Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :

Bates  c.  Canada  (Agence canadienne d’inspection des aliments) 2017  CRAC  18

Date :  2017 10 18

Dossier : CART | CRAC‑ 1952

ENTRE :

RICKY BATES

DEMANDEUR

 

‑ et –

 

AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS,

INTIMÉE

 

[Traduction de la version officielle en anglais]

 

DEVANT :

Bruce La Rochelle, membre

AVEC :

Ricky Bates, s’est représenté lui‑même  ; et

 

Hanna Davis , avocate pour l’intimée

Affaire concernant une demande de révision  que le demandeur a présentée conformément à l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d'agriculture et d'agroalimentaire, relativement à une violation de l’alinéa  138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux.

DÉCISION

La Commission de révision agricole du Canada statue, par ordonnance, que l’Agence canadienne d’inspection des aliments n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le cheval en question ne pouvait être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu. Par conséquent, M. Ricky Bates n’a pas commis la violation qui lui est reprochée.

Par soumissions écrites  seulement.

 


Table des matières

Aperçu de l’affaire  2

Historique des procédures  3

Faits en litige  4

Conclusion  4

Analyse des faits : application des précédents et des décisions connexes de la Commission  5

(i) Degré de boiterie, directives et codes de pratiques  5

(ii) Le sens du terme « indues » : le transport d’un animal souffrant  10

(iii) Degré de boiterie, avis du vétérinaire et avis du transporteur  13

Ordonnance  16

MOTIFS

Aperçu de l’affaire

[1]  La présente affaire concerne le transport d’un cheval boiteux et porte sur la question de savoir si le demandeur, Ricky Bates (ci‑après « M. Bates »), a transporté un animal qui ne pouvait l’être  sans souffrances indues. L’énoncé du procès‑verbal délivré par l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ci‑après l’« Agence ») manque dans une certaine mesure de précision. L’Agence indique dans le procès‑verbal que M. Bates a contrevenu à l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux (C.R.C., ch. 296), pour avoir [traduction] « chargé, fait charger, transporté ou fait transporter un animal qui ne peut être transporté sans souffrances ». La disposition mentionnée dans le procès‑verbal comporte une plus grande précision, notamment au sujet du fait que les souffrances doivent être « indues » pour qu’une violation ait été commise. Voici le libellé de l’alinéa 138(2)a) :

138 (2) […] il est interdit […] de transporter ou de faire transporter […] un animal :

a) qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu […]

[2]  Les faits portent sur un chargement de chevaux importés au Canada en provenance des États‑Unis aux fins d’abattage. La violation est censée avoir été commise au moment où le chargement de chevaux est arrivé au Canada, au poste frontalier situé à Kingsgate, en Colombie‑Britannique. Un vétérinaire de l’Agence a alors déterminé que l’un des 28 chevaux ne pouvait être transporté sans souffrances indues, principalement parce qu’il boitait. Par conséquent, l’importation du chargement a été interdite dans sa totalité.

Historique des procédures

[3]  La Commission de révision agricole du Canada (ci‑après la « Commission »), retient les éléments suivants de l’historique des procédures :

(a)  Le procès‑verbal 1617WA0173, en date du 28 mars 2017, a été signifié à M. Bates par courrier recommandé. La date de signification est présumée être le 8 avril 2017. Selon le procès‑verbal, le 18 novembre 2016, ou vers cette date, à Kingsgate, en Colombie‑Britannique, M. Bates a contrevenu à l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux, cité précédemment. Il est allégué que M. Bates a [traduction] « chargé, fait charger, transporté ou fait transporter un animal qui ne peut être transporté sans souffrances ». La Commission a constaté que le mot « indues » ne figure pas dans la description de la violation.

