Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :

Mustafa c Agence des services frontaliers du Canada, 2020 CRAC 16

 

Dossier : CRAC-2042

ENTRE :

METUSH MUSTAFA

DEMANDEUR

‑ ET ‑

AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA

INTIMÉE

[Traduction de la version officielle en anglais]

DEVANT :

Me Luc Bélanger, Président

AVEC :

M. Metush Mustafa, demandeur; et

 

M. Christopher Hayes et Mme Sandy Kozak, représentant l’intimée

DATE DE LA DÉCISION :

Le 18 juin 2020

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 5 décembre 2019

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)


1. APERÇU

[1] Le 9 octobre 2018, l’Agence des services frontaliers du Canada (Agence) a délivré un procès-verbal assorti d’une sanction de 800 $ à M. Mustafa relativement à l’importation au Canada d’un sous-produit animal, à savoir des saucisses, en contravention de l’article 40 du Règlement sur la santé des animaux (RSA). Monsieur Mustafa a demandé à la Commission de révision agricole du Canada (Commission) de l’entendre sur les faits reprochés dans le procès- verbal en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire (LSAPAA).

[2] La veille de l’audience, l’Agence a informé la Commission qu’elle ne participerait pas à l’audience en raison d’une modification de sa politique concernant l’application de l’article 40 du RSA. Par conséquent, elle consentait à l’appel de M. Mustafa et a indiqué qu’elle annulerait le procès-verbal. Par ORDONNANCE, j’ai informé les parties que je remettrais à plus tard ma décision sur le consentement à l’appel de l’Agence et confirmé que l’audience aurait lieu comme prévu.

[3] La Commission est donc saisie de deux questions. À titre préliminaire, la Commission doit se demander si elle doit approuver le consentement à l’appel de l’Agence. Si elle répond par la négative à cette question, la Commission doit ensuite tirer une conclusion quant à savoir si l’Agence a ou non prouvé tous les éléments constitutifs permettant d’établir que M. Mustafa a commis la violation énoncée à l’article 40 du RSA.

[4] En l’espèce, j’estime que la Commission ne doit pas approuver le consentement à l’appel de l’Agence parce que celle-ci ne présente aucun argument ou élément de preuve permettant de conclure qu’elle a commis une erreur en délivrant le procès-verbal ou que M. Mustafa n’a pas violé l’article 40 du RSA. En vertu des articles 14 et 38 de la LSAPAA, le pouvoir d’annuler l’avis de violation délivré à M. Mustafa incombe exclusivement à la Commission. La Commission a compétence exclusive pour les affaires relevant d’une demande de révision et, par conséquent, doit accomplir son mandat législatif en procédant à une révision des faits reprochés dans le procès-verbal.

[5] Je conclus que l’Agence a établi que M. Mustafa, en important des saucisses au Canada sans les avoir déclarées, a commis la violation énoncée à l’article 40 du RSA. Par conséquent, M. Mustafa est tenu au paiement du montant de la sanction de 800 $.

2. QUESTION PRÉLIMINAIRE : LA COMMISSION DOIT-ELLE APPROUVER LE CONSENTEMENT A L’APPEL DE L’AGENCE?

[6] Le 4 décembre 2019, l’Agence a envoyé à la Commission un courriel indiquant qu’elle ne participerait pas à l’audience prévue le lendemain en raison d’une modification de sa politique concernant l’application de l’article 40 du RSA. Plus tard le même jour, j’ai rendu une ordonnance confirmant que l’audience aurait lieu comme prévu parce que l’Agence n’avait pas fourni de renseignements suffisants pour évaluer l’incidence qu’aurait cette modification de politique sur la compétence de la Commission pour réviser les faits reprochés dans le procès- verbal et déterminer si M. Mustafa devait être tenu responsable de cette violation survenue en octobre 2018.

[7] L’Agence a envoyé une lettre de suivi dans laquelle elle affirmait que le paragraphe 16(1) de la Loi sur la santé des animaux (LSA) était la disposition qu’il convenait d’appliquer lorsqu’un voyageur omettait de présenter un sous-produit animal, et non l’article 40 du RSA. L’Agence a en outre déclaré qu’elle consentait à l’appel de M. Mustafa sans faire aucune admission et sans prendre position quant au fond de l’appel. L’Agence a indiqué qu’elle annulerait le procès-verbal assorti d’une sanction délivré à M. Mustafa.

