Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :

EUSI Farms Ltd. et T. Burgin Trucking Ltd. c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2021 CRAC 29

 

Dossier : CRAC – 2139

CRAC - 2140

ENTRE :

EUSI FARMS LTD.

DEMANDERESSE

-ET-

T. BURGIN TRUCKING LTD.

DEMANDERESSE

-ET-

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

INTIMÉE

[Traduction de la version officielle en anglais]

DEVANT :

Patricia L. Farnese, membre

AVEC :

Mme Paula Lombardi, représentant les demanderesses;

 

M. Benjamin Wong, représentant l’intimée

DATE DE LA DÉCISION :

Le 3 novembre 2021

DATES DE L’AUDIENCE VIRTUELLE :

Les 14 et 15 juin 2021


1. INTRODUCTION

[1] EUSI Farms Ltd. (EUSI Farms) et T. Burgin Trucking Ltd. (T. Burgin Trucking) se sont vu délivrer un procès-verbal comportant un avertissement pour avoir contrevenu à l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux (Règlement SA) après le déchargement d’une vache boiteuse à une installation d’abattage. La question est de savoir si l’animal fragilisé pouvait être légalement transporté et, s’il pouvait l’être, si l’animal a subi des souffrances indues pendant le transport.

[2] Il s’agit d’une révision des faits reprochés en vertu du paragraphe 8(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi SAPMAA). Je conclus que EUSI Farms et T. Burgin Trucking ont transporté un bouvillon qui était inapte au transport en raison d’une boiterie. Étant donné que le transport du bouvillon a été effectué en contravention de l’alinéa 138(2)a) du Règlement SA, le procès-verbal comportant un avertissement est confirmé.

[3] T. Burgin Trucking et EUSI Farms ont présenté une défense combinée. Par souci de commodité, je ne mentionnerai dorénavant que EUSI Farms.

2. CADRE JURIDIQUE

[4] La Loi SAPMAA et le Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Règlement SAPMAA) établissent un processus uniforme d’application à l’égard des violations prévues par plusieurs lois des secteurs agricole et agroalimentaire. La violation de l’alinéa 138(2)a) du Règlement SA est assujettie au régime de la Loi SAPMAA. Lorsqu’un demandeur demande une révision par la Commission de révision agricole du Canada (Commission) en vertu du paragraphe 8(1) relativement à un procès-verbal comportant un avertissement, et non une sanction, délivré par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (Agence), la Commission révise les faits reprochés pour déterminer si la violation a été commise.

[5] Pour que le procès-verbal soit confirmé, l’Agence doit établir, selon la prépondérance des probabilités, les sept éléments constitutifs de la violation, qui sont les suivants (Doyon [1] ) :

  1. qu’il y a eu chargement (incluant le fait de faire charger) ou transport (incluant le fait de faire transporter);
  2. que le chargement ou le transport s’est fait à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire;
  3. que la cargaison chargée était un animal;
  4. que le transport ne pouvait se faire sans souffrances indues;
  5. que ces souffrances indues ont été subies au cours du voyage prévu (en anglais « expected journey »);
  6. qu’un transport sans souffrances indues ne pouvait se faire à cause de l’infirmité, de la maladie, d’une blessure ou de la fatigue de l’animal ou pour toute autre cause; et
  7. qu’il existe un lien de causalité entre le transport, les souffrances indues et l’infirmité, la maladie, la blessure ou la fatigue de l’animal ou toute autre cause.

[6] Des souffrances indues peuvent se produire si un animal inapte est transporté pour une raison autre qu’en vue d’un traitement ou d’un diagnostic vétérinaire [2] ou si un animal fragilisé est transporté sans que des mesures adéquates soient prises pour minimiser les souffrances [3] . S’il est conclu que l’animal était inapte ou qu’aucune mesure adéquate n’a été prise lors du transport d’un animal fragilisé, l’Agence doit quand même établir que l’animal a souffert pendant le transport pour qu’une violation se produise.