(b)  La Commission a reçu, le 20 avril 2017, une copie du procès‑verbal que M. Bates lui a fait parvenir par courrier recommandé. Sur l’énoncé du procès‑verbal, relativement à la description de la violation, il était écrit (probablement par M. Bates), [traduction] « il s’agit d’une fausse déclaration ». M. Bates a également ajouté une note manuscrite dans laquelle il exprimait son mécontentement général à l’égard des procédures dont il faisait l’objet. Il disait craindre que le vétérinaire qui a procédé à l’examen ne soit de toute façon défavorable à l’envoi des chevaux à l’abattage ou qu’il ne soit pas compétent. Il a exprimé des préoccupations semblables quant à la compétence des enquêteurs et des inspecteurs, précisant qu’il s’agissait de son expérience tant au Canada qu’aux États‑Unis. Selon ses dires, l’Agence [traduction] « tente de m’empêcher de gagner ma vie et ment au sujet de ma façon de travailler ». Pour l’essentiel, M. Bates contestait les conclusions de fait tirées par l’Agence, se fondant notamment sur l’approbation donnée avant le transport par un vétérinaire américain relativement aux chevaux qu’il transportait. M. Bates a aussi mentionné que les constatations du vétérinaire américain correspondaient à ce qu’il avait lui‑même observé lors du chargement des chevaux. En outre, M. Bates a apparemment reçu une partie des éléments de preuve de l’Agence avant de déposer sa demande de révision. Dans sa lettre, il contestait la preuve vidéo de l’Agence ainsi que les déclarations que le personnel de l’Agence lui attribuait.

(c)  Le 5 juin 2017, la Commission a avisé M. Bates et l’Agence, par courriel et par courrier ordinaire, que la demande de révision présentée par M. Bates avait été jugée admissible.

(d)  Le 26 juin 2017, l’Agence a déposé, par service de messagerie, son rapport auprès de la Commission. L’Agence a fait également parvenir le rapport à M. Bates par service de messagerie. Le 1er août 2017, M. Bates a informé la Commission par téléphone qu’il souhaitait procéder par soumissions écrites seulement.

Faits en litige

[4]  Les circonstances entourant le transport et le fait que M. Bates était le transporteur ne sont pas en cause. Le seul différend porte sur l’état du cheval et sur la conclusion de l’Agence que l’animal ne pouvait être transporté sans souffrances indues.

Conclusion

[5]  La Commission conclut, après examen de la preuve, qui sera analysée plus loin, que l’Agence n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le cheval en question ne pouvait être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu. Par conséquent, M. Bates n’a pas commis la violation qui lui est reprochée.

Analyse des faits : application des précédents et des décisions connexes de la Commission

[6]  La preuve de l’Agence quant à l’état du cheval en question repose sur la preuve du Dr Andrew Mack (ci‑après le « Dr Mack »), vétérinaire pour l’Agence. Ses préoccupations initiales au sujet du transport des 28 chevaux étaient dues à la présence de taches de sang à l’intérieur de la remorque. Les chevaux ont donc été déchargés et examinés. Deux chevaux présentaient un écoulement nasal avec saignement et  l’un d’eux avait également une lacération à l’œil. Un troisième cheval boitait. Le dossier de l’Agence porte sur ce troisième cheval, désigné comme le cheval no 050. Le Dr Mack a pris des photos de l’intérieur de la remorque pour montrer la présence du sang sur les copeaux et sur la barrière de la remorque. Le Dr Mack a aussi pris des photos des deux chevaux pour montrer l’écoulement nasal et la lacération. Le Dr Mack a ensuite pris deux vidéos du cheval no 050.

[7]  Se basant sur le document intitulé Procédures d'inspection aux points d'entrée : les chevaux importés des États-Unis destinés à l'abattage immédiat, l’Agence est d’avis que même les chevaux qui boitent légèrement sont interdits d’importation au Canada. Il s’agit d’une directive de l’Agence qui n’a aucun lien manifeste avec la législation en matière d’importation.

[8]  M. Bates, par contre, invoque le certificat zoosanitaire délivré par le Dr Mark Sargent (ci‑après le « Dr Sargent »), un vétérinaire américain, selon lequel le cheval en cause était apte au transport.

