Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Citation:

Shan c Ministre de la Santé, 2021 CRAC 18

 

Dossier: CRAC – 2153

ENTRE:

GUOJI SHAN

DEMANDEUR

-ET-

MINISTRE DE LA SANTÉ

INTIMÉE

DEVANT :

Geneviève Parent, Membre

AVEC :

Me Yuan Zhan Gao pour le demandeur

DATE DE DÉCISION:

13 juillet 2021

DÉCISION RENDUE SUR DOSSIER


1. INTRODUCTION

[1] La présente affaire porte sur une demande de révision de la décision du ministre de la Santé (ministre) qui confirme l’émission du procès-verbal #17QC-013AMP01P et la sanction administrative pécuniaire émis à l’encontre de M. Shan. L’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (Agence) reproche à ce dernier d’avoir contrevenu à l’alinéa 6(5)b) de la Loi sur les produits antiparasitaires [1] (Loi PA) en utilisant un produit antiparasitaire d’une manière non conforme aux instructions de l’étiquette figurant dans le Registre des produits antiparasitaires (Registre). Cette violation aurait été commise le ou vers le 28 avril 2017, dans l’appartement #23(Registre). Cette violation aurait été commise le ou vers le 28 avril 2017, dans l’appartement #23 du 1150 Ranger habité par Mme Gordon et propriété de M. Shan. M. Shan a choisi de procéder par soumissions écrites.

[2] M. Shan n’a pas lui-même manipulé ou utilisé le produit antiparasitaire dans le logement de Mme Gordon. Il ressort de l’analyse des faits que ce dernier a plutôt demandé à un autre locataire de procéder à un traitement antiparasitaire.

[3] Toutefois, l’article 20(2) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire [2] (Loi SAPMAA) prévoit la responsabilité indirecte en ces termes : « [l]’employeur ou le mandant est responsable de la violation commise, dans le cadre de son emploi ou du mandat, par un employé ou un mandataire, que l’auteur de la contravention soit ou non poursuivi aux termes de la présente loi. »

[4] La Commission de révision agricole du Canada (Commission) doit donc décider si l’Agence a démontré, selon la balance des probabilités, les éléments constitutifs d’une violation indirecte de l’article 6(5)b) de la Loi PA :

Élément 1 – La personne nommée dans l’avis de violation est bien celle qui, personnellement ou à titre de mandant ou d’employeur, a commis la violation.

Élément 2 – Il y a eu manipulation et utilisation d’un produit antiparasitaire de manière non conforme aux instructions de l’étiquette figurant dans le Registre.

[5] En l’espèce, le fait qu’un locataire ait procédé à un traitement antiparasitaire de manière non conforme aux instructions de l’étiquette figurant dans le Registre, contrevenant ainsi à l’article 6(5)b) de la Loi PA, n’est pas remis en cause. De plus, la Commission est d’avis que cette conclusion est soutenue par l’ensemble de la preuve et plus particulièrement par les étiquettes du Registre, les analyses de laboratoire effectuées, les photos des résidus dans l’appartement et les témoignages de M. Shan et de Mme Gordon.

[6] La Commission doit donc uniquement déterminer si l’Agence a démontré, selon la balance des probabilités, l’élément constitutif #1 à savoir que M. Shan est responsable, en tant qu’employeur ou mandant, de la violation commise par ce locataire.

[7] Mentionnons que le locataire ayant procédé au traitement antiparasitaire chez Mme Gordon a refusé d’être interrogé par l’inspecteur Sauvé en raison, notamment, de son statut au regard du droit fédéral de l’immigration.

[8] La Commission répondra également à M. Shan qui, dans sa demande de révision, conteste l’introduction par l’Agence des pièces #34 et #35 prises en compte par le ministre pour rendre sa décision et accuse l’Agence de partialité en avançant que cette dernière se serait fiée uniquement aux témoignages de Mme Gordon.

[9] Pour les motifs qui suivent et après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Commission est d’avis que l’Agence a démontré, selon la balance des probabilités, que le demandeur a commis la violation alléguée et confirme la décision du ministre.