[7] Le régime de la Loi SAPMAA crée des infractions de responsabilité absolue, ce qui signifie que très peu de moyens de défense peuvent être invoqués pour éviter le procès-verbal une fois que les éléments de l’infraction sont établis. EUSI Farms n’a soulevé aucun moyen de défense admissible.

3. QUESTION EN LITIGE

[8] Les éléments 1,2 et 3 ont été admis par EUSI Farms dans l’exposé conjoint des faits. Il y a eu chargement d’un animal, plus précisément un bouvillon, à bord d’une remorque et transport des installations de EUSI Farms aux installations de transformation de Cargill. À l’audience, EUSI Farms n’a pas non plus contesté le fait que le bouvillon était fragilisé au moment du chargement. M. Burgin, copropriétaire et exploitant principal, a témoigné qu’ils avaient décidé de transporter le bouvillon avant que sa boiterie ne s’aggrave et rende l’animal inapte au transport.

[9] Les questions qui font l’objet d’un litige entre les parties et qui doivent être tranchées dans le cadre de la présente révision sont les suivantes :

Question no 1 : Le bouvillon était-il inapte au transport en raison d’une boiterie?

Question no 2 : Le bouvillon a-t-il subi des souffrances indues pendant le transport?

4. ANALYSE

I. Question no 1 : L’animal était-il inapte au transport en raison d’une boiterie?

[10] Après avoir examiné la preuve, je conclus que le bouvillon que EUSI Farms a chargé et livré à Cargill était inapte au transport en raison d’une boiterie. Le document intitulé « Le programme concernant le transport sans cruauté des animaux - Politique sur les animaux fragilisés » (la politique) définit l’animal inapte comme « un animal dont les capacités de résistance au transport sont affaiblies et qui serait encore plus exposé [sic] à des souffrances indues ». Des lignes directrices figurant dans la politique énumèrent les critères applicables pour déterminer si un animal est apte au transport. Parmi les critères énumérés, seule la boiterie est pertinente parce que l’animal est ambulatoire.

[11] La politique indique qu’une boiterie peut rendre un animal inapte au transport, même s’il est ambulatoire, dans les cas où le transport occasionnera des souffrances indues. Un animal boiteux qui « a une motricité imparfaite, une légère boiterie » peut être transporté en prenant des dispositions spéciales, mais un animal boiteux devient inapte au transport s’il présente « une boiterie apparente avec distribution inégale du poids, et aucun poids d'appui sur une patte immédiatement identifiable (incapacité d'utiliser une patte pour marcher) ».

[12] L’Agence souscrivait auparavant à un ensemble de cinq classes de boiterie visant à orienter les décisions en matière de transport. L’animal de la classe 2 était celui qui était « incapable de garder le rythme » et qui pouvait avoir des « difficultés à monter les rampes ». L’animal de la classe 2 pouvait être transporté si des dispositions spéciales étaient prises pour lui éviter des souffrances indues. L’animal de la classe 3 était jugé inapte au transport parce qu’il était celui qui « [avait] besoin d’aide pour se lever, mais qui [pouvait] marcher seul ». Les classes de boiterie, bien que faciles à mettre en oeuvre, ne reflétaient pas la politique, qui met l’accent sur la gravité de la boiterie et la qualité et la forme de la démarche. Un animal qui est fragilisé en raison d’une boiterie peut être inapte au transport même s’il n’a pas besoin d’aide pour se lever et marcher.

[13] En 2013, l’Agence a mis à jour la politique avec un document intitulé « Descriptions de boiteries rendant les animaux fragilisés ou inaptes au transport », qui ne mentionne plus les classes de boiterie. L’Agence décrit maintenant l’animal inapte comme étant celui qui « boite à tel point qu’il présente des signes de douleur ou de souffrance et qu’il fait des mouvements saccadés ou qu’il hésite à marcher » et qui « boite à tel point qu'il est incapable de marcher sur tous ses membres (marche sans mettre de poids sur un de ses membres) ». La nouvelle approche ne trace plus de ligne de démarcation entre les animaux inaptes ou fragilisés en raison d’une boiterie en fonction de la question de savoir si l’animal a besoin d’aide pour se lever et se déplacer. La politique définit séparément les animaux inaptes comme des animaux non ambulatoires et des animaux fragilisés qui subiront des souffrances indues s’ils sont transportés. Si la politique est appliquée avec la ligne de démarcation utilisée dans les classes de boiterie, le fait de décrire un animal comme étant inapte au transport s’il « ne peut être transporté sans souffrances indues en raison d'une boiterie » est superflu.