(i)  Degré de boiterie, directives et codes de pratiques

[9]  L’Agence a déposé en preuve un enregistrement vidéo effectué par le Dr Mack pour montrer l’état dans lequel se trouvait le cheval. La Commission a visionné cette vidéo plusieurs fois, et n’a pas vu que le cheval en question boitait au point de lui permettre de conclure qu’il éprouvait des souffrances indues. La Commission a plutôt vu un cheval en mesure de se déplacer sans boiter de façon marquée. Le cheval est calme et probablement déprimé en raison de la situation dans laquelle il se trouve. Tous les autres chevaux qui apparaissent dans la vidéo semblent se trouver dans le même état; ils sont calmes et, dans l’ensemble, n’affichent pas d’expression particulière. D’ailleurs, lorsque le personnel de l’Agence lui a posé des questions, le Dr Mack n’était pas disposé à déclarer que le cheval en question était « inapte » plutôt que « fragilisé », au sens de la politique de l’Agence. Selon le résumé de cette politique fait par l’Agence lors de l’entretien avec le Dr Mack, un cheval « inapte » présenterait « une boiterie apparente avec distribution inégale du poids », alors qu’un cheval « fragilisé » présenterait une « motricité imparfaite, une légère boiterie, le membre atteint peut ne pas être immédiatement identifiable ». Le Dr Mack estime qu’une telle distinction serait du ressort d’un [traduction] « spécialiste en matière de chevaux » (rapport de l’Agence, onglet 17, entretien avec le Dr Mack, questions 14 et 15). Il ressort implicitement que le Dr Mack n’était pas spécialiste en la matière. Selon la politique de l’Agence, par contraste avec la législation, [traduction] « même les animaux qui boitent légèrement sont considérés comme étant fragilisés et doivent être transportés au plus proche endroit convenable » (rapport de l’Agence, onglet 17, entrevue avec le Dr Mack, question 16).

[10]  La Commission estime que la preuve vidéo est semblable à celle présentée par l’Agence dans L. Bilodeau et Fils Ltée et Patrice Guillemette c. Canada (ACIA), 2015 CRAC 22 (ci‑après « Bilodeau and Guillemette »), décision confirmée par la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. L. Bilodeau et Fils Ltée et Patrice Guillemette, 2017 CAF 5 (motifs du juge Boivin, auxquels ont souscrit les juges Scott et De Montigny; ci‑après « Bilodeau et Guillemette [CAF] »). La Cour d’appel fédérale a rendu sa décision sur le banc, à l’issue de l’audience. Dans l’affaire Bilodeau et Guillemette, la Commission a conclu que les photos et les vidéos présentées en preuve n’étayaient pas les allégations de l’Agence. La Commission fait remarquer ce qui suit, au paragraphe 23 :

[23] […] Deux des trois vidéos prises par Dre Comeau ont été visionnées par [la Commission] lors de l’audience. On y a remarqué que la vache restait debout, sans aide et qu’on ne pouvait pas voir de blessures graves. La vache pouvait être perçue comme étant un animal triste ou craintif, mais la preuve d’un état de souffrance, ou la preuve d’un état de souffrance indue, n’était pas là. Dans le même sens, lorsqu’on examine les photos de la vache, soumises par l’Agence, on ne peut pas voir de blessures graves au côté de la vache, comme il est allégué. Donc, la preuve soumise par l’Agence de par l’entremise des vidéos et des photos, contredit le témoignage vétérinaire.

[11]  En l’espèce l’Agence a indiqué que la violation se rapportait exclusivement à la boiterie présumée du cheval. Ainsi, contrairement à l’affaire Bilodeau et Guillemette, la Commission n’est pas tenue d’examiner d’autres causes réelles ou probable d’inaptitude au  transport sans souffrances indues. L’Agence a porté à l’attention de la Commission, par l’intermédiaire du Dr Mack, la présence des taches de sang dans la remorque, mais sans établir un lien entre celles‑ci et le cheval en question, et le fait que deux autres chevaux présentaient un écoulement nasal avec saignement.

