Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :

Falk c. l’Agence canadienne d’inspection des aliments, 2020 CRAC 09

 

Dossier : CART-1913

ENTRE :

KEN FALK

DEMANDEUR

‑ ET ‑

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS

INTIMÉE

[Traduction de la version officielle en anglais]

DEVANT :

Patricia L. Farnese, membre

AVEC :

Delwen Stander, représentant le demandeur; et

 

Lisa Riddle et Brett Love, représentant l’intimée

DATE DE LA DÉCISION :

Le 3 avril 2020

LIEU DE L’AUDIENCE :

New Westminster (Colombie-Britannique)


1. APERÇU

[1] M. Falk a reçu un avis de violation (AV) en vertu du paragraphe 14(1) de la Loi sur l'inspection des viandes (LIV) et s’est vu imposer une pénalité de 10 000 $ pour avoir entravé les fonctions d’une inspectrice de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (Agence), au cours d’une inspection de Twin Maple Ltd., faisant affaire sous le nom de Fraser Valley Duck and Goose (FVDG). M. Falk, président de FVDG, a refusé de fournir une liste de clients demandée par l’inspectrice de l’Agence au cours de l’inspection de FVDG. La question soumise à la Commission de révision agricole du Canada (Commission) est de savoir si le refus de M. Falk a entravé l’action de l’inspectrice de l’Agence alors qu’elle exerçait ses fonctions.

[2] FVDG est située en Colombie-Britannique et prépare des produits de volaille pour les marchés de la Colombie-Britannique et du Canada. Seuls les produits de volaille préparés dans un établissement inspectée par le gouvernement fédéral peuvent être vendus à l’extérieur de la province. L’Agence a entamé une inspection après avoir découvert des produits de FVDG en vente en Alberta qui n’avaient pas été préparés dans un établissement inspectée par le gouvernement fédéral. L’inspection visait à déterminer la ou les parties responsables d’avoir expédié illégalement le produit à l’extérieur de la Colombie-Britannique.

[3] Au cours de son inspection, une inspectrice de l’Agence a demandé à M. Falk de lui fournir une copie de la liste de clients de FVDG. M. Falk a refusé au cours de cette réunion et à nouveau, en réponse à un courriel ultérieur dans lequel l’Agence réitérait cette demande, invoquant comme motif de son refus les droits de propriété de FVDG sur la liste. Dans ses arguments présentés à la Commission, M. Falk a également soutenu que la demande était déraisonnable compte tenu de la nature confidentielle des listes de clients. Il a également allégué que la demande portait atteinte à sa vie privée, et, par conséquent, violait son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte).

[4] Je conclus que, bien que la demande de l’inspectrice fût raisonnable, l’Agence n’a pas démontré qu’en refusant de fournir la liste de clients, M. Falk a en fait entravé les capacités de l’inspectrice à exercer ses fonctions. L’AV est annulé. Par conséquent, je n’ai pas à examiner la contestation constitutionnelle.

2. CADRE JURIDIQUE

[5] Avant son abrogation, la LIV réglementait l’abattage, la production et la vente de produits de viande au Canada qui étaient commercialisés sur les marchés interprovinciaux ou qui étaient importés ou exportés au Canada [1] . La LIV exigeait que toute la viande vendue dans une province autre que celle dans laquelle elle a été produite soit préparée dans un établissement inspectée par le gouvernement fédéral. Cette exigence visait à sensibiliser la population à la salubrité alimentaire, à assurer que les normes de santé et de protection animale soient respectées, et à faciliter des interventions efficaces en cas de problèmes liés à la salubrité alimentaire ou à la santé animale. Outre des objectifs évidents concernant la protection des consommateurs, la LIV faisait partie d’un régime de sécurité alimentaire conçu pour soutenir l’exportation de produits canadiens en préservant la réputation du Canada comme source de produits alimentaires salubres et de grande qualité.

