Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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RÉFÉRENCE :  Transport Eugène Nadeau c. Canada (Agence canadienne d’inspection   des aliments), 2017 CRAC 16

 

 

 

 

 

 

 

Date : 20170606

Dossier : CART/CRAC‑1857

ENTRE :

 

 

 

 

 

 

 

Transport Eugène Nadeau inc.,

demanderesse

 

‑et‑

 

 

 

 

 

Agence canadienne d’inspection des aliments,

intimée

 

 

 

 

 

DEVANT :

Le président Donald Buckingham

 

 

 

 

 

 

 

 

AVEC :

Clément Nadeau, représentant pour la demanderesse ; et

 

Maître Lisa Morency, avocate pour l’intimée

 

 

 

 

Affaire intéressant une demande de révision des faits présentée par la demanderesse en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, relativement à une violation alléguée par l’intimée du paragraphe 140(2) du Règlement sur la santé des animaux.

 

DÉCISION

 

 

 

 

À la suite d’une audience et après avoir examiné l’ensemble des observations orales et écrites des parties, la Commission de révision agricole du Canada statue, par ordonnance, que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse, Transport Eugène Nadeau inc., a commis les faits reprochés, décrits dans le procès‑verbal 1415QC0039‑2, daté du 28 août 2015, concernant des événements survenus le 15 mai 2014, et est tenue de payer à l’intimée, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, une sanction pécuniaire s’élevant à 7 800 $ dans les 30 jours suivant la signification de la présente décision.

 

 

 

L’audience a eu lieu à Québec (Québec)

 

 

le lundi 10 avril 2017.


OBSERVATIONS DÉCOULANT DE L’AUDIENCE

 

  • [1] L’audience de cette affaire a commencé en la présence des deux parties. Cependant, la deuxième partie de l’audience s’est déroulée en l’absence de Clément Nadeau (M. Nadeau), représentant dûment autorisé de Transport Eugène Nadeau inc. (TEN), qui a choisi de se retirer au milieu de l’avant‑midi de la première journée d’audience plutôt que de poursuivre l’audience devant la Commission de révision agricole du Canada (Commission). En dépit du départ de M. Nadeau, j’ai présidé les audiences des trois affaires (CART/CRAC‑1856, CART/CRAC‑1857 et CART/CRAC‑1858) qui avaient été prévues entre les 10 et 13 avril 2017. L’avocate de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (Agence), bien que prête à présenter les éléments de preuve et à faire son plaidoyer, a soutenu qu’elle était prête à me laisser rendre des décisions sur la foi du dossier écrit de la Commission.

 

  • [2] La Commission a conclu qu’elle n’avait pas compétence pour adjuger des dépens en faveur ou contre l’une des parties comparaissant devant elle (Favel Transportation Inc. c. Canada [ACIA], 2013 CRAC 17, rendue le 22 mai 2013). Étant donné la conduite de M. Nadeau devant la Commission dans cette affaire, si j’avais eu le pouvoir d’adjuger des dépens, il aurait été probablement indiqué d’ordonner à TEN de payer les dépens.

 

  • [3] Le mépris de M. Nadeau pour l’Agence et son manque de respect à l’égard de la Commission et de ses procédures étaient à peine voilés. Ses jurons lors de l’audience et le fait qu’il a quitté l’audience, qui avait été demandée par son entreprise, sont sans aucun doute plus que regrettables. Ce comportement attribuable à TEN laisse beaucoup à désirer. Profiter d’une audience devant la Commission pour afficher son mécontentement à l’égard d’un processus réglementaire fédéral est inefficace et mal vu, sans parler du gaspillage de ressources que cela entraîne.