[12]  Comme dans Bilodeau et Guillemette, la Commission estime que la boiterie, en tant que telle, ne fait pas en sorte que le cheval ne peut être transporté sans souffrances indues. L’évaluation du degré de boiterie et de son rapport avec les souffrances indues est une question de fait qui doit être examinée au cas par cas, étant entendu que la boiterie en soi ne donne pas lieu à la présomption que le cheval en cause ne peut être transporté sans souffrances indues.

[13]  L’affaire Bilodeau et Guillemette portait sur deux procès‑verbaux distincts, délivrés au transporteur commercial et au conducteur respectivement, qui ont fait l’objet d’une seule décision de la Commission. La violation présumée concernait le paragraphe 138(4) du Règlement sur la santé des animaux, qui prévoit ce qui suit :

138 (4) Une compagnie de chemin de fer ou un transporteur routier cesse le transport d’un animal blessé, malade ou autrement inapte au transport en cours de voyage, au plus proche endroit où il peut recevoir des soins.

[14]  Dans Bilodeau et Guillemette, la Commission a renvoyé au paragraphe 138(2.1) du Règlement sur la santé des animaux, qui porte sur un « animal non ambulatoire », et au lien entre ce terme et l’interdiction de transporter des animaux lorsque ceux‑ci risquent d’éprouver des souffrances indues :

138 (2) […] il est interdit de charger ou de faire charger, ou de transporter ou de faire transporter, à bord d’un wagon de chemin de fer, d’un véhicule à moteur, d’un aéronef ou d’un navire un animal :

a)  qui, pour des raisons d’infirmité, de maladie, de blessure, de fatigue ou pour toute autre cause, ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu […]

(2.1) Pour l’application de l’alinéa (2)a), un animal non ambulatoire est un animal qui « ne peut être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu ».

[15]  Le législateur a choisi de définir comme suit le terme « animal non ambulatoire » à l’article 2 du Règlement sur la santé des animaux :

« animal non ambulatoire » Animal de ferme ou animal des espèces cervidés, camélidés et ratites, qui est incapable de se tenir debout sans aide ou de se déplacer sans être traîné ou porté.

[16]  Il ressort de ces dispositions, prises dans leur ensemble, que le législateur avait l’intention de donner des précisions solides quant aux paramètres, en affirmant que s’il « est incapable de se tenir debout sans aide ou de se déplacer sans être traîné ou porté », l’animal ne peut être transporté sans souffrances indues. Toutefois, comme le fait observer la Commission dans Bilodeau et Guillemette, au paragraphe 28, on ne saurait raisonnablement interpréter les dispositions législatives comme voulant dire que l’animal qui reste assis ou couché devient, à partir de ce moment, inapte au transport, sans qu’il soit nécessaire d’établir que l’animal éprouve ou risque d’éprouver des souffrances indues. L’animal pourrait simplement se reposer :

[28] En gardant en tête les instructions de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Procureur général) c. Stanford, 2014 CAF 234, en matière d’interprétation législative, c’est possible que l’interaction des paragraphes 138(2), 138(2.1) et 138(2.2) peut s’appliquer au paragraphe 138(4). Le cas échéant, on pourrait conclure qu’un animal qui devient non ambulatoire au cours du transport est, de ce moment, inapte au transport. Toutefois, selon la Commission, l’état d’être non ambulatoire doit être plus que temporaire, afin d’appliquer paragraphe 138(2.1) au paragraphe 138(4), en supposant qu’une telle application ou interprétation soit raisonnable.

[17]  En l’espèce, il n’existe aucune disposition législative comparable au sujet de la boiterie. En fait, l’Agence se fonde sur ses politiques et sur les pratiques connexes recommandées, énoncées par les institutions gouvernementales et les organismes préoccupés par le bien‑être des chevaux, ainsi que sur ses propres directives en matière d’importation, selon lesquelles les chevaux qui boitent ne devraient pas être transportés, quel que soit le degré de boiterie. La position de l’Agence relativement aux chevaux qui boitent ne repose sur aucune disposition législative sauf dans la mesure où la boiterie rend le cheval non ambulatoire.