[6] Il est impossible d’inspecter chaque produit de viande vendu au Canada ou exporté du Canada. Les inspecteurs de l’Agence, toutefois, sont investis de vastes pouvoirs qui leur permettent d’effectuer des inspections ciblées et aléatoires pour promouvoir et vérifier la conformité au régime de réglementation alimentaire canadien. Le public a l’obligation correspondante de prêter assistance pendant ces inspections. M. Falk aurait manqué à cette obligation prévue au paragraphe 14(1) de la LIV lorsqu’il a refusé de fournir une liste de clients de FVDG à une inspectrice de l’Agence. Le paragraphe 14(1) prévoit ce qui suit :

Il est interdit d’entraver l’action de l’inspecteur dans l’exercice de ses fonctions ou de lui faire, oralement ou par écrit, une déclaration fausse ou trompeuse.

[7] La Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi sur les SAPMAA) et le Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Règlement sur les SAPMAA) énoncent un procédé uniforme qui vise à sanctionner les violations de plusieurs lois au sein du régime de réglementation alimentaire canadien. Le régime de la Loi sur les SAPMAA comprend deux étapes : (1) une détermination que la violation a été commise et (2) une évaluation de la sanction appropriée. L’Agence doit prouver les deux étapes selon la prépondérance des probabilités. Une violation du paragraphe 14(1) de la LIV est assujettie au régime de la Loi sur les SAPMAA.

[8] La Commission n’a pas encore éxaminé un AV émis en vertu du paragraphe 14(1) de la LIV. Par conséquent, j’ai décrit les éléments d’une façon qui ressemble à celle dont la Commission décrit les éléments pour une violation comparable au sens de l’article 35 de la Loi sur la santé des animaux (LSA) [2] . Au moment de cette violation présumée, la contravention à l’article 35 de la LSA était désignée comme une violation grave dans le régime de la Loi sur les SAPMAA [3] . La Loi sur la salubrité des aliments au Canada (LSAC), qui a remplacé la LIV, comprend aussi des dispositions analogues [4] et, en vertu du régime de la Loi sur les SAPMAA, définit la violation comme étant très grave [5] . Étant donné que l’Agence peut être tenue d’appliquer les deux lois en même temps, cette approche établit un fardeau de la preuve cohérent pour des dispositions comparables dans la LSAC et la LSA.

[9] Le régime prévu par la Loi sur les SAPMAA crée des violations de responsabilité absolue, ce qui signifie que seuls quelques moyens de défense peuvent être invoqués afin d’écarter l’AV une fois que la première étape a été démontrée. M. Falk n’a pas soulevé de moyens de défense acceptables, et par conséquent, l’AV sera maintenu si l’Agence prouve les quatre éléments suivants :

  1. L’identité de la personne;
  2. La personne a entravé l’action d’un inspecteur; OU
  3. La personne a fait une déclaration fausse ou trompeuse, oralement ou par écrit, à un inspecteur;
  4. L’inspecteur exerçait ses fonctions en vertu de la LIV.

[10] Seul le deuxième élément, à savoir si M. Falk a entravé l’action d’un inspecteur, est en litige en l’espèce. M. Falk a admis être la personne que l’inspectrice a rencontrée au cours de l’inspection et avoir refusé de fournir une liste de clients. M. Falk n’a également pas contesté le fait que l’inspectrice exerçait ses fonctions en vertu de la LIV lorsqu’elle a commencé cette inspection même s’il a affirmé que les actions de l’inspectrice étaient déraisonnables.

[11] L’Agence a fait valoir que je devais tenir expressément compte de la question du caractère raisonnable au quatrième élément et a proposé l’énoncé suivant :

[TRADUCTION] Lorsque l’inspecteur exerce ses fonctions en vertu de la LIV, si l’inspecteur a des motifs raisonnables de croire que les renseignements demandés contiennent des renseignements pertinents à l’application de la LIV.