2. CONTEXTE

[10] Sur la base de signalements reçus à l’effet d’une utilisation potentiellement irrégulière de pesticides, le 12 mai 2017, l’inspecteur Sauvé se présente au logement de Mme Gordon pour faire les vérifications nécessaires. Il constate la présence de résidus de pulvérisation d’apparence « crayeuse » et de couleur blanchâtre en quantité substantielle sur plusieurs des surfaces du logement, notamment sur le plancher, les meubles et à l’intérieur des tiroirs. L’analyse des trois échantillons prélevés par l’inspecteur Sauvé révèle que le produit antiparasitaire utilisé était le Tempo 20 WPMD. Or, ce produit est homologué pour le contrôle des punaises de lits en traitements localisés seulement.

[11] M. Shan n’a pas lui-même manipulé ou utilisé le produit antiparasitaire dans le logement de Mme Gordon. Il ressort de l’analyse des faits que ce dernier a plutôt demandé à un autre locataire de procéder à un traitement antiparasitaire.

[12] À ce sujet, la version des faits donnée par M. Shan varie toutefois au long des procédures.

[13] Le 23 octobre 2017, M. Shan confirmait à l’inspecteur Sauvé avoir demandé au locataire ayant procédé au traitement antiparasitaire d’aller vérifier le logement infesté et de le traiter au besoin à l’aide du produit L’Exterminateur P-42.

[14] Le 8 avril 2018, M. Shan déclare « solennellement » par écrit à l’inspecteur Sauvé « ne jamais avoir mandaté personne d’appliquer un produit antiparasitaire dans l’appartement #23 du 1150 Ranger » sauf à un exterminateur nommé ASTRO Extermination.

[15] En date du 2 juin 2019, lors de sa demande de révision du procès-verbal au ministre, M. Shan avançait désormais avoir proposé l’utilisation de ce produit directement à Mme Gordon, qui aurait elle-même demandé au locataire de procéder au traitement antiparasitaire. Dans cette version, il précise que ce dernier n’est pas son employé, qu’il s’est probablement lui-même procuré le produit Tempo 20 WPMD pour aider son amie, Mme Gordon.

[16] Le 18 septembre 2019, dans le cadre d’un document fourni au soutien de sa demande de révision du procès-verbal par le ministre, M. Shan, revient partiellement à sa version initiale des faits, contredisant ainsi un élément important de ses déclarations du 8 avril 2018 et du 2 juin 2019. En effet, dans le document du 18 septembre 2019, M. Shan indique que par gentillesse, il a promis à la locataire d’envoyer quelqu’un pour vérifier la présence de punaises et traiter son logement. Dans cette version des faits, il ajoute avoir lui-même eu l’idée d’envoyer précisément le locataire ayant procédé au traitement antiparasitaire et l’avoir appelé pour lui donner des instructions à cet effet. Toujours selon cette version des faits, ce locataire se serait lui-même déplacé au bureau de M. Shan pour prendre le générateur de vapeur et le produit L’Exterminateur P-42 que M. Shan lui demandait d’utiliser. Ledit locataire aurait ensuite appelé Mme Gordon pour prendre un rendez-vous avec elle. Finalement, après l’application du traitement antiparasitaire chez Mme Gordon, le locataire aurait contacté M. Shan pour lui faire un compte-rendu de la situation.

[17] À la lumière de ces contradictions générales concernant l’implication exacte de M. Shan dans l’avènement du traitement antiparasitaire chez Mme Gordon, la Commission est d’avis que davantage de poids doit être accordé à la version des faits offerte par Mme Gordon. Mentionnons que cette version concorde dans les grandes lignes avec la version des faits fournie par M. Shan dans le document du 18 septembre 2019.

[18] Mme Gordon rapporte en effet à l’inspecteur Sauvé et de manière constante tout au long des procédures que M. Shan a demandé à un locataire, qu’elle considère comme l’homme à tout faire de M. Shan, de procéder au traitement antiparasitaire dans son logement. Elle indique d’ailleurs que ce locataire est retourné faire des travaux dans son appartement après le traitement antiparasitaire du 28 avril 2017, notamment pour peindre sa salle de bain.

[19] Alors qu’il nie que ledit locataire était son employé lors de l’application du traitement antiparasitaire le 28 avril 2017 dans le logement de Mme Gordon, M. Shan admet toutefois que ce même locataire a déjà été son employé et qu’il effectue différents travaux dans les logements, y compris les traitements antiparasitaires.

