Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :

Way-Alta Livestock Ltd. c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2019 CRAC 16

 

Dossier : CRAC – 1988

ENTRE :

WAY-ALTA LIVESTOCK LTD.

DEMANDERESSE

‑ ET ‑

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

INTIMÉE

[Traduction de la version officielle en anglais]

DEVANT :

Patricia Farnese, Membre

AVEC :

Mme Lacey Barkley, représentant la demanderesse;

 

Mme Jennifer Lee, représentant l’intimée

DATE DE LA DÉCISION :

Le 15 octobre 2019


1. INTRODUCTION

[1] L’entreprise Way-Alta a reçu un avis de violation assorti d’une sanction de 6 000 $ en vertu de l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux (RSA) pour avoir causé des souffrances indues à des bœufs pendant le transport. Way-Alta a contesté l’avis de violation et le montant de la sanction auprès du ministre de l’Agriculture. Le ministre a refusé d’annuler l’avis de violation ou de modifier le montant de la sanction. Way-Alta demande maintenant à la Commission de réviser la décision du ministre. J’ai conclu qu’en ne prenant pas suffisamment de précautions lors du transport d’animaux fragilisés et en transportant un animal inapte, Way-Alta leur a causé des souffrances indues.

[2] En déterminant que la violation a eu lieu, je conclus que les animaux qui font l’objet de l’avis de violation sont suffisamment identifiables, même si les observations de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) à la Commission n’ont pas permis d’identifier précisément tous les animaux concernés comme l’exige l’alinéa 138(2)a) du RSA. En outre, je conclus que les animaux dont la note d’état corporel est de 2 sont fragilisés et qu’ils souffriront indûment s’ils sont transportés sans que des mesures adéquates soient prises pour minimiser les souffrances. De même, les bœufs dont la note d’état corporel est de 1 ne sont pas aptes au transport. Tout transport de bœufs ayant une note d’état corporel de 1 constitue une violation de l’alinéa 138(2)a) du RSA.

[3] Je ne suis pas d’accord avec la décision du ministre selon laquelle une souffrance indue a été causée par la négligence de Way-Alta. L’Agence n’a pas réussi à démontrer la mauvaise compréhension de Way-Alta des pratiques exemplaires en matière de transport d’animaux et ne s’est donc pas acquittée du fardeau qui lui incombait pour établir qu’il y avait eu négligence. Par conséquent, le montant de la sanction est fixé à 5 400 $.

2. CADRE JURIDIQUE

[4] La Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi sur les SAPMAA) et son Règlement établissent un processus uniformisé pour l’application et le traitement des violations contenues dans de nombreuses lois en matière d’agriculture et d’agroalimentaire. Une violation de l’alinéa 138(2)a) du RSA est assujettie au régime des SAPMAA. Le régime des SAPMAA comporte deux étapes : (1) déterminer si une violation a été commise et (2) déterminer la sanction appropriée. Le gouvernement doit prouver chaque étape selon la prépondérance des probabilités.

[5] Le régime des SAPMAA prévoit des infractions de responsabilité absolue, ce qui signifie que seules quelques défenses peuvent être invoquées pour éviter un avis de violation une fois que la première étape a été prouvée. Comme Way-Alta n’a pas invoqué l’une des défenses acceptables, l’avis de violation est maintenu si l’Agence établit les sept éléments suivants (Doyon c. Canada (Procureur général) [1] ) :

  1. qu’il y a eu chargement (incluant le fait de faire charger) ou transport (incluant le fait de faire transporter);
  2. que le chargement ou le transport s’est fait à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire;
  3. que la cargaison chargée ou transportée était un animal;
  4. que le transport ne pouvait se faire sans souffrances indues;
  5. que ces souffrances indues ont été subies au cours du voyage prévu (en anglais « expected journey »);
  6. qu’un transport sans souffrances indues ne pouvait se faire à cause de l’infirmité, de la maladie, d’une blessure ou de la fatigue de l’animal ou pour toute autre cause; et
  7. qu’il existe un lien de causalité entre le transport, les souffrances indues et l’infirmité, la maladie, la blessure ou la fatigue de l’animal ou toute autre cause.