L’Agence a affirmé, tout comme l’inspectrice au cours de l’inspection de FVDG, que ce qui est demandé raisonnablement est une décision subjective de l’inspectrice au moment de l’inspection. Je ne suis pas d’accord. La question de savoir si les actions de l’inspectrice étaient raisonnables sera donc abordée dans l’analyse du deuxième élément.

[12] Bien que M. Falk ait été accusé d’avoir enfreint le paragraphe 14(1) de la LIV, afin de déterminer si la violation a été commise, je suis aussi tenue d’aborder l’alinéa 13(1)c). L’inspectrice s’est appuyée sur le pouvoir qui lui était conféré par l’alinéa 13(1)c) pour demander les listes de clients. L’alinéa 13(1)c) prévoit ce qui suit :

13 (1) Pour l’application de la présente loi et de ses règlements, l’inspecteur peut, sous réserve des paragraphes (3) à (5), à tout moment procéder à la visite de tout lieu ou véhicule — et, à cette fin, à l’immobilisation de celui-ci — s’il a des motifs raisonnables de croire que s’y trouvent des produits de viande ou d’autres objets visés par la présente loi. Il peut en outre, avec des motifs raisonnables d’agir ainsi :

c) exiger la communication, pour examen ou reproduction totale ou partielle, de tout livre, bordereau d’expédition, connaissement ou autre document ou dossier qui, à son avis, contiennent des renseignements utiles à l’application de la présente loi et de ses règlements.

Si l’inspectrice n’a pas agi dans les limites de l’autorité qui lui étaient conférées par l’alinéa 13(1)c), ses actions seraient objectivement déraisonnables. Le refus de M. Falk d’obéir ne devrait pas être considéré comme une violation de la LIV si l’inspectrice n’avait pas de motifs raisonnables de croire que la liste de clients comprenait des renseignements pertinents à l’application de la LIV.

[13] Si l’Agence démontre les éléments énoncés ci-dessus, la Commission doit décider si le montant de la sanction a été correctement établi. Lorsqu’il est allégué une violation de responsabilité absolue, cette deuxième étape est importante étant donné qu’elle permet de prendre en considération les faits précis de l’affaire. La deuxième étape consiste à déterminer si l’accusé a déjà commis des violations ou s’il fait l’objet de condamnations antérieures, s’il a agi délibérément ou a fait preuve de négligence, et à envisager le préjudice causé ou qui aurait pu être causé.

[14] Enfin, M. Falk a mis en question la constitutionnalité de l’alinéa 13(1)c) de la LIV. Il a soutenu que les demandes faites par l’inspectrice de l’Agence afin d’obtenir une liste de clients auxquels il distribue ses produits ont porté atteinte à sa vie privée. Par conséquent, son droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte a été violé. L’inspectrice a fait ces demandes en vertu de l’autorité qui lui était conférée par l’alinéa 13(1)c) de la LIV. M. Falk a soutenu qu’il n’a pas commis de violation à l’article 14 étant donné qu’il n’était pas tenu de suivre les demandes qui portaient atteinte à ses droits garantis par la Charte. Si l’Agence démontre, selon la prépondérance des probabilités, les éléments de la violation, il reste à déterminer si l’Agence a enfreint le droit de M. Falk à une attente raisonnable en matière de vie privée qui lui est garanti par la Constitution.

3. QUESTIONS EN LITIGE

[15] Étant donné que les premier, deuxième et quatrième éléments de la violation ne sont pas contestés, l’Agence a le fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que M. Falk a adopté un comportement qui a entravé l’action d’un inspecteur. Afin de décider si l’Agence s’est acquittée de ce fardeau, trois questions sont soulevées :

  • M. Falk avait-il la possibilité de refuser les demandes répétées de la part de l’inspectrice qui voulait obtenir les listes de clients?
  • L’inspectrice avait-elle des motifs raisonnables de croire que les listes de clients comprenaient des renseignements pertinents à l’application de la LIV?
  • M. Falk a-t-il en fait entravé l’action de l’inspectrice en refusant de fournir sa liste de clients?