[20] Par ailleurs, M. Shan avance qu’il n’a jamais fourni au locataire un autre produit que l’Exterminateur P-42 et qu’il ne s’est jamais procuré lui-même le produit antiparasitaire effectivement retrouvé dans l’appartement de Mme Gordon (Tempo 20 WPMD). Cette preuve n’est contredite par aucune autre preuve de l’Agence.

3. QUESTIONS EN LITIGES

[21] La Commission répondra dans l’ordre aux quatre questions suivantes :

  1. La Commission doit-elle rejeter les pièces #34 et #35 déposées devant le ministre?
  2. L’Agence a-t-elle fait preuve de partialité en accordant plus de crédibilité au témoignage de Mme Gordon?
  3. L’Agence a-t-elle démontré, selon la balance des probabilités, l’élément constitutif #1 à savoir que M. Shan est responsable, en tant qu’employeur ou mandant, de la violation commise par ce locataire.
  4. Le montant de la sanction administrative pécuniaire de 3 200$ est-il établi en application duRèglement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi sur les produits antiparasitaires)?

4. ANALYSE

I. 4.1 La Commission doit-elle rejeter les pièces #34 et #35 déposées devant le ministre?

[22] L’article 14 de la Loi SAPMAA explique clairement le rôle de la Commission lors d’une demande de révision d’une décision rendue par le ministre. La Commission, « par ordonnance et selon le cas, soit confirme, modifie ou annule la décision du ministre, soit détermine la responsabilité du contrevenant; en outre, si elle estime que le montant de la sanction n’a pas été établi en application des règlements, elle y substitue le montant qu’elle juge conforme ».

[23] Pour ce faire, la Commission doit examiner tous les éléments de preuve présentés devant le ministre. Ce faisant, elle évalue leur pertinence en vue de déterminer si la décision du ministre doit être confirmée, modifiée ou annulée. [3]

[24] Le 6 novembre 2020, la Commission demande à l’Agence de lui faire parvenir toutes les pièces justificatives énumérées dans son rapport, ainsi que tout autre document ayant été soumis lors de la demande de révision au ministre. Dans un courriel reçu en date du 13 novembre 2020, l’Agence a fait parvenir à la Commission l’ensemble des pièces présentées au ministre, incluant les pièces #34 et #35.

[25] Dans ce contexte, les pièces #34 et #35, qui ont été présentées au ministre, seront prises en compte par la Commission qui en évaluera la pertinence et leur accordera la force probante qu’elle juge appropriée, compte tenu notamment du fait qu’elles ont été recueillies dans le cadre d’événements distincts de ceux qui nous occupent dans la présente affaire.

II. 4.2 L’Agence a-t-elle fait preuve de partialité?

[26] Dans sa demande de révision, M. Shan allègue que l’Agence a fait preuve de partialité en lui accordant peu de crédibilité et en donnant énormément d’importance aux témoignages de la locataire, Mme Gordon, avec laquelle il serait en litige dans d’autres dossiers.

[27] Comme exposé dans la partie 2 de cette ordonnance, l’analyse du dossier témoigne que M. Shan a jonglé entre différentes versions des faits au cours du déroulement des procédures.

[28] Dans la décision de principe Doyon [4] , la Cour d’appel fédérale enseigne qu’au regard du régime de la Loi SAPMAA, un décideur est tenu « d’être circonspect dans l’administration et l’analyse de la preuve de même que dans l’analyse des éléments constitutifs de l’infraction et du lien de causalité. Cette circonspection doit se refléter dans les motifs de sa décision, laquelle doit s’appuyer sur une preuve qui repose sur des assises factuelles et non sur de simples conjectures, encore moins de la spéculation, des intuitions, des impressions ou du ouï-dire ».

[29] Dans ce contexte, un décideur « peut rejeter une preuve pertinente, mais il ne peut omettre de la considérer, surtout si elle en contredit une autre sur un élément essentiel du litige ». [5]

[30] Toutefois, la Commission doit nécessairement analyser la preuve dans son ensemble et, notamment, considérer l’incidence des contradictions sur la crédibilité des parties et la véracité des faits allégués, ceci selon la prépondérance des probabilités. [6]

[31] Or, à l’issue de l’analyse complète de la preuve, la Commission est d’avis que la crédibilité du demandeur et la crédibilité des faits qu’il soutient sont fortement affectées par les propos contradictoires qu’il a tenus tout au long de l’affaire.