[18]  Les codes de pratique ou les recommandations et les politiques semblables sur le comportement acceptable jouent un rôle important, mais ne sont aucunement déterminantes quant à savoir si la violation de responsabilité absolue, qui est en cause, a été commise. En l’espèce, l’Agence renvoie à l’Humane Handling Guidelines for Horses (Lignes directrices sur la manipulation sans cruauté des chevaux) qui donne des précisions relativement aux cas de boiterie. Ce document a été rédigé par l’Alberta Farm Animal Care et par l’Alberta Equestrian Federation. On ne saurait dire qu’il s’agit d’un document qui incorpore la définition juridique de l’expression « souffrances indues ». L’Agence s’appuie également sur sa Politique sur les animaux fragilisés à l’égard du transport des animaux. Comme le fait observer la Cour d’appel fédérale dans Bilodeau et Guillemette [CAF], au paragraphe 10, au sujet de la Politique sur les animaux fragilisés de l’Agence :

[10] Le demandeur s’appuie sur Doyon afin de soutenir que la Commission a erré en omettant de considérer une preuve pertinente, notamment la Politique qui définit l’inaptitude au transport. Nous sommes plutôt d’avis que la Commission l’a examinée, mais qu’elle a décidé que la Politique n’avait qu’une valeur probante très faible en l’espèce (Décision de la Commission, paragraphe 27). Il était loisible pour la Commission de conclure ainsi puisque, comme le notent les défendeurs, la Politique n’a pas force de loi et ne lie pas la Commission. […]

(ii)  Le sens du terme « indues » : le transport d’un animal souffrant

[19]  La présente affaire porte sur le sens de l’expression « souffrances indues » et sur la question de savoir s’il a été établi que le cheval en question éprouvait de telles souffrances. En ce qui concerne le sens des « souffrances indues », la Commission s’appuie sur les arrêts de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) c. Porcherie des Cèdres Inc., 2005 CAF 59 (« Porcherie des Cèdres »), Samson c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), 2005 CAF 235 (« Samson ») et Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152 (« Doyon »).

[20]  Dans Porcherie des Cèdres, la Cour d’appel a dit ce qui suit au sujet de l’expression « souffrances indues » (motifs du juge Nadon, auxquels ont souscrit les juges Desjardins et Pelletier), au paragraphe 26 :

[26] […] Il ne m'apparaît nullement raisonnable d'interpréter les mots « indu[e] » et « undue » comme signifiant « excessif » et « excessive » . À mon avis, une interprétation raisonnable de « indu[e] » et « undue », dans le contexte de la législation pertinente, ne peut que mener à la conclusion que ces mots signifient plutôt « inapproprié », « inopportun », « injustifié », « déraisonnable », « undeserved », « unwarranted », « unjustified », « unmerited ». Cette interprétation fait en sorte qu'un animal souffrant ne pourra être chargé et transporté, puisqu'un tel chargement ou transport aura pour effet de causer à l'animal des souffrances « injustifiées » et « déraisonnables ».

[21]  Dans Samson, la Cour d’appel (motifs du juge Noël, auxquels ont souscrit les juges Sexton et Sharlow), a confirmé le raisonnement adopté dans Porcherie des Cèdres, en ajoutant ce qui suit, au paragraphe 12 :

[12] Selon l'intention qui ressort de la disposition, aucun animal ne doit être transporté de telle manière que, eu égard à son état, des souffrances indues lui soient infligées au cours du voyage prévu. En d'autres mots, les animaux blessés ne devraient pas être soumis à des souffrances plus grandes en étant transportés. Si l'on interprète la disposition de la sorte, toute souffrance supplémentaire résultant du transport est indue. Cette interprétation est compatible avec la loi habilitante dont l'objectif vise à empêcher les mauvais traitements infligés aux animaux.