[14] La politique prévient que l’état des animaux qui sont fragilisés en raison d’une boiterie peut s’aggraver rapidement. Le rythme auquel l’état peut se détériorer est la raison pour laquelle on ne recommande le transport que lorsque la boiterie est « légère » ou que « le membre atteint peut ne pas être immédiatement identifiable ». Dans la vidéo montrant le bouvillon dans l’enclos d’inspection, le bouvillon présente une boiterie prononcée et apparente avec distribution minimale du poids sur la patte blessée. Le bouvillon s’arrête pour éviter de mettre du poids sur la patte blessée et ne pose que le bout du sabot sur le sol de façon intermittente pour se tenir en équilibre. Le bouvillon préfère s’allonger dans l’enclos plutôt que de se tenir debout en supportant son poids, même s’il s’agit d’un environnement qui ne lui est pas familier. Si j’adopte une conception ordinaire du terme « légère », qui signifie superficielle, peu profonde ou anodine, la boiterie que présentait le bouvillon dépassait largement ce seuil.

[15] Bien que la politique définisse l’animal inapte comme un animal qui ne présente « aucun poids d'appui sur une patte », je n’interprète pas cela comme voulant dire que, si l’animal met parfois du poids sur la patte, il ne doit pas être inapte. La vidéo démontre clairement que le bouvillon hésite à ajouter du poids à la patte blessée et qu’il ne le fait que dans la mesure nécessaire pour maintenir son équilibre. Le bouvillon lève aussi régulièrement la patte et la maintient au-dessus du sol lorsqu’il est debout. Cette interprétation est compatible à la fois avec la directive de la politique selon laquelle seul un animal dont la boiterie est « légère » peut être transporté et avec l’objet général du paragraphe 138(2) de réduire les souffrances indues.

[16] Étant donné que EUSI Farms a été accusée en vertu du paragraphe 138(2) du Règlement SA, le moment pertinent pour déterminer si l’animal était inapte au transport, comme l’indique la politique, est le moment du chargement. Toute autre interprétation du moment pertinent pour déterminer si un animal est inapte rendrait superflu le paragraphe 138(4).

[17] EUSI Farms soutient que l’animal n’était pas inapte au moment du chargement. M. Burgin a témoigné au sujet des procédures élaborées utilisées par EUSI Farms pour choisir les animaux qui sont envoyés à l’abattoir. Ce processus est fondé sur l’expertise de leur vétérinaire consultant, le Dr Dimmers, et comporte un examen de la question de savoir si l’animal est apte au transport selon les classes de boiterie auxquelles souscrivait auparavant l’Agence. Il a en outre témoigné que lui et ses employés, qui ont aussi reçu une formation sur l’évaluation de l’aptitude au transport à l’aide des classes de boiterie, avaient décidé de procéder au transport du bouvillon au moment où ils l’ont fait après avoir tenu compte de l’état fragilisé du bouvillon.

