contrevenu au paragraphe 16(1) de la Loi sur la santé des animaux (Loi SA).

DÉCISION RENDUE SUR DOSSIER


1. INTRODUCTION

[1] Cette décision est rendue sur dossier. Elle concerne une demande formulée par Mme Irakoze à la Commission de révision agricole du Canada (Commission) pour révision du procès-verbal no 3961-20-0094, conformément à l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi SAPMAA).

[2] Le procès-verbal no 3961-20-0094 émis par l’Agence des services frontaliers du Canada (Agence) allègue que la demanderesse aurait fait défaut de présenter un produit ou sous-produit animal, en l’espèce 2,88 Kg de saucisses de bœuf et/ou de porc (31 saucisses), lors de son entrée au Canada le ou vers le 10 janvier 2020, après un séjour au Rwanda, contrevenant ainsi au paragraphe 16(1) de la Loi sur la santé des animaux (Loi SA).

[3] Après un examen des faits et selon la prépondérance des probabilités, je conclus que Mme Irakoze a commis la violation reprochée et que la sanction pécuniaire imposée de 1 300$ a été établie en application du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Règlement SAPMAA).

2. HISTORIQUE JUDICIAIRE

[4] Mme Irakoze a signifié à la Commission être représentée par M. Jessy Ishimwe.

[5] Malgré des demandes répétées de la Commission, Mme Irakoze n’a pas indiqué à la Commission si elle souhaitait procéder sur dossier ou par le biais d’une audience en personne alors que l’Agence a quant à elle signifié qu’elle préférait que la Commission rende une décision sur dossier.

[6] Après consultation avec les parties pour connaitre leurs disponibilités, une conférence obligatoire de gestion d’instance (CGI) a été fixée le 15 novembre 2021 à 10h.

[7] À l’ouverture de la CGI à 10h le 15 novembre 2021, ni Mme Irakoze ni son représentant n’étaient présents. La Commission a mis fin à la CGI après 30 minutes d’attente et plusieurs tentatives pour rejoindre la demanderesse et son représentant.

[8] Dans ce contexte, la Commission a émis une ordonnance le même jour enjoignant Mme Irakoze d’informer la Commission de sa décision de procéder sur dossier ou par audience en personne et ce, au plus tard le 22 novembre 2021 à 16h. À défaut pour Mme Irakoze ou son représentant de répondre avant le délai imparti, la Commission rendrait une décision sur dossier dans cette affaire.

[9] Aucune communication écrite de Mme Irakoze ou de son représentant n’a été reçue à la Commission depuis. Une décision sur dossier est donc rendue dans cette affaire.

3. CADRE JURIDIQUE

[10] Le paragraphe 12(1) de la Loi sur les douanes exige qu’un voyageur déclare toutes les marchandises qu’il importe au Canada. Ce voyageur a notamment l’obligation, soit avant soit au moment de son entrée au Canada, de déclarer un sous-produit animal (comme des saucisses de viande de porc et/ou de bœuf) et de le présenter en vue de son inspection, à un inspecteur, à un agent d’exécution ou à un agent des douanes, conformément au paragraphe 16(1) de la Loi SA [1] .

[11] La déclaration d’un sous-produit animal et la démarche visant à le rendre disponible en vue de son inspection doivent être effectuées au premier contact avec les représentants des douanes au Canada. Comme précisé dans Savoie-Forgeot, le moment de la déclaration est important, car il n’est pas loisible au voyageur qui entre au Canada de tenter sa chance et d’attendre de voir s’il fait l’objet d’une inspection secondaire par un agent des services frontaliers avant de décider de faire une déclaration [2] .

[12] Pour les voyageurs qui entrent au pays par voie aérienne, cette déclaration est habituellement faite sur la carte de déclaration préalable E311 ou au guichet de l’Agence des services frontaliers du Canada (Agence) lors de l’inspection primaire faite par un agent des services frontaliers du Canada (ASF).

[13] Les personnes qui ne déclarent pas le sous-produit animal qu’elles ont en leur possession et qui ne le rendent pas accessibles pour une inspection contreviennent notamment à la Loi SA et au Règlement sur la santé des animaux (Règlement SA).

[14] Les éléments constitutifs de la violation du paragraphe 16(1) de la Loi SA et qui doivent être prouvés selon la prépondérance des probabilités par l’Agence sont les suivants:

  1. Mme Irakoze est la personne visée par le procès-verbal
  2. Mme Irakoze a importé un produit ou sous-produit animal au Canada
  3. Mme Irakoze a omis de déclarer le produit ou sous-produit animal à la première occasion à un agent des services frontaliers et ne l’a donc pas rendu disponible en vue d’une inspection et,
  4. Aucune des exceptions énumérées à la partie IV duRèglement SAne s’appliquaient au moment où le procès-verbal assorti d’une sanction a été délivré.