 

  • [4] En outre, c’est M. Nadeau lui‑même qui a demandé à la Commission d’examiner les faits entourant la délivrance du procès‑verbal. Ce que M. Nadeau semble contester, c’est le caractère équitable du régime de sanctions administratives pécuniaires (SAP) tel qu’il s’applique à son entreprise. Il avait peut‑être raison que le régime de SAP n’est pas équitable. La Cour d’appel fédérale, dans Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152 (Doyon), l’a cité comme étant un régime « draconien ». Cependant, il aurait été plus efficace d’exprimer ses doléances dans un autre forum, comme au sein d’une association professionnelle ou auprès de représentants politiques.

  • [5] J’ai rendu des décisions oralement à la fin des audiences (avec des motifs écrits qui ont suivi plus tard) dans deux autres affaires (CART/CRAC‑1856 et CART/CRAC‑1858) entendues en même temps que la présente affaire (CART/CRAC‑1857) le lundi 10 avril 2017. J’ai mis en délibéré ma décision dans cette affaire en attendant de faire un examen complet et une analyse de la preuve écrite actuellement au dossier ainsi que des autres arguments écrits de l’Agence qui ont été transmis à la Commission les 28 avril et 4 mai 2017.

 

 

 

APERÇU

 

  • [6] La plupart des faits de l’affaire ne sont pas contestés. Le chauffeur de TEN, Steeve Nadeau, a transporté 180 porcs provenant de deux granges vers l’abattoir d’Olymel S.E.C. le 15 mai 2014. Le chargement des porcs a commencé à 7 h 00 et les porcs ont été déchargés à l’abattoir à 16 h 00. Au déchargement, certains des porcs semblaient être en détresse et par conséquent, on a appelé une vétérinaire de l’Agence.

 

  • [7] À 16 h 30, la vétérinaire de l’Agence, Dre Therrien, est arrivée à la zone de déchargement de l’abattoir pour inspecter les porcs en détresse et, parmi ceux‑ci, elle a retrouvé 10 porcs décédés sur la plate‑forme supérieure de la remorque. La Dre Therrien a constaté que tous les porcs du chargement, outre ceux qui sont décédés ou qui étaient en détresse, étaient normaux.

  • [8] Puisque la Dre Therrien soupçonnait que les décès avaient été causés par l’entassement des porcs dans le véhicule de transport en cette journée très chaude, elle a mesuré la remorque de TEN afin de déterminer si la densité de chargement était conforme aux normes de l’industrie. Elle a établi que ce n’était pas le cas et qu’à son avis, les actions de TEN constituaient une violation du paragraphe 140(2) du Règlement sur la santé des animaux (RSA). Elle a rempli un Rapport de non‑conformité de l’inspecteur à cet effet le même jour. Elle a mis en garde TEN en envoyant une lettre à l’entreprise ce jour‑là afin de l’informer que l’Agence pourrait prendre des mesures d’application de la loi pour cet incident.

  • [9] En se fondant sur ces observations et à la suite d’une enquête plus poussée sur cet incident, l’Agence a délivré un procès‑verbal qui inflige une sanction le 28 août 2015 à TEN d’un montant de 7 800 $ pour transporter ou avoir transporté un animal dans un véhicule surchargé, ce qui contrevient au paragraphe 140(2) du RSA.

  • [10] TEN a demandé à la Commission d’examiner les faits entourant la délivrance du procès‑verbal.

 

 

 

 

  • [11] Lorsque j’examine les faits en cause, mon rôle est d’analyser les preuves dont je dispose et de déterminer si l’Agence a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, chacun des éléments constitutifs qui doivent être démontrés pour conclure que TEN a commis une violation contrevenant au paragraphe 140(2) du RSA.

 

  • [12] Si l’Agence s’acquitte du fardeau de la preuve, TEN sera tenue responsable d’une violation en vertu du Régime de SAP, à moins que l’entreprise puisse établir une défense ou fournir une justification en vertu de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Loi sur les SAP), du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (Règlement sur les SAP), ou comme dans le cas présent, le RSA.

 

 

MOTIFS

 

  1. Questions à trancher

 

  • [13] Le nœud de l’affaire est un différend où l’on cherche à savoir si le véhicule de transport de chargement en question était surchargé, entassé, ou selon les termes du paragraphe 140(2) du RSA : « rempli à un point tel que l’animal ou tout autre animal qui s’y trouve risque de se blesser ou de souffrir indûment ».