4. ANALYSE

Question 1 : M. Falk avait-il la possibilité de refuser les demandes répétées de la part de l’inspectrice qui voulait obtenir les listes de clients?

[16] L’Agence allègue que M. Falk a violé le paragraphe 14(1) de la LIV en refusant de fournir une liste de clients demandée par une inspectrice de l’Agence. L’inspectrice a d’abord demandé la liste au cours d’une inspection en personne, et encore une fois dans un courriel de suivi envoyé à M. Falk. Il n’est pas contesté qu’une liste de clients a été sollicitée et que M. Falk n’a pas fourni la liste à l’Agence. À l’audience, toutefois, M. Falk a soutenu qu’il ne pouvait pas être trouvé coupable de violation du paragraphe 14(1) étant donné que l’inspectrice a simplement demandé et n’a pas exigé que la liste soit fournie.

[17] Je ne suis pas convaincue que le fait que l’Agence n’a pas expressément exigé que M. Falk fournisse sa liste de clients a quelque importance sur le plan juridique en l’espèce. Le paragraphe 13(2) prévoit l’obligation de prêter assistance à l’inspecteur en lui fournissant tout renseignement qu’il pourrait « exiger ». M. Falk soutient que je devrais adopter une définition du terme « exiger » qui porte sur le fait d’ordonner ou de rendre obligatoire. Lorsqu’elle est interprétée dans le contexte du paragraphe 13(2), toutefois, une définition du terme « exiger » qui reflète la nécessité est plus appropriée :

13 (2) Le propriétaire ou le responsable du lieu ou véhicule visité, ainsi que quiconque s’y trouve, sont tenus de prêter à l’inspecteur toute l’assistance possible dans l’exercice de ses fonctions et de lui donner les renseignements qu’il peut valablement exiger quant à l’application de la présente loi et de ses règlements.

[18] La question de savoir si M. Falk a cru qu’il pouvait refuser de fournir la liste étant donné que l’inspectrice a demandé plutôt qu’exiger cette liste dans sa communication, n’est pas pertinente. Il faut plutôt déterminer si M. Falk a fourni les renseignements qui étaient raisonnablement nécessaires à l’enquêtrice pour appliquer la LIV afin de décider si la violation a eu lieu.

[19] Même si sa croyance subjective concernant son choix de refuser les demandes de l’inspectrice constituait un facteur pertinent, M. Falk a témoigné qu’il avait dit aux deux inspecteurs de l’Agence au cours de l’inspection en personne, et, par la suite, à l’inspectrice de l’Agence, qu’ils devaient obtenir une ordonnance judiciaire pour qu’il accepte de leur fournir la liste. Une telle déclaration est incompatible à la croyance qu’il avait le choix de fournir la liste. Je conclus que l’acquiescement à la demande de l’Agence n’était pas de nature discrétionnaire.

Question 2 : L’inspectrice avait-elle des motifs raisonnables de croire que les listes de clients comprenaient des renseignements pertinents à l’application de la LIV?

[20] Les renseignements dont l’inspecteur a des motifs raisonnables de croire qu’il sont pertinents à l’inspection varieront en fonction d’une analyse contextuelle qui prend en compte l’objet précis de l’inspection. Adopter des normes rigides de ce qui est raisonnable irait à l’encontre de l’objet de la LIV et aux vastes pouvoirs conférés aux inspecteurs par la LIV. Dans le cadre d’une inspection aléatoire de la conformité, on ne s’attendrait pas à ce que les inspecteurs fassent particulièrement preuve de prudence dans leur demande de renseignements et il conviendrait d’appliquer une norme relativement peu exigeante pour déterminer l’existence des motifs raisonnables. Lors d’une inspection aléatoire, les renseignements demandés satisferaient vraisemblablement à la norme dans la mesure où ils serviraient à vérifier la conformité à la LIV.