[32] La Commission constate par ailleurs que la trame des faits présentée par Mme Gordon demeure constante et inchangée depuis le début des procédures et elle lui accorde une grande crédibilité.

[33] À l’issue de cette analyse, la Commission est donc d’avis que l’Agence n’a pas fait preuve de partialité.

III. 4.3 La responsabilité indirecte de M. Shan au regard du paragraphe 20(2) de la Loi SAPMAA est-elle engagée?

[34] L’article 20(2) de Loi SAPMAA prévoit la responsabilité indirecte en ces termes : « [l]’employeur ou le mandant est responsable de la violation commise, dans le cadre de son emploi ou du mandat, par un employé ou un mandataire, que l’auteur de la contravention soit ou non poursuivi aux termes de la présente loi. »

[35] Tel que précisé dans l’affaire Les Élevages J. Fortin [7] , le paragraphe 20(2) de la Loi SAPMAA qui permet d’engager la responsabilité indirecte de l’employeur ou du mandant constitue l’une des voies juridiques les plus importantes de cette loi pour encourager la conformité réglementaire du secteur agroalimentaire.

[36] Ceci est d’autant plus pertinent dans le cadre de la Loi PA qui a pour objectif premier de prévenir les risques importants que présente l’utilisation de ces produits pour les individus et l’environnement.

[37] Le paragraphe 20(2) de la Loi SAPMAA ne précise toutefois pas l’interprétation qu’il faut donner aux termes « employeur », « mandant », « employé », « mandataire » et, dans la version anglophone du paragraphe, d’« employée » et d’« agent ». Or, ces termes ont une étendue juridique particulière et distincte en common law et en droit civil. Par exemple, le contrat de mandat peut avoir un sens plus restreint dans le Code civil du Québec (CcQ) qu’en Common Law. [8]

[38] Cette problématique interprétative a fait l’objet d’un important contentieux au Canada, plus particulièrement en matière fiscale. La jurisprudence canadienne a reconnu le principe de la complémentarité en application duquel, « pour interpréter un concept de droit privé non défini dans une loi fédérale, il faut s’en remettre au droit privé de la province dans laquelle la loi fédérale trouve application ». [9] Ce principe est codifié aux articles 8.1 et 8.2 de la Loi d’interprétation [10] .

[39] Comme les faits entourant l’affaire qui nous occupe se déroulent dans la province de Québec, les notions d’« employeur », « employé », « mandant », « mandataire » du paragraphe 20(2) de la Loi SAPMAA doivent donc être interprétées à la lumière des dispositions pertinentes du CcQ.

[40] Au Québec, le contrat de travail et le mandat sont considérés comme des contrats nommés et sont définis très précisément par le CcQ. C’est donc sur cette base juridique que nous évaluerons si la décision du ministre qui confirme la responsabilité indirecte de M. Shan doit être annulée, modifiée ou confirmée.

M. Shan peut-il être considéré comme le mandant du locataire à qui il a demandé de procéder au traitement antiparasitaire chez Mme Gordon?

[41] En vertu de l’article 2130 du CcQ, le mandat est « le contrat par lequel une personne, le mandant, donne le pouvoir de la représenter dans l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers, à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s’oblige à l’exercer ».

[42] La jurisprudence relative à cette disposition nous enseigne que le mandat est constitué par la présence de deux éléments essentiels soit (1) un pouvoir de représentation conféré par le mandant au mandataire et (2) l’accomplissement d’un acte juridique avec un tiers [11] , par opposition au simple acte matériel [12] . En l’absence de cette circonscription à un acte juridique conclu avec un tiers, l’acception plus générale du mandat comme étant le « pouvoir qu’une personne donne à une autre d’agir en son nom » [13] ne saurait suffire pour traduire la notion de mandat au CcQ.

[43] Nous sommes donc d’avis que la preuve présentée au ministre dans le cadre de cette affaire ne peut soutenir l’existence d’un mandat entre M. Shan et le locataire ayant procédé au traitement antiparasitaire, en ce que l’application d’un produit antiparasitaire ne constitue pas un acte juridique au sens de l’article 2130 du CcQ.

M. Shan peut-il être considéré comme l’employeur du locataire à qui il a demandé de procéder au traitement antiparasitaire chez Mme Gordon?