 

  • [14] Le différend soulevé par cette affaire pose trois questions :

 

  1. l’Agence a‑t‑elle prouvé chacun des éléments de la violation du paragraphe 140(2) du RSA;

 

  1. TEN a‑t‑elle établi un moyen de défense admissible qui, selon l’article 18 de la Loi sur les SAP, pourrait justifier ou excuser les gestes qu’elle a commis le 15 mai 2014;

  2. est‑ce que la pénalité de 7 800 $ est justifiée en droit?

 

 

 

  1. Analyse

 

2.1   L’Agence a‑t‑elle établi chacun des éléments nécessaires pour prouver la violation du paragraphe 140(2) du RSA?

 

  • [15] Le 15 mai 2014 était une journée particulièrement chaude. Dans sa preuve soumise, le conducteur de la remorque de TEN a indiqué que selon les prévisions météorologiques pour la journée, la température allait atteindre 24 degrés Celsius (°C) à 14 h 00, mais qu’il pensait être capable de livrer son chargement à l’abattoir avant midi.

 

  • [16] La preuve montre toutefois que la journée a été dans les faits plus chaude, plus ensoleillée et plus humide que prévu. À 7 h 00, il faisait déjà 14,4 °C; à 10 h 00 il faisait 24,5 °C; à 14 h 00 il faisait 27,7 °C, et à 16 h 00 le thermomètre affichait 27,4 °C.

 

  • [17] Le trajet entre les installations de la ferme et l’abattoir comptait moins de 70 km et le transport aurait dû prendre environ une heure.

  • [18] La preuve n’indique pas clairement pourquoi le chargement, le transport et le déchargement des 180 porcs ont duré presque neuf heures. Selon les éléments de preuve présentés par TEN, plusieurs raisons pourraient expliquer ce délai, notamment que le chargement des porcs a été long, que le camion transportant les porcs est tombé en panne, et qu’il a fallu attendre longtemps avant de pouvoir décharger la remorque une fois le chargement arrivé à l’abattoir. Quelle que soit la raison, lorsque les porcs ont été déchargés à l’abattoir, plusieurs étaient morts et d’autres étaient en détresse.

 

 

  • [19] Les tribunaux se sont penchés de façon assez approfondie sur les violations du RSA et sur les mesures d’exécution qui en découlent sous le Régime de SAP, étant donné surtout que ces violations sont des violations de responsabilité absolue (Doyon, au paragraphe 27).

 

  • [20] Aux paragraphes 41 et 42 de l’arrêt Doyon, la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’une violation d’une disposition du RSA peut être décortiquée en ses éléments constitutifs, dont chacun doit être prouvé par l’Agence pour établir l’existence d’une violation.

 

  • [21] La Commission a appliqué la démarche suivie dans l’arrêt Doyon pour décortiquer chacun des éléments constitutifs d’une violation du RSA. La Commission a décortiqué quatre éléments que l’Agence doit prouver pour confirmer une violation alléguée de l’article 140.En ce qui concerne des violations du paragraphe 140(1), voir Western Commercial Carriers Ltd. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CRAC 33, et des violations du paragraphe 140(2), voir 0830079 B.C. Ltd. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2013 CRAC 34.

 

  • [22] Pour étayer la validité de la violation justifiant l’imposition de SAP en vertu du paragraphe 140(2) du RSA, l’Agence doit prouver quatre éléments constitutifs selon la prépondérance des probabilités :

 

  • Élément no 1 : ‑un animal a été transporté dans un camion, une remorque ou un compartiment d’une remorque;

 

  • Élément no 2 : ‑il y avait entassement dans le camion, la remorque ou le compartiment de la remorque;

 

  • Élément no 3 : ‑l’espace était rempli à un point tel que l’animal ou tout autre animal qui s’y trouvait risquait de se blesser ou de souffrir indûment;

 

  • Élément no 4 : ‑il y avait un lien de causalité entre, d’une part, TEN, et d’autre part, le transport, l’entassement, le risque que l’animal ou les animaux se blessent ou souffrent indûment en raison de l’entassement.