[22]  Les termes utilisés par la Cour d’appel fédérale qui guident la Commission laissent néanmoins place à une certaine imprécision et à une subjectivité apparente. Pour qu’elles soient considérées comme « indues », les souffrances doivent être vues comme « innoportun[es] », « injustifiées », « inappropriées » ou « déraisonnables ». Comme l’affirmait la Commission dans Maple Lodge Farms Inc. c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), 2016 CRAC 14, au paragraphe 57 (« Maple Lodge Farms 2016b »), pour établir une distinction par rapport à la décision Maple Lodge Farms Inc. c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), 2016 CRAC 8 :

[57] En ce qui concerne le sens du mot « indue », la Commission s’est appuyée sur l’arrêt Porcherie des Cèdres à plusieurs reprises : Roelands c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2013 CRAC 8; E. Grof Livestock c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CRAC 11; A.S. L’Heureux Inc. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CRAC 17 et Western Commercial Carriers Ltd. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CRAC 33. Dans E. Grof Livestock, au paragraphe 82, la Commission s’est dite préoccupée par les imprécisions définitionnelles ayant trait aux mots « inapproprié », « inopportun », « injustifié » et « déraisonnable », affirmant que « ces définitions semblent pouvoir poser des difficultés d’application, puisqu’elles correspondent à des degrés variables d’appréciation subjective ». Par exemple, il se dégage implicitement des définitions de l’arrêt Porcherie des Cèdres qu’un animal peut être transporté et exposé à une souffrance qui est « appropriée », « opportune », « justifiée » ou « raisonnable » et qui n’est donc pas, en pareil cas, indue. Il est très difficile d’imaginer que la souffrance d’un animal puisse être « appropriée », « opportune » ou « raisonnable ». Il est donc à espérer que la Cour d’appel fédérale fournira des précisions. Le terme définitionnel opérationnel le plus évident semble être la souffrance « injustifiée », par opposition à une souffrance qui peut être justifiée […]

[23]  La Commission a déjà précisé que le critère relatif à l’application de ces termes ne se rattache pas au point de vue de l’industrie, mais plutôt au point de vue d’une personne raisonnable, qui tient compte du régime législatif qui comporte un équilibre entre le bien‑être des animaux et les intérêts de l’industrie. Par exemple, dans Maple Lodge Farms 2016b, au paragraphe 59, la Commission s’est exprimée comme suit à ce sujet :

[59] […] l’Agence soutient qu’en matière de transport d’animaux, il n’y a pas lieu de maintenir un équilibre entre les activités commerciales régulières et la protection des animaux, contrairement aux sentiments exprimés par le président de la Commission dans la décision Little Rock Farm Trucking 1, 2014 CRAC 29, au paragraphe 113 :

[113] Bien que le législateur ait édicté une disposition précise afin de protéger la santé des animaux contre le risque que ceux‑ci souffrent indûment pendant leur transport en raison dune exposition indue aux intempéries, il est nécessaire dinterpréter cette disposition afin de maintenir un équilibre entre les activités commerciales régulières des intervenants des systèmes de production agricole et agroalimentaire et la protection des animaux dans le cadre de ces systèmes. En conséquence, il faut lire l’utilisation par le législateur des mots « souffrir indûment » et « exposition indue aux intempéries » dans la définition d’une violation dans le contexte de cet équilibre, eu égard à l’esprit et à l’objet de la Loi sur la SA et de son règlement d’application.

Le membre de la Commission siégeant en l’espèce est d’accord avec le président de la Commission sur ce point, et la position de l’Agence n’est donc pas retenue.

[24]  Le fait que les animaux peuvent éprouver ou qu’ils éprouvent effectivement de l’inconfort, de la détresse ou des souffrances au cours de leur transport appartient à la réalité commerciale. Ce qui est « injustifié », « inopportun », « inapproprié » ou « déraisonnable » dépendra des faits de l’affaire. En outre, la Cour d’appel fédérale a écarté dans Doyon ce qu’elle estimait être une interprétation erronée donnée par la Commission de son arrêt antérieur dans l’affaire Samson. La Cour s’est ainsi prononcée, aux paragraphes 36, 38 et 53 de l’arrêt Doyon :

[36] […] ce n’est pas parce qu’un animal est fragilisé et souffrant qu’il ne peut être transporté, surtout s’il demeure ambulatoire […]