[6] Si l’Agence prouve ces sept éléments, la Commission doit déterminer un montant approprié pour la sanction. Lorsqu’une infraction de responsabilité absolue est alléguée, cette deuxième étape est importante parce qu’elle permet d’examiner les faits particuliers de l’affaire. La deuxième étape consiste à déterminer si l’accusé a déjà commis des infractions ou s’il a déjà été condamné, s’il a agi délibérément ou s’il a fait preuve de négligence et si un préjudice a été subi ou aurait pu l’être.

3. QUESTIONS

  1. L’Agence a-t-elle identifié adéquatement les animaux qui auraient subi des souffrances indues durant leur transport?
  2. Le transport a-t-il causé des souffrances indues?
    1. Comment les animaux fragilisés ont-ils été transportés?
    2. Des animaux inaptes ont-ils été transportés?

4. ANALYSE

[7] Les trois premiers éléments de la violation ne sont pas contestés parce que les parties conviennent que le conducteur a chargé quarante-six vaches laitières et vaches de boucherie dans une remorque à la demande de Way-Alta, et qu’il les a transportées jusqu’à Brooks, en Alberta. Le conducteur a déchargé le bétail à l’usine d’abattage de JBS Foods.

1. L’Agence a-t-elle identifié adéquatement les animaux qui auraient subi des souffrances indues durant leur transport?

[8] Oui. Les animaux qui font l’objet de l’avis de violation sont suffisamment identifiables, même si les observations de l’Agence à la Commission n’ont pas permis d’identifier précisément tous les animaux concernés. Je n’ai pas été en mesure de déterminer le nombre précis d’animaux qui auraient subi des souffrances indues parce que le personnel de l’Agence présent à JBS Foods n’a pas identifié les animaux par leur numéro d’étiquette, sur les photos ou dans leurs notes présentées en preuve, et ce, malgré le fait que chacun de ces animaux porte une étiquette d’IRF de l’Agence canadienne d’identification du bétail (ACIB).

[9] La référence à « the animal in question » dans les éléments 1 et 2 soulève deux questions. Premièrement, cela permet de s’assurer qu’une personne qui reçoit un avis de violation soit traitée équitablement. Un accusé a le droit de connaître les détails de l’accusation contre laquelle il doit se défendre. Selon les circonstances, une confusion quant à l’identité des animaux présumés avoir subi des souffrances peut soulever des questions d’équité procédurale si cette confusion empêche l’accusé de préparer une défense contre l’avis de violation.

[10] En plus, la Commission a besoin d’une précision suffisante pour pouvoir déterminer si l’Agence s’est acquittée du fardeau de prouver qu’une violation a été commise. Les critères de l’arrêt Doyon exigent qu’un lien de causalité soit établi entre le transport d’un animal par l’accusé et la souffrance indue subie par l’animal. Selon la nature des souffrances alléguées d’un animal, l’identification de l’animal peut être requise pour prouver le lien de causalité.

[11] En l’espèce, il n’est pas contesté qu’en attente du déchargement à JBS Foods, au moins trois vaches sont tombées et qu’une vache est demeurée couchée et qu’elle a été euthanasiée dans le camion parce qu’elle était incapable de se lever malgré les efforts du conducteur. Tous les témoins qui ont pu constater l’état des bœufs à leur arrivée aux installations de JBS Foods conviennent que les animaux transportés par Way-Alta présentaient une note d’état corporel de 2 ou 3 et que l’état des vaches laitières était généralement pire que celui des vaches de boucherie.

[12] De plus, les photos, les notes de l’inspecteur et les témoignages des personnes présentes constituent une preuve suffisante qui me permet de tirer les conclusions suivantes :

  • un animal n’a pas été chargé et transporté parce qu’il a été considéré comme inapte;
  • au moins une vache ayant obtenu une note d’état corporel de 2 était couchée à son arrivée, mais a pu se relever et sortir normalement de la remorque;
  • une vache a été euthanasiée dans la remorque parce qu’elle était couchée à son arrivée et qu’elle ne s’est pas relevée après une période de repos et deux décharges d’aiguillons électriques;
  • un certain nombre de vaches ont subi des écorchures mineures pendant le transport, soit par contact avec le plancher ou les murs de la remorque, soit par contact avec d’autres animaux;
  • des bovins ayant obtenu une note d’état corporel de 2 se trouvaient dans la remorque;
  • au moins une vache ayant obtenu une note d’état corporel de 2 présentait des signes de fatigue et de douleur, soit un dos arqué, des mouvements lents et des tremblements;
  • un animal ayant obtenu une note d’état corporel de 2 qui a fait l’objet d’une inspection plus approfondie après l’abattage a passé l’inspection du vétérinaire de l’Agence présent pendant le déchargement;
  • il a été déterminé après l’abattage qu’une vache était émaciée et la carcasse a donc été condamnée.