 

  • [23] Dans l’arrêt Canada (PGC) c. Stanford, 2014 CAF 234, aux paragraphes 41 à 44, la Cour a conclu qu’en matière d’interprétation des lois, il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

  • [24] Bien que l’objet et l’esprit de la Loi sur la santé des animaux (Loi sur la SA) et le RSA ne soient pas énoncés en toutes lettres dans les textes législatifs, l’importance de réglementer le transport sans cruauté des animaux à l’intérieur du système canadien de l’agriculture et de l’agroalimentaire est reconnue à l’alinéa 64(1)i) de la Loi sur la SA. De plus, la partie XII du RSA, où figure la norme énoncée au paragraphe 140(2), est intitulée « Transport des animaux ». Eu égard à leur contenu, les dispositions du RSA qui apparaissent dans cette partie doivent également être considérées comme des dispositions établissant des normes qui visent à protéger la santé des animaux pendant que ceux‑ci sont transportés de la ferme du producteur jusqu’à l’abattoir du transformateur.

 

  • [25] En conséquence, les dispositions relatives à la protection de la santé des animaux de la Loi sur la SA et du RSA n’existent pas dans le vide. Le contexte du texte législatif réside dans la nécessité de protéger la santé des animaux à l’intérieur des systèmes de production agricole et agroalimentaire qui existent actuellement au Canada.

 

  • [26] Le législateur a édicté une disposition précisant la protection de la santé des animaux lors de leur chargement. La disposition vise à protéger les animaux afin d’éviter qu’ils risquent de se blesser, qu’ils se blessent réellement, ou qu’ils souffrent indûment. Il faut interpréter cette disposition de sorte à assurer l’atteinte d’un équilibre entre, d’une part, les activités commerciales habituelles des intervenants des systèmes de production agricole et alimentaire, et d’autre part, la protection des animaux dans ces systèmes.

 

  • [27] Par conséquent, l’interprétation des termes réellement employés au paragraphe 140(2) pour définir une violation doit tenir compte de cet équilibre en raison de l’esprit et de l’objet de la Loi sur la SA et du RSA. Il faut interpréter les termes employés dans le paragraphe 140(2) – « rempli à un point tel que l’animal ou tout autre animal qui s’y trouve risque de se blesser ou de souffrir indûment » ‑ dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

  • [28] Pour être transportés, les animaux devront nécessairement être forcés ou contraints d’entrer dans un espace confiné. Par conséquent, des codes de pratiques recommandés ont été élaborés. Ceux‑ci énoncent les taux de chargement généraux recommandés et la variation de ces taux en fonction de la taille des animaux transportés et des conditions météorologiques ambiantes. Les taux de chargement adéquats contribuent à assurer le bien‑être des animaux transportés et à permettre aux industries de l’agriculture et de l’agroalimentaire de fonctionner dans les différentes conditions météorologiques pendant une année. Lorsque le taux de chargement dépasse le taux recommandé, les animaux chargés et transportés sont ainsi exposés à un risque. Lorsque ce risque entraîne ou est susceptible d’entraîner des blessures ou une souffrance indue aux animaux, l’exploitant pourrait être tenu responsable en application du RSA.

 

 

2.1.1  Conclusion concernant l’élément no 1

 

  • [29] L’élément no 1 ‑ un animal a été transporté dans un camion, une remorque ou un compartiment d’une remorque ‑ n’est pas contesté. Par l’entremise de son employé, Steeve Nadeau, TEN a transporté 180 porcs de St‑Charles‑de‑Bellechasse, Québec, à Vallée‑Jonction, Québec, en vue de leur abattage le 15 mai 2014.

