Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :

Waito Bros Inc. c Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2020 CRAC 24

 

Dossier : CRAC-2154

ENTRE :

WAITO BROS INC.

DEMANDERESSE

‑ ET ‑

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

INTIMÉE

[Traduction de la version officielle en anglais]

DEVANT :

Marthanne Robson, membre

AVEC :

M. Richard Waito, représentant de la demanderesse; et

 

Mme Melissa Gratta, représentante de l’intimée

DATE DE LA DÉCISION :

Le 29 septembre 2020

SUR OBSERVATIONS ÉCRITES SEULEMENT


1. APERÇU

[1] La Commission de révision agricole du Canada (Commission) est saisie d’une demande de révision fondée sur le paragraphe 8(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi sur les SAPMAA) à l’égard du procès-verbal no 1920ON3217 délivré à M. Richard Waito pour avoir transporté un animal et lui avoir infligé des souffrances indues en contravention de l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux (Règlement SA).

[2] Les questions en litige sont celles de savoir si l’animal en question, qui souffrait d’une importante hernie ombilicale, était apte au transport et s’il a souffert indument durant le voyage.

[3] L’Agence canadienne d’inspection des aliments (Agence) a délivré un avis de violation assorti d’une sanction de 800 $. M. Waito a demandé à la Commission d’examiner les faits reprochés dans le procès-verbal.

[4] Le procès-verbal est valide et M. Waito est tenu de payer la sanction qui a été établie.

2. CADRE JURIDIQUE

[5] L’un des objectifs de la Loi sur la santé des animaux (LSA) et du Règlement SA est d’assurer un traitement sans cruauté des animaux durant leur transport. La loi exige que les transporteurs garantissent que les animaux sont protégés de la mort, de blessures ou de souffrances indues causées par des facteurs comme un équipement déficient ou inadéquat, un entassement excessif, une ventilation insuffisante ou une exposition indue aux intempéries. Des dispositions supplémentaires sont également prévues pour assurer que les animaux fragilisés reçoivent les soins nécessaires pour éviter un stress ou des blessures indus durant le transport. Dans certains cas, des animaux peuvent être trop fragilisés pour être transportés sans souffrir indument.

[6] La Commission a le pouvoir d’examiner les faits relatifs à une violation [1] .

[7] Le Règlement sur les SAPMAA [2] établit les sanctions administratives pécuniaires applicables à une violation de la LSA et du Règlement SA. L’alinéa 138(2)a) du Règlement SA énonce une violation grave. Puisque l’Agence a délivré le procè-verbal à M. Waito en tant qu’individu physique plutôt qu’à titre d’entreprise, la sanction est fixée à 800 $ [3] .

[8] L’alinéa 138(2)a) du Règlement SA énonce ce qui suit :

Sous réserve du paragraphe (3), il est interdit de charger ou de faire charger, ou de transporter ou de faire transporter, à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire un animal :

a) qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu;

[9] Dans l’arrêt Doyon [4] , la Cour d’appel fédérale (CAF) a conclu que les violations visées par le régime de sanctions administratives pécuniaires devraient être analysées en fonction de leurs éléments constitutifs, dont chacun doit être établi selon la prépondérance des probabilités, pour qu’il puisse être conclu à une violation par le demandeur [5] . Prouver selon la prépondérance des probabilités signifie qu’il est plus probable que le contraire que tous les éléments de la violation se sont produits.

[10] L’arrêt Doyon [6] prévoit sept éléments constitutifs que l’Agence doit établir pour qu’une personne soit tenue responsable d’une violation de l’alinéa 138(2)a) du Règlement SA , à savoir :

  1. qu’il y a eu chargement (incluant le fait de faire charger) ou transport (incluant le fait de faire transporter);
  2. que le chargement ou le transport s’est fait à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire;
  3. que la cargaison chargée ou transportée était un animal;
  4. que le transport ne pouvait se faire sans souffrances indues;
  5. que ces souffrances indues ont été subies au cours du voyage prévu (en anglais « expected journey »);
  6. qu’un transport sans souffrances indues ne pouvait se faire à cause de l’infirmité, de la maladie, d’une blessure ou de la fatigue de l’animal ou pour toute autre cause; et
  7. qu’il existe un lien de causalité entre le transport, les souffrances indues et l’infirmité, la maladie, la blessure ou la fatigue de l’animal ou toute autre cause [7] .

[11] Les trois premiers éléments ne sont pas contestés. M. Waito a chargé et transporté le porc en question (élément 1) sur un véhicule motorisé (élément 2) et la cargaison était un animal (élément 3). Les quatre derniers éléments sont en cause.