[13] En l’espèce, l’identité précise des animaux n’est pas nécessaire parce que l’Agence allègue que les animaux transportés par Way-Alta étaient trop fatigués, en raison de leur mauvais état corporel, pour être transportés sans que des mesures spéciales soient prises, voire pour être transportés tout court. Way-Alta n’a pas contesté le fait que certains animaux présentaient une note d’état corporel de 2. L’entreprise a fait valoir que l’état corporel de ces animaux était typique des bovins de réforme et que les animaux ont été transportés vers l’installation d’abattage appropriée sans cruauté et aussi rapidement que nécessaire dans les circonstances. Toute souffrance n’était pas indue parce que tous les animaux, en particulier les vaches laitières vieilles et faibles, se fatiguent pendant le transport lors d’une journée chaude.

2. Le transport a-t-il causé des souffrances indues?

[14] Pour ce qui est des autres éléments, je dois déterminer si Way-Alta a transporté des animaux inaptes ou fragilisés. Les politiques de l’Agence et les lignes directrices de l’industrie précisent que l’état d’un animal inapte ou fragilisé est un facteur clé à prendre en considération lorsqu’un animal a indûment souffert en raison d’une infirmité, d’une maladie, d’une blessure, de la fatigue ou de toute autre cause.

Qu’est-ce qu’une souffrance indue?

[15] Il est précisé dans l’arrêt Doyon que le transport d’un animal souffrant ne constitue pas automatiquement une violation. Les animaux souffrants peuvent être transportés à condition que le transport n’entraîne pas de souffrance « indue ». Les « souffrances indues » ne sont pas définies dans la législation. Pour les besoins de l’alinéa 138(2)a), les « souffrances indues » sont définies dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Porcherie des cèdres Inc. [2] comme des souffrances « injustifiées », « déraisonnables » et « inappropriées ».

[16] Bien qu’elles ne soient pas contraignantes, les politiques de l’Agence et les lignes directrices de l’industrie peuvent servir à déterminer si le bétail a subi des souffrances indues pendant le transport. L’Agence a publié le document « Le programme concernant le transport sans cruauté des animaux - Politique sur les animaux fragilisés » afin d’orienter la prise de décisions relatives au transport des animaux. Cette politique a servi de base aux lignes directrices sur la manutention sans cruauté des vaches laitières et des bovins de boucherie (Humane Handling Guidelines for Dairy Cattle et Humane Handling Guidelines for Beef Cattle). Ces lignes directrices ont été élaborées par les industries du bœuf et de la production laitière et proposent des pratiques exemplaires pour le transport des animaux. Par conséquent, la politique et les lignes directrices peuvent aider à déterminer les facteurs qui augmentent la probabilité que des souffrances indues soient subies ainsi que les mesures qui peuvent être prises pour minimiser les souffrances.

[17] Le transport d’animaux inaptes ou le transport d’animaux fragilisés d’une manière non conforme à la politique par Way-Alta permet probablement de conclure que les éléments 4 et 5 des critères de l’arrêt Doyon sont satisfaits. Selon la politique, « un animal fragilisé est un animal dont les capacités de résistance au transport sont affaiblies mais qui peut être transporté dans certaines conditions sans que le transport lui inflige des souffrances injustifiées et déraisonnables ». Les animaux fragilisés peuvent être transportés vers « l’endroit adapté le plus près » pour l’abattage si des dispositions spéciales visant à prévenir les souffrances indues pendant le transport sont prises. Les animaux inaptes ne peuvent pas être transportés pour l’abattage parce que le transport causerait des souffrances indues, et ce, même si des dispositions spéciales sont prises.

