Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :         Maple Lodge Farms Inc. c. Canada (ACIA), 2016 CRAC 8

 

 

 

 

Date : 20160314

Dossier : CART/CRAC‑1728

ENTRE :

 

 

 

 

 

 

 

Maple Lodge Farms Inc., demanderesse

 

 

 

 

‑ et ‑

 

 

 

 

Agence canadienne d’inspection des aliments, intimée

[Traduction de la version officielle en anglais]

 

DEVANT :

Bruce La Rochelle, commissaire

 

 

 

 

 

 

 

 

AVEC :

Me Ronald E. Folkes, avocat de la demanderesse;

 

Me Jacqueline Wilson et Me Laura Tausky, avocates de l’intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Affaire concernant une demande de révision des faits, déposée par la demanderesse en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, relativement à une violation, alléguée par l’intimée, de l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la santé des animaux.

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

 

 

À la suite d’une audience et après avoir examiné la totalité des observations verbales et écrites des parties, la Commission de révision agricole du Canada statue, par ordonnance, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse a commis la violation dont il est fait état dans l’avis de violation 1213ON0387 daté du 19 juin 2013, même si elle a fait preuve de diligence raisonnable dans les circonstances, et qu’elle est donc tenue de payer à l’intimée, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, une sanction de 6 000 $ dans les trente (30) jours suivant la date de signification de la présente décision.

 

 

 

 

Audience tenue à Brampton (Ontario)
les 15, 16 et 17 octobre 2014,

les 6, 7, 8 et 9 janvier 2015,

les 25, 26, 27, 28 et 29 mai 2015,

le 24 juin 2015 (demi-journée) et

le 9 septembre 2015 (demi-journée), et

suivie d’observations écrites des deux parties,

datées du 27 novembre 2015.

 


MOTIFS

Une question préliminaire : la durée des séances d’audience et la déclaration de culpabilité au criminel

[1]              À titre de question préliminaire, la Commission souhaite signaler que la durée des séances d’audience a été attribuable en partie au fait qu’elles portaient sur deux avis de violation plutôt qu’un seul, qui étaient liés à des dossiers distincts. La première violation alléguée est associée à la décision et au dossier dont il est question en l’espèce (CART/CRAC‑1728), tandis qu’une autre violation et un autre dossier (CART/CRAC‑1729) mettent en cause les mêmes parties, mais des incidents, des calendriers et des conditions atmosphériques de nature différente. Le regroupement des audiences relatives aux deux dossiers a été fait à la requête de la Commission, à laquelle ont souscrit les avocats des deux parties. Les éléments de preuve communs aux deux dossiers, qui sont principalement liés à des témoignages d’expert sur l’état des poulets, seront indiqués dans le cadre des deux décisions. La durée des séances d’audience est également associée aux services de défense détaillés et de grande qualité qu’ont fournis l’avocat de la demanderesse, Maple Lodge Farms, et les avocates de l’intimée, l’Agence.

[2]              Me Folkes, l’avocat de Maple Lodge Farms, a reconnu qu’il était considéré comme nécessaire d’assurer une défense vigoureuse et complète en rapport avec les deux affaires, car Maple Lodge Farms faisait l’objet d’une ordonnance de probation par suite de sa déclaration de culpabilité au criminel dans l’affaire R. c. Maple Lodge Farms, 2013 ONCJ 535, appelée ci-après « Maple Lodge Farms [2013] ». La sanction imposée et l’ordonnance de probation connexe figurent dans la décision R. c. Maple Lodge Farms, 2014 ONCJ 212, ci-après appelée « Maple Lodge Farms [2014] ». Les déclarations de culpabilité au criminel ont été suivies d’un projet d’entente du ministère public et de Maple Lodge Farms quant à la sanction à imposer, projet auquel a souscrit la présidente de l’instance, la juge Kastner. Maple Lodge Farms était inculpée au départ de soixante chefs liés à des infractions au Règlement sur la santé des animaux (C.R.C., c. 296). Elle a été reconnue coupable de deux chefs considérés comme représentatifs, tous deux liés à des infractions à l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la santé des animaux (Maple Lodge Farms [2013], paragraphe 7), dont le texte est le suivant :

 (1) Il est interdit de transporter ou de faire transporter un animal dans un wagon de chemin de fer, un véhicule à moteur, un aéronef, un navire, un cageot ou un conteneur, si l’animal risque de se blesser ou de souffrir indûment en raison :

[…]

d) d’une exposition indue aux intempéries […]

[3]              La disposition du Règlement sur la santé des animaux aux termes de laquelle Maple Lodge Farms a été reconnue coupable est également celle en vertu de laquelle il a été allégué qu’elle a commis une violation, assortie d’une sanction pécuniaire, dans la présente affaire, dont les faits sont survenus avant le prononcé de la déclaration de culpabilité au criminel de Malple Lodge Farms et l’imposition de la peine connexe. L’Agence n’a pas expliqué pourquoi ces circonstances ne faisaient pas partie des nombreux chefs reprochés à Maple Lodge Farms dans le cadre de l’instance criminelle. Les choix de procédure demeurent la prérogative de l’Agence, mais il n’en reste pas moins que Maple Lodge Farms a déjà fait l’objet d’un long procès criminel et s’est vue imposer une lourde peine en rapport avec des pratiques identiques ou semblables à celles dont il est question ici, et en rapport avec la même période relative. La principale différence est que Maple Lodge Farms a été reconnue coupable dans l’instance criminelle, et que le ministère public a établi sa preuve hors de tout doute raisonnable. Dans la présente affaire, qui met en cause des faits semblables et des périodes comparables, l’Agence est assujettie au fardeau moins rigoureux de la prépondérance des probabilités, tandis que Maple Lodge Farms est nettement restreinte dans les moyens de défense qu’elle peut invoquer. En particulier, étant donné que la présente instance concerne des violations de responsabilité absolue, par opposition à des violations de responsabilité stricte, Maple Lodge Farms ne peut pas faire valoir en défense qu’elle a fait preuve de toute la diligence raisonnable pour éviter les faits en cause. De plus, tout moyen de défense qu’invoque Maple Lodge Farms doit être établi selon la prépondérance des probabilités, plutôt que d’avoir gain de cause en se fondant sur le fait de susciter un doute, comme c’est le cas dans une instance criminelle. En conséquence, pour ce qui est de sa défense, Maple Lodge Farms se trouve en l’espèce dans une position plus difficile, tandis que l’Agence, pour ce qui est d’établir la violation commise, se trouve dans une position plus facile, par rapport à une instance criminelle. Toute question liée au caractère redondant de la présente instance, qui met en cause des faits semblables et des périodes comparables à ceux et celles dont il était question dans l’instance criminelle, est une affaire de décision de politique qui ne relève pas de la Commission.

Une question préliminaire : la jonction des audiences relatives aux violations

[4]              Même si les deux violations alléguées concernaient deux incidents distincts, survenus à des moments différents, et des conditions atmosphériques différentes, les audiences connexes ont eu lieu en même temps. C’est la Commission qui a pris la décision de joindre les audiences, sans objection manifeste des avocates de l’Agence ou de l’avocat de Maple Lodge Farms. La Commission signale qu’une mesure semblable a été prise dans le cas du  procès criminel de Maple Lodge Farms.

[5]              Compte tenu de la quantité des éléments de preuve soumis à la Commission et du fait que certains d’entre eux, mais pas tous, s’appliquaient aux deux incidents, il peut sembler à prime abord que la jonction des audiences a été une mesure particulièrement efficace et équitable. Après avoir réfléchi au nombre des éléments de preuve et à la complexité des deux affaires, la Commission est d’avis qu’il y a lieu d’éviter de joindre des audiences concernant des incidents tout à fait distincts et de respecter les objections que peuvent soulever les avocats à cet égard. Si les questions d’efficacité suscitent des préoccupations, il serait possible d’intégrer des preuves portant sur l’état physique général d’animaux et les effets des conditions atmosphériques en faisant référence à des témoignages sous serment faits antérieurement au sujet de l’état des recherches à l’époque. Le fait de tenir simultanément les deux audiences, qui concernent des faits différents, peut amener à considérer la situation sous un angle disparate et parfois déroutant.

[6]              La Commission signale que la poursuite criminelle engagée contre Maple Lodge Farms mettait en cause l’évaluation contemporaine de deux séries distinctes de faits, survenues à deux moments différents et concernant des types de poulets différents, qui s’est néanmoins soldée par un jugement unique, applicable à deux chefs. En l’espèce, la Commission a adopté une méthode différente, et elle rendra deux décisions distinctes sur les deux incidents distincts. Cette mesure cadre avec la démarche procédurale que la Commission a adoptée dans le trio d’affaires « Little Rock Farm Trucking » (2014 CRAC 29, 30 et 31), dans lesquelles des audiences parallèles ont été tenues a sujet de trois situations de fait distinctes, et trois décisions distinctes ont été rendues simultanément, quoiqu’avec de nombreuses répétitions textuelles. Dans le cas présent, les deux décisions seront rendues séparément, et non pas simultanément. À titre comparatif, dans l’affaire L. Bilodeau et Fils Ltée et Patrice Guillemette c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2015 CRAC 22, deux audiences ont été tenues simultanément à propos de la même série de faits, et une seule décision a été rendue au sujet des deux affaires.

Une question préliminaire : La qualité du dossier et des observations

[7]              À l’initiative de Me Folkes, qui représentait Maple Lodge Farms, les témoignages enregistrés ont été transcrits et étaient disponibles sous forme écrite, et il s’en est servi de manière concrète à différents moments au cours des audiences. De ce fait, Me Wilson, qui représentait l’Agence, et Me Folkes ont convenu que la totalité des débats serait disponible sous forme transcrite, et que Maple Lodge Farms et l’Agence se partageraient les frais de  transcription. Les parties ont ensuite généreusement remis une série complète de transcriptions à la Commission, sans frais.

[8]              L’initiative qu’a prise Me Folkes au sujet des transcriptions, et le fait que l’Agence l’ait adoptée, complète dans une large mesure l’exigence de la Commission selon laquelle les parties sont tenues de produire par écrit leurs arguments finaux. Les deux parties ont présenté leurs observations en faisant abondamment référence à des pages transcrites, ce qui n’aurait pas pu être fait aussi efficacement si les parties s’étaient fondées uniquement sur des enregistrements oraux. Il est à espérer que d’autres parties prenant part à des dossiers d’une complexité et d’une longueur comparables qui sont soumis à la Commission envisageront de suivre ce que les parties ont fait en l’espèce.

[9]              La Commission souhaite également exprimer sa reconnaissance pour les services de défense oraux et écrits de grande qualité qui ont été fournis pour le compte des deux parties, comme en fait foi la grande qualité des observations écrites finales.