[44] Le droit du travail est clair à l’effet que la présence ou non d’un contrat de travail se détermine à l’aide des critères établis par le CcQ, par la jurisprudence et par une analyse factuelle de chaque situation. [14]

[45] La présence d’une relation d’emploi entre des individus se matérialise par la conclusion d’un contrat de travail, définit à l’article 2085 CcQ comme : « […] celui par lequel une personne, le salarié, s’oblige pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur ». Ce contrat peut être écrit ou verbal.

[46] Bien que la doctrine et la jurisprudence y perçoivent un libellé souple, elles soulèvent néanmoins trois éléments essentiels formant un contrat de travail soit (1) le travail du salarié (2) la subordination du salarié face à l’employeur, et (3) la rémunération du salarié. [15]

[47] À moins que des dispositions d’une loi particulière n’y dérogent, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, l’absence de l’un de ces critères doit nécessairement conduire à une autre qualification juridique, ce qui exclurait l’application du paragraphe 20(2) de la Loi SAPMAA à la situation de M. Shan et donc, exclurait sa responsabilité indirecte. [16]

[48] En revanche, la doctrine nous indique également que le libellé de l’article 2085 CcQ « devrait permettre une approche évolutive et dynamique de la qualification judiciaire, de manière à saisir sous ce titre des situations diverses comprenant néanmoins les trois éléments essentiels, mais dont le dosage respectif peut être fort variable » [17] . Aussi, l’intensité de la présence de chacun des trois critères peut varier sensiblement d’un cas à un autre, ce qui nécessite parfois une analyse plus approfondie afin d’effectuer une caractérisation appropriée. [18]

[49] En l’espèce, l’analyse attentive de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, soutient à notre avis l’existence d’un contrat de travail entre M. Shan et le locataire ayant procédé au traitement antiparasitaire.

[50] La preuve présentée par l’Agence, jumelée à celle présentée par le demandeur nous convainc, selon la prépondérance des probabilités, que les trois éléments constitutifs d’un contrat de travail sont présents dans cette affaire.

[51] D’abord, nous sommes en présence d’une prestation de travail. En effet, selon la doctrine et la jurisprudence, la nature du travail effectué n’a pas d’importance et «la prestation peut être régulière ou intermittente, à temps complet ou à temps partiel » [19] . Aussi, la prestation du locataire en l’espèce, soit celle d’appliquer un traitement antiparasitaire selon les indications données par M. Shan et utilisant les instruments et le produit fournit par M. Shan, et ce, dans un logement qui ne lui appartient pas, respecte très certainement ce critère.

[52] Ensuite, la notion de subordination juridique est une question de fait supposant que l’employeur ait la faculté de déterminer, d’encadrer et de contrôler le travail à exécuter par le salarié. [20] Les tribunaux ont progressivement considéré cette réalité, en délaissant quelque peu la conception « classique » – la surveillance et le contrôle immédiat quant à la manière d’exécuter le travail – au profit d’une acception « large » ou « réaliste » de la subordination, en vertu de laquelle l’employeur détermine principalement le cadre d’exécution du travail. [21]

[53] La jurisprudence et la doctrine considèrent la subordination comme le critère le plus important parmi les trois critères d’un contrat de travail. [22]

[54] En l’espèce, la preuve soutient à notre avis que le locataire agissait selon les instructions de M. Shan. Il a procédé au traitement antiparasitaire chez Mme Gordon à la demande de M. Shan. Il devait utiliser les instruments et les produits antiparasitaires que ce dernier lui fournissait. M. Shan soutient d’ailleurs dans le cadre de sa preuve que le 20 Tempo WPMD, retrouvé par l’inspecteur Sauvé chez Mme Gordon, n’est pas le produit qu’il a fourni au locataire pour appliquer le traitement antiparasitaire chez Mme Gordon. La preuve démontre également que le locataire rendait compte de son travail à M. Shan, une fois terminé. Il appert donc de la preuve, y compris celle présentée par M. Shan, que ce dernier a clairement déterminé le cadre d’exécution du travail du locataire pour appliquer un traitement antiparasitaire chez Mme Gordon.

[55] Si la notion de rémunération eu égard à sa forme et à son origine doit être interprétée largement [23] , aucun contrat de travail n’a été déposé en preuve et le locataire ayant procédé au traitement a refusé de discuter avec l’inspecteur Sauvé en raison notamment de sa situation d’immigration irrégulière.