[8] Le 5 décembre 2019, à l’audience, j’ai fourni une copie des observations de l’Agence à M. Mustafa. J’ai informé M. Mustafa que je remettrais à plus tard ma décision sur le consentement à l’appel de l’Agence puisque je ne pouvais pas rendre de décision sans procéder à l’analyse appropriée. J’ai également indiqué que je demanderais aux deux parties de présenter des observations supplémentaires afin de déterminer si je devais ou non approuver le consentement à l’appel de l’Agence.

[9] Le 20 décembre 2019, j’ai rendu une ORDONNANCE enjoignant à l’Agence de répondre, le 21 janvier 2020 au plus tard, aux questions suivantes :

  1. Compte tenu du droit applicable et des éléments de preuve au dossier, le demandeur a-t-il violé l’article 40 duRSAen omettant de déclarer qu’il importait des saucisses le 9 octobre 2018 ?
  2. En vertu de quel pouvoir la Commission peut-elle approuver le consentement à l’appel de l’intimée ?
  3. En vertu de quel pouvoir l’Agence peut-elle maintenant annuler le procès-verbal no 4974- 18-1868 ?

[10] L’ORDONNANCE accordait également à M. Mustafa 30 jours à compter de la date du dépôt des observations de l’Agence pour présenter une réplique.

[11] Le 22 janvier 2020, l’Agence a déposé sa réponse à l’ordonnance. Quant à la première question, l’Agence a affirmé que M. Mustafa avait violé l’article 40 du RSA en omettant de déclarer qu’il importait des saucisses de bœuf le 9 octobre 2018. L’Agence a soutenu que les faits et les éléments de preuve exposés dans son rapport convaincraient la Commission dans l’exécution de sa révision. À son avis, l’Agence avait établi, selon la prépondérance des probabilités, les quatre éléments constitutifs de la violation alléguée.

[12] En ce qui concerne la deuxième question, l’Agence a affirmé qu’elle souhaitait faire appel à sa position antérieure selon laquelle M. Mustafa avait violé l’article 40 du RSA. Par conséquent, je n’ai plus à me demander si la Commission a le pouvoir d’approuver ledit consentement.

[13] En ce qui a trait à la troisième question, l’Agence a également indiqué qu’elle souhaitait faire appel à sa position antérieure selon laquelle M. Mustafa avait violé l’article 40 du RSA. L’Agence a demandé à la Commission de procéder à son analyse de l’affaire en se fondant sur les observations et les éléments de preuve déposés antérieurement par l’Agence.

[14] Monsieur Mustafa n’a pas présenté de réplique à la Commission.

[15] Le demandeur qui reçoit un procès-verbal délivré en vertu de la LSAPAA peut demander au ministre ou à la Commission de procéder à une révision au titre des alinéas 9(2)b) ou c) de la LSAPAA. Lorsque le demandeur, à l’instar de M. Mustafa, présente une demande de révision à la Commission en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la LSAPAA, l’affaire ne relève plus du ministre. Selon l’article 38 et l’alinéa 39(1)b) de la LSAPAA, la Commission a compétence exclusive pour les affaires relevant des domaines qui lui sont attribués.

[16] Lorsqu’elle procède à la révision d’un procès-verbal, le pouvoir de la Commission est clair. Selon l’alinéa 14(1)b) de la LSAPAA, elle doit déterminer si la personne qui demande la révision a ou non commis la violation alléguée. Si la Commission décide que la personne a commis une violation, elle doit se demander si le montant de la sanction a été établi en application des règlements.

[17] Après avoir effectué une analyse approfondie du cadre juridique applicable, j’adopte l’opinion suivante. J’estime que la Commission ne peut approuver le consentement à l’appel de l’Agence parce que celle-ci ne présente aucun argument fondé sur le droit ni aucun élément de preuve permettant à la Commission de conclure que M. Mustafa n’a pas commis la violation. Par conséquent, je vais maintenant procéder à l’analyse des faits et de l’historique des procédures de l’affaire afin de déterminer si M. Mustafa a commis la violation alléguée.

3. CONTEXTE

[18] Le 9 octobre 2018, M. Mustafa est arrivé au Canada à l’aéroport international Pearson de Toronto. Il revenait du Kosovo, un voyage qui a pris plus de 30 heures en raison d’une correspondance manquée. Monsieur Mustafa a rempli une carte de déclaration dans laquelle il a omis de déclarer qu’il importait l’un quelconque des aliments, végétaux ou produits d’origine animale énumérés au Canada.

