Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :

Sinnadurai  c.  Canada  (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) 2018  CRAC  16

Date :  2018 11 28

Dossier : CART/CRAC‑ 1959

ENTRE :

Baskaran Sinnadurai ,

DEMANDEUR

‑ et ‑

 Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile,

INTIMÉ

DEVANT :

Luc Bélanger

Président

AVEC :

M. Dov Maierovitz, représentant le demandeur ; et

 

M me Valérie Larocque et M. Pierre Dastous , représentant de l’intimé

[Traduction officielle de la version anglaise]

Affaire intéressant une demande présentée par le demandeur en vertu de l’alinéa 13(2)b) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire afin que la Commission révise la décision du ministre 16-02460, datée du 2 mai 2017, qui conclut que le demandeur a enfreint l’article 16 de la Loi sur la santé des animaux.

DÉCISION

La Commission de révision agricole du Canada CONFIRME, par ordonnance, la décision 16-02460 rendue par le ministre le 2 mai 2017 et conclut que le demandeur, Baskaran Sinnadurai, est tenu de payer la sanction pécuniaire prescrite de 1 300 $.

Audience tenue à Toronto, ON, ,

Le mercredi 28 novembre 2018 .

 


MOTIFS DE LA DÉCISION  2

I. CONTEXTE  2

II. QUESTION EN LITIGE  2

III. COMPÉTENCE ET POUVOIRS  3

IV. ANALYSE  4

Le ministre a-t-il eu raison de conclure que l’Agence avait prouvé chacun des éléments constitutifs de la violation de l’article 16 de la LSA?  4

Conclusions relatives au premier élément  5

Conclusions relatives au deuxième élément  5

Conclusions relatives au troisième élément  6

V. ORDONNANCE  6

MOTIFS DE LA DÉCISION

 I.  CONTEXTE

[1]  La présente affaire concerne le défaut d’un voyageur de déclarer l’importation de ghee à l’aéroport international Pearson de Toronto le 26 mai 2016. Quinze cartons d’un litre de ghee ont été trouvés par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (Agence) dans les effets de M. Baskaran Sinnadurai lors d’un examen des bagages mené dans l’aire secondaire des douanes. M. Sinnadurai s’est vu remettre le procès-verbal no 4971-16-0887 (procès-verbal), avec sanction de 1 300 $, par l’agent des services frontaliers, pour une violation alléguée de l’article 16 de la Loi sur la santé des animaux (LSA).

[2]  M. Sinnadurai a demandé au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (ministre) de réviser le procès-verbal, mais celui-ci a confirmé le procès-verbal le 2 mai 2017 dans la décision no16-04260 (décision du ministre). Le 29 mai 2017, M. Sinnadurai a demandé à la Commission de révision agricole du Canada (Commission) de réviser la décision du ministre.

[3]  L’Agence prétend que la preuve au dossier dont disposait le délégué du ministre démontre clairement que M. Sinnadurai a importé du ghee fait à base de lait de vache sans le déclarer aux agents des services frontaliers. L’Agence demande à la Commission de confirmer la décision du délégué du ministre. M. Sinnadurai affirme que le produit importé était un ghee fait à base de légumes, ce qui est autorisé.

  II.  QUESTION EN LITIGE

[4]  Cette affaire ne soulève qu’une question :

Le ministre a-t-il commis une erreur en concluant que l’Agence avait prouvé tous les éléments constitutifs de la violation alléguée pour justifier la délivrance du procès-verbal?

[5]  J’ai examiné tous les éléments de preuve et les arguments soumis par chacune des parties et j’ai conclu, pour les motifs qui suivent, que la décision du ministre devrait être confirmée, que M. Sinnadurai a enfreint l’article 16 de la LSA et qu’il est tenu de payer la sanction de 1 300 $.

 III.  COMPÉTENCE ET POUVOIRS

[6]  La Commission est un tribunal expert et indépendant constitué par le Parlement en vertu du paragraphe 4.1(1) de la Loi sur les produits agricoles au Canada (LPAC), et sa compétence consiste à répondre aux demandes de révision portant sur l’imposition de sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire.

[7]  La Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (LSAPAA) prévoit que la Commission peut réviser les décisions de première instance rendues par le ministre (paragraphes 12(2) et 13(2) de la LSAPAA).

[8]  Les pouvoirs que le Parlement a conférés à la Commission pour s’acquitter de ses fonctions sont énoncés au paragraphe 14(1) de la LSAPAA : « Saisie d’une affaire au titre de la présente loi, la Commission, par ordonnance et selon le cas, soit confirme, modifie ou annule la décision du ministre […] ». La Commission n’exerce donc pas les fonctions d’un décideur de première instance ou d’une cour qui effectue un contrôle judiciaire, mais plutôt celle d’un tribunal administratif spécialisé ou d’appel qui révise des décisions administratives de première instance.