[56] Un décideur peut toutefois considérer la preuve circonstancielle et indirecte s’il n’est pas possible d’obtenir la preuve écrite permettant de confirmer l’existence d’un contrat. [24] Cela est particulièrement pertinent dans le cas du travail de personnes en situation d’immigration irrégulière, sans papiers ou permis de travail.

[57] L’étude de ces principes généraux du droit de la preuve nous incite à ne pas étudier les critères du travail du salarié, de la rémunération et de la subordination juridique en vase clos.

[58] Or, la preuve de l’Agence démontre que Mme Gordon, à qui la Commission accorde une grande crédibilité, considère le locataire qui a procédé au traitement antiparasitaire chez elle comme étant l’employé et l’homme à tout faire de M. Shan.

[59] La preuve démontre également qu’après le traitement antiparasitaire, ce même locataire est retourné faire des travaux chez Mme Gordon, toujours à la demande de M Shan. Il a notamment peint sa salle de bain.

[60] Bien que M. Shan nie désormais que le locataire ait été son employé au moment des faits, il a déclaré à l’inspecteur Sauvé que ce même locataire effectuait divers travaux pour lui, notamment, l’application de traitements antiparasitaires dans les logements propriété de M. Shan.

[61] Finalement, au regard de l’analyse de la preuve, il nous apparait peu probable que le locataire accepte sans rémunération aucune, par simple grandeur d’âme et sans protection ni formation pour ce faire, d’appliquer un traitement antiparasitaire dans un logement qui ne lui appartient pas pour ensuite y retourner, effectuer encore d’autres travaux, et ce, toujours à la demande et sous la supervision de M. Shan.

[62] Nous concluons, à l’issue de l’analyse de l’ensemble de la preuve, selon la prépondérance des probabilités, qu’un contrat de travail liait M. Shan au locataire qui a procédé au traitement antiparasitaire chez Mme Gordon le ou vers le 28 avril 2017.

[63] Mentionnons que la jurisprudence évolue vers la reconnaissance, dans certaines circonstances, de l’existence du contrat de travail en contexte de permis de travail irrégulier ou aux travailleurs sans statut. [25] Certaines réformes réglementaires vont également dans le sens de la protection des travailleurs sans permis ou sans statut, notamment si celui-ci est victime de violence, de menace, d’intimidation ou d’exploitation financière. [26]

[64] Il apparait évident que l’intention du législateur derrière l’article 20(2) de la Loi SAPMAA n’est pas de permettre à un employeur de se libérer de sa responsabilité indirecte dès lors qu’il retiendrait les services d’un immigrant au statut irrégulier ou qu’il encouragerait le travail au noir.

IV. 4.4- Le montant de la sanction administrative pécuniaire de 3200$ est-il établi en application des règlements?

[65] Le montant de la sanction administrative pécuniaire imposée à M. Shan l’a été en application du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi sur les produits antiparasitaires).

[66] Nous sommes d’avis que l’Agence a bien évalué la cote de gravité globale au regard des faits de l’affaire, notamment en reconnaissant que M. Shan n’a pas commis de violation ou fait l’objet d’une condamnation pour une telle infraction au cours des cinq dernières années, ce qui a permis de réduire la sanction administrative pécuniaire de 4000$ à 3200$.

5. CONCLUSION

[67] La responsabilité indirecte de M. Shan est engagée au regard de l’alinéa 6(5)b) de la Loi PA, par le biais du paragraphe 20 (2) de la Loi SAPMAA car son employé a utilisé un produit antiparasitaire d’une manière non conforme aux instructions de l’étiquette figurant dans le Registre des produits antiparasitaires et qu’il a commis cette violation dans l’exercice de ses fonctions puisqu’il agissait pour le compte et dans l’intérêt de M. Shan, propriétaire du logement de Mme Gordon. Il importe donc peu de savoir comment le locataire s’est procuré le produit antiparasitaire retrouvé chez Mme Gordon.

6. ORDONNANCE

[68] Après avoir examiné les soumissions écrites des parties et l’ensemble de la preuve au dossier, la Commission, PAR ORDONNANCE, confirme la décision du ministre.

[69] Le montant de la sanction administrative pécuniaire que M. Shan doit payer s’établit donc à3200$.

[70] La Commission informe également M. Shan que la violation en cause n’est pas un acte criminel. Dans cinq ans, il pourra demander de rayer la violation de son dossier, conformément à l’article 23 de la Loi SAPMAA.