 

 

2.1.2.  Conclusion concernant l’élément no 2

 

  • [30] L’élément no 2 ‑ il y avait entassement dans le camion, la remorque ou le compartiment de la remorque ‑ est potentiellement contesté. Vu la preuve présentée en l’espèce, je conclus qu’il y avait entassement dans la remorque de TEN le 15 mai 2014.

 

  • [31] Les parties conviennent que le chargement de TEN contenait 180 porcs. L’Agence a présenté différents codes de pratique sur les densités de chargement acceptables pour les porcs (Code de pratiques recommandées pour le soin et la manipulation des animaux de ferme ‑ Transport de l’Agence; Guide de référence sur la manipulation et le bien‑être des porcs durant le transport de l’Association québécoise des transporteurs d’animaux vivants; Densité de chargement de la Fédération des producteurs de porcs du Québec). Les calculs fondés sur ces guides, vu le poids des porcs, les dimensions de la remorque de TEN et les conditions météorologiques le 15 mai 2014, révèlent qu’il y avait, selon ces guides, entre 2 et 47 porcs de trop dans la remorque. D’après les calculs de l’Agence, le chargement dépassait les limites acceptables de tous les guides dans des conditions météorologiques ordinaires, et encore plus dans les conditions exceptionnellement chaudes, ensoleillées et humides du 15 mai 2014. TEN n’a pas présenté d’éléments de preuve qui contestent sérieusement la véracité des calculs de l’Agence, et n’a pas non plus fourni ses propres calculs relatifs au taux de chargement approprié pour la journée en question.

 

  • [32] L’ensemble de la preuve indique que les porcs étaient entassés dans le sens du paragraphe 140(2) du RSA dans le chargement de TEN pendant le trajet le 15 mai 2014.

 

 

2.1.3  Conclusion concernant l’élément no 3

 

  • [33] L’élément no 3 ‑ l’espace était rempli à un point tel que l’animal ou tout autre animal qui s’y trouvait risquait de se blesser ou de souffrir indûment ‑ est possiblement remis en question également.

 

  • [34] La Commission a indiqué dans d’autres cas que les densités recommandées, qui sont établies dans les codes de pratiques, ne sont que des lignes directrices et qu’elles ne peuvent pas, en soi, servir à déterminer si une violation a été commise ou non [F. Ménard Inc. c. Canada (ACIA), (RTA no 60126) à la page 4; Finley Transport Limited c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 42 (Finley Transport)]. Au paragraphe 50 de la décision Finley Transport, la Commission a tiré la conclusion suivante : « L’entassement demeure une question de fait et, si les divers codes ou normes peuvent être cités à l’appui de tel ou tel argument, il convient en définitive de trancher au vu des circonstances particulières de l’affaire. » Récemment, dans la décision Canada (Procureur général) c. L. Bilodeau et Fils Ltée, 2017 CAF 5 (Bilodeau), la Cour d’appel fédérale a reconnu que les codes de pratiques recommandés n’ont pas de force juridique obligatoire et alors, ne lient pas la Commission (Bilodeau, au paragraphe 10). La Commission est encore de cet avis.

 

  • [35] Au paragraphe 26 de la décision Canada (Procureur général) c. Porcherie des cèdres Inc., 2005 CAF 59 (bien que cela s’applique aux violations de l’alinéa 138(2)a) du RSA), la Cour d’appel fédérale a examiné la signification du mot « indues » dans l’expression « souffrances indues ». La Cour a établi que dans cette expression, le mot « indues » faisait plutôt référence à des souffrances « inappropriées », « inopportunes », « injustifiées » ou « déraisonnables ». En outre, la Cour d’appel fédérale a ultérieurement cité et confirmé cette interprétation dans la décision rendue dans l’affaire Doyon, au paragraphe 30.