[18] L’état corporel peut être « toute autre cause » qui pourrait causer des souffrances indues, comme l’exige l’élément 6 des critères de l’arrêt Doyon. La politique contient des listes exhaustives de conditions qui permettent de déterminer si les animaux sont inaptes ou fragilisés. L’état corporel ou la fatigue ne figurent pas dans ces listes. Toutefois, les lignes directrices précisent que l’état corporel est un facteur pertinent pour évaluer l’aptitude au transport. Les bovins émaciés ont une note d’état corporel de 1 et sont inaptes au transport. Les bovins dont la note d’état corporel est de 2 sont identifiés comme des animaux fragilisés; ils doivent être transportés directement à l’endroit adapté le plus près et des dispositions spéciales doivent être prises pour prévenir les souffrances indues.

[19] Par conséquent, pour déterminer si, en l’espèce, les animaux ont subi des souffrances indues pendant leur transport, je dois d’abord décider si un animal était inapte ou fragilisé.

i. Des animaux fragilisés ont-ils été transportés?

[20] Oui. Les lignes directrices établissent clairement que les vaches laitières et les bovins de boucherie avec une note d’état corporel de 2 sont des animaux fragilisés. Comme il a été expliqué, les éléments 4 à 6 des critères de l’arrêt Doyon sont satisfaits si aucune disposition adéquate n’a été prise pour prévenir les souffrances indues. Les lignes directrices précisent que les dispositions appropriées peuvent comprendre le chargement des animaux en dernier et leur déchargement en premier, l’isolement des autres animaux, l’installation de litières dans la remorque, l’absence d’entassement excessif et le transport rapide des animaux pour un abattage sans cruauté. Par contre, les dispositions à prendre pour le transport des animaux ayant une note d’état corporel de 2 ne sont pas imposées explicitement. Il est plutôt attendu que les transporteurs fassent preuve de jugement pour déterminer les dispositions nécessaires afin d’éviter des souffrances indues aux animaux. Way-Alta affirme que les animaux ont été transportés le plus rapidement possible à l’abattoir dans une remorque convenable sous la supervision d’un préposé aux soins des animaux expérimenté pour éviter qu’ils subissent des souffrances indues. Le fait qu’une vache n’ait pas été chargée après avoir été jugée inapte démontre que l’aptitude au transport a été prise en considération.

[21] J’accepte les éléments de preuve soumis par l’Agence selon lesquels les permis délivrés par l’Alberta pour le bétail et le carnet de route du conducteur indiquent que les bovins ont été chargés à Tongue Creek Feeders et que, par conséquent, JBS Foods n’était pas l’endroit le plus proche à privilégier pour les animaux fragilisés. Cependant, la question n’est pas réglée pour autant. Selon les principes d’interprétation généraux, chaque mot de l’expression « l’endroit adapté le plus proche » est important.

[22] L’Agence n’a pas prouvé que les installations de Cargill ou de Family Meats étaient des endroits plus appropriés pour transporter les animaux. Way-Alta a expliqué que Cargill n’accepte pas les bovins de réforme et l’Agence n’a fourni aucune preuve suggérant le contraire. De même, aucune preuve n’a été présentée pour démontrer que Family Meats avait la capacité de gérer cette quantité de bœufs fragilisés destinés à l’abattage. L’objectif général qui sous-tend l’obligation de transporter les animaux à l’endroit adapté le plus près consiste à éviter qu’une souffrance devienne indue en raison de la prolongation du transport. Il incombait à l’Agence d’établir que l’entreprise Family Meats aurait abattu les animaux plus rapidement que JBS Foods. Elle ne s’est pas acquittée de ce fardeau.

[23] Dans le même ordre d’idées, l’Agence n’a pas établi que les bovins ont subi des souffrances indues pendant le transport. L’Agence convient que les animaux avaient suffisamment d’espace dans la remorque et que la remorque était en bon état. J’estime que les écorchures infligées aux animaux pendant le transport étaient mineures et n’ont pas causé de souffrances indues aux animaux.