[18] M. Burgin a témoigné que la décision de procéder au transport tenait également compte du fait que l’on s’attendait à ce que la boiterie s’aggrave. Il a témoigné qu’il avait prévu effectuer le transport après que la plaie soit guérie et avant que la boiterie ne s’aggrave au point de rendre l’animal inapte au transport afin de réduire au minimum les souffrances du bouvillon. M. Burgin et ses employés s’appuyaient toutefois sur la question de savoir si l’animal avait besoin d’aide pour déterminer si un animal boiteux était fragilisé ou inapte. On a montré à M. Burgin le document intitulé « Arbre de décision pour le transport » du Conseil national pour les soins aux animaux d’élevage, qui reflète les lignes directrices mises à jour de l’Agence. Il a déclaré qu’il connaissait ce document et que l’Agence n’utilise plus les classes de boiterie. Même si l’erreur devait constituer un moyen de défense valable à l’égard de cette violation, M. Burgin ne croyait pas de façon erronée que les classes de boiterie étaient toujours utilisées par l’Agence pour déterminer si un animal fragilisé était apte au transport. Son évaluation de l’état du bouvillon au moment du chargement n’est pas convaincante, car elle est fondée sur une interprétation désuète de la politique.

[19] Le fait que le chauffeur, M. David Wall, ait permis le chargement du bouvillon ne change en rien ma conclusion selon laquelle l’animal était inapte au transport. L’évaluation de M. Wall est également peu convaincante même s’il a reçu une formation sur le transport sécuritaire et sans cruauté des bovins et possède une vaste expérience. Je retiens le témoignage de M. Wall selon lequel, s’il avait cru que le bouvillon était inapte au transport, il n’aurait pas procédé au chargement. Il n’en demeure pas moins que M. Wall a déclaré qu’il conserve une copie des classes de boiterie périmées dans son camion. L’explication de M. Wall selon laquelle il ne procède jamais au chargement d’un animal inapte, qu’il définit comme un animal qui ne peut se tenir debout, qui est incapable de marcher seul jusqu’au camion ou qui tombe, confirme que son évaluation selon laquelle le bouvillon était apte au transport est également fondée sur les classes de boiterie périmées.

[20] Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que le transport du bouvillon ne pouvait se faire sans souffrances indues à cause d’une boiterie. L’Agence a établi les éléments 4 et 6 de la violation de l’alinéa 138(2)a) du Règlement SA. Je retiens l’évaluation d’expert de la Dre Saraladevi selon laquelle l’étendue de l’infection et de l’enflure observées lors de la nécropsie indiquait que la boiterie ne pouvait être légère au moment du chargement. Le témoignage de la Dre Saraladevi selon lequel les tissus présentaient une infection persistante au siège de la plaie concordait également avec le témoignage de M. Burgin selon lequel le bouvillon avait été traité pour une infection dans les semaines précédant le transport.

[21] Lorsque les témoignages des témoins experts sont contradictoires, j’accorde plus de poids à celui de la Dre Saraladevi. Le Dr Dimmers n’a pas inspecté le bouvillon avant ou après l’euthanasie. Le Dr Dimmers a également reconnu que certaines choses, notamment la plaie ouverte, n’étaient pas facilement visibles dans la vidéo et que, par conséquent, il ne disposait pas d’un compte-rendu exact de l’état du bouvillon. Le Dr Dimmers s’est aussi montré réticent à reconnaître la mesure dans laquelle le bouvillon protégeait sa patte boiteuse dans les vidéos présentées en preuve. Il a également critiqué de façon déraisonnable l’inspection post-mortem de la Dre Saraladevi, faisant notamment observer que la nécropsie n’avait été pratiquée que partiellement et que les notes de cette dernière ne mentionnaient pas l’absence de fracture. Je retiens l’explication de la Dre Saraladevi selon laquelle la nécropsie partielle et les renseignements contenus dans ses notes étaient suffisants étant donné que l’animal présentait une plaie ouverte et une boiterie apparente à une patte seulement.