 

  • [36] Compte tenu du contexte du RSA, lequel vise à protéger la santé des animaux au sein des systèmes de production agricole actuels, la Commission conclut que la preuve présentée en l’espèce prouve, selon la prépondérance des probabilités, que l’entassement des porcs dans le chargement de TEN était susceptible de causer des blessures ou des souffrances indues à un ou plusieurs des porcs et que cela a effectivement été le cas.

 

  • [37] La Dre Therrien a produit une preuve écrite crédible et convaincante, qui a été consignée le jour des événements en question. Elle a découvert 10 porcs morts sur la plate‑forme supérieure de la remorque, ainsi que d’autres porcs haletants et en détresse. Selon ses observations, aucun autre porc sur la remorque n’avait de problèmes de santé. La Dre Therrien a pris des mesures détaillées de la remorque de TEN et a formulé des hypothèses crédibles quant au poid moyen des porcs dans ce chargement; en se fondant sur ces mesures et ces hypothèses, l’Agence a ensuite calculé la densité de chargement sur la remorque et a conclu que celle‑ci était supérieure aux normes de l’industrie lorsque les conditions météorologiques n’ont rien d’inhabituel et dépassait de beaucoup la densité autorisée par temps chaud et humide. TEN n’a pas présenté d’éléments de preuve qui remettent sérieusement en question les calculs ou les conclusions de la Dre Therrien.

  • [38] En résumé, la preuve produite par la Dre Therrien démontre que le manque d’espace dans la remorque est probablement ce qui a causé la mort et la détresse des porcs, en particulier compte tenu de la chaleur et de l’humidité cette journée‑là et du temps que les animaux ont passé dans la remorque, combinée au fait qu’aucune norme de l’industrie n’aurait jugé acceptable la densité de chargement dans les conditions observées le 15 mai 2014. Cela m’amène à conclure que l’Agence a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que les porcs étaient trop entassés dans la remorque et que cet entassement a causé des blessures ou des souffrances indues aux porcs transportés à bord de ce chargement.

 

 

 

  1. Conclusion concernant l’élément no 4

 

  • [39] Je conclusque l’Agence a aussi prouvé l’élément no 4, à savoir l’existence d’un lien de causalité entre, d’une part, TEN, et d’autre part, le transport, l’entassement et le risque que l’animal ou les animaux se blessent ou souffrent indûment en raison de l’entassement, selon la prépondérance des probabilités. La preuve en l’espèce montre un lien de causalité entre le transport, l’entassement (qui dépassait toutes les limites recommandées par l’industrie), les blessures réelles et les souffrances indues qu’ont subies les dix porcs morts et les autres porcs qui étaient en détresse au moment du déchargement, lesquelles ont toutes été infligées alors que le chargement était sous la responsabilité de TEN et de ses employés.

 

  • [40] Le lien de causalité est évident dans ce cas-ci. En outre, les arguments avancés par l’avocate de l’Agence m’ont convaincu que l’élément du « voyage prévu », qui a été examiné par la Cour dans Doyon relativement à une violation alléguée de l’alinéa 138(2)a), n’est pas et ne devrait pas être inclus de manière implicite dans les éléments en cause lors d’une prétendue violation du paragraphe 140(2). À ce titre, le fait que le camion qui tirait la remorque de TEN puisse être tombé en panne sur le chemin jusqu’à l’abattoir le 15 mai 2014 est sans conséquence et ne brise pas le lien de causalité en ce qui concerne la prétendue violation du paragraphe 140(2) du RSA.

  • [41] Par conséquent, les arguments avancés par TEN concernant les raisons pour lesquelles le transport des porcs des fermes jusqu’à l’abattoir a pris autant de temps sont sans pertinence lorsqu’il s’agit de déterminer si l’élément no 4 (ou l’un ou l’autre des autres éléments) a été prouvé par l’Agence, selon la prépondérance des probabilités.

 

 

 

2.2   Moyens de défense prévus par la loi

 

  • [42] Le Régime de SAP, tel qu’il a été établi par le législateur, est très rigoureux dans son application. La Loi sur les SAP crée un régime de responsabilité très peu tolérant puisqu’elle ne permet pas d’invoquer en défense de la diligence raisonnable ni celle de l’erreur de fait.