3. CONTEXTE

[12] En août 2018, M. Waito a chargé 29 porcs dans sa remorque sur sa propriété et les a transportés à un établissement agréé de la province, Batchert Meats Inc. (BMI). M. Waito a déchargé 18 porcs, puis il a livré le restant des bêtes à un autre établissement. Une inspectrice de l’Agence, qui venait juste d’arriver chez BMI, a assisté au déchargement des derniers animaux de la remorque. Après avoir parlé brièvement avec l’inspectrice, M. Waito a quitté les lieux. L’inspectrice s’est rendue dans la grange pour voir les animaux qui avaient été déchargés avant son arrivée. Elle a remarqué qu’un des porcs souffrait d’une importante hernie ombilicale qui avait environ la grosseur d’un ballon de basketball. La hernie touchait le sol, limitant les mouvements de l’animal, et présentait des ulcères sur sa partie inférieure.

[13] L’inspectrice a appelé le bureau, puis un autre inspecteur et un vétérinaire sont arrivés sur les lieux afin de participer à l’évaluation de l’animal présentant la hernie. Le vétérinaire a effectué les examens ante-mortem et post-mortem du porc. Il a constaté la présence d’une importante hernie ombilicale pendante d’environ 10 pouces de diamètre, qui frottait contre les jambes postérieures du porc, gênant ses mouvements lorsqu’il marchait. Le vétérinaire a également observé des lésions en dessous du sac de la hernie, causées par le contact du sac contre le sol lorsque l’animal marchait.

[14] Les fonctionnaires de l’Agence ont consulté l’agent de l’hygiène des viandes du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario présent sur le site, qui a ordonné à l’employé de BMI d’euthanasier l’animal. Selon les notes de l’inspectrice, l’Agence n’a pas le pouvoir d’ordonner l’euthanasie d’un animal.

[15] Les lignes directrices de l’industrie [8] prévoient qu’un animal est inapte au transport s’il souffre d’une hernie qui gêne le mouvement, touche le sol lorsque l’animal est debout ou présente une plaie à vif ou un ulcère. Selon le vétérinaire de l’Agence, l’animal en question remplissait ces critères. Il a conclu que le porc était inapte au transport et qu’il n’aurait pas dû être transporté. À son avis, la hernie l’a fait souffrir durant le transport. Par conséquent, l’animal a souffert indument lors de son transport.

[16] M. Waito a admis qu’il savait qu’un des porcs souffrait d’une [TRADUCTION] « déchirure », mais elle ne gênait pas ses mouvements selon lui. Il savait qu’un animal souffrant d’une hernie qui touche le sol est inapte au transport. Cependant, il croyait qu’il n’y avait aucun problème avec les animaux.

[17] La Commission a récemment examiné les faits relatifs à une violation alléguée de l’alinéa 138(2)a) du Règlement SA dans la décision Les Fermes C. Hamelin et Fils Inc. [9] .Dans cette affaire, l’Agence a prouvé qu’un porc a souffert indument et qu’il n’aurait pas dû être transporté en raison d’une hernie qui gênait ses mouvements.

[18] La Commission doit également déterminer si M. Waito a invoqué un moyen de défense admissible.

4. QUESTIONS EN LITIGE

[19] Les questions en litige dans la présente affaire sont les suivantes :

  1. Le porc était-il apte au transport? (éléments 4 et 6)
  2. Le porc a-t-il souffert indument durant le transport? (éléments 5 et 7)
  3. M. Waito a-t-il invoqué un moyen de défense admissible?

5. ANALYSE

Question no 1 : Le porc était-il apte au transport? (éléments 4 et 6)

[20] La Politique sur les animaux fragilisés (la Politique) publiée par l’Agence énonce les directives de l’industrie à l’égard du transport sans cruauté des animaux. La Politique prévoit ce qui suit :

Un animal inapte est un animal dont les capacités de résistance au transport sont faibles et qui [serait encore plus exposé] à des souffrances indues. Les animaux inaptes endureraient des souffrances injustifiées et déraisonnables au cours du transport. Les animaux inaptes ne doivent être transportés qu’en vue d’un traitement ou d’un diagnostic vétérinaire [10] .

(soulignement ajouté)

[21] La Politique prévoit qu’un animal est inapte au transport s’il a une hernie qui correspond à au moins un des critères suivants :

  • gêne le mouvement (entre autres si les membres arrière touchent la hernie quand l’animal marche);
  • est douloureuse à la palpation;
  • touche le sol lorsque l’animal est debout dans sa posture habituelle;
  • présente une plaie à vif, un ulcère ou une infection apparente.

[22] La Politique de l’Agence, bien qu’elle ne lie pas la Commission, peut fournir des lignes directrices pour évaluer si un animal est apte au transport [11] .

[23] Le vétérinaire de l’Agence, le Dr Mohan, a réalisé les examens ante-mortem et post-mortem du porc. À son avis, le porc remplissait au moins trois des quatre critères établis dans la politique : la hernie gênait les mouvements, touchait le sol et présentait une plaie avec des ulcères. Certaines lésions avaient des gales révélant qu’elles étaient présentes sur l’animal avant son chargement et son transport quelques heures plus tôt. Le rapport de l’Agence comprend des photographies à l’appui de l’évaluation du Dr Mohan. Deux inspecteurs de l’Agence ont confirmé ses observations selon lesquelles un des porcs avait une hernie très importante qui gênait ses mouvements et présentait des lacérations sur sa partie inférieure.