II. Question no 2 : Le bouvillon a-t-il souffert pendant le transport?

[22] Les derniers éléments de l’infraction prévue à l’alinéa 138(2)a), les éléments 5 et 7, sont établis parce que le bouvillon a subi des souffrances indues et que ces souffrances résultaient du transport. Dans Doyon [4] , la Cour d’appel fédérale a indiqué que, même si j’ai conclu qu’un animal était inapte au transport en raison des souffrances indues pouvant en résulter, je dois néanmoins établir l’existence d’un lien de causalité entre les souffrances indues que l’animal a subies et le transport. EUSI Farms a contesté l’existence de ce lien de causalité et affirmé que les souffrances indues avaient commencé après le transport et résultaient de l’isolement du bouvillon en vue de l’inspection. Comme j’ai déjà conclu que la preuve prépondérante étaye la conclusion selon laquelle l’état du bouvillon était tel que tout transport pouvait lui occasionner des souffrances indues, la preuve selon laquelle l’état du bouvillon s’est aggravé pendant le transport établit solidement l’existence du lien de causalité. La preuve démontre que la boiterie que présentait le bouvillon était plus prononcée lors du déchargement qu’au moment du chargement et qu’une plaie guérie s’était rouverte.

[23] La Commission a déjà statué que « [b]ien que le “transport” englobe évidemment le temps effectivement passé “sur la route”, il comporte plusieurs étapes, y compris les gestes physiques de charger, transporter et décharger les animaux » [5] . EUSI Farms a souligné que, sur la carte de réception de Cargill, le réceptionnaire de Cargill avait qualifié le bouvillon d’animal présentant une boiterie de classe 2 au moment du déchargement. Comme je l’ai expliqué, un animal qualifié d’animal présentant une boiterie de classe 2 peut quand même subir des souffrances indues. La conclusion selon laquelle l’état du bouvillon a été aggravé par l’inspection ne dégage pas forcément EUSI Farms de la responsabilité d’avoir commis la violation en l’espèce.

[24] Dans son témoignage, l’inspecteur Samuel a déclaré que le bouvillon avait la patte avant enflée et ne n’appuyait aucun poids sur cette patte lors du déchargement. Ces observations ont également été inscrites dans les notes écrites qu’il a rédigées peu de temps après avoir observé l’animal. M. Wall a témoigné que, bien qu’il ne se souvienne pas précisément de ce bouvillon, il n’aurait pas chargé l’animal s’il avait estimé qu’il risquait de tomber. Un animal qui ne présente aucun poids d’appui sur une patte risque de tomber. Étant donné que M. Wall a procédé au chargement de l’animal, la preuve étaye, selon la prépondérance des probabilités, la conclusion selon laquelle l’état de l’animal s’est aggravé pendant le transport.

[25] Une plaie ouverte est visible sur les photos que l’inspecteur Samuel a prises du bouvillon après le déchargement. L’inspecteur Samuel a également témoigné que la plaie était l’une des raisons pour lesquelles il avait isolé l’animal. M. Wall et M. Burgin ont témoigné que la plaie était guérie au moment du chargement. Je conclus que la plaie doit s’être rouverte pendant le transport. La plaie ouverte, quoique petite, aurait augmenté les souffrances du bouvillon, lesquelles dépassaient déjà largement le seuil permis par la Loi sur la santé des animaux parce que l’état du bouvillon le rendait inapte au transport.

Commentaires généraux

[26] Une grande partie de l’audience a été consacrée au débat portant sur le caractère adéquat des dispositions spéciales que EUSI Farms a prises pour réduire au minimum les souffrances du bouvillon pendant le transport, pour le cas où je conclurais que l’animal était fragilisé plutôt qu’inapte. Les arguments soulevés par les parties commandent quelques commentaires généraux qui pourraient être utiles à ceux qui devront appliquer la politique à l’avenir dans des situations semblables.

[27] La Commission a déjà statué que les lignes directrices de l’industrie peuvent servir à déterminer si des mesures adéquates ont été prises pour prévenir les souffrances indues lors du transport d’un animal fragilisé [6] . Plus particulièrement, les Humane Handling Guidelines for Beef Cattle (les lignes directrices relatives aux bovins de boucherie) proposent des pratiques exemplaires pour le transport des animaux énonçant les facteurs qui augmentent la probabilité que des souffrances indues soient subies ainsi que les mesures qui peuvent être prises pour minimiser les souffrances. Les mesures précises à prendre lorsque les animaux présentent une boiterie ne sont toutefois pas imposées explicitement. Il est plutôt attendu que les transporteurs fassent preuve de jugement pour déterminer les mesures nécessaires afin d’éviter des souffrances indues aux animaux.