L’historique des procédures

[10]         Par la voie d’un avis de violation portant le no 1213ON0387, il est allégué que la demanderesse, Maple Lodge Farms Inc. (Maple Lodge Farms, ou MLF) a commis la violation suivante (texte extrait de l’avis de violation) : [traduction] « A transporté ou fait transporter des animaux en les exposant indûment aux intempéries, soit 7 000 poulets à destination de Maple Lodge Farms à bord de la remorque DEL‑74, dont 863 oiseaux trouvés morts à l’arrivée ». Il est précisé que la violation est une infraction à l’alinéa 143(1)d) du Règlement sur la santé des animaux (C.R.C., ch. 296), qui figure sous la rubrique « Protection des animaux contre les blessures ou la maladie », et dont le texte est le suivant :

 (1) Il est interdit de transporter ou de faire transporter un animal dans un wagon de chemin de fer, un véhicule à moteur, un aéronef, un navire, un cageot ou un conteneur, si l’animal risque de se blesser ou de souffrir indûment en raison :

[…]

d) d’une exposition indue aux intempéries […]

Comme il a été mentionné plus tôt, il s’agit de la même disposition en vertu de laquelle ont été enregistrées la plupart des déclarations de culpabilité au criminel de Maple Lodge Farms, comme nous l’avons vu plus tôt.

[11]         La violation est qualifiée de « grave » sur le plan législatif, d’après l’annexe 1, partie 1, section 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (DORS/2000‑187). Aux termes du paragraphe 5(3) de ce règlement, Maple Lodge Farms s’est vue imposer une sanction de 6 000 $, qui a été majorée de 1 800 $ et a ainsi atteint la somme de 7 800 $, pour des questions liées à la cote de gravité, à discuter. En bref, le montant de la sanction a été majoré de 30 %, comme l’autorise l’annexe 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire. Cette majoration est fondée sur l’historique des violations de Maple Lodge Farms, ainsi que sur l’avis de l’Agence selon lequel elle était en mesure d’établir, selon la prépondérance des probabilités, la négligence de Maple Lodge Farms ainsi que la gravité du tort causé aux animaux, ainsi qu’il est précisé à l’annexe 3 de ce Règlement.

[12]         L’avis de violation a été signifié à Maple Lodge Farms par voie électronique le 19 juin 2013, comme il est mentionné dans un certificat de notification d’A. P. Roberts, inspecteur de l’Agence. Maple Lodge Farms y a répondu par une lettre de Carol Gardin, directrice des Affaires de l’entreprise, datée du 5 juillet 2013 et reçue par la Commission le 11 juillet 2013. La lettre faisait mention de cinq avis de violation, y compris celui dont il est question en l’espèce, et une révision par voie d’audience a été demandée dans chaque cas. Aucun motif n’a été fourni dans la demande de révision, qui n’a pas été présentée au moyen du formulaire qu’utilise habituellement la Commission pour une telle demande. La Commission a plutôt été informée par écrit par Mme Gardin qu’il fallait transmettre toute autre communication à Me Ron E. Folkes (Me Folkes), l’avocat de Maple Lodge Farms.

[13]         Par une lettre transmise à Me Folkes en date du 12 juillet 2013, la Commission a demandé que l’on fournisse des motifs à l’appui de la demande de révision de Maple Lodge Farms, conformément à l’article 34 des Règles de la Commission de révision (Agriculture et agroalimentaire) (DORS/99‑451), ainsi qu’à l’Avis de pratique no 11, intitulé Déterminer la recevabilité des demandes de révision et échanges de documents entre le demandeur, l’intimé et la Commission, et émis par la Commission en mai 2013. Aux termes de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (L.C. 1995, ch. 40), Maple Lodge Farms peut soumettre à la Commission une demande de révision « dans le délai et selon les modalités réglementaires :

9. (2) À défaut d’effectuer le paiement, le contrevenant peut, dans le délai et selon les modalités réglementaires :

c) demander à la Commission de l’entendre sur les faits reprochés.

Il est fait référence à ce délai et à ces modalités aux articles 11 et 14 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire. Maple Lodge Farms est tenue de présenter une demande de révision dans les 30 jours suivant la date de signification de l’avis de violation, et elle peut le faire de plusieurs façons : « en mains propres ou en l’envoyant par courrier recommandé ou par messagerie, ou par télécopieur ou autre moyen électronique ». L’envoi par télécopieur ou autre moyen électronique (comme un document numérisé joint à un message transmis par courriel) doit être suivi de l’envoi du même document par courrier recommandé :

11. (2) Si, en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi, la personne nommée dans un procès-verbal qui comporte une sanction conteste les faits reprochés auprès du ministre ou demande à la Commission de l’entendre sur ces faits […], elle le fait par écrit dans les trente jours suivant la date de notification du procès-verbal.

[…]

14. (1) Toute personne peut présenter la demande […] en la livrant en mains propres ou en l’envoyant par courrier recommandé, par messagerie ou par tout moyen électronique, notamment par courrier recommandé électronique et par télécopieur, au destinataire et au lieu autorisés par le ministre.

[…]

(3) Lorsque la demande est transmise par télécopieur ou autre moyen électronique, une copie doit aussi en être envoyée par courrier recommandé.

 

[14]         La Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire ou le Règlement y afférent ne prescrivent aucun formulaire à cette fin. La Commission a établi son propre formulaire de demande de révision, mis en ligne dans son site Web, mais les Règles de la Commission de révision (agriculture et agroalimentaire) ne prévoient aucun formulaire particulier. Cependant, les Règles imposent une exigence supplémentaire dans le cas d’une révision, une exigence qui ne figure pas dans la loi ou le règlement connexes. Selon l’article 34 des Règles, le demandeur est tenu de motiver la demande de révision :

 La personne qui dépose une demande de révision doit y indiquer les motifs de la demande […].

Bien qu’il puisse sembler à première vue que la Commission, de sa propre initiative, ajoute une exigence d’un ordre législatif inférieur à celles que prévoient la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et le règlement connexe, qui n’exigent pas qu’une demande de révision soit assortie de motifs, les Règles de la Commission revêtent la forme d’un règlement pris en vertu de la loi constitutive de la Commission, la Loi sur les produits agricoles au Canada (L.R.C., 1985, ch. 20 (4e suppl.)). En conséquence, il faut, dans toute la mesure du possible, considérer les dispositions des Règles de la Commission et du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire comme des dispositions réglementaires complémentaires et comme étant, en tout état de cause, assujetties à une présomption de cohérence législative.

[15]         Par une lettre datée du 24 juillet 2013, l’avocat de Maple Lodge Farms, Me Folkes, a présenté une demande de révision au moyen du formulaire établi et publié par la Commission. Les motifs invoqués à l’appui de la demande de révision sont résumés comme suit :

a)                 Maple Lodge Farms n’exerçait aucun contrôle sur le chauffeur ou sur les méthodes de chargement et de transport entre le point de départ, situé à Chazny (État de New York) et les installations de Maple Lodge Farms, situées à Brampton (Ontario). Le transport a été effectué par un transporteur indépendant de Maple Lodge Farms. Celle-ci n’a exercé aucun contrôle sur les précautions prises pour protéger la cargaison contre une exposition indue aux intempéries, jusqu’à sa livraison à Maple Lodge Farms, à Brampton;

b)                 Étant donné que d’autres cargaisons venant de la même exploitation, et transportées en même temps, présentaient des taux de mortalité nettement inférieurs à l’arrivée à Maple Lodge Farms, tout problème lié à la cargaison en question doit être attribué à une erreur du chauffeur, sur lequel Maple Lodge Farms n’exerce aucun contrôle;

c)                  Maple Lodge n’a été informée d’aucun problème posé par la cargaison au moment de son arrivée à Brampton;

d)                 Il n’y a pas eu d’exposition indue aux intempéries après que Maple Lodge Farms a pris en charge la cargaison à Brampton. [Soulignement ajouté par la Commission.]

[16]         Sans donner de raisons aux parties, la Commission a conclu que la demande de révision de Maple Lodge Farms était admissible, et les parties en ont été avisées par une lettre datée du 26 juillet 2013. Dans cette lettre, il a été demandé à l’Agence de produire son rapport sur l’affaire, ce qu’elle a fait par une lettre datée du 7 août 2013, que la Commission a reçue le 11 août 2013. Cette lettre a été suivie d’un mémoire transmis par Maple Lodge Farms avec une lettre datée du 15 novembre 2013, qui incluait aussi un exemplaire d’un rapport de la Dre Rachel Ouckama, datée du 15 novembre 2013. L’Agence a ensuite fait part d’autres observations.

[17]         Comme il a été précisé au début de la présente décision, les audiences relatives à la présente affaire ainsi qu’à une autre mettant en cause Maple Lodge Farms, mais portant sur des faits non liés et une période différente, ont débuté en octobre 2014 et se sont poursuivies à divers intervalles jusqu'en septembre 2015. En janvier 2015, anticipant que les témoignages et la présentation des éléments de preuve prendraient fin plus tôt, la Commission a rendu une ordonnance, assortie de motifs, exigeant que les parties produisent leurs observations finales par voie écrite seulement. Une copie de cette ordonnance est jointe à la présente décision. La production de ces observations a pris fin en décembre 2015.

Les faits incontestés

[18]         Voici maintenant les faits de l’affaire qui ne sont pas en litige. Il s’agit en l’espèce du transport, le 2 janvier 2013, d’une cargaison de ce que l’on appelle des « poules de réforme » entre un éleveur de poulets situé à Chazny (État de New York) et les installations d’abattage et de transformation de Maple Lodge Farms, qui sont situées à Brampton (Ontario). Les faits peuvent être résumés comme suit, d’après les rapports et les observations des parties ainsi que les dépositions des témoins :

a)                 un éleveur de poulets, Pete & Jerry’s Organic Eggs, élève ce que l’on appelle des « poules de ferme », dont elle recueille et vend les œufs. Une fois que ces poules ont atteint la fin de leur vie de ponte, elles sont alors considérées comme des « poules de réforme » et doivent être éliminées des installations de l’éleveur pour être remplacées par d’autres poulets;

b)                 lorsqu’elles atteignent le stade « de réforme », les poules ne sont plus utiles du point de vue économique pour l’éleveur, mais elles présentent une valeur économique pour les transformateurs de volaille, qui achètent les poules pour leur viande. La majeure partie de la viande de poulet transformée provient de poules de réforme;

c)                  les poules de réforme coûtent peu, sinon rien, au transformateur, à part les frais payés pour faciliter leur capture, ainsi que pour leur chargement et leur transport;

d)                 comme les poules de réforme en question ne vivaient pas en cage, il a fallu environ quatre heures pour les capturer et les mettre dans des compartiments de chargement. Le chargement a débuté vers 7 h 30 le 2 janvier et a pris fin vers midi environ;

e)                 pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires, mais qui, selon les hypothèses de l’Agence et de Maple Lodge Farms, sont imputables à des problèmes mécaniques liés à la fermeture de la remorque dans laquelle les poules de réforme avaient été chargées et attendaient d’être transportées, le début du transport a été retardé d’environ quatre heures. Pendant ce temps, les poules de réforme sont restées dans la remorque non chauffée;

f)                   pendant les quatre heures de chargement des poules et la période supplémentaire d’environ quatre heures durant laquelle les poules sont restées stationnaires, dans la remorque non chauffée, la température a varié de ‑7 à ‑14 degrés Celsius, sans compter la présence du vent;

g)                 une fois que le transport des poules de réforme a commencé, il s’est écoulé environ douze heures de plus avant l’arrivée des poules à Maple Lodge Farms, vers minuit le 2 janvier. Le transport s’est déroulé entièrement à des températures inférieures à zéro degré, à un moment où les températures étaient plus froides que celles qu’il y avait quand le chargement a été retardé;

h)                 au moment de son arrivée à Maple Lodge Farms, le chauffeur du camion a déclaré par écrit que la cargaison comptait environ cent poules mortes. En réponse à ce rapport, des membres du personnel de Maple Lodge Farms ont examiné la cargaison et ont déclaré avoir vu douze oiseaux morts, plutôt que cent;

i)                   après leur arrivée à Maple Lodge Farms, les poules ont passé une période supplémentaire de près de douze heures dans une aire d’attente non chauffée, avant d’être transportées dans l’installation et abattues peu après midi le 3 janvier;

j)                   au moment du déchargement des oiseaux, on a découvert que 863 d’entre eux étaient morts, ce qui représentait plus de 12 % de ceux qui faisaient partie de la cargaison.