[9]  Bien que la LSAPAA prévoie la révision et les mesures correctives possibles, elle ne précise pas le type de révision que la Commission doit faire. La Commission a énoncé que les lois et la jurisprudence pertinentes indiquent qu’il y a lieu qu’elle effectue une révision administrative en appel « de novo » de la décision d’un ministre rendue sous le régime de la LSAPAA (voir Hachey Livestock Transport Ltd. c. Canada (Ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire), 2015 CRAC 19, aux paragraphes 28 à 50).

[10]  Il convient donc que la Commission effectue un examen de novo complet des faits et qu’elle tire ses propres conclusions de fait et de droit, en faisant preuve de peu voire d’aucune déférence, à l’égard des constatations, du raisonnement, et de la conclusion énoncés dans la décision du ministre datée du 2 mai 2017.

[11]  L’examen « de novo » des faits n’exige pas que la Commission demande aux parties de présenter à nouveau leurs éléments de preuve en l’espèce. La Commission doit examiner le dossier présenté au délégué du ministre et appliquer les règles de droit appropriées aux conclusions factuelles de l’affaire pour établir si la décision du ministre devrait être confirmée, modifiée ou annulée.

[12]  En outre, dans mon examen des motifs soulevés par M. Sinnadurai en vue de faire modifier ou annuler la décision du ministre, je tiens compte des consignes claires énoncées par la Cour d’appel fédérale (CAF) dans l’arrêt Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152 [Doyon], au paragraphe 11 : « [Les violations de la loi] sont sources de responsabilité absolue pour laquelle, comme l’énonce l’article 18 [de la LSAPAA], il ne peut être opposé une défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait raisonnable ».

  IV.  ANALYSE

Le ministre a-t-il eu raison de conclure que l’Agence avait prouvé chacun des éléments constitutifs de la violation de l’article 16 de la LSA?

[13]  L’article 19 de la LSAPAA prévoit que les organismes d’application de la loi qui délivrent des procès-verbaux sont tenus de prouver la responsabilité du contrevenant selon la norme de prépondérance des probabilités. De plus, la CAF a confirmé qu’il incombait aux organismes d’application de la loi de prouver chacun des éléments constitutifs de la violation alléguée (Doyon, au paragraphe 42).

[14]  Le paragraphe 16(1) de la LSA décrit la violation de la manière suivante :

La personne qui importe des animaux, des produits ou sous-produits de ceux-ci, des aliments pour animaux ou des produits biologiques vétérinaires, ainsi que toute autre chose soit se rapportant aux animaux, soit contaminée par une maladie ou une substance toxique, les présente, au plus tard à l’importation, à un inspecteur, à un agent d’exécution ou à un agent des douanes qui peut les examiner lui-même ou les retenir jusqu’à ce que l’inspecteur ou l’agent d’exécution s’en charge.

[15]  Selon les sommaires établis à l’annexe 1, partie 1, section 1 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Règlement sur les SAP), constitue une violation de l’article 16 de la LSA ce qui suit : « Défaut de présenter un animal ou une chose ». Cette violation est qualifiée comme étant très grave et est punissable d’une sanction de 1 300 $ conformément au paragraphe 5(1) du Règlement sur les SAPAA.

[16]  L’article 2 du Règlement sur la santé des animaux (RSA) et le paragraphe 2(1) de la LSA contiennent tous les deux les définitions suivantes :

produit animal Notamment la crème, les œufs et le lait; y sont assimilés les ovules non fécondés et le sperme. (animal product)

sous-produit animal Notamment la chair, les abats et les issues, y compris les poils, plumes, sabots, cornes, peaux, cuir, laine, sang — de même que ses composants — et os, ainsi que toute chose contenant ces éléments. (animal by-product)

[17]  Pour établir les éléments constitutifs d’une violation particulière, la Commission applique l’approche de la CAF, qui consiste à analyser les éléments requis selon le libellé de la disposition qui établit la violation (Doyon, au paragraphe 41).

[18]  Les trois éléments constitutifs qui doivent être prouvés afin d’établir une violation de l’article 16 de la LSA sont les suivants :

  • Premier élément – M. Sinnadurai est la personne qui a commis l’infraction;
  • Deuxième élément – M. Sinnadurai a importé un produit animal ou un sous-produit animal au Canada; et
  • Troisième élément – M. Sinnadurai a omis de déclarer le produit animal ou le sous‑produit animal lors de son premier contact avec les agents des services frontaliers et ne l’a donc pas rendu accessible pour une inspection.

Conclusions relatives au premier élément

[19]  Le premier élément de la violation, à savoir l’identité de M. Sinnadurai à titre de personne qui a importé le ghee, n’est pas contesté par les parties. D’ailleurs, l’Agence a clairement démontré cet élément grâce aux copies des pièces d’identité de M. Sinnadurai qui se trouvent au dossier, notamment son passeport et son permis de conduire.

Conclusions relatives au deuxième élément

[20]  Le ghee fait de lait de vache est un produit animal au sens de l’article 2 du RSA et du paragraphe 2(1) de la LSA. Le rapport du Système automatisé de référence à l’importation qui se trouve au dossier confirme également que le ghee fait à base de lait de vache doit se voir attribuer la mention « entrée refusée ».