[19] Après être passé par la ligne d’inspection primaire, M. Mustafa s’est rendu au carrousel pour récupérer ses bagages. Au carrousel, le chien détecteur dirigé par l’agent des services frontaliers (ASF) Reid a détecté quelque chose dans les bagages de M. Mustafa. Par conséquent, M. Mustafa a été dirigé vers l’aire de traitement secondaire.

[20] L’inspection des bagages de M. Mustafa a révélé que ceux-ci contenaient environ 15 boîtes de bœuf en conserve, 3 kilogrammes de saucisses de bœuf, 48 emballages de poulet et 4 coings. Une recherche dans le système automatisé de référence à l’importation (le SARI) a révélé que les saucisses de bœuf du Kosovo devaient se voir refuser l’entrée au Canada si les documents exigés par le RSA n’étaient pas fournis.

[21] Monsieur Mustafa n’avait pas de documents permettant l’importation. L’ASF Reid a saisi les saucisses de bœuf et déterminé qu’il avait violé l’article 40 du RSA. Monsieur Mustafa s’est vu signifier en personne un procès-verbal assorti d’une sanction de 800 $.

a. Historique des procédures et ordonnances

[22] Le 15 octobre 2018, à la suite de la délivrance du procès-verbal, M. Mustafa a présenté une demande de révision du procès-verbal au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en vertu de l’alinéa 9(2)b) de la LSAPAA.

[23] Le 14 novembre 2018, le ministre a reconnu avoir reçu la demande de M. Mustafa et a informé celui-ci qu’une décision ministérielle, portant le no 18-02900, serait rendue sur le fondement des éléments de preuve présentés si aucun n’était reçu dans les 30 jours.

[24] Le 28 novembre 2018, la Commission a reçu la demande de révision de la décision ministérielle no 18-02900 de M. Mustafa.

[25] Lors de la conférence de gestion d’instance obligatoire tenue le 10 octobre 2019, l’Agence a expliqué que, bien que M. Mustafa ait présenté une demande de révision au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, sa véritable intention était de s’adresser uniquement à la Commission. L’Agence a décidé de clore la demande de révision ministérielle de M. Mustafa.

[26] Le 25 novembre 2019, l’Agence a ensuite précisé que la décision de clore la demande de révision de M. Mustafa était de nature purement administrative — il ne s’agissait pas d’une décision ministérielle. Par conséquent, bien que la décision ministérielle no 18-02900 soit mentionnée dans le dossier et ait servi de fondement à la demande de révision qu’a présentée M. Mustafa à la Commission, elle n’a jamais été rendue.

[27] Le 28 novembre 2019, j’ai rendu une ORDONNANCE indiquant que la Commission procéderait à la révision des faits reprochés dans l’avis de violation délivré à M. Mustafa lors d’une audience qui serait tenue à Toronto, le 5 décembre 2019.

b. Cadre juridique

[28] Comme je l’ai déjà mentionné, l’alinéa 14(1)b) de la LSAPAA prévoit qu’une demande directe de révision d’un procès-verbal implique que la Commission doit prendre connaissance de tous les éléments de preuve et arguments pertinents que lui ont présentés les parties et déterminer si le demandeur a commis la violation, compte tenu du droit applicable.

[29] De plus, lorsque je révise les faits reprochés dans le procès-verbal, je dois tenir compte du caractère punitif du régime de sanctions administratives pécuniaires. Je dois donc être prudent dans l’administration et l’analyse de la preuve et des éléments constitutifs de la violation, comme il a été établi dans l’arrêt Doyon [1] .

[30] La première étape de l’analyse consiste à énoncer les éléments constitutifs d’une violation de l’article 40 du RSA, qui est ainsi libellé : « [i]l est interdit d’importer un sous-produit animal [2] , du fumier ou une chose contenant un sous-produit animal ou du fumier, sauf en conformité avec la présente partie ».

[31] Comme la Commission l’a déjà établi dans la décision Campbell [3] , et récemment confirmé dans la décision Ganchorka [4] , pour qu’une personne soit tenue responsable d’une violation de l’article 40 du RSA, l’Agence doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, les quatre éléments suivants :

  1. le demandeur est la personne qui a commis la violation;
  2. le demandeur a importé un produit d’origine animale ou un sous-produit animal au Canada;
  3. le sous-produit animal n’était visé par aucune des exceptions énumérées à la partie IV du RSA;
  4. le demandeur a omis de présenter le sous-produit animal aux agents des services frontaliers avant d’être dirigé vers l’aire secondaire des douanes en vue d’une inspection de ses bagages.