Les éléments de preuve et leur évaluation

[19]         Les parties ont présenté une volumineuse preuve écrite, ainsi que de longs témoignages. Compte tenu des restrictions économiques et temporelles auxquelles est soumis le soussigné, qui siège à temps partiel, les parties peuvent être assurées que les éléments de preuve ont été pris en compte dans toute la mesure du possible. Il convient de signaler que la décision qu’a rendue la juge Kastner dans l’instance criminelle comportait un examen détaillé des éléments de preuve dans le cadre d’un jugement d’une longueur d’une centaine de pages, avant qu’elle rende sa décision distincte au sujet de la peine à imposer, et les questions en jeu ont été réglées en fin de compte environ quinze mois après le dépôt des observations finales. Il faut reconnaître que la juge Kastner a traité de deux chefs dans le même jugement, en plus d’autres répercussions liées à ces chefs, ainsi que d’une peine détaillée et de l’ordonnance de probation connexe qui en ont résulté. Les questions en litige dans la présente affaire ne revêtent pas moins d’importance pour les parties, et elles comportent des éléments de preuve et des témoignages dont l’étendue et la complexité sont comparables à ceux qui ont été soumis à la juge Kastner, mais le soussigné, qui siège à temps partiel, n’est pas en mesure d’examiner les questions de manière aussi détaillée. Il considère néanmoins que la présente décision, malgré sa brièveté comparative, est équitable.

[20]         Après avoir examiné la totalité des témoignages et des éléments de preuve connexes, la Commission a décidé de se concentrer explicitement sur le témoignage du Dr Martin Appelt, pour le compte de l’Agence, et sur celui de la Dre Rachel Ouckama, pour le compte de Maple Lodge Farms; le témoignage d’autres témoins a par ailleurs été dûment pris en compte. Les Drs Appelt et Ouckama sont tous deux des vétérinaires d’expérience qui mènent également des recherches sur la santé des poulets. Tous deux ont convenu que les poules de réforme ont souvent des plumes manquantes ou peu de plumes, en raison de leur âge et du fait qu’elles se donnent des coups de bec lorsqu’elles se trouvent dans un espace clos, comme un compartiment situé dans un camion de transport, habituellement rempli à pleine capacité. Les deux ont également convenu que ces poules de réforme, qui se situent à la fin de leur vie de pondeuse, ont habituellement un déficit en calcium. C’est au sujet de l’état de santé comparatif de ces poules âgées que les deux vétérinaires ne s’entendaient pas. De l’avis de la Dre Ouckama, il est fort possible que ces poules de réforme soient en meilleure santé, du fait de leur âge et de leur taille, qu’on pourrait le penser au départ. De l’avis du Dr Appelt, indépendamment des questions d’âge et de taille, l’exposition des poules de réforme à des températures inférieures à zéro, pendant un temps aussi long avant leur transport, aurait causé à leur système un choc dont elles auraient eu peu de chances de se remettre, compte tenu de l’absence de chauffage lors du transport. En raison de la fragilisation générale de leur plumage, la situation serait semblable à celle d’un être humain nu, exposé pendant un temps prolongé à des températures inférieures à zéro. Si un groupe d’humains nus se blottissaient les uns contre les autres pour trouver un peu de chaleur, ils parviendraient à se réchauffer jusqu’à un certain point, mais jamais leur température ne reviendrait à son état initial avant qu’ils ne se retrouvent dans une installation chauffée.

[21]         Comme l’a décrit le Dr Appelt, la situation est semblable dans le cas des poules de réforme. Dans l’industrie, la pratique consiste à ajuster les bâches de la remorque, à intervalles périodiques au cours du transport, en vue de contrer la perte de chaleur et d’amoindrir les effets de la condensation. Cependant, dans l’industrie, la présomption sous-jacente est que les oiseaux se blottissent les uns contre les autres durant le transport et, collectivement, génèrent assez de chaleur pour contrer les effets marqués du froid. Une preuve à cet effet a été présentée à l’audience. Cela permet aux membres de l’industrie de faire valoir que le transport des poules de réforme dans des remorques non chauffées, à des températures inférieures à zéro, et dans des circonstances où un déplacement aggraverait logiquement les effets du froid, n’occasionne pas de situations dans lesquelles il y a un risque de blesser les poules ou de les faire souffrir indûment, ou un risque indu d’exposition aux intempéries.

[22]         Le Dr Appelt a fait remarquer que les recherches axées précisément sur les poules de réforme, et en particulier en cours de transport, ne sont pas très approfondies, vraisemblablement à cause de la valeur marchande minime de ces oiseaux à ce stade. Par contraste, les recherches financées sur les poulets à griller sont plus approfondies. Parallèlement, la Dre Ouckama a reconnu qu’elle a les échantillons de poules de réforme les plus nombreux sur lesquels des recherches pourraient être menées. Il est regrettable dans la présente affaire que l’on manque de recherches approfondies et définitives sur l’état des poules de réforme, et il est à espérer que diverses sources, dont des participants de l’industrie, financeront davantage de recherches dans ce domaine.

[23]         De l’avis de la Commission, la preuve du Dr Appelt est particulièrement convaincante. Dans les circonstances de l’espèce, le froid aurait causé un choc aux poules de réforme au début de leur transport, et elles ne s’en seraient jamais entièrement remises par la suite. Malgré la résistance déclarée de ces oiseaux, de l’avis de la Dre Ouckama – une affirmation qui, de toute façon, n’a pas été généralisée ni rattachée au transport dont il est particulièrement question ici – la Commission est d’avis que ces poules de réforme, dans ces circonstances particulières, n’auraient jamais dû être soumises à un transport supplémentaire non chauffé, après le choc causé par le froid. De telles circonstances sont assimilables à un risque de souffrance indue durant le transport, par suite d’une exposition indue aux intempéries. Il est à signaler que Maple Lodge Farms convient que le retard de quatre heures au moment du transport, à des températures inférieures à zéro, peut être considéré comme la principale cause de mortalité d’un nombre aussi élevé d’oiseaux dans cette cargaison particulière. Maple Lodge Farms estime qu’elle n’est pas responsable de ces circonstances et que, de ce fait, elle n’a commis aucune violation. La Commission n’est pas d’accord, comme nous le verrons plus loin.

Le droit applicable et l’analyse

Le contrôle exercé et sa pertinence

[24]         Dans n’importe quel contrat d’achat et de vente de poules de réforme, il y a trois parties en cause : l’éleveur, qui est intéressé à se débarrasser des poules à la fin de leur vie de ponte, le transporteur des poules de réforme et l’acheteur ultime de ces dernières – en l’occurrence, Maple Lodge Farms. Le contrôle du processus repose sur les droits juridiques des parties aux termes de l’entente d’achat et de vente des poules de réforme. Les détails de la relation contractuelle entre les parties deviennent donc un aspect très important pour ce qui est de la détermination du contrôle : Ferme Alain Dufresne Inc. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2015 CRAC 6, au paragraphe 26.

[25]         M. David Robert, directeur de la logistique réelle et de l’approvisionnement en poulets chez Maple Lodge Farms, a témoigné pour le compte de Maple Lodge Farms au sujet des mesures de contrôle entourant le processus d’acquisition de poules de réforme aux États-Unis. Selon le témoignage non contredit de M. Robert, en ce qui concerne les poules de réforme obtenues des États-Unis, Maple Lodge Farms ne contrôle pas le processus au départ, mais plutôt à partir du moment où les poules de réforme arrivent dans ses installations.

[26]         M. Robert a déclaré que les méthodes de contrôle qu’applique Maple Lodge Farms diffèrent selon qu’on se trouve au Canada ou aux États-Unis, relativement à l’acquisition de poules de réforme. De plus, il y a un degré supérieur de concurrence avec Maple Lodge Farms pour ce qui est de l’acquisition de poules de réforme aux États-Unis. Répondant à une question de la Commission, M. Robert a convenu que le processus d’acquisition de ces oiseaux est semblable à celui des opérations de [traduction] « ramassage de déchets ». Sans vouloir dénigrer les vies des animaux, il n’en demeure pas moins que le producteur d’œufs est intéressé à se débarrasser le plus rapidement possible de ces poules de réforme pour pouvoir les remplacer par de nouvelles poules pondeuses. L’analogie faite avec le [traduction] « ramassage de déchets » a trait au fait que les poules de réforme, n’ayant aucune autre valeur marchande pour le producteur mais une valeur marchande distincte pour Maple Lodge Farms, sont habituellement acquises par cette dernière sans frais aucuns, sinon minimes, pour le producteur. En échange de l’obtention des poules de réforme à un coût nul ou négligeable, Maple Lodge Farms supporte le coût de leur enlèvement et de leur transport.

[27]         Les poules, ayant pondu le plus grand nombre d’œufs qu’elles peuvent pour le producteur, ne lui sont plus d’aucune utilité. Ce dernier entre donc en contact avec Maple Lodge Farms et d’autres entités et leur fait savoir qu’un certain nombre de poules sont prêtes à être emportées. Selon M. Robert, c’est le producteur qui précise le délai dans lequel les poules de réforme doivent être retirées de ses installations, par exemple, au cours d’une semaine en particulier. Maple Lodge Farms retient ensuite les services d’un transporteur pour s’occuper de la capture et du transport des poules de réforme. Ce transporteur est tenu d’utiliser les remorques de Maple Lodge Farms. Selon M. Robert, comme les poules de réforme font l’objet d’une concurrence aux États-Unis, si Maple Lodge Farms ne peut pas faire ramasser les animaux dans le  délai particulier que précise le producteur, ce dernier appelle simplement un concurrent de Maple Lodge Farms pour faire le travail.

[28]         Étant donné que les remorques utilisées sont celles de Maple Lodge Farms et que c’est Maple Lodge Farms qui s’est engagée à transporter les poules de réforme, qui ont pour elle une valeur distincte, il semblerait logique que Maple Lodge Farms veuille exercer un contrôle sur leur transport. Comme l’a fait remarquer la juge Kastner dans l’instance criminelle (Maple Lodge Farms (2013), au paragraphe 77), l’industrie fonctionne selon la méthode du [traduction] « juste-à-temps », ce qui veut dire que Maple Lodge Farms planifierait logiquement l’arrivée des poules de réforme un jour bien précis de façon à organiser leur abattage et leur transformation.