[21] Peu importe le contexte, toutefois, l’équité exige que les motifs raisonnables soient appréciés de façon objective. La LIV et la LSAC, qui l’a remplacée, confèrent aux inspecteurs de vastes pouvoirs permettant de vérifier la conformité au régime de réglementation et d’intervenir lorsqu’ils soupçonnent la non-conformité. Ces pouvoirs sont essentiels à la protection de l’intégrité du système alimentaire canadien.

[22] Une évaluation objective de ce que constituent des motifs raisonnables établit un équilibre important entre les vastes pouvoirs conférés aux inspecteurs. Les particuliers ont peu d’occasions de contester les décisions des inspecteurs sans se heurter aux dispositions législatives comme celles auxquelles est confronté M. Falk. Si la norme est déterminée dans le cadre d’une analyse subjective de ce que chaque inspecteur juge raisonnable au moment de l’inspection, la cohérence et l’équité seront mises en péril. Bien qu’être tenu de se conformer aux inspections soit à bien des égards le coût à payer pour faire affaire dans le secteur alimentaire, l’intégrité de notre système alimentaire exige également que l’industrie s’assure que les inspections soient effectuées de façon cohérente et équitable.

[23] En l’espèce, une norme plus élevée de ce que constituent des motifs raisonnables est justifiée étant donné que l’inspectrice n’effectuait pas d’inspection aléatoire de la conformité générale de FVDG à la LIV. L’inspectrice a entrepris l’inspection après que l’Agence a reçu une plainte et a confirmé que les produits de FVDG inspectés par le gouvernement provincial, également appelés les produits BC03, étaient en vente en Alberta. Étant donné que le produit BC03 n’était pas préparé dans un établissement inspectée par le gouvernement fédéral, sa mise en vente en Alberta était une violation présumée de la LIV. L’inspectrice a témoigné que l’objet de son enquête était de déterminer qui était probablement responsable du déplacement du produit BC03 à l’extérieur de la province et de déterminer si la non-conformité se poursuivait. Par conséquent, les motifs raisonnables sont définis par ce qui aiderait à vérifier la conformité avec les parties de la LIV réglementant le commerce interprovincial et, plus précisément, à identifier qui éxpediait le produit BC03 en Alberta.

[24] En me servant de cette norme plus élevée, je conclus que l’inspectrice avait des motifs raisonnables de croire que les listes de clients contenaient des renseignements pertinents permettant d’identifier l’expéditeur du produit BC03 en Alberta. J’accepte le témoignage de l’inspectrice selon lequel elle ne savait pas qui était responsable de l’expédition des produits BC03 en Alberta quand elle a effectué son inspection de FVDG. Son témoignage est appuyé par la simple lecture du Rapport de non-conformité de l’inspection (RNCI) qu’elle a préparé et soumis aux Services d’enquête et d’application de la loi de l’Agence à la suite de l’inspection de FVDG. Le RNCI énumère un certain nombre d’autres parties à l’égard desquelles elle a des motifs de soupçonner leur responsabilité d’avoir expédié les produits BC03 en Alberta.

[25] De plus, la preuve présentée par l’Agence à l’audience montre que l’inspectrice avait des motifs de soupçonner que quelqu’un d’autre que M. Falk était responsable de la non- conformité. Les inspecteurs présents lors de l’inspection en personne de FVDG ont tous les deux témoigné qu’ils étaient accompagnés d’un inspecteur provincial qui avait travaillé avec M. Falk et qui les a rassurés sur le fait que M. Falk ne serait pas la source de la non-conformité. Lors de l’inspection, M. Falk a également expliqué qu’il serait en mesure de démontrer que FVDG n’était pas responsable de l’expédition du produit à l’extérieur de la Colombie-Britannique. Le déplacement du produit BC03 trouvé en Alberta pouvait être retracé par un code unique qui figurait sur ses étiquettes. Par conséquent, la liste de clients aurait pu aider à déterminer qui d’autre était en possession des produits BCO3.