[15] La Commission a compétence pour entendre la demande de révision conformément à l’alinéa 9(2)c) de la Loi SAPMAA. La Commission doit donc évaluer si l’Agence a démontré, selon la prépondérance des probabilités, les éléments constitutifs de la violation prévue au paragraphe 16(1) de la Loi SA. Le cas échéant, elle devra ensuite évaluer si le montant de la sanction administrative pécuniaire de 1 300$ a été établi en application des règlements et, à défaut, y substituer le montant qu’elle juge conforme.

4. QUESTIONS EN LITIGE

[16] La Commission doit répondre aux questions en litiges suivantes :

Question en litige 1 : L’Agence a-t-elle démontré, selon la prépondérance des probabilités, les éléments constitutifs de la violation de l’alinéa 16(1) de la Loi SA?

Question en litige 2 : Dans l’affirmative, Mme Irakoze a-t-elle invoqué un moyen de défense admissible eu égard à la violation?

Question en litige 3 : S’il est décidé qu’aucun moyen de défense admissible n’a été invoqué, la sanction administrative pécuniaire a-t-elle été établie en application de la Loi SAPMAA et du Règlement SAPMAA?

5. ANALYSE

I. Question en litige 1 : L’Agence a-t-elle démontré, selon la prépondérance des probabilités, les éléments constitutifs de la violation du paragraphe 16(1) de la Loi SA?

[17] Après avoir examiné les éléments de preuve au dossier, je conclus que l’Agence a démontré que Mme Irakoze avait commis la violation. En effet, tous les éléments constitutifs d’une violation énoncés au paragraphe 16(1) de la Loi SA sont établis selon la prépondérance des probabilités :

  1. Mme Irakoze est la personne visée par le procès-verbal
  2. Mme Irakoze a importé un produit ou sous-produit animal au Canada
  3. Mme Irakoze a omis de déclarer le produit ou sous-produit animal et ne l’a pas rendu disponible en vue d’une inspection et,
  4. Aucune des exceptions énumérées à la partie IV duRèglement SAne s’applique.

1. Mme Irakoze est la personne visée par le procès-verbal

[18] L’identité de Mme Irakoze a été confirmée par l’ASF Chaput lors de l’inspection primaire et par l’ASF Bonin lors de l’inspection secondaire, par le biais de l’examen de son titre de voyage, de sa carte de résidente permanente et de sa carte d’embarquement. L’Agence a produit des copies de ces documents qui ont été utilisés pour confirmer l’identité de la demanderesse. De plus, Mme Irakoze ne conteste pas que ce soit bien elle qui s’est vu remettre le procès-verbal en question. L’Agence a donc établi le premier élément constitutif de la violation à savoir que Mme Irakoze est la personne identifiée dans le procès-verbal.

2. Mme Irakoze a importé un produit ou sous-produit animal au Canada

[19] Lors de l’examen des bagages de Mme Irakoze, l’ASF Bonnin trouve 2,88 kg de saucisses de viande de porc et/ou de bœuf (31 saucisses), un sous-produit animal. Lorsque l’ASF Bonin a demandé la composition de ces saucisses à Mme Irakoze, elle a d’abord dit qu’il s’agissait de saucisses de porc. Après que l’ASF Bonin lui ait expliqué les dangers que comporte la fièvre porcine africaine, Mme Irakoze a alors dit qu’il s’agissait de saucisses de bœuf pour finalement dire qu’elles contenaient peut-être du porc et du bœuf. Or, le Système automatisé de référence à l'importation (SARI) confirme que l'entrée au Canada doit être refusée tant pour les produits et sous-produits de viande de porc que de viande de bœuf originaires du Rwanda.

[20] Mme Irakoze ne conteste d’ailleurs pas que l’agent ait trouvé 2,88 kg de saucisses de viande en provenance du Rwanda dans ses bagages. Ainsi, l’Agence a établi le deuxième élément constitutif de la violation à savoir que Mme Irakoze a importé un produit ou sous-produit animal au Canada.

3. Mme Irakoze a omis de déclarer le produit ou sous-produit animal et ne l’a pas rendu disponible en vue d’une inspection

[21] Selon le droit en vigueur, Mme Irakoze était tenue de déclarer le produit ou sous-produit animal (saucisses de viande de porc et/ou de bœuf) à la première occasion dès son entrée au Canada et de le rendre accessible à un agent des services frontaliers (ASF) en vue d’une inspection [3] .

[22] Or, la preuve démontre que Mme Irakoze n’a pas utilisé les bornes d’inspection primaire pour compléter au préalable sa déclaration. Lors de l’inspection primaire effectuée par l’ASF Chaput, elle a déclaré verbalement à ce dernier n’avoir rien à déclarer. Il lui a alors remis un formulaire BSF423 puis l’a dirigée pour une inspection secondaire.

[23] À l’inspection secondaire, Mme Irakoze rencontre l’ASF Bonin à qui elle ne remet pas le formulaire BSF423, affirmant plutôt l’avoir jeté aux poubelles. L’ASF Bonin a demandé à Mme Irakoze s’il s’agissait bien de ses bagages, si elle était au courant du leur contenu et si elle avait fait ses bagages elle-même. La demanderesse a répondu « oui » aux trois questions. Encore à cette étape, Mme Irakoze ne déclare pas la présence d’un produit ou un sous-produit animal (saucisses de viande de porc et/ou de bœuf) dans ses bagages. L’ASF Bonnin ne découvre les saucisses qu’après avoir effectué la vérification des quatre (4) valises et deux (2) bagages à main de Mme Irakoze.