 

  • [43] Si une disposition prévoyant des sanctions administratives pécuniaires a été édictée pour une violation particulière, comme c’est le cas pour le paragraphe 140(2) du RSA, TEN ne dispose que de très peu de moyens de défense. Dans ce cas-ci, l’article 18 exclut pratiquement toute excuse pouvant être invoquée par TEN, y compris le fait (1) que son chauffeur, Steeve Nadeau, peut avoir eu de la difficulté à charger les porcs; (2) que son chauffeur, Steeve Nadeau, croyait que la densité de chargement de la remorque était appropriée; (3) que son chauffeur, Steeve Nadeau, a cru qu’il n’était pas nécessaire de charger les porcs en respectant la densité applicable par temps chaud et humide, étant donné qu’il croyait pouvoir se rendre à l’abattoir avant que la température ne soit trop élevée; (4) que son chauffeur, Steeve Nadeau, a dû composer avec une panne mécanique du camion de TEN, ce qui fait que les porcs ont été directement exposés au soleil et à la chaleur pendant beaucoup plus longtemps que prévu; (5) qu’un délai supplémentaire a été nécessaire à l’abattoir avant que le chargement de TEN puisse être déchargé, laissant les porcs exposés encore plus longtemps à la chaleur. Vu la clarté du législateur sur ce point, ces justifications et ces excuses de TEN ne sont pas des moyens de défense valides en vertu de l’article 18 de la Loi sur les SAP.

 

  • [44] Par conséquent, je conclus que, selon la prépondérance des probabilités, l’Agence a prouvé tous les éléments constitutifs de la violation et que le procès­verbal avec sanction est maintenu.

 

 

2.3   La validité du montant de la sanction

 

  • [45] L’Agence fournit des éléments de preuve et des raisons pour lesquels la sanction de 7 800 $ est fondée en faits et en droit en vertu de la Loi sur les SAP et du Règlement sur les SAP. Je conviens que ce montant est justifié.

 

  • [46] Pour calculer la sanction à imposer, il faut déterminer s’il s’agit d’une violation mineure, grave ou très grave au sens de l’annexe 1 du Règlement sur les SAP. Une violation du paragraphe 140(2) du RSA constitue une violation grave au sens du Règlement sur les SAP. La journée où la violation a été commise, l’article 5 du Règlement sur les SAP prévoyait qu’une violation grave méritait une sanction de 6 000 $. Dans l’affaire qui nous occupe, le montant de base de 6 000 $ peut être revu à la hausse ou à la baisse en tenant compte des trois facteurs suivants : le nombre des violations antérieures, la nature de l’intention du contrevenant et le préjudice causé. L’Agence attribue des cotes allant de 0 à 5 pour chacun de ces trois facteurs et elle les additionne pour obtenir le montant définitif de la sanction. Si le total se situe entre 6 et 10, le montant de base de la sanction n’est pas rajusté. Si la cote est inférieure à 6, la sanction de base est rajustée à la baisse; à l’inverse, si la cote dépasse 10, le montant est revu à la hausse.

 

 

2.3.1 Violations antérieures

 

  • [47] Conformément à la partie 1 de l’annexe 3 du Règlement sur les SAP, si l’auteur de la présumée violation a commis qu’une seule violation mineure ou grave au cours des cinq années qui ont précédé la journée dans laquelle la violation a été commise, une cote de gravité de 3 lui est accordée. Étant donné que TEN a commis plus d’une violation antérieure, comme en fait foi le rapport de l’Agence, je me range à l’avis de l’Agence, qui a accordé une cote de 5 pour ce facteur.