[21]  L’Agence a soumis au ministre divers éléments de preuve pour démontrer que le ghee importé par M. Sinnadurai était fait à base de lait de vache. Le rapport narratif de l’agent des services frontaliers ainsi que les photos du produit prouvent cet élément. Il est important de noter que le produit importé est étiqueté comme étant un ghee de vache et porte la description suivante : [traduction] « ghee fait à base de lait de vache ». Il affiche également l’image d’une vache bien en évidence sur son emballage.

[22]  M. Sinnadurai a tenté de réfuter ces éléments de preuve en présentant de nouveaux éléments sous la forme de renseignements généraux sur le ghee tirés de Wikipédia et de divers articles de journaux sur la prévalence du ghee de contrefaçon dans certaines régions de l’Inde. À l’audience, l’Agence s’est opposée à l’admission de ces nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pas été mis à la disposition du délégué du ministre, et j’ai admis cette objection. Cependant, même si j’avais admis les nouveaux éléments de preuve, ceux-ci avaient très peu de valeur probante et n’auraient pas modifié ma conclusion.

[23]  M. Sinnadurai a fourni divers arguments concernant les étiquettes des produits de ghee, qui prêtent à confusion, et soutient que l’image d’une vache ne signifie pas que le ghee est fait à base de lait de vache.

[24]  M. Sinnadurai prétend également que l’Agence aurait pu tester le produit pour établir définitivement qu’il était fait à base de lait de vache, mais qu’elle ne l’a pas fait. Il cite la décision Tao c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2014 CRAC 6 (Tao) pour appuyer cette affirmation. Bien que je convienne que le fait de tester en laboratoire le produit importé aurait permis d’en arriver à une conclusion définitive quant à la composition du ghee, le fardeau de preuve   que l’Agence droit rencontrer est celui de la prépondérance des probabilités et non la norme hors de tout doute raisonnable (article 19 de la LSAPAA).

[25]  Enfin, M. Sinnadurai soutient qu’il ne faudrait pas tenir compte des aveux faits le jour de la violation, soit d’admettre qu’il avait oublié de cocher la case appropriée, laissant sous-entendre sa connaissance qu’il importait un produit dont il devait déclarer. Ou faudrait-il ignorer ces derniers sur la base que M. Sinnadurai n’avait pas reçu de mise en garde. M. Sinnadurai invoque les paragraphes 34, 37 et 43 de la décision Tao. Toutefois, ces paragraphes semblent porter sur la décision initiale rendue par la Commission dans Tao c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRAC 16 (décision initiale Tao), qui a été annulée par la CAF dans Canada (Services Frontaliers) c. Tao, 2014 CAF 52 (contrôle judiciaire Tao). La CAF a clairement rejeté l’idée selon laquelle les agents des services frontaliers sont tenus de mettre en garde les voyageurs avant de les interroger et selon laquelle la Commission peut rejeter les déclarations au motif que les voyageurs n’ont pas été prévenus (contrôle judiciaire Tao, aux paragraphes 26 et 27).Je conclus que la preuve de l’Agence, qui figure au dossier dont disposait le délégué du ministre, démontre, selon la prépondérance des probabilités, que M. Sinnadurai a importé un produit animal, à savoir du ghee fait à base de lait de vache, et que l’Agence a donc prouvé le deuxième élément.

Conclusions relatives au troisième élément

[26]  Enfin, le troisième élément a été établi au moyen de la carte de déclaration des douanes de l’Agence, qui démontre que M. Sinnadurai a répondu [traduction] « non » à la question concernant les produits agricoles. Le fait que le ghee n’a pas été déclaré ne semble pas être contesté.

[27]  Par conséquent, le délégué du ministre a jugé avec raison que l’Agence avait prouvé que M. Sinnadurai a enfreint l’article 16 de la LSA en important un produit animal, à savoir du ghee fait à base de lait de vache, sans le déclarer aux agents des services frontaliers.

  V.  ORDONNANCE

[28]  J’estime, selon la prépondérance des probabilités, que M. Sinnadurai a enfreint l’article 16 de la LSA, comme le précise le procès-verbal 4971-16-0887, daté du 25 octobre 2016, et comme le confirme la décision du ministre no16-02460, datée du 2 mai 2017, et qu’il est tenu de payer la sanction de 1 300 $ à l’Agence dans les trente (30) jours suivant la date de signification de la présente décision.

[29]  Je tiens par ailleurs à informer M. Sinnadurai que cette violation ne constitue pas une infraction criminelle. Dans cinq ans, il pourra demander au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire de faire rayer la violation de son dossier, conformément à l’article 23 de la LSAPAA.

Fait à Ottawa (Ontario), en ce 28e jour de novembre 2018.

 

Luc Bélanger

Chairperson

Canada Agricultural Review Tribunal

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