[24] En l’absence d’éléments de preuve démontrant que des dispositions adéquates ont été prises pour minimiser les souffrances, je conclus toutefois que les bovins avec une note d’état corporel de 2 ont indûment souffert pendant le transport en raison de leur état corporel. Les témoins de l’Agence ont déclaré que les animaux fragilisés auraient également dû être séparés et chargés en dernier et que des litières auraient dû être fournies. Bien que l’Agence n’ait pas expliqué adéquatement de quelle façon l’une ou l’autre de ces dispositions permettrait de réduire les souffrances, elle a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune disposition supplémentaire n’a été prise pour prévenir les souffrances indues. Fournir suffisamment d’espace, une remorque en bon état, un préposé aux soins expérimenté et un transport rapide par une journée chaude sont des exigences minimales pour le transport de tous les animaux. La politique et les lignes directrices stipulent clairement que des dispositions supplémentaires doivent être prises pour les animaux fragilisés afin de leur éviter des souffrances indues. Way-Alta a évalué les animaux, a déterminé qu’ils étaient aptes au transport et les a chargés pour le transport, mais, lorsqu’ils ont été déchargés, ceux-ci montraient des signes de douleur, de fatigue et de faiblesse, ce qui démontre qu’il y a un lien de causalité entre leur souffrance indue et leur transport, ce qui correspond à l’élément 7 des critères de l’arrêt Doyon.

[25] Par conséquent, j’estime qu’il a été établi que les éléments 4 à 7 des critères de l’arrêt Doyon sont satisfaits. Comme il a été expliqué précédemment, la politique et les lignes directrices précisent que les bovins dont la note d’état corporel est de 2 sont fragilisés et que ces animaux souffriront indûment si des dispositions suffisantes pour minimiser leurs souffrances ne sont pas prises pendant le transport. En transportant des animaux fragilisés sans prendre des dispositions supplémentaires qui vont au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer le transport sécuritaire de tous les animaux, Way-Alta a causé des souffrances indues à ces animaux.

ii. Des animaux inaptes ont-ils été transportés?

[26] Oui. Les lignes directrices stipulent que les animaux émaciés ont une note d’état corporel de 1 et qu’ils sont inaptes au transport. Comme l’émaciation n’apparaît pas soudainement, je conclus que l’animal condamné pour émaciation était inapte au transport.

[27] Je n’accepte pas l’explication du vétérinaire de l’Agence qui était présent à l’arrivée du chargement des bovins, lorsqu’il affirme que ni lui ni l’autre employé de l’Agence n’ont vu l’animal condamné pour émaciation pendant l’inspection du déchargement en raison du nombre d’animaux déchargés. Il est plus probable qu’une inspection visuelle rapide de la vache émaciée n’ait pas permis de la distinguer des animaux présentant une note d’état corporel de 2. Trois membres du personnel de l’Agence ont inspecté ces bovins, dont une inspectrice qui a indiqué dans son témoignage qu’elle avait examiné très attentivement ce chargement parce qu’elle avait soulevé certaines préoccupations à l’égard de chargements antérieurs de Way-Alta. De nombreuses photographies ont été prises par le personnel de l’Agence, le vétérinaire de l’Agence a procédé à une inspection plus poussée d’une vache qu’il soupçonnait être impropre à la consommation humaine après l’abattage, et chacun des membres du personnel de l’Agence a pris des notes en prévision d’un avis de violation. Je suis persuadée que l’animal émacié aurait été identifié par le personnel de l’Agence si cela avait été possible.

[28] L’omission de l’Agence d’identifier avec précision les animaux qui auraient, selon elle, indûment souffert pendant le transport aurait pu être pertinente si j’avais conclu que le seul animal qui a indûment souffert est celui qui a été condamné après l’abattage. L’identification précise des bovins aurait pu permettre une inspection plus approfondie de l’état corporel de l’animal émacié grâce aux photographies déposées en preuve.

5. ÉVALUATION DE LA COTE DE GRAVITÉ GLOBALE

[29] Selon l’article 5 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Règlement sur les SAPMAA) la violation de l’alinéa 138(2)a) du RSA est une violation grave passible d’une sanction de 6 000 $. Toutefois, le Règlement sur les SAPMAA stipule que la sanction peut être rajustée dans certains cas. Il incombe à l’Agence de démontrer qu’un rajustement de la sanction est justifié en fonction de trois critères : les violations ou les condamnations antérieures, l’intention ou la négligence et la gravité du tort qui est causé ou pourrait être causé (A.S. L’Heureux [3] ). L’annexe 3 du Règlement sur les SAPMAA présente les cotes de gravité propres à chaque critère. La somme de ces cotes permet d’établir la « cote de gravité globale ». Si un rajustement est requis, l’annexe 2 du Règlement sur les SAPMAA indique le pourcentage de la minoration ou de la majoration applicable à la sanction en fonction de la cote de gravité globale.