[38] […] pour les cas de boiterie et d’arthrite, il n’y a pas d’interdiction absolue de transport d’un porc émacié vers l’abattoir, sauf ceux d’une extrême maigreur, illustrée par un dessin qui ne laisse aucune place à l’interprétation quant au misérable état de santé du porc. Ceux‑ci doivent alors être euthanasiés à la ferme […]

[53] Telle qu’elle a envisagé la question, la Commission semble avoir compris et tenu pour acquis que, si une preuve de souffrance au moment du chargement était faite, il résultait nécessairement du transport une souffrance accrue et donc indue. Une telle conclusion n’est ni automatique, ni inéluctable. […]

[25]  En l’espèce, le degré de souffrance éprouvée par le cheval en question pendant le transport est loin d’être évident, et il l’était encore moins au moment du déchargement. Le fait que le cheval boitait peut‑être au début du transport ou qu’il a commencé à boiter au cours du transport n’indique pas en soi que le cheval ne pouvait être transporté sans souffrances indues.

(iii)  Degré de boiterie, avis du vétérinaire et avis du transporteur

[26]  L’arrêt Doyon, précité, est l’un des principaux précédents qui encadrent le raisonnement de la Commission. Cette affaire portait sur des circonstances entourant l’état d’un porc qui boitait en plus de présenter d’autres problèmes. En particulier, comme le décrit la Cour d’appel fédérale, au paragraphe 5, selon les allégations, le porc se trouvait dans l’état suivant :

[5] […] [le porc] était fragilisé, émacié, pâle et souffrant d’arthrite articulaire à l’épaule gauche ainsi que d’enflures compensatoires aux carpe et tarse droits.

[27]  Il y avait des contradictions entre le témoignage du M. Doyon, qui possédait une solide expérience des soins et du transport des porcs, et l’avis du vétérinaire de l’Agence. Selon la Cour d’appel, le raisonnement de la Commission présentait des lacunes notamment du fait qu’il s’appuyait sur le témoignage du vétérinaire de l’Agence, dont l’examen était jugé sommaire. La Commission n’avait pas accordé suffisamment d’importance à l’expérience et au jugement de M. Doyon, comme il en est question aux paragraphes 55 et 56 :

[55] Dans le cas qui nous occupe, la Commission a relaté brièvement le témoignage du demandeur, mais elle l’a écarté sans en faire une analyse et sans indiquer quelque raison que ce soit pour laquelle elle l’écartait. Or, ce témoignage portait sur des éléments essentiels de la violation et contredisait celui de la médecin‑vétérinaire.

[56] En outre, le demandeur est un producteur de porcs jouissant d’une expérience de vingt‑neuf (29) ans. De son propre chef, il a suivi à un Centre de formation continue une activité de formation sur le transport et l’euthanasie de porcs fragilisés : voir le dossier du demandeur à la page 35. Il n’avait aucun antécédent au moment où la poursuite fut intentée. Il a vu le porc sur une longue période de temps et s’est assuré d’un transport en isolement alors que, comme nous le verrons ci‑après, la médecin‑vétérinaire ne l’a vu vivant que durant tout au plus cinq minutes. Il n’avait aucun intérêt à encourir une pénalité de 2 000 $ pour un porc valant 100 $ alors qu’il aurait déboursé une somme de seulement 3,50 $ s’il avait décidé de ne pas l’inclure dans le transport et de le garder à la ferme : voir dossier du demandeur à la page 73. Le rejet de ce témoignage digne de foi méritait une explication qui n’est jamais venue.

[28]  En l’espèce, la preuve comporte des différences semblables. L’Agence se fonde sur l’avis de son vétérinaire, alors que la contre‑preuve de M. Bates repose essentiellement sur son expérience et son jugement, en plus de la preuve de nature vétérinaire consistant en l’approbation du transport donné par le Dr Sargent, un vétérinaire américain. L’Agence a tenté d’écarter ces éléments de preuve en posant des questions au Dr Sargent, en lien avec sa croyance qu’un cheval qui boite n’est pas inapte au transport.