[24] En s’abstenant de remplir une carte de déclaration indiquant qu’elle importait des produits ou sous-produits animal, en ne déclarant pas la présence de saucisses de viande dans ses valises ni lors de l’inspection primaire effectuée par l’ASF Chaput, ni lors de l’inspection secondaire effectuée par l’ASF Bonin, Mme Irakoze n’a pas déclaré ces produits et ne les a pas rendus accessibles pour une inspection, comme le droit en vigueur l’exige. Le troisième élément constitutif de la violation a donc été prouvé selon la balance des probabilités par l’Agence.

4. Aucune des exceptions énumérées à la partie IV du Règlement SA ne s’appliquent

[25] L’article 52 du Règlement SA autorise l’importation d’un sous-produit animal 1) si l’importateur se voit délivrer un permis l’autorisant ou 2) si l’importateur présente un document qui expose en détail le traitement qu’a subi le sous-produit en question. Ces exceptions ne trouvent pas application en l’espèce. Les notes de l’ASF Bonin indiquent que, lorsqu’on lui a demandé si elle avait un permis autorisant l’importation de sous-produit animal, Mme Irakoze a répondu « non » et aucune preuve à l’effet contraire n’a été déposée par Mme Irakoze. L’Agence a donc prouvé le quatrième élément constitutif de la violation à savoir qu’aucune des exceptions énumérées dans la partie IV du Règlement SA ne s’appliquaient au moment où le procès-verbal a été délivré.

II. Question en litige 2 : Si Mme Irakoze a commis la violation, a-t-elle invoqué un moyen de défense admissible?

[26] Mme Irakoze n’a pas invoqué un moyen de défense admissible permettant de l’exonérer de sa responsabilité engagée pour avoir omis de déclarer les saucisses de de viande de porc et/ou de bœuf en provenance du Rwanda.

[27] Dans ses observations présentées à la Commission, Mme Irakoze a expliqué que, parce qu’elle n’avait pas les bagages en sa possession, elle a oublié de déclarer les saucisses qui étaient dans ses valises. Mme Irakoze plaide qu’elle était fatiguée après 22 heures de vol avec un enfant en bas âge et qu’elle n’a pas bien compris les questions que lui posaient les agents. Mentionnons que le rapport de l’ASF Bonin confirme toutefois que Mme Irakoze comprenait bien les questions posées et qu’il n’y avait pas de problème de communication. Elle soutient de plus qu’elle croyait que l’agent lui demandait si elle avait de la nourriture sur sa personne et non dans ses valises. Elle indique finalement qu’elle n’avait « aucune raison de croire » que les aliments qu’elle apportait au Canada étaient interdits ou qu’il fallait prendre des mesures spéciales en ces circonstances.

[28] Ces arguments constituent une défense d’erreur de fait. Or, le paragraphe 18(1) de la Loi SAPMAA exclut expressément l’erreur de fait comme moyen de défense valable dans un cas comme celui qui nous occupe et ce, même si la Commission n’ait aucune raison de douter qu’il s’agit d’une erreur raisonnable commise de bonne foi par Mme Irakoze [4] .

III. Question en litige 3 : La sanction administrative pécuniaire a-t-elle été établie en application de la Loi SAPMAA et le Règlement SAPMAA?

[29] Je conclus que la sanction administrative pécuniaire de 1 300 $ imposée à Mme Irakoze a été établie en application de la Loi SAPMAA et du Règlement SAPMAA. En effet, le paragraphe 5(1) du Règlement SAPMAA prévoit une sanction de 1 300 $ pour les violations que le Règlement SAPMAA qualifie de très graves. Or, les violations du paragraphe 16(1) de la Loi SA sont classées comme très graves selon l’Annexe 1 du Règlement SAPMAA.

[30] Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que l’Agence a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, les éléments constitutifs d’une violation du paragraphe 16(1) de la Loi SA, que Mme Irakoze n’a pas produit une défense admissible et que la sanction a été établie en application de la Loi SAPMAA et du Règlement SAPMAA.

5. ORDONNANCE

[31] Je conclus que Mme Irakoze a commis la violation indiquée au procès-verbal no 3961-20- 0094, et j’ordonne qu’elle paie la sanction de 1 300 $ à l’Agence dans les soixante (60) jours suivants la date à laquelle cette décision est rendue.

[32] Je tiens par ailleurs à informer Mme Irakoze que cette violation ne constitue pas une infraction criminelle. Cinq ans après la date du paiement de la sanction, elle pourra demander au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de faire rayer la violation de son dossier, conformément à l’article 23 de la Loi SAPMAA.

(Originale signée)

Geneviève Parent

Membre

Commission de révision agricole du Canada



[2] Ibid, au para 25.

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