[26] M. Falk a également le devoir de prêter assistance aux enquêteurs lorsqu’ils vérifient la conformité des tiers, et, par conséquent, une demande de renseignements sur les tiers n’est pas déraisonnable dans ce contexte. Le fait que M. Falk peut suivre le déplacement d’un produit spécifique BC03 trouvé en Alberta ne fait que démontrer qu’il ne prenait aucune part au commerce extraprovincial. L’inspectrice, toutefois, ne souhaitait pas uniquement vérifier la conformité de M. Falk. La demande de la liste de clients était nécessaire pour vérifier la conformité des autres, surtout si la non-conformité ne se limitait pas aux cas précis déjà relevés.

[27] Enfin, je conclus que la demande de la liste de clients, bien qu’elle fût initialement déraisonnable, est devenue raisonnable quand l’inspectrice a restreint la portée de sa demande. La preuve présentée à l’audience a souligné que dans un courriel à M. Falk à la suite de l’inspection en personne, l’inspectrice a restreint la portée de sa demande initiale passant d’une liste de clients de FVDG à une [TRADUCTION] « liste de distribution [de FVDG] pour les clients à l’extérieur de la province » et [TRADUCTION] « les clients régionaux de la Colombie-Britannique qui font de la redistribution (il n’est pas nécessaire d’inclure les restaurants ou les magasins de détail) ». Comme il a été mentionné, la question de savoir si l’inspectrice avait des motifs raisonnables de croire que la liste de clients comprenait des renseignements pertinents pour l’application de la LIV est une analyse contextuelle. En l’espèce, la question en litige est celle de la distribution interprovinciale des produits BC03. Il ne serait pas raisonnable de demander une liste de clients qui comprendrait des clients non pertinents à l’évaluation de la conformité aux règlements traitant de la distribution interprovinciale de volaille inspectée. L’inspecteur qui formule une demande de portée excessive lors d’une inspection ciblée, notamment à la suite d’une une plainte de non-conformité et lorsque la salubrité alimentaire ou la santé animale ne sont pas compromis, risque de franchir le Rubicon pour se livrer à une enquête [6] .

Question 3 : M. Falk a-t-il en fait entravé l’action de l’inspectrice en refusant de fournir sa liste de clients?

[28] Étant donné qu’il s’agit de la première fois que la Commission aborde, en détail, une violation impliquant l’entrave à l’action d’un inspecteur, j’estime nécessaire d’énoncer clairement que le contexte est important à cette analyse. Lorsque la sécurité publique ou la santé animale est compromise, un simple refus de se conformer à une demande peut suffire pour qu’une violation soit établie. Dans le contexte de la sécurité publique ou de la santé animale, l’intégrité du régime de réglementation risque davantage d’être attaquée si les parties réglementées croient qu’elles sont en mesure de retarder ou d’ignorer les demandes des inspecteurs. C’est également le cas lorsque l’inspecteur effectue une vérification aléatoire. En l’espèce, toutefois, il s’agit d’une inspection avec un objet précis découlant de préoccupations au sujet du commerce interprovincial. Le fardeau qu’il incombe à l’Agence doit tenir compte de ce contexte pour répondre aux attentes énoncées par la Cour d’appel fédérale dans Doyon [7] selon lesquelles la Commission doit faire preuve de circonspection quand elle examine un AV.