[29]         Le problème qu’a la Commission en l’espèce est le suivant : ce qui peut sembler logique n’a pas été établi par l’Agence à l’aide de preuves. Le témoignage de M. Robert est essentiellement incontesté. Maple Lodge Farms n’a pas appelé le transporteur ou le producteur à témoigner et l’Agence n’a pas cherché à exiger leur comparution ou la présentation de preuves du transporteur ou du producteur par d’autres moyens, et ce, même si les parties savaient à l’avance quels témoins chacune ferait témoigner, ce qui lui aurait donc donné une chance d’exiger la comparution de témoins en recourant au processus de citation qui est disponible si l’on en fait la demande à la Commission. On aurait pu régler par la suite les problèmes de commodité et de coût en demandant à la Commission l’autorisation de produire ces preuves par d’autres moyens, par vidéo, par audio ou par affidavit par exemple, ainsi que l’autorisent les Règles de la Commission.

[30]         M. Robert a déclaré que plutôt que d’établir un contrat écrit officiel, les dispositions relatives à l’enlèvement des poules de réforme sont prises par téléphone et par courriel. En réponse à une demande de la Commission en vue d’obtenir de Maple Lodge Farms une preuve de l’existence de ces formes de communication, M. Robert a présenté une série de courriels concernant la cargaison en particulier. On ne voit pas clairement quelles répercussions contractuelles, s’il y en a, il est possible de tirer de ces communications. Aucune des deux parties n’a présenté d’observations à cet égard.

[31]         Dans des affaires telles que la présente, et avec un dossier de preuves tel que le présent, la mise en garde qu’a formulée à la Commission la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Doyon c. Canada (Procureur général) 2009 CAF 152 contre les conclusions fondées sur des conjectures revêt une importance particulière. Comme l’a déclaré le juge Létourneau (le juge Blais et la juge Trudel ont souscrit au résultat), au paragraphe 28 :

[28] Aussi, le décideur se doit-il d’être circonspect dans l’administration et l’analyse de la preuve de même que dans l’analyse des éléments constitutifs de l’infraction et du lien de causalité. Cette circonspection doit se refléter dans les motifs de sa décision, laquelle doit s’appuyer sur une preuve qui repose sur des assises factuelles et non sur de simples conjectures, encore moins de la spéculation, des intuitions, des impressions ou du ouï-dire.

[32]         Il n’est tout simplement pas loisible à la Commission d’inférer qu’il y a forcément un contrôle quand il existe une preuve contraire incontestée, à laquelle s’ajoutent également des explications quant à la différence de situation entre le Canada et les États-Unis, relativement à l’acquisition de poules de réforme par Maple Lodge Farms. Dans la présente affaire, Maple Lodge Farms soutient donc qu’il incombait aux ramasseurs et au transporteur de déterminer s’il aurait fallu interrompre l’acquisition et le transport des poules de réforme. La question de savoir de quelle façon ces parties auraient été payées dans de telles circonstances – ou, quant à cela, de quelle façon elles l’auraient été de toute façon – n’a pas été présentée en preuve par Maple Lodge Farms, ni fait l’objet de questions de la part de l’Agence. Les modalités de paiement deviennent pertinentes à l’égard des raisons d’interrompre ou de retarder le ramassage et le transport, de même qu’à l’égard  des questions de conflits en matière de contrôle. Aucune preuve de cette nature n’a été soumise à la Commission.

[33]         Maple Lodge Farms affirme que la propriété des oiseaux n’est pas pertinente pour ce qui est de savoir si une violation a été commise. La Commission n’est pas d’accord, car la propriété est une forme de contrôle ultime. Si le transporteur est dépositaire de poules de réforme appartenant à Maple Lodge Farms, la déposante (Maple Lodge Farms) contrôle néanmoins les conditions et la nature du dépôt, sauf si elle décide de faire preuve d’indifférence quant à la manière dont on traite son propre bien. Malheureusement, les questions contractuelles qui sont en cause en l’espèce doivent être explicitées davantage.

[34]         Compte tenu de ce qui précède et des mises en garde jurisprudentielles associées aux questions de preuve qui entrent en ligne de compte dans les affaires comme celle-ci, la Commission est contrainte de conclure que, au vu de la preuve présentée, l’Agence n’a pas établi que Maple Lodge Farms exerçait un contrôle sur le transport. Le contrôle qu’exerce Maple Lodge Farms sur la cargaison débute plutôt au moment où la remorque chargée de poules de réforme lui est livrée à ses installations de Brampton.

Le lien de causalité et le contrôle exercé

[35]         Dans ses observations écrites finales, Me Tausky, pour le compte de l’Agence, invoque un argument subsidiaire (aux paragraphes 128 à 134) à celui qui consiste à mettre l’accent sur le contrôle en tant qu’élément essentiel de la violation. Elle renvoie au libellé de l’alinéa 143(1)d), qui commence comme suit : « [i]l est interdit de transporter ou de faire transporter […] » [souligné ici par la Commission]. Elle soutient ensuite que, conformément à la règle excluant la tautologie en matière d’interprétation législative, le mot anglais « causing » [« faire transporter »,  dans la version française de cette disposition] doit avoir un sens distinct du fait de transporter concrètement des animaux, et qu’une violation inclut les parties qui ont « fait transporter » les animaux. Comme l’analyse Me Tausky, au paragraphe 129 :

[traductionDans l’Oxford English Dictionary, le verbe anglais « cause » signifie « faire en sorte qu’une chose ait lieu ». Correctement interprétés, les mots « cause to be transported » [faire transporter] n’exigent donc pas que le présumé contrevenant exerce un contrôle direct sur le transport. La responsabilité est rattachée à toute personne qui fait en sorte qu’un transport a lieu dans des circonstances où des animaux risquent de se blesser ou de souffrir indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries. Une telle interprétation concorde avec le régime législatif, qui ne fait pas de distinction entre des étapes de transport ou des catégories de transporteur différentes. La responsabilité du transport incombe entièrement à toute personne qui fait transporter un animal.

[36]         De l’avis de Me Tausky, Maple Lodge Farms, qui a conclu ce qui est décrit comme une [traduction] « entente permanente » avec le producteur d’œufs en vue de l’enlèvement des poules de réforme, « fait transporter » ces dernières chaque fois qu’il prend des dispositions en vue de leur ramassage et de leur transport. Comme il est décrit au paragraphe 130 des observations finales de Me Tausky :

[traduction[…] en maintenant cette entente permanente, en fournissant une remorque pour le transport des poules et en payant les frais liés aux ramasseurs et au transport lui-même, Maple Lodge a fait transporter les oiseaux, en ce sens qu’elle a fait en sorte que le transport ait lieu.

Maple Lodge Farms ne s’est pas prévalue d’une chance de répondre à ces arguments.

[37]         De l’avis de la Commission, les arguments de Me Tausky sont convaincants. Cependant, comme nous le verrons, la Commission a décidé, pour d’autres raisons, qu’il n’est pas nécessaire que l’on exerce un contrôle pour qu’une violation de responsabilité absolue ait lieu en l’espèce et, de ce fait, elle n’a pas à traiter explicitement des arguments que Me Tausky a invoqués au sujet des mots « faire transporter ».

Le sens des mots « souffrance indue »

[38]         Dans la décision Guy D’Anjou Inc. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) 2015 CRAC 2, la Commission a traité de la nature des souffrances indues ainsi que du rôle qu’elle joue dans l’évaluation de l’existence réelle ou probable de ces souffrances, citant deux de ses décisions antérieures : E. Grof Livestock c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) 2014 CRAC 11, et Jérôme Fournier c. Canada (ACIA), RTA #60202 (2005), plus la jurisprudence connexe de la Cour d’appel fédérale. La Commission a analysé les questions de la manière suivante :

[22] Me Imbeau, en citant la décision de la Commission (par l’ancien membre de la Commission, le juge Annis, présentement de la Cour fédérale) dans Jérôme Fournier c. Canada (ACIA), RTA #60202 (2005), à la page 5, a présenté les arguments suivants sur ce point (Soumissions supplémentaires de l’Agence, page 2) :

La Commission a déjà souligné que la question des souffrances indues doit être déterminée principalement à partir du bon sens, c’est-à-dire de l’expérience de ce qui constituerait une souffrance pour un animal à partir d’observations cliniques des infirmités de l’animal et des manifestations de détresse qui s’ensuivent et qui sont décrites par des vétérinaires et d’autres personnes possédant de l’expérience dans le domaine de la production animale pour l’agroalimentaire.

De plus, le membre Annis (comme il était, à l’époque) a exprimé les sentiments suivants, à la page 5 de sa décision :

Dans sa décision, la Commission n’accepte pas la prétention du requérant selon laquelle le fait de déterminer si un animal peut être transporté sans lui occasionner de souffrances indues devrait être fondé sur l’usage ou la coutume au sein de l’industrie. … En outre, tout usage de l’industrie qui tolérerait une situation de cruauté envers des animaux se ferait à son détriment et ne serait pas dans son meilleur intérêt.

[23] La Commission voudrait souligner que la preuve de souffrance d’un animal diffère d’une conclusion au sujet de souffrance indue. La Commission doit pondérer la preuve, surtout la preuve qui vient, comme discuté par l’ancien membre Annis, des « observations cliniques des infirmités de l’animal et des manifestations de détresse qui s’ensuivent et qui sont décrites par des vétérinaires et d’autres personnes possédant de l’expérience dans le domaine de la production animale pour l’agroalimentaire ».

[24] La « souffrance indue » est un terme juridique, en évolution interprétative. Comme la Commission a discuté dans E. Grof Livestock c. Canada (ACIA), 2014 CRAC 11, aux paragraphes 82 et 86 :

[82] Plus précisément, il ressort d’une lecture du paragraphe 26… de l’arrêt Porcherie des Cèdres [2005 CAF 59], que la Cour prête au mot « indues » quatre significations distinctes, plutôt que trois, et que la traduction anglaise de la décision rendue initialement en français pose un certain problème :

[26] [...] « inapproprié », « inopportun », « injustifié », « déraisonnable », « undeserved », « unwarranted », « unjustified », « unmerited ».

Bien que ces définitions semblent pouvoir poser des difficultés d’application, puisqu’elles correspondent à des degrés variables d’appréciation subjective, la Cour dans l’arrêt Doyon semble avoir adopté « inopportun » (inappropriate), « injustifié » (unjustified) et « déraisonnable » (unreasonable), à l’exclusion d’« inapproprié » (traduit par « undeserved » mais aussi couramment compris comme signifiant « incongru » ou « mal »). Par conséquent, la question de savoir si des souffrances sont inopportunes, injustifiées ou déraisonnables dépendra des faits de l’espèce.

[…]

[86] Compte tenu de ce qui précède, il incombe à la Commission de déterminer, selon la norme de la décision raisonnable et selon la prépondérance des probabilités, (a) si les souffrances étaient « inopportunes », « injustifiées » ou « déraisonnables », conformément à l’interprétation législative du mot « indues » dans l’arrêt Doyon, et (b) si ces souffrances inopportunes, injustifiées ou déraisonnables peuvent être reliées au transport de l’animal.

[25] En l’espèce, la Commission estime que ce n’est pas nécessaire de déterminer quelle définition de « souffrance indue » s’applique. Le transport d’une vache émaciée, en l’espèce, a causé une souffrance « inopportune », « injustifié » ou « déraisonnable », sans qu’il soit nécessaire de précisément définir ces mots. Même que la Commission reste avec responsabilité de définir ces mots, si les circonstances l’exigent, la Commission se félicite plus de direction de la Cour d’appel fédérale, en matière des définitions, et en général.