[32] Les éléments 1 et 2 de la violation ne sont pas contestés parce que l’identité de M. Mustafa est confirmée par son passeport et que celui-ci ne conteste pas le fait qu’il a importé des saucisses. Par conséquent, la Commission doit déterminer si l’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités, les éléments 3 et 4.

4. QUESTION EN LITIGE

[33] Il s’agit de savoir si M. Mustafa a violé l’article 40 du RSA en omettant de déclarer un sous-produit animal qui n’était visé par aucune des exceptions énumérées à la partie IV du RSA.

5. ANALYSE

[34] L’Agence a présenté un rapport contenant tous les éléments de preuve sur lesquels elle s’est fondée pour délivrer le procès-verbal à M. Mustafa. Selon le rapport, l’ASF a effectué une recherche dans le SARI de l’Agence qui a révélé que les saucisses du Kosovo devaient se voir refuser l’entrée au Canada. L’ASF a en outre demandé à M. Mustafa s’il avait des documents d’importation permettant que les saucisses soient importées. Selon la preuve présentée par l’Agence, les saucisses ne semblent être visées par aucune des exceptions énumérées à la partie IV de la LSA.

[35] De plus, la preuve présentée par l’Agence, plus particulièrement la carte de déclaration de M. Mustafa et les notes de l’ASF Reid, permet de conclure qu’à aucun moment avant ou pendant l’importation M. Mustafa n’a présenté les saucisses importées. En fait, la preuve démontre que ce n’est qu’après que les articles ont été découverts par l’ASF Reid lors de l’examen secondaire que M. Mustafa a reconnu qu’il importait des saucisses au Canada.

[36] Monsieur Mustafa n’a pas contesté la preuve de l’Agence. Il a soutenu que la violation n’était pas intentionnelle et résultait d’une altération de ses facultés mentales en raison de la fatigue qu’il ressentait à la suite d’un long voyage avec sa fille. Il a en outre soutenu que l’Agence avait volé les articles saisis et les avait mal identifiés, et que la sanction était extrême.

[37] La diligence raisonnable et les erreurs de fait ne sont pas des moyens de défense qui peuvent être invoqués à l’égard des violations sous le régime de responsabilité absolue de la LSAPAA. Le fait que M. Mustafa n’ait pas eu l’intention de commettre la violation ne constitue pas un moyen de défense admissible. La preuve relative à l’altération des facultés mentales de M. Mustafa en raison de la fatigue n’excuse pas ses actions.

[38] Je conclus que M. Mustafa n’a soulevé aucun moyen de défense admissible et qu’il n’a pas contesté la preuve de l’Agence. L’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités, chacun des éléments d’une violation de l’article 40 du RSA.

[39] Selon le Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (le RSAPAA), les violations sont qualifiées de mineures, de graves ou de très graves. Faire entrer au Canada un sous-produit animal sans le déclarer constitue une « violation grave ». Les règles de droit établissent les sanctions suivantes à l’égard des violations : 500 $ pour une violation mineure, 800 $ pour une violation grave et 1 300 $ pour une violation très grave (article 4 du RSAPAA). Il s’agit de sanctions dont le montant est fixe. En l’espèce, une sanction de 800 $ est indiquée au regard des faits et du droit.

6. ORDONNANCE

[40] Je conclus que M. Mustafa a commis la violation indiquée dans le procès-verbal no 4974-18-1868, daté du 9 octobre 2018, et je lui ORDONNE de payer le montant de la sanction de 800 $ à l’Agence des services frontaliers du Canada dans les trente (30) jours suivant la date à laquelle il reçoit la présente décision.

[41] Je tiens à informer M. Mustafa que cette violation ne constitue pas une infraction criminelle. Cinq ans après la date du paiement du montant de la sanction, il pourra demander au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile de rayer la violation de son dossier, conformément à l’article 23 de la LSAPAA.

Fait à Ottawa (Ontario), le 18e jour de juin 2020.

(Originale signée)

Me Luc Bélanger

Président

Commission de révision agricole du Canada



[2] L’article 2 du RSA définit ainsi le sous-produit animal : « [s]ous-produit animal provenant d’un oiseau ou d’un mammifère, à l’exception des rongeurs, des cétacés, des pinnipèdes et des siréniens. (animal by-product) ».

[4] Ganchorka c Agence des services frontaliers du Canada, 2019 CRAC 15.

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