[29] Le premier élément de cette analyse consiste à définir ce que signifie le fait d’« entraver » l’action d’un inspecteur. Malgré la présence de dispositions très similaires dans la plupart des loi et règlements applicables dans le cadre d’une révision, la Commission n’a pas approfondi ce que signifie le fait d’entraver l’action d’un inspecteur. Un examen de la jurisprudence sur cette question n’a pas révélé d’affaire aux faits similaires. La plupart des affaires s’inscrivent dans un contexte criminel ou quasi criminel, portent sur des actes d’ordre physique visant à bloquer, à résister ou à intimider un inspecteur, ou concernent la divulgation de renseignements personnels qui commandent un haut degré de protection de la vie privée. Les documents de travail, tels qu’une liste de client, ne bénéficient pas du même degré de protection, surtout dans le contexte d’activités commerciales qui sont hautement réglementées par l’État [8] .

[30] La jurisprudence actuelle, toutefois, fournit certaines indications qui aident à définir la portée du paragraphe 14(1) de la LIV. Entraver ou empêcher un inspecteur peut être interprétée comme un obstacle au déroulement d’une inspection de manière à ce qu’il soit plus difficile pour l’inspecteur d’effectuer son travail [9] . Il n’est pas nécessaire que l’inspecteur soit complètement empêché d’exercer ses fonctions ou que l’entrave comporte un acte d’ordre physique [10] . Par conséquent, le défaut de répondre à une demande formulée par un inspecteur peut entraîner l’entrave à l’action de l’inspecteur dans l’exercice de ses fonctions [11] .

[31] Je conclus, toutefois, que l’Agence ne s’est pas acquittée du fardeau requis pour prouver que les actions de M. Falk ont entravé l’action de l’inspectrice au cours de l’exercice de ses fonctions en vertu de la LIV. Dans Doyon [12] , la Cour d’appel fédérale a ordonné à la Commission d’être « circonspect[e] dans l’administration et l’analyse de la preuve de même que dans l’analyse des éléments constitutifs de l’infraction et du lien de causalité » compte tenu du peu de moyens de défense. La Cour a également énoncé que la conclusion selon laquelle une violation a eu lieu doit se fonder sur des faits « et non sur de simples conjectures, encore moins de la spéculation, des intuitions, des impressions ou du ouï-dire ». Même s’il est vrai que la norme applicable n’exige pas que l’inspecteur soit complètement empêché d’exercer ses fonctions, la loi prévoit clairement qu’il doit y avoir une preuve d’entrave. S’il n’en était pas ainsi, le législateur aurait simplement inclus l’exigence de fournir de l’aide aux inspecteurs énoncée au paragraphe 13(2) de la LIV. La violation distincte au paragraphe 14(1) pour entrave à l’action d’un inspecteur ne serait pas nécessaire.

[32] L’accès à la liste de clients n’est pas essentiel à l’achèvement d’une inspection dans ce contexte. Les inspecteurs de l’Agence qui ont témoigné n’étaient pas non plus en mesure de se souvenir d’un moment à l’extérieur du contexte de la salubrité des aliments où une liste de clients a été demandée. Mais surtout, bien que l’inspectrice qui a demandé la liste de clients ait expliqué comment elle se serait servie de la liste si elle l’avait reçue, elle n’a pas fourni d’éléments de preuve quant à la manière dont le manque d’accès à la liste de clients a entravé l’inspection. Par exemple, l’inspectrice a affirmé qu’elle aurait pu se servir de la liste pour vérifier l’honnêteté de M. Falk dans les réponses à ses questions. Toutefois, elle n’a pas témoigné qu’elle était préoccupée par le fait que M. Falk était malhonnête ou qu’elle n’était pas en mesure de vérifier la véracité de ses déclarations.

[33] La preuve dont je dispose me porte à conclure que le défaut de fournir la liste de clients n’a pas entravé l’inspection, qui a été bel et bien effectuée. J’accepte le fait que l’accès à la liste aurait pu fournir à l’Agence des renseignements au sujet des parties, mis à part M. Falk, qui pourraient être en possession des produits BC03 et qui pourraient déplacer le produit à l’extérieur de la Colombie-Britannique. Pour s’acquitter du fardeau de la preuve, toutefois, l’Agence était tenue de présenter une preuve qui démontre, au minimum, comment le déroulement de l’inspection avait été ralenti, compliqué ou contrecarré par l’absence de ces renseignements. Elle ne l’a pas fait et la preuve dont je dispose montre plutôt que l’inspectrice a été en mesure de préparer un RNCI dans lequel elle désignait trois autres parties qui avaient connaissance du transport des produits BC03 en Alberta ou qui y avaient participé.