[39]         Réitérant le sentiment exprimé dans la décision Guy D’Anjou Inc., la Commission souhaite qu’il y ait davantage de directives judiciaires à cet égard, idéalement sans aucun degré important de déférence judiciaire : décision Ferme Alain Dufresne, précitée, aux paragraphes 41 à 46.

[40]         La Commission se doit également d’évaluer si l’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités, que les poules de réforme risquaient de se blesser ou de souffrir indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries, durant leur chargement ou leur transport et si, selon la prépondérance des probabilités, un tel risque de se blesser ou de souffrir indûment était présent lors de la partie du transport dont Maple Lodge Farms était responsable. L’une des répercussions de l’emploi des mots « blessure » et « souffrance indue » dans la disposition législative implique notamment que les poules de réforme pourraient être victimes d’une souffrance indue en raison d’une exposition indue au froid, indépendamment d’une blessure. En l’espèce, parmi les poules de réforme mortes que l’Agence a examinées, elle a aussi relevé des blessures.

[41]         Indépendamment de l’imprécision juridique des termes, qui attendent de plus amples précisions judiciaires, la Commission considère que la définition du mot « indu » est « inapproprié », « injustifié » ou « déraisonnable » et elle applique cette définition à la fois à la « souffrance » et à l’« exposition aux intempéries ». La Commission est d’avis que l’on ne peut pas faire valoir de manière raisonnable que les poules de réforme, dans les circonstances physiques dans lesquelles elles se trouvaient ainsi qu’en raison de leur exposition longue et continue à des températures inférieures à zéro, auraient pu faire autrement que souffrir indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries. Elle conclut de plus que cette souffrance indue a bel et bien eu lieu, avec le « risque » que, dans les circonstances, cette souffrance indue soit une quasi-certitude.

L’état des poules de réforme à l’installation de Brampton de Maple Lodge : le moment de la violation

[42]         Lorsque des remorques arrivent chez Maple Lodge Farms, des procédures établies permettent de relever ce que l’on appelle les [traduction] « cargaisons soumises à un stress ». Sur la foi de la preuve, la cargaison en l’espèce n’a pas été relevée comme une cargaison soumise à un stress, après un examen des oiseaux morts présents dans les conteneurs à roulettes. Il s’agissait d’un examen visuel fait par un employé de Maple Lodge Farms. Ces observations étaient accompagnées de la vérification de la température dans les cageots afin de vérifier s’il y avait eu des baisses marquées de la température pendant que la remorque se trouvait dans l’aire d’attente non chauffée. L’hypothèse est que les oiseaux, entassés comme ils le sont dans les cageots, génèreront ensemble assez de chaleur pour contrer les effets négatifs de la température extérieure. Il s’agit aussi d’une hypothèse de base dont on se sert pour justifier le transport des oiseaux dans des remorques non chauffées, indépendamment de la température à l’extérieur. L’employé en question n’a pas été appelé à témoigner par Maple Lodge Farms, ni contraint par la Commission à témoigner, à la suite d’une demande de l’Agence.

[43]         Quand les conteneurs à roulettes ont été déchargés, on a découvert qu’il y avait nettement plus de poules mortes que ne l’avait indiqué l’inspection visuelle initiale. Dans la mesure où il s’agit là d’une erreur de jugement de la part de l’employé de Maple Lodge Farms, même si l’on a fait par ailleurs preuve de diligence raisonnable et si cette dernière a par ailleurs été établie, ce fait perd toute pertinence dans un régime réglementaire de responsabilité absolue. Une question qui se pose est celle de savoir si l’état des poules au moment où on les a retirées des conteneurs à roulettes correspondait à un état qui avait eu lieu ou qui s’était poursuivi pendant que les poules se trouvaient dans les installations d’attente de Maple Lodge Farms. Une autre question consiste à savoir si l’on peut déterminer que cet état, selon la prépondérance des probabilités, correspond à une « exposition indue aux intempéries ». Une troisième question consiste à savoir si cette exposition indue aux intempéries, selon la prépondérance des probabilités, cause ou risque de causer une souffrance indue.

[44]         Au vu des faits de l’espèce, le fait de charger des poules de réforme à une température inférieure à zéro, suivi d’un retard de quatre heures avant que le véhicule de transport se mette en marche, tout en continuant d’exposer les poules à une température inférieure à zéro, semblerait indiquer, sur le fondement de ces seuls faits, qu’une exposition indue aux intempéries cause effectivement, ou risque de causer, une souffrance indue. Il est important de se souvenir que ce n’est pas la mort d’une poule, ou le nombre de poules mortes, qui détermine s’il y a eu une exposition indue aux intempéries à ce point importante qu’elle a causé ou risqué de causer une souffrance indue. Il est néanmoins possible d’extrapoler qu’un taux élevé de mortalité dû à une exposition à des températures inférieures à zéro, établi selon la prépondérance des probabilités, dénoterait que la cargaison en général est soumise, ou risque d’être soumise, à une souffrance indue en raison d’une exposition indue aux intempéries.

[45]         Du point de vue de Maple Lodge Farms, comme la Commission a déterminé que le contrôle qu’exerçait Maple Lodge sur le transport a débuté au moment où les remorques ont été garées dans l’aire d’installation de l’entreprise, la question consiste maintenant à voir ce que cette dernière aurait pu faire au sujet d’une cargaison qui était par ailleurs fragilisée, indépendamment du fait de savoir si elle avait des raisons de croire que c’était le cas. En d’autres termes, si l’on considère que Maple Lodge Farms est partie au transport entre le moment où les oiseaux sont livrés et celui où on les fait entrer dans l’installation pour abattage, qu’aurait-il été possible de faire pour éviter de commettre une violation?

[46]         On pourrait faire valoir que l’Agence est tenue d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que la situation dans laquelle se trouvaient les oiseaux a empiré à partir du moment où ils sont arrivés dans l’aire d’attente, où ils ont passé une période additionnelle de douze heures, dans des installations non chauffées, avant d’être déplacés dans l’installation en vue de leur abattage. En revanche, si la situation des oiseaux s’est améliorée à partir du moment de leur arrivée à Maple Lodge Farms, cette amélioration signifie-t-elle que l’on a éliminé, selon la prépondérance des probabilités, le fait ou le risque de souffrir indûment, en raison d’une exposition indue aux intempéries?

[47]         Selon le Dr Appelt, à l’instar des humains, une fois que le froid a causé un choc au système, il peut y avoir une certaine amélioration, mais non un rétablissement complet. En appliquant cette preuve au transport dont il est question en l’espèce, la Commission conclut que, selon la prépondérance des probabilités, les oiseaux ont souffert, ou risquaient de souffrir, indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries, pendant la période stationnaire qui a suivi le chargement. Selon la prépondérance des probabilités, leur état fragilisé n’aurait pas pu s’améliorer au point de ne plus souffrir indûment au cours du transport ou durant la période d’attente chez Maple Lodge Farms. En raison des quatre heures d’exposition stationnaire à des températures inférieures à zéro, il n’aurait pas fallu déplacer la cargaison. Si l’abattage était la seule option qui permettait d’atténuer la souffrance, il aurait fallu qu’il ait lieu près du lieu de transport, plutôt que de transporter les animaux vers le nord, à travers les États-Unis, jusqu’au Canada. Cependant, à ce stade, Maple Lodge Farms, de l’avis de la Commission, n’est pas partie au transport.

[48]         Une question qui se pose, une fois que la cargaison fragilisée est arrivée chez Maple Lodge Farms et que, à ce moment, celle-ci est devenue partie au transport, est celle de savoir si Maple Lodge Farms aurait pu prendre des dispositions quelconques pour éviter de commettre une violation à ce stade. Est-ce que l’arrivée d’une cargaison compromise, indépendamment de ce que Maple Lodge Farms savait du degré de compromis signifie que cette dernière a donc commis une violation? La réponse à cette question est « oui ».

[49]         Maple Lodge Farms se trouve dans la situation peu enviable d’être incapable d’éviter de commettre une violation, une fois qu’elle se trouve en possession d’une cargaison compromise, c’est-à-dire une cargaison associée à des blessures ou à des souffrances indues, réelles ou possibles, en raison d’une exposition indue aux intempéries. Même l’abattage immédiat de la cargaison ne serait peut-être pas suffisant pour éviter de commettre une violation de responsabilité absolue.

[50]         De toute façon, au vu des faits, l’abattage immédiat n’était pas une option. Pour ce qui est des horaires de transformation, il ressort de la preuve que la remorque est arrivée à un moment où les installations d’abattage ne fonctionnaient pas, car il y a un quart de travail de huit heures au cours duquel on procède à leur nettoyage. Il s’agit peut-être là d’une pratique sanitaire nécessaire pour Maple Lodge Farms mais, dans l’intérêt public général, cette pratique met cette dernière dans une position où elle n’aurait pas pu atténuer la souffrance des animaux à cause de son propre système de transformation, même en étant au courant de la nature et du degré de compromis de la cargaison. Il n’y avait en place aucune stratégie de transformation d’urgence, pour s’occuper des cargaisons compromises qui arrivaient au cours du « quart de désinfection ».

[51]         La connaissance qu’avait Maple Lodge Farms de la cargaison compromise, au moment du chargement et avant le début du transport, n’a pas été établie. Dans un régime de responsabilité absolue, l’absence d’une telle connaissance n’aide pas la cause de Maple Lodge Farms. Cette dernière se serait trouvée dans une meilleure position, par rapport au fait d’éviter de commettre une violation, si elle avait été au courant plus tôt de la cargaison compromise; elle aurait ainsi pu refuser de l’accepter et éviter d’être partie à la violation. Par exemple, Maple Lodge Farms aurait pu refuser la cargaison et suggérer au transporteur d’orienter la cargaison vers le l’abattoir le plus proche. Cela oblige de manière pratique Maple Lodge Farms à se tenir au fait de la situation et de la progression d’une cargaison, qu’elle exerce un contrôle sur cette dernière ou non à ce stade.

[52]         Le fait que Maple Lodge Farms ait tenu pour acquis que l’état des oiseaux s’était peut-être amélioré après qu’elle avait pris le contrôle du transport n’est pas vraiment pertinent, si les oiseaux arrivent dans un état compromis, comme l’a conclu la Commission. Autrement dit, pour évaluer si une violation a été commise, on ne part pas du moment où les oiseaux ont été livrés à Maple Lodge Farms; on examine plutôt l’état des oiseaux à leur arrivée, par rapport aux effets subis lors de leur transport. À cet égard, l’une des raisons qu’a invoquées Maple Lodge Farms à l’appui de sa demande de révision était que les oiseaux n’avaient pas souffert indûment à partir du moment où Maple Lodge Farms en avait eu la garde et le contrôle. Comme il a été signalé, la Commission est d’avis que, sous l’angle d’une violation de responsabilité absolue, la question en litige est liée à l’état dans lequel se trouvaient les oiseaux au moment de leur arrivée chez Maple Lodge Farms, plutôt qu’à la qualité du soin dont Maple Lodge Farms a fait montre par la suite.