[30] Puisque le dossier de Way-Alta ne comporte aucune violation ou condamnation antérieure, le rajustement de la sanction n’est pas nécessaire.

[31] Je ne suis pas d’accord avec la conclusion du ministre selon laquelle Way-Alta a fait preuve de négligence et je conclus qu’aucun rajustement de la sanction n’est nécessaire. Les violations antérieures de cet alinéa sont généralement classées en deux catégories. La première catégorie concerne les animaux qui ont péri en raison d’une exposition prolongée à des températures excessives ou à un entassement pendant le transport. La deuxième catégorie concerne le transport d’animaux non ambulatoires ou d’animaux ambulatoires présentant des blessures apparentes, comme une plaie ouverte ou une fracture. Il n’est donc pas étonnant que Way-Alta se contente de déterminer si un animal peut être chargé sans aide ou s’il a des blessures visibles lorsqu’elle évalue l’aptitude au transport des animaux.

[32] De plus, le fait qu’un animal ait été jugé inapte et qu’il n’a pas été transporté indique que l’aptitude au transport a été prise en considération par Way-Alta. Une mauvaise compréhension des pratiques exemplaires relatives au transport des animaux, en particulier lorsqu’un état corporel inadéquat ne fait pas partie des catégories établies pour des violations antérieures, ne constitue pas de la négligence. L’Agence ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer que Way-Alta a fait preuve de négligence. Par conséquent, aucun rajustement de la sanction n’est nécessaire.

[33] Enfin, le ministre a attribué une cote de gravité globale de 5 parce que les actions de Way-Alta ont causé de graves préjudices aux animaux. Plus précisément, le ministre s’est appuyé sur la preuve selon laquelle deux vaches ont été euthanasiées et trois à cinq animaux auraient été désignés comme des « animaux à terre ». En fait, une seule vache a été euthanasiée et il s’agit du seul animal qui pouvait effectivement être décrit comme un « animal à terre ». Un « animal à terre » est un animal incapable de se lever. Les témoins de la demanderesse et de l’intimée ont affirmé qu’il n’est pas rare que même des animaux en bonne santé se couchent dans la remorque si le camion s’arrête pendant le transport, en particulier lors des journées chaudes. Par conséquent, le fait qu’un animal se soit couché ne suffit pas à prouver qu’il a subi un préjudice. Dans le même ordre d’idées, la Cour a déjà statué qu’il n’est pas possible de conclure qu’un animal a subi des souffrances indues du simple fait qu’il ne peut pas se lever (Guy D’Anjou inc. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) [4] ).

[34] Néanmoins, je conclus que l’omission de Way-Alta de prendre des dispositions lorsqu’elle transporte des animaux présentant une note d’état corporel de 2 a causé des souffrances indues à ces animaux. Par définition, la souffrance indue est grave parce qu’elle cause des souffrances inutiles et injustifiées aux animaux. Par conséquent, il convient d’accorder une cote de gravité de 5.

[35] Compte tenu de la cote de gravité globale de 5, la sanction est réduite de 10 % pour un montant rajusté de 5 400 $.

6. ORDONNANCE

[36] Je conclus que Way-Alta a commis la violation qui lui est reprochée dans l’avis de violation no 1718WA0181 et qu’elle doit payer à l’Agence la sanction de 5 400 $ dans les trente jours suivants la date de signification de la présente décision, conformément au paragraphe 15(3) de la Loi sur les SAPMAA.

[37] Je souhaite informer Way-Alta que la violation en cause n’est pas un acte criminel. Dans cinq ans, la demanderesse pourra demander au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire que cette violation soit rayée de son dossier, conformément à l’article 23 de la Loi sur les SAPMAA.

Fait à Saskatoon (Saskatchewan), le 15e jour d’octobre 2019.

(Originale signée)

Patricia Farnese

Membre

Commission de révision agricole du Canada



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