[34] Par conséquent, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l’Agence n’a pas démontré tous les éléments essentiels de la violation. Par conséquent, aucune sanction pécuniaire n’est due en l’espèce. Vu cette conclusion, la Commission n’est pas tenue de déterminer si l’Agence a démontré que le montant de la sanction est justifié en vertu de la Loi sur les SAPMAA et le Règlement sur les SAPMAA.

5. QUESTION CONSTITUTIONNELLE

[35] M. Falk a également soulevé une question constitutionnelle en défense à l’AV. Compte tenu de mes conclusions en l’espèce, la question de savoir si la demande de l’inspectrice a porté atteinte au droit de M. Falk à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives garanti par l’article 8 de la Charte ne sera pas abordée.

6. ORDONNANCE

[36] J’ordonne que l’AV no 1516WA0112 émis contre M. Ken Falk soit annulé.

[37] Conformément à l’article 14 de la Loi sur les SAPMAA, le pouvoir de la Commission lors de l’évaluation d’un AV se limite à déterminer si le demandeur a commis ou non la violation. La Commission n’a pas le pouvoir d’adjuger des dépens.

Fait à Saskatoon (Saskatchewan), ce 3e jour d’avril 2020.

(Originale signée)

Patricia L. Farnese

Membre

Commission de révision agricole du Canada



[1] La LIV a été remplacée par la Loi sur la salubrité des aliments au Canada (LSAC), qui est entrée pleinement en vigueur en janvier 2019. Une grande partie de la structure du régime réglementaire qui ne s’appliquait antérieurement qu’aux produits de viande conformément à la LIV a été étendue à presque tous les produits alimentaires sur les marchés interprovinciaux, importés au Canada ou exportés du Canada.

[2] LRC 1990, c 21. Le paragraphe 35(1) prévoit ce qui suit : « Il est interdit d’entraver l’action de l’inspecteur, de l’analyste ou de l’agent d’exécution dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées par la présente loi ou les règlements ou de lui faire, oralement ou par écrit, une déclaration fausse ou trompeuse ». La Commission a examiné cette disposition dans les décisions suivantes : J. Clare c. Canada (AGENCE), 2014 CRAC 35 et 36, paragraphe 122; R. Clare c. Canada (AGENCE), paragraphe 122.

[4] LC 2012, c 24, l’article 15 prévoit ce qui suit : « Il est interdit à toute personne de faire une déclaration fausse ou trompeuse à une personne qui exerce des attributions sous le régime de la présente loi, ou de lui fournir des renseignements faux ou trompeurs, relativement à toute question visée par toute disposition de la présente loi ou des règlements, notamment dans le cadre d’une demande de licence, d’enregistrement ou d’agrément ». L’article 16 prévoit ce qui suit : « Il est interdit à toute personne d’entraver l’action d’une personne qui exerce des attributions sous le régime de la présente loi ».

[6] « Franchi[r] le Rubicon » est l’expression utilisée par la Cour suprême du Canada dans R c. Jarvis pour expliquer les limites des pouvoirs des inspecteurs. Ces limites garantissent que l’exercice des importants pouvoirs d’inspection du gouvernement dans les endroits fortement réglementés n’empiète pas sur la protection contre l’auto-incrimination accordée aux particuliers par l’article 7 de la Charte.

[11] Voir R. c. Ohara (1993), 119 N.S.R. (2d) 128 (P.C.).

[12] Doyon, supra, note 7.

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