[53]         La conclusion qui précède est semblable aux décisions que la Cour d’appel fédérale a ordonné à la Commission de rendre à l’égard des voyageurs qui, a-t-on jugé, ont enfreint une interdiction d’importer des produits alimentaires particuliers. L’infraction est associée au fait qu’un voyageur se présente à la frontière canadienne et ne déclare pas qu’un produit interdit se trouve dans ses bagages. La manière dont le produit s’est retrouvé dans ses bagages, que ce soit à cause de l’insouciance ou de la négligence d’un membre de la famille qui s’est occupé de faire les bagages ou pour une autre raison, importe peu. Il fut un temps où la Commission pensait que l’intervention d’une tierce personne était un moyen de défense raisonnable, comme une explication digne de foi selon laquelle un membre de la famille avait mis dans les bagages l’article interdit, à l’insu du présumé contrevenant. Après tout, comment peut-on déclarer la présence d’un article qui se trouve dans ses bagages si l’on ignore qu’il s’y trouve? La Cour d’appel fédérale a infirmé les décisions que la Commission avait rendues dans deux affaires de cette nature : Canada (Procureur général) c. El Kouchi, 2013 CAF 292 (infirmant El Kouchi c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRAC 12) et Agence des services frontaliers du Canada c. Castillo, 2013 CAF 271 (infirmant Castillo c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2012 CRAC 22). Comme l’a signalé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Castillo, au paragraphe 24 (le juge Near; la juge Sharlow et le juge Mainville ont souscrit au résultat) :

24. Monsieur Castillo n’était peut-être pas au courant que le poulet se trouvait dans son bagage, mais cela ne lui est d’aucun secours vu le libellé des dispositions et l’intention claire du législateur d’instaurer un régime de responsabilité absolue pour ce genre de violations. Comme notre Cour l’a déjà dit, le régime de SAP peut être sévère (Westphal-Larsen [Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) c Whestphal-Larsen, 2003 CAF 382], paragraphe 12), mais le législateur voulait clairement qu’il le fût, vu l’important objectif qui consiste à protéger le Canada de l’introduction de maladies animales étrangères.

[54]         Au cours de ses délibérations sur le moyen de défense fondé sur un [traduction] » acte causé par autrui » dans l’affaire El Kouchi, (El Kouchi c. Canada (Agence des services frontaliers du Canada), 2013 CRAC 12), la Commission a fait état d’une rupture de la chaîne de causalité, invoquant en partie deux de ses décisions portant sur la responsabilité à l’égard de blessures ou de souffrances indues dans le cas du transport d’animaux. Comme l’a déclaré la Commission, au paragraphe 36 de la décision El Kouchi :

[34]            De plus, dans les cas d’Exceldor c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 9 et d’Exceldor c. Canada (ACIA), 2013 CRAC 10, la Commission a jugé que, si la causalité directe a été brisée par une tierce partie, il est impossible de trouver le lien de causalité nécessaire pour fonder une contravention sous la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et son Règlement.

[55]         Exceldor Coopérative est une entreprise d’abattage québécoise. La Commission a formé un certain nombre de ses opinions sur le contrôle ou l’absence de contrôle dans le cas des activités de transport, et des conséquences qui y sont associées, en rapport avec les affaires Exceldor. Dans la décision Exceldor Coopérative c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments) 2014 CRAC 8 (ci-après, Exceldor (2014)), la Commission a passé en revue ces éléments de manière détaillée. À l’instar de la présente espèce, l’affaire concernait des remorques chargées de poulets (décrits ainsi et, vraisemblablement, des oiseaux autres que des poules de réforme) laissés pendant un certain temps dans la chaleur, et dont un certain nombre étaient morts, avant l’abattage. La position d’Exceldor, uniquement à titre d’abattoir par rapport au transport, ressemble à celle qu’invoque Maple Lodge Farms et à laquelle souscrit la Commission en l’espèce. Il est important de citer ici un long extrait de la décision Exceldor (2014), sous l’angle des répercussions du raisonnement qui y est exposé sur la présente affaire. Dans la décision Exceldor (2014), la Commission a écrit :

[32] Quant au quatrième élément, Exceldor a-t-elle transporté, ou fait transporter, les animaux en question? Même si la violation prévue à l’alinéa 143(1)d) du RSA traite du transport des animaux, cela ne veut pas dire que seuls les transporteurs d’animaux sont concernés (p. ex. : Glenview Livestock Ltd. c. Agence canadienne d’inspection des animaux, RTA‑60162 (2005)). Dans de tels cas, il est relativement facile pour l’Agence de s’acquitter de son obligation de démontrer que la demanderesse avait « transporté » les animaux. En espèce, Exceldor n’est pas un transporteur au sens habituel, mais plutôt un parti responsable des oiseaux une fois qu’ils arrivent à l’abattoir.

[33] La Commission se fonde sur cinq de ses propres décisions – Volailles Grenville Inc. c. L’Agence canadienne d’inspection des aliments, RTA‑60277 (2007) (Volailles); Sure Fresh Foods Inc. c. Canada (ACIA), 2010 CRAC 016 (Sure Fresh); Exceldor Coopérative c Canada (ACIA) (2013 CRAC 4) (Exceldor 2013 CRAC 4); Exceldor Coopérative c Canada (ACIA) (2013 CRAC 9) (Exceldor 2013 CRAC 9) et Exceldor Coopérative c Canada (ACIA) (2013 CRAC 10) (Exceldor 2013 CRAC 10) – lesquelles portaient toutes sur certains faits semblables à ceux de la présente affaire. Dans ces dossiers, la Commission devait déterminer si un abattoir pouvait « transporter ou faire transporter des poulets » alors qu’ils étaient gardés à l’abattoir dans l’attente de leur abattage. Dans les décisions Volailles, Exceldor 2013 CRAC 9, et Exceldor 2013 CRAC 10, la Commission a estimé que l’abattoir demandeur n’avait pas de contrôle ou influence quant à la façon dont les oiseaux ont été mis en cageots, chargés dans le camion ou transportés. De plus, les actes commis par les abattoirs demandeurs durant les périodes d’attentes entre l’arrivée des animaux et leur abattage n’étaient pas suspects. En conséquence, la Commission a, dans ces affaires, rejeté le procès-verbal délivré à l’encontre de l’abattoir.

[34] Cependant, dans l’affaire Sure Fresh, la Commission s’est exprimée sur ce point au paragraphe 34 :

[34] La Commission conclut que la preuve présentée suffit à déterminer que Sure Fresh avait un contrôle et une influence suffisants pour « transporter ou faire transporter » les poulets de la cargaison C150, même s’il en a été ainsi seulement à la fin du transport des poulets. La Loi sur la santé des animaux et le Règlement sur la santé des animaux prévoient des règles pour le transport sans cruauté des animaux. À cette fin, les règles relatives au « transport » sûr d’un animal doivent notamment régir les activités impliquant le déplacement des animaux, lesquelles, hormis l’existence de circonstances spéciales, comprennent le chargement, le déplacement et le déchargement d’un animal, dans un véhicule de transport. Étant donné une définition aussi large de l’expression « transporter ou faire transporter », il est concevable qu’un certain nombre de parties – les producteurs, les transporteurs et même les enceintes de mise aux enchères et les abattoirs – puissent « transporter ou faire transporter un animal ».

[35] La Commission s’est également exprimée sur ce point au paragraphe 37 de l’affaire Exceldor 2013 CRAC 4 :

[37] Qui plus est, les éléments de preuve fournis par l’Agence et Exceldor démontrent clairement qu’Exceldor exerce un contrôle important sur la sélection et le temps de livraison des envois de volailles à son abattoir. De plus, dans la lettre du 12 juillet 2012, M. Cormier constate que « Sans tarder, Exceldor a mis les remorques sous le dôme afin de protéger la volaille des intempéries » (emphase ajoutée). Mais en même temps, sachant qu’il y avait peut-être les soucis avec ces envois, Exceldor n’a ni examiné les oiseaux dans les remorques, ni accéléré leur abattage. De ce fait, la Commission tire la conclusion du fait qu’Exceldor exerçait effectivement un pouvoir et un contrôle suffisants sur l’envoi de poulets en attente dans sa cour le 17 novembre 2010, et que, au sens du Règlement sur la santé des animaux, elle a effectivement fait transporter le chargement des oiseaux. Par conséquent, les éléments 1, 2 et 3 ont été démontrés par l’Agence.

[36] En outre, la CAF a prêté un sens élargi semblable au terme « au cours du transport », dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ouellet, 2010 CAF 268, où elle était d’avis que « le transport » continue durant la période où les animaux se trouvent dans le camion (paragraphe 2).

[37] Aussi dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Denfield Livestock Sales Limited, 2010 CAF 36 (Denfield), la Cour d’appel fédérale s’est exprimée sur la signification des mots « retirer ou faire retirer un animal » qui figurent à l’article 176 du RSA. Quoiqu’il ne s’agisse pas de l’article concerné dans la présente affaire, l’analyse que la Cour a faite sur la signification du libellé, lequel est semblable à celui de l’alinéa 143(1)d), est révélatrice. La CAF, dans l’arrêt Denfield, a statué qu’une enceinte de mise aux enchères exerçait un pouvoir et un contrôle suffisant sur le déplacement d’un animal pour que l’on puisse considérer qu’elle fait retirer l’animal au sens de l’article 176 (paragraphes 18, 29 et 31).

[38] En espèce, le même type de logique peut s’appliquer. Exceldor avait un contrôle suffisant sur les mouvements des poulets dans la remorque C136. Premièrement, toute la transaction de vente des 8070 poulets de la remorque C136 est enregistrée sur un connaissement d’Exceldor (onglet 3 du Rapport). Une fois les poulets arrivés à l’abattoir, Exceldor exerçait le contrôle sur les poulets. Me Paquet, dans sa lettre du 9 septembre 2013, constate que « …dès son arrivée, la remorque contenant les oiseaux a été entreposée dans le hangar de l’usine numéro 311 conformément aux procédures indiquées dans le Code du bien‑être d’Exceldor jugé satisfaisant par l’ACIA ». En outre, durant la période d’attente à l’abattoir, Exceldor exerçait, par le biais de ses employés, un contrôle de la remorque contenant les poulets. Elle exerçait ce contrôle de deux façons : le pouvoir de déterminer la priorité à l’abattage et la vérification des conditions d’attente. Le document à l’onglet 6 du Rapport montre que ces employés d’Exceldor ont vérifié l’abri où se trouvaient les poulets et même les cages à trois reprises (13 h, 15 h, et 16 h) et qu’ils savaient que la température montait au-dessus de 30 ⁰C. Bien entendu à partir de 15 h, ils ont mis en marche des brumisateurs. De ces faits, la Commission tire la conclusion qu’Exceldor exerçait effectivement un pouvoir et un contrôle suffisants sur l’envoi de poulets en attente sur ces lieux le 31 juillet 2012, et qu’elle a effectivement fait transporter, au sens du RSA, le chargement d’oiseaux. Par conséquent, le quatrième élément est prouvé par l’Agence.