 

 

2.3.2   Intention ou négligence

 

  • [48] Aux termes de la partie 2 de l’annexe 3 du Règlement sur les SAP, l’Agence doit déterminer si la violation a été commise sciemment ou par négligence. L’Agence peut attribuer une cote de gravité de 0, laquelle correspond à une situation où « [l]a violation n’est commise ni sciemment ni par négligence » (article 1). Une cote de 0 peut également être attribuée si « [l]e contrevenant divulgue volontairement la violation et prend les mesures voulues pour se conformer à l’avenir » (article 2). Une cote de 3 est octroyée lorsque « [l]a violation est commise par négligence » et une cote de 5 est attribuée lorsque « [l]a violation est commise sciemment » (article 4).

 

  • [49] L’Agence a statué que la violation avait été commise par négligence (Rapport de l’Agence, page 15) puisque TEN, en tant que transporteur, avait manqué à son obligation d’assurer le bien-être des porcs qu’elle transportait. Même si les conditions météorologiques étaient normales, l’employé a chargé un plus grand nombre de porcs que ce qui est recommandé dans les lignes directrices de l’industrie; dans ce cas‑ci, la température était chaude et humide, ce qui a aggravé la situation. Pour ces raisons, l’Agence soutient que TEN a fait preuve de négligence. Je suis d’accord avec cette affirmation et avec la décision de l’Agence d’attribuer une cote de 3 à ce facteur.

 

 

2.3.3 Gravité du tort

 

  • [50] En ce qui concerne le troisième facteur, l’Agence a attribué une cote de gravité de 5 en raison du préjudice grave à la santé des animaux. Il est difficile de ne pas souscrire à la conclusion selon laquelle la gravité du préjudice, dans les circonstances, mérite une cote de 5 puisque « [l]a violation cause [...] un tort grave ou étendu à la santé humaine, animale ou végétale ou à l’environnement ». La preuve démontre clairement que 10 porcs sont morts des suites du transport et d’autres encore étaient en détresse respiratoire. Ces conditions constituent effectivement un tort grave à la santé animale. Je suis d’accord avec l’Agence pour ce qui touche l’attribution d’une cote de 5 pour ce facteur, puisque la violation du 15 mai 2014 a bien causé un préjudice grave à la santé animale.

 

  • [51] En conséquence, sur la foi de la preuve qui lui a été présentée, je conclus qu’une cote de gravité totale équitable pour le rajustement de la sanction en l’espèce équivaut à 13, comme le propose l’Agence. Dans le cas d’une cote globale de 13, l’annexe 2 du Règlement sur les SAP prévoit que le montant de base de 6 000 $ doit être majoré de 30 %. Le montant de la sanction à imposer en l’espèce s’établit donc à 7 800 $.

 

 

  1. Décision

 

  • [52] La Commission conclut, en se fondant sur les motifs susmentionnés, que :

 

  1. l’Agence a prouvé chacun des éléments de la violation du paragraphe 140(2) du RSA;

 

  1. TEN n’a pas fait valoir de moyens de défense admissible au titre de l’article 18 de la Loi sur les SAP qui aurait pu justifier les gestes qu’elle a posés le 15 mai 2014;

 

  1. la sanction de 7 800 $ pour cette violation est fondée en faits et en droit.

 

  • [53] En conséquence, la Commission conclut que, selon la prépondérance des probabilités, TEN a commis la violation décrite dans le procès-verbal 1415QC0039‑2, daté du 28 août 2015, relativement aux faits qui sont survenus le 15 mai 2014, et qu’elle est tenue de payer à l’Agence, une sanction pécuniaire d’un montant de 7 800 $ dans les 30 jours suivant la date de la signification de la présente décision.

 

  • [54] La Commission souhaite informer TEN que cette violation n’est pas une infraction criminelle car il s’agit d’une affaire purement administrative. Après un délai de cinq ans, TEN aura le droit de demander au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire de rayer la violation de son dossier, conformément au paragraphe 23(1) de la Loi sur les SAP.

 

 

Fait à Ottawa, en Ontario, en ce 6ième jour du mois de juin 2017.

 

 

 

 

 

 

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Me Donald Buckingham, docteur en droit et président

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