[24] Les animaux inaptes ne doivent être transportés qu’en vue d’un traitement ou d’un diagnostic vétérinaire. En l’espèce, les porcs étaient transportés pour être abattus.

[25] Lors d’un entretien avec l’inspectrice de l’Agence, M. Waito a admis que le porc présentait une déchirure au niveau du ventre, mais il a affirmé que celle-ci ne gênait aucunement ses mouvements. Peu importe si la hernie gênait ou non les mouvements du porc, la preuve montre qu’elle touchait le sol et présentait des ulcères.

[26] M. Waito a affirmé qu’il savait qu’un porc souffrant d’une hernie qui touche le sol est inapte au transport. Il a dit à l’inspectrice de l’Agence que le porc avait été chez lui pendant une semaine avant qu’il soit transporté. La présence de gales sur la partie inférieure de la hernie révélait que celle-ci touchait le sol avant que le porc soit transporté. M. Waito aurait dû l’avoir remarqué.

[27] Je retiens la preuve de l’Agence selon laquelle le porc souffrait d’une importante hernie sur le ventre qui touchait le sol et présentait des ulcères. L’état du porc correspondait à deux des critères établis dans la Politique relativement aux animaux inaptes au transport. L’Agence a fait la preuve, selon la prépondérance des probabilités, que le porc était inapte au transport le 27 août 2018 et qu’il ne pouvait être transporté sans souffrir indument en raison d’une hernie, ce qui correspond aux éléments 4 et 6.

Question no 2 : Le porc a-t-il souffert indument durant le transport? (éléments 5 et 7)

[28] Bien que l’Agence ait prouvé que le porc était inapte au transport, suivant l’arrêt Doyon [12] , elle doit encore faire la preuve que l’animal a souffert indument lors du trajet.

[29] Dans l’arrêt Porcherie des Cèdres Inc. [13] , la CAF a établi que l’expression « souffrance indue » renvoie à une souffrance injustifiée ou déraisonnable. L’Agence doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le porc a souffert de façon déraisonnable ou injustifiée lors de son transport.

[30] Selon le Dr Mohan, le balancement de la hernie causé par les mouvements du porc lors du transport a causé une tension vers le bas des intestins présentant la hernie, ce qui a provoqué une douleur. Le fait que la hernie touchait le sol et frottait par terre lorsque l’animal marchait sur des surfaces irrégulières ou sur des rampes, ou qu’il s’allongeait, causait une douleur attribuable au frottement des ulcères cutanés existants.

[31] M. Waito n’a présenté aucune preuve ni observation quant à la douleur ou à la souffrance indue, ou à l’absence de douleur et de souffrance indue, du porc pendant son transport.

[32] Je retiens la preuve de l’Agence selon laquelle l’état du porc l’a fait souffrir pendant son transport. Je conclus que l’animal était inapte au transport et que la douleur qui l’a affligé durant son transport était indue dans le sens d’injustifiée et déraisonnable. C’est le transport qui a causé la souffrance indue. L’Agence a établi un lien de causalité entre le transport, la souffrance indue et l’infirmité de l’animal.

[33] L’Agence a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, l’élément 5 (l’animal a souffert indument durant le voyage) et l’élément 7 (il y avait un lien de causalité).

Question no 3 : M. Waito a-t-il invoqué un moyen de défense admissible?

[34] Il existe très peu de moyens de défense admissibles pour avoir causé une souffrance indue à un animal en le transportant en contravention de l’alinéa 138(2)a) du Règlement SA [14] .

[35] Dans ses observations, M. Waito a indiqué qu’il était préoccupé par la chaleur qui régnait ce jour-là. Il a souligné que les porcs n’étaient pas entassés. Il était également préoccupé par le fait qu’un employé de BMI ait euthanasié le porc en question. Aucune de ces préoccupations ne constitue une défense admissible.

6. ORDONNANCE

[36] Je conclus que M. Waito a commis la violation indiquée dans le procès-verbal no 1920ON3217 du 27 août 2019 en contravention de l’alinéa 138(2)a) du Règlement SA. M. Waito est tenu de payer la sanction de 800 $ à l’Agence dans les quarante-cinq (45) jours suivant la date à laquelle il est avisé de la présente décision.

[37] Je tiens par ailleurs à informer M. Waito que cette violation ne constitue pas une infraction criminelle. Cinq ans après la date à laquelle l’avis de violation a été signifié, il pourra demander au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire de faire rayer la violation de son dossier, conformément à l’article 23 de la Loi sur les SAPMAA.

Fait à Ottawa (Ontario), en ce 29e jour de septembre 2020

(Originale signée)

Marthanne Robson

Membre

Commission de révision agricole du Canada



[3] Ibid à l’art 5(1).

[5] Ibid aux paras 20, 28, 42.

[6] Supra note 4.

[7] Ibid au para 41.

[10] Politique, supra note 8.

[11] Hamelin, supra note 9, au para 23.

[14] Loi sur les SAPMAA, supra, note 1, aux arts 18(1) et 18 (2).

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