[39] Quant au cinquième élément, l’Agence doit prouver qu’il existait un lien de causalité entre le transport des animaux effectué par le contrevenant, ou en son nom, dans lequel l’animal risquait de se blesser ou de souffrir indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries, et l’exposition aux intempéries. Étant donné qu’il s’agissait d’une journée très chaude et humide et qu’un grand nombre de poulets étaient empilés les uns sur les autres dans des cageots, il existait un risque réel que ces animaux se blessent ou souffrent indûment lors de leur transport, y compris pendant la période d’attente à Exceldor avant leur abattage. La remorque est arrivée sur les lieux d’Exceldor à 11 h 25, alors que la température extérieure s’élevait à environ 30 °C, et elle était stationnée dans le grand parc sous un abri et avec des ventilateurs. L’inspection primaire par les employés d’Exceldor a eu lieu à 13 h 10, presque deux heures après l’arrivée de la remorque. Lors de l’inspection primaire, la température de l’abri s’élevait à 29 °C, ce qui aurait dû donner lieu à des actions correctives, telles qu’indiquées dans le rapport d’inspection, mais ce n’est pas ce qui s’est produit. Par exemple, Exceldor aurait pu proposer comme mesures correctives à ce moment-là de mettre la remorque en circulation, ou de mettre en marche plus de ventilation et de brumisation dans l’abri. Presque deux heures plus tard, à 15 h, la température à l’abri s’élevait à 31 °C, et la température dans les cageots a augmenté à 34 °C. Mais c’était trop tard. Les mesures correctives mises en marche à ce moment‑là (les brumisateurs) n’ont eu pour effet que d’abaisser la température dans les cageots de seulement 1 °C. Les poulets, qui avaient déjà très chaud, n’ont été déchargés pour l’abattage qu’après 17 h.

[40] Me Paquet, dans sa lettre du 9 septembre 2013, soutient que beaucoup de poulets dans la remorque C136 étaient en mauvaise condition et qu’en conséquence ils avaient « … une prédisposition à mourir résultant de conditions physiques préexistantes … ». Il y a très peu d’éléments de preuve pour appuyer cet argument. Les éléments qui ont été fournis au soutien de cet argument n’ont aucune base scientifique et n’ont pas été élaborés par un expert. Cet argument n’a donc que très peu de valeur probatoire en raison des preuves contradictoires soumises. Par contre, selon les éléments de preuve soumis par l’Inspecteur Maurice et le Dr Vaillancourt, les poulets morts ont tous souffert d’hyperthermie. Dans son rapport de nécropsie, à l’onglet 8--des photographies à l’onglet 9 confirment ce point également--, le Dr Vaillancourt a conclu que de nombreux poulets sont morts d’hyperthermie et il a même constaté une température interne de 43 °C sur la carcasse d’un oiseau mort depuis plusieurs heures.

[41] Selon le critère énoncé à l’alinéa 143(1)d) du RSA, il suffit qu’un animal « risque » de se blesser ou de souffrir indûment en raison d’une exposition indue aux intempéries. La Commission estime que, selon la prépondérance des probabilités, la preuve démontre qu’Exceldor, en ne procédant pas au traitement des volailles avec la diligence requise, est responsable directement ou en relation de cause à effet de leurs blessures ou souffrances indues, ou du risque de blessures ou de souffrances indues, provoquées par une exposition prolongée à une température élevée. Vu la température élevée enregistrée cette journée‑là, et la montée rapide de la température dans les cageots entre 13 h et 15 h, les employés d’Exceldor auraient dû prendre des mesures correctives pour éviter la hausse de mortalité dans la remorque C 136.

[42] Exceldor fait valoir qu’elle a suivi les pratiques de l’industrie, comme elles sont décrites dans le Code de pratiques recommandées pour le soin et la manipulation des animaux de ferme – Poulets, dindons et reproducteurs du couvoir à l’abattage [sic] du Conseil de recherches agroalimentaires du Canada (« le Code »), qui se trouve dans le Rapport de l’Agence, onglet 12. Le Code souligne les responsabilités des « chauffeurs », ou dans ce cas, leurs analogues, à l’égard des volailles qui arrivent dans des conditions météorologiques difficiles et recommande une surveillance et un traitement continu. Le chargement de poulets aurait certainement répondu à cette définition s’il avait été inspecté par Exceldor et si des mesures correctives avaient été prises dès son arrivée à l’abattoir et non près de deux heures plus tard. Le Code donne, aux alinéas 5.3.4 et 5.4.3, les lignes directrices suivantes :

5.3.4 Il faudrait maintenir la température de l’air dans un chargement de volailles entre 5 °C (42 °F) et 30 °C (86 °F). Il y aurait intérêt à mettre au point et à installer des dispositifs de surveillance continue de l’environnement dans les remorques transportant des oiseaux vivants afin que les chauffeurs [ou d’autres intervenants] puissent intervenir efficacement en se fiant à cette information et à leur expérience.

[…]

5.4.3 Le froid et la chaleur extrêmes peuvent affecter gravement les oiseaux. […] Ils doivent être surveillés de près, et la protection contre les intempéries devrait être ajustée si nécessaire afin d’accroître la ventilation.

[43] En l’espèce, Exceldor avait l’obligation, selon le Code et le RSA, de surveiller l’envoi de poulets et de s’assurer qu’ils ne subiraient ni blessure ni souffrance, et puisque les employés savaient que le temps d’attente avant l’abattage était assez long, ils avaient une responsabilité élargie. Rien dans la preuve n’établit qu’Exceldor répondait à d’autres chargements en priorité cette journée‑là et il appert qu’elle a suivi l’ordre de l’abattage, tel qu’il était prévu.

[44] Quant au cinquième élément, la Commission est convaincue, en l’espèce, que la preuve démontre qu’il existe un lien causal entre, d’une part, le transport ‑ y compris l’attente à l’abattoir ‑, et les souffrances indues ou un risque clair de telles souffrances et, d’autre part, l’exposition indue des oiseaux aux intempéries.

[56]         Dans les extraits de la décision Exceldor (2014) qui précèdent, il semble que la cargaison n’était pas compromise avant qu’Exceldor en assume le contrôle. L’état compromis, c’est-à-dire le moment où les blessures ou les souffrances indues sont devenues probables, semble être survenue après qu’Exceldor eut assumé le contrôle de la cargaison, en raison d’un temps d’attente excessif, avant l’abattage. En l’espèce, la Commission a conclu que l’Agence a établi, selon la prépondérance des probabilités, que le risque de blessure ou de souffrance indue avait commencé au moment du chargement initial des oiseaux. Cela signifie que Maple Lodge Farms, à partir du moment où elle a assumé le contrôle de la cargaison, est responsable de l’état de cette dernière, quel qu’il soit, à ce moment-là. Le fait de savoir s’il y a lieu d’activer l’abattage d’une cargaison particulière, de même que les diverses tentatives destinées à surveiller la température des cageots, deviennent donc peu pertinents. Comme il a été mentionné, dans ces circonstances, s’il a été établi plus tôt que les oiseaux risquaient de se blesser ou de souffrir indûment, la seule option qu’avait Maple Lodge Farms, pour éviter de commettre une violation de responsabilité absolue, était de refuser la cargaison. Cela oblige Maple Lodge Farms, à titre d’abattoir destinataire, à s’informer des conditions du transport, avant d’assumer le contrôle de la cargaison, si elle souhaite réduire au minimum la possibilité d’être partie à une violation de responsabilité absolue. Dans les circonstances de l’espèce, si Maple Lodge Farms avait été informée des retards subis au moment du chargement ainsi que du transport à des températures inférieures à zéro, elle aurait pu informer l’éleveur de poulets et le transporteur qu’il fallait annuler le transport. Dans les circonstances, la solution la moins cruelle aurait été d’abattre les oiseaux sur place, pour atténuer la souffrance déraisonnable ou indue causée par le fait de rester stationnaire à des températures inférieures à zéro pendant une période de quatre heures environ.

La valeur de la vie d’une poule de réforme

[57]         Dans les affaires de ce genre, la décision de savoir s’il y a lieu de faire enquête sur une cargaison particulière dépend généralement du pourcentage de poulets morts que l’on découvre. Cependant, comme l’a fait remarquer la Commission dans la décision Poirier‑Bérard c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2012 CRAC 23, au paragraphe 61, au sujet de la négligence par rapport à une évaluation de la gravité, il n’y a pas de distinction sur le plan législatif entre la vie d’un poulet, au regard de l’article 143 du Règlement sur la santé des animaux, et celle de n’importe quel autre animal :

[61] En l’espèce, Poirier-Bérard a admis qu’il y a toujours un taux de mortalité de volailles suivant leur transport. On doit poser la question suivante à l’Agence—et selon cette dernière, c’est une preuve de négligence — : Le pourcentage de mortalité est-il plus élevé qu’à la normale? Selon la Commission, le taux de mortalité n’est pas pertinent. Si un seul coq, parmi tous les autres, est retrouvé mort gelé, le lien avec la négligence est qu’il revient à Poirier‑Bérard de décider s’il procède ou non au transport des volailles par un froid extrême. Même si le transport des volailles par un froid extrême est une pratique de l’industrie, la pratique elle‑même pourrait être considérée comme étant de la négligence. Une volaille doit être traitée de la même façon qu’une vache. Si le législateur fédéral veut faire une exception à cause du type d’animal, il peut le faire. Or, à ce jour, le législateur n’a pas créé une telle exception. Cependant, au paragraphe 138(3) de l’article 138, la Commission remarque que le législateur a créé une exception pour les poussins :

138. (3) L’alinéa (2)b) ne s’applique pas aux poussins de toute espèce, si la durée prévue de leur isolement est inférieure à 72 heures à partir du moment de l’éclosion.

Il n’y a aucune exception semblable à l’article 143.

[58]         Compte tenu de ce qui précède, il est possible de conclure qu’une souffrance indue en raison d’une exposition indue aux intempéries, associée à la commission d’une violation du Règlement sur la santé des animaux, n’est pas associée non plus à la taille de l’animal, au pourcentage d’animaux morts ou à la mort elle-même. La Commission garde à l’esprit les directives qu’a données la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Procureur général du Canada c. Stanford, 2014 CAF 214 (la juge Dawson; la juge Sharlow et le juge Near ont souscrit au résultat), relativement à la manière d’évaluer les dispositions législatives sous l’angle du texte, du contexte et de l’objet de la loi.

[59]         La Commission est consciente qu’il y a des limites au pouvoir de réglementation. Dans son long exposé final, d’une durée de plus de cinq heures, dans l’affaire Ferme Alain Dufresne, précitée, Me Alexandre Dufresne, l’avocat de Ferme Alain Dufresne, a fait une revue détaillée du concept de l’interprétation législative et des arguments connexes. La Commission regrette de ne pas avoir exigé que les observations finales soient présentées par écrit, comme en l’espèce. Pour autant qu’elle le sache, les observations exceptionnelles de Me Dufresne n’existent que sous forme enregistrée, et elles n’ont été ni transcrites ni traduites de la langue d’origine, le français.

[60]         Me Dufresne a fait référence aux plusieurs sources montrant qu’on ne peut pas se servir de dispositions réglementaires pour détruire une industrie et que, à cet égard, des dispositions réglementaires qui limitent les activités d’une entreprise doivent être interprétées en premier lieu comme des dispositions législatives subsidiaires à des lois généralement habilitantes, ou à des activités qui sont légalement autorisées. La Commission souscrit en général à ces sentiments. Un législateur ne peut pas éliminer une industrie ou des activités industrielles principales par voie de réglementation. Il ne peut pas faire indirectement ce qu’il décide de ne pas faire directement. S’il souhaite éliminer une industrie ou interdire des activités particulières de cette industrie, il doit le faire explicitement. C’est le cas, par exemple, de ceux qui considèrent que le transport et la transformation des poules de réforme est une activité particulièrement cruelle, et qui souhaitent voir interdire certaines pratiques de l’industrie. Il faut que cette interdiction soit législativement explicite.