[29]  Dans son rapport, l’Agence semble estimer que les violations antérieures commises par M. Bates minent sa crédibilité dans la présente affaire. Or, la Commission est d’avis que les violations antérieures reprochées à M. Bates ne compromettent pas, à elles seules, sa crédibilité. Il est probable que M. Bates ait tiré des leçons de son expérience passée, comme il est tout aussi probable qu’il ait continué d’emprunter le même chemin. Si, à la lumière de son expérience passée, M. Bates sait ce qui constitue une violation, pourquoi aurait‑il risqué d’en commettre une autre cette fois‑ci? Comme il ressort des propos du juge Létourneau dans Doyon, il serait insensé, du point de vue de la rentabilité, qu’un transporteur expérimenté prenne le risque de faire l’objet d’une sanction pécuniaire importante et, dans la présente affaire, que tout le chargement lui soit refusé, alors que les coûts associés au retrait d’un animal inapte au transport seraient sensiblement moindres.

[30]  Selon la Commission, il importe de distinguer l’attitude adoptée par le demandeur et la nature de ses préoccupations. Le sort réservé au cheval en question ainsi que le fait que la totalité du transport ait été refusé à la frontière, ont visiblement contrarié M. Bates. Dans sa demande initiale de révision, M. Bates exprime dans une certaine mesure du mépris à l’égard du processus et de l’expertise en matière d’évaluation du vétérinaire de l’Agence, le Dr Mack. De plus, ce dernier a mentionné que M. Bates avait faire preuve de violence verbale après avoir appris que la totalité du chargement allait être retourné (rapport de l’Agence, onglet 2). Or, les faits existent indépendamment des attitudes et les attitudes doivent dans tous les cas être mises en contexte. Les propos tenus ou les actes accomplis dans le feu d’un différend ne reflètent pas nécessairement l’attitude et le comportement habituels d’une personne. À titre d’exemple, dans Tao c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2014 CRAC 6, au paragraphe 40, la Commission a noté que M. Tao avait adopté une attitude négative dans le cadre de ses déclarations concernant le traitement qui lui avait été réservé par le personnel de l’Agence, à savoir l’Agence des services frontaliers du Canada. La Commission a tenu compte de la nécessité d’éviter que l’attitude exhibée influence l’appréciation des faits :

[40] La Commission doit, lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur la crédibilité d’un témoignage, prendre garde de ne pas se laisser indûment influencer par le comportement exhibé lors du témoignage. La Commission peut se baser en cela sur les principes que les tribunaux ont dégagés dans le cadre de poursuites pénales. Le comportement peut être un indice de crédibilité, mais il doit être évalué non pas isolément, mais dans le contexte des faits de la cause. Les conclusions au plan de la crédibilité ne doivent pas reposer uniquement sur une évaluation du comportement […]

[31]  De la même manière, l’attitude adoptée par M. Bates envers le processus et les personnes concernées ne devrait pas influencer la Commission pour ce qui est de l’appréciation de la crédibilité de ses déclarations. Le Dr Mack et d’autres employés de l’Agence ont attribué à M. Bates certains propos auxquels celui‑ci n’a pas répondu, sauf pour nier qu’il avait décrit le cheval en question comme étant [traduction] « plus court », en faisant allusion à une mauvaise taille d’un sabot. Pour l’essentiel, les failles dans la preuve de l’Agence sont attribuables à la faiblesse de sa propre preuve vidéo plutôt qu’aux propos que M. Bates aurait ou non tenus. En outre, l’argument de l’Agence selon lequel tout degré de boiterie d’un cheval fait en sorte que le transporteur du cheval contrevient à l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux n’est pas soutenable en droit.

Ordonnance

[32]  La Commission statue, par ordonnance que l’Agence n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le cheval en question ne pouvait être transporté sans souffrances indues au cours du voyage prévu. Par conséquent, M. Bates n’a pas commis la violation qui lui est reprochée.

Fait à Ottawa (Ontario), en ce 18e jour du mois d’octobre 2017.

 

 

 

Bruce La Rochelle, membre

 

 

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