[28] EUSI Farms soutient que des mesures adéquates ont été prises pour faire en sorte que l’animal ne souffre pas pendant le transport. Ces mesures étaient fondées sur des séances régulières de formation et sur les conseils prodigués par leur vétérinaire, le Dr Dimmers. Le Dr Dimmers ne souscrit pas à la recommandation d’isolement pour le transport des animaux fragilisés figurant dans les lignes directrices relatives aux bovins de boucherie, car l’animal blessé qui se tient debout peut s’appuyer sur les autres animaux pendant le transport pour éviter de rebondir comme [TRADUCTION] « une balle de ping-pong » dans le compartiment. Sur le conseil du Dr Dimmers, le bouvillon a été transporté dans le compartiment arrière avec sept autres animaux. Par conséquent, l’Agence n’a pas reconnu que l’animal avait été isolé de façon adéquate pendant le transport. Le bouvillon se trouvait dans le compartiment arrière avec un animal de moins que ce que le compartiment pouvait contenir. La Dre Saraladevi a témoigné que l’animal aurait dû être chargé avec un seul autre animal dans son compartiment.

[29] Si l’animal avait été fragilisé, j’aurais conclu que l’approche adoptée par EUSI Farms constituait une disposition spéciale visant à réduire les souffrances pendant le transport d’un animal fragilisé. EUSI Farms avait le droit de suivre les conseils de son vétérinaire en l’espèce. L’approche fondée sur une recommandation d’isolement que préconisent les lignes directrices relatives aux bovins de boucherie ne constitue pas une exigence impérative. La politique prévoit expressément qu’il faut demander conseil à son vétérinaire lorsqu’il s’agit de déterminer les dispositions spéciales à prendre pour le transport d’un animal fragilisé. Le fait que EUSI Farms ait suivi le conseil du Dr Dimmers sur la façon de transporter les animaux fragilisés en général, et non un conseil demandé dans ce cas précis, ne change rien à ma conclusion.

[30] Se fondant sur la décision que j’ai rendue dans Way-Alta [7] , l’Agence a également affirmé que le nombre réduit d’animaux se trouvant dans le compartiment ne doit pas être considéré comme une disposition spéciale parce que le chauffeur et M. Burgin ont témoigné qu’ils chargeaient toujours le compartiment au-dessous de sa capacité. Dans Way-Alta [8] , j’ai conclu que les dispositions spéciales exigent davantage que ce qui est attendu pour le transport de tous les bovins. La présente affaire se distingue de l’affaire Way-Alta [9] parce que le chargement au-dessous de la capacité ne constitue pas une attente générale pour le transport de tous les bovins; on s’attend à des mesures visant à prévenir l’entassement. En l’espèce, le bouvillon présentant une boiterie avait de l’espace pour s’allonger si la position debout devenait trop douloureuse. Le fait que EUSI Farms applique régulièrement une disposition spéciale pour des raisons autres que celle d’éviter des souffrances indues à un animal fragilisé ne devrait pas empêcher EUSI Farms d’invoquer cette disposition en défense à l’encontre d’un procès-verbal.

5. ORDONNANCE

[31] L’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de l’alinéa 138(2)a) du Règlement SA. EUSI Farms et T. Burgin Trucking ont fait transporter un bouvillon qui ne pouvait pas être transporté sans subir de souffrances indues et l’animal a subi des souffrances indues pendant le transport. Je confirme, par ordonnance, le procès-verbal no 1819ON1923 comportant un avertissement délivré le 8 août 2019 à EUSI Farms Ltd. et T. Burgin Trucking.

Fait à Saskatoon (Saskatchewan), le 3e jour de novembre 2021.

(Originale signée

Patricia Farnese

Membre

Commission de révision agricole du Canada



[4] Doyon, supra note 1.

[6] Way-Alta, supra note 3.

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