Fait à Québec (Québec), ce 13 juillet 2021.

(Originale signée)

Geneviève Parent

Membre

Commission de révision agricole du Canada



[3] Commission de révision agricole du Canada, « Avis de pratique No 13 - La présentation de nouveaux éléments de preuve dans le cadre de la révision d’une décision du ministre», (28 septembre 2020) en ligne : https://cart-crac.gc.ca/cases/documents/practice-notes/avis-de-pratique-no-13-octobre-2020-2.pdf.

[6] Voir F.H. c. McDougall, 2008 CSC 53 au para 58-59 & 86; Dans le contexte de la Loi SAPMAA, voir Canada (Procureur général) c. Fauteux, 2020 CAF 165 au para 16.

[8] Soulignons notamment la reconnaissance par la doctrine civiliste que « [l]e contrat de mandat a un sens plus restreint que le mandat au sens courant », Voir Frédéric LÉVESQUE, Précis de droit québécois des obligations, Yvon Blais, Cowansville, 2014, à la p 171.

[11] Voir International Air Transport Association c. Instrubel, N.V., 2019 CSC 61 aux para 41 et ss; Voir aussi PF Résolu Canada inc. c. Hydro-Québec, 2020 CSC 43 au para. 62. Ajoutons que la notion d’Agency en Common Law suppose également le pouvoir de l’agent de modifier la situation juridique de son principal, voir Gerald FRIDMAN, Canadian Agency Law, 3e éd., LexisNexis, Toronto, 2017 aux pp 4-5; Kinguk Trawl Inc. c. Canada, 2003 CAF 85 aux para 35-36.

[12] Denis LAMONTAGNE et Bernard LAROCHELLE, Droit spécialisé des contrats. Les principaux contrats : la vente, le louage, la société et le mandat, vol. 1, Cowansville, Yvon Blais, 2000 aux pp 602-603.

[13] Isabelle JEUGE-MAYNART, dir, Le Grand Larousse illustré 2021, Paris, Larousse, sub verbo « mandat ».

[14] Ricard c. Melillo, 2013 QCCQ 11755.

[15] Fernand MORIN, Jean-Yves BRIÈRE et Dominic ROUX, Le droit de l’emploi au Québec, 3e éd., Wilson & Lafleur, Montréal, 2006 aux pp 232, 238 et 266 [Le droit de l’emploi]; Voir aussi Yann BERNARD, André SASSEVILLE, Bernard CLICHE et Jean-Guy VILLENEUVE, dir., Le droit du travail du Québec, 7e éd., Yvon Blais, Cowansville, 2013 aux pp 88-96; Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, 2014 CSC 33 au para 34; Cabiakman c. Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la Vie, 2004 CSC 55 au para 27; 9041-6868 Québec inc. c. Canada (ministre du revenu nationale), 2005 CAF 334 au para 11.

[16] Le droit de l’emploi, supra note 15 à la p 238.

[17] Ibid à la p 263.

[18] Ibid à la p 238.

[19] BERNARD, SASSEVILLE, CLICHÉ et VILLENEUVE, précité à la note 15, aux pp 88-89.

[20] Ibid aux pp 90-93.

[21] Dominic Roux, Jean-Pierre Villaggi, Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Le droit de l'emploi au Québec, 4e éd, Montréal, Éditions Wilson et Lafleur, 2010, II-55; Bermex International inc. c. Agence du revenu du Québec, 2013 QCCA 1379.

[22] Marie-Franche Bich, « Le contrat de travail », dans La réforme du Code civil, t. 2, Barreau du Québec et Chambre des notaires du Québec, Sainte-Foy, P.U.L., 1993, à la p 752; Murat c. Construction DJL inc., 2015 QCCS 3242; Article 2085-18, Bureau d’études Archer inc. c. Dessureault, 2006 QCCA 1556.

[24] Sydney N. LEDERMAN, Alan W. BRYANT et Michelle K. FUERST, The Law of Evidence in Canada, 5e éd., LexisNexis, Toronto, §2.84-§2.85.

[26] R.A. Laniel et G. Lavoie, « La validité du contrat de travail et l’absence de permis de travail régulier : vers une protection élargie pour les travailleurs migrants? » dans Développements récents en droit du travail (220).

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