[61]         La présente décision ne doit pas donc être interprétée comme interdisant de façon générale une pratique de l’industrie. Il n’en demeure pas moins que, à l’heure actuelle, il est légalement permis de transporter des poules de réforme, sur de longues distances et par n’importe quel type de temps. Il est aussi légalement permis de transporter des poules de réforme dans des situations où elles risquent de souffrir indûment ou, en fait, souffrent indûment, et où cette souffrance indue n’est pas associée à une exposition indue aux intempéries.

[62]         Il est également un fait, comme il a été signalé dans la preuve présentée dans le cadre du procès criminel de Maple Lodge Farms, qu’il y aura toujours des poules de réforme qui mourront lors de leur transport. C’est pour cette raison que la violation comporte les mots souffrance « indue » et exposition « indue » aux intempéries. La majorité de ces types de transport peuvent se poursuivre, sans qu’une violation quelconque soit commise, en l’absence d’une interdiction législative précise ou d’un resserrement des exigences législatives en faveur de meilleures conditions de transport. À titre d’exemple, il est loisible à un législateur d’exiger que l’on transporte les poules de réforme dans des remorques chauffées quand la température est inférieure à zéro. Aucun législateur ne l’a fait.

L’évaluation de la gravité

[63]         Comme il a été signalé, la sanction imposée à Maple Lodge Farms a été majorée de 30 %, compte tenu des critères à prendre en considération en vue d’établir la cote de gravité de la violation. La nature des calculs de ces cotes de gravité a été analysée en détail dans un certain nombre de décisions de la Commission, comme A.S. L’Heureux Inc. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2014 CRAC 17, aux paragraphes 25 à 33. Dans le cas de Maple Lodge Farms, la majoration s’explique par une cote de gravité de 13 points. Cinq points ont été imposés parce que Maple Lodge Farms avait commis plus d’une violation au cours des cinq années antérieures - 38 violations antérieures sont mentionnées. Cinq autres points ont été imposés parce qu’il s’agissait d’une violation causant un tort grave à un animal. La Commission souscrit à ce résultat.

[64]         Trois points de plus sont imposés parce que la violation a été commise par négligence. La Commission ne souscrit pas à ce résultat. Après avoir examiné les éléments de preuve, elle est d’avis que Maple Lodge Farms a fait ce que tout transformateur raisonnable aurait fait à partir du moment où la cargaison est arrivée dans ses installations. Elle a été laissée dans une aire non chauffée pendant douze heures, mais Maple Lodge Farms croyait raisonnablement, après avoir vérifié la température des cageots, que les poules de réforme n’étaient pas exposées à un risque tel qu’il était nécessaire de procéder à leur abattage immédiat. Vu l’importance qu’elle accordait à un moyen de défense fondé sur l’absence de contrôle, Maple Lodge croyait qu’il ne lui appartenait pas de vérifier l’état de la cargaison entre le moment de son chargement aux États-Unis et son arrivée à Brampton. Comme il a été mentionné plus tôt, en agissant ainsi, Maple Lodge Farms s’est privée d’une possibilité de refuser ce qui était en fait une cargaison fragilisée, ce qui l’a amenée à commettre une violation dès l’acceptation de la cargaison. De tels actes ne sont pas assimilables à de la négligence. Étant donné l’absence d’une obligation juridique fondée sur le contrôle, toute indifférence de la part de Maple Lodge Farms quant aux circonstances entourant le transport ne peut pas être considérée non plus comme une forme d’aveuglement volontaire, ou un degré d’inaction assimilable à une intention. La Commission reconnaît que si elle avait jugé nécessaire d’évaluer l’argument subsidiaire de Me Tausky quant au fait de « faire transporter un animal », elle aurait pu considérer sous un angle différent les obligations de Maple Lodge Farms.

[65]         Compte tenu des preuves et des arguments exhaustifs de Maple Lodge Farms, la Commission est d’avis que, en l’espèce, elle a fait preuve de diligence raisonnable pendant la période où les poules de réforme étaient placées sous son contrôle. Maple Lodge Farms a résumé sa conduite comme suit (observations finales de Me Folkes, au paragraphe 98) :

[traduction[…] Toutes les mesures raisonnables ont été prises avec célérité et prudence, conformément aux normes de l’industrie, pour atténuer les effets néfastes des conditions atmosphériques, et ce, en se fondant sur les faits, que le personnel de MLF connaissait raisonnablement au moment de l’arrivée de la remorque D-74. Celle-ci a été mise dans une grange d’attente protégée. Elle a été contrôlée une fois l’heure pendant la période d’attente. Il n’y a eu aucune erreur humaine de la part du personnel de MLF, y compris un mauvais bâchage et une protection inadéquate des oiseaux à l’intérieur de la grange d’attente, une attente excessive ou du matériel ou des processus de protection de piètre qualité. Le personnel de contrôle de MLF a suivi les protocoles énoncés dans les feuilles de contrôle des cargaisons, et la preuve n’a révélé aucune erreur humaine de la part de MLF.

Après avoir examiné les éléments de preuve, la Commission souscrit de manière générale, selon la prépondérance des probabilités, à la manière dont Maple Lodge Farms évalue sa conduite, après avoir reçu la cargaison et en avoir ainsi assumé le contrôle. De plus, compte tenu de ces pratiques, si l’on ne prenait en compte que la période durant laquelle les oiseaux ont été soumis au contrôle de Maple Lodge Farms, il serait nettement plus difficile de déterminer si les poules de réforme ont été indûment exposées aux intempéries durant cette période.

[66]         Cela n’excuse pas Maple Lodge Farms d’avoir commis la violation, dans des circonstances où le fait d’exercer une diligence raisonnable n’a rien à voir avec celui de commettre une violation de responsabilité absolue, mais permet peut-être d’amoindrir la sanction. Même si le nombre de poules de réforme mortes a été nettement supérieur à celui qu’un employé de Maple Lodge Farms avait évalué au départ, cette estimation reposait  sur une technique d’estimation de la température des cageots qui, d’après Maple Lodge Farms, était un substitut fiable à des mesures directes de la température, et indépendamment de toute conclusion claire quant au moment où les poules de réforme étaient réellement mortes. Comme l’a fait remarquer le Dr Appelt, il serait possible de régler aisément les différends que suscite l’efficacité d’une telle technique en mettant simplement en place des thermomètres dans les remorques ou dans les cageots. On ne peut pas conclure que Maple Lodge Farms a été négligente pour avoir suivi ce que l’on croit raisonnablement être un substitut fiable à des mesures aussi directes de la température. Toutefois, il a été signalé dans la preuve qu’il existe bel et bien une technique qui permet d’enregistrer la température de manière plus précise lors du transport d’animaux. La Commission n’a pas été saisie d’une preuve concernant les pratiques générales que suit l’industrie à cet égard.

[67]         Puisque la Commission a conclu que Maple Lodge Farms n’a pas été négligente, les points de gravité additionnels sont de 10, plutôt que de 13. Conformément à l’annexe 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (DORS/2000‑187), une cote de gravité qui se situe entre 6 et 10 ne donne lieu à aucune augmentation ou réduction de la sanction pécuniaire. La Commission conclut donc que la sanction pécuniaire imposée en l’espèce devrait être de 6 000 $, et non de 7 800 $.

Conclusion

[68]         La Commission statue donc, par ordonnance, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse a commis la violation dont il est fait état dans l’avis de violation 1213ON0387 daté du 19 juin 2013, même si elle a fait preuve de diligence raisonnable dans les circonstances, et qu’elle est donc tenue de payer à l’intimée, l’Agence canadienne d’inspection des aliments, une sanction pécuniaire de 6 000 $ dans les trente (30) jours suivant la date de signification de la présente décision.

Fait à Ottawa (Ontario), en ce 14e jour de mars 2016.

 

 

_____________________________________________

Bruce La Rochelle, commissaire


ANNEXE 1

 

 

 

 

 

 

 

Date: 20150119

Dossiers: CART/CRAC‑1728 et 1729

 

 

 

 

 

 

 

 

ENTRE :

 

 

 

 

 

 

 

Maple Lodge Farms Ltd., demanderesse

 

 

 

 

 

‑ et ‑

 

 

 

 

 

Agence canadienne d’inspection des aliments, intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DEVANT :

Bruce La Rochelle, membre

 

 

 

 

 

 

 

 

AVEC :

Me Ronald E. Folkes, avocat de la demanderesse; et

 

Me Jacqueline Wilson, avocate de l’intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Affaire intéressant la forme de présentation des conclusions relatives aux dossiers CART/CRAC‑1728 et CART/CRAC‑1729.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

 

 

L’avocat de la demanderesse et l’avocate de l’intimée soumettront par écrit seulement leurs conclusions finales relatives aux dossiers CART/CRAC-1728 et CART/CRAC-1729. Celles-ci devront parvenir à la Commission dans les dix jours ouvrables suivant la fin de la présentation de la preuve dans les deux dossiers et, le cas échéant, avant 17 h le dernier jour du délai.

 

 

 

 

 

 

 

.


MOTIFS

[1]              Au moment de la rédaction des présents motifs, six journées d’audience ont été tenues pour les deux demandes de révision présentées par la demanderesse, Maple Lodge Farms Ltd. (« Maple Lodge Farms »). La première partie de ces journées d’audience a eu lieu du 15 au 17 octobre 2014 et la seconde, du 7 au 9 janvier 2015 inclusivement. Les avocats des parties sont d’avis qu’il faudra encore au moins quatre jours d’audience pour terminer la présentation de la preuve, mais ils ne s’entendent pas quant au maximum de jours nécessaires. La preuve dans les deux dossiers est très complexe et détaillée et comporte une analyse complète de l’interrogatoire principal et du contre-interrogatoire des témoins. De plus, la preuve vétérinaire qui a été présentée jusqu’à maintenant ou qui le sera ultérieurement est substantielle et comporte ou devrait comporter elle aussi une analyse complète des interrogatoires principaux et des contre-interrogatoires.

[2]              À l’issue de la seconde partie de journées d’audience, la Commission a discuté avec les avocats de la question de la présentation par écrit des conclusions finales. M. Folkes, qui représente Maple Lodge Farms, a informé la Commission qu’il ne s’opposait pas à ce que les conclusions finales soient présentées par écrit, mais qu’il voulait conserver le droit de présenter de vive voix des arguments en réponse. M. Folkes a mentionné que cette façon de faire concordait avec la démarche adoptée par le tribunal dans une cause qu’il avait récemment plaidée, mais qu’il n’a pas précisée. La Commission souligne que cette démarche serait, quoi qu’il en soit, compatible avec la façon de faire de madame la juge Kastner dans R. c. Maple Lodge Farms, 2013 ONCJ 535, affaire dans laquelle M. Folkes représentait Maple Lodge Farms. Dans cette affaire, l’avocat de la Couronne et M. Folkes ont présenté d’abord des observations écrites détaillées et, peu de temps après, ils ont présenté des observations de vive voix. Il est difficile de dire si la démarche adoptée l’a été sur consentement des avocats ou si elle a été ordonnée par la juge Kastner, sans pareil consentement.

[3]              Au cours du débat à l’audience, Mme Wilson, qui représente l’intimée, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (« l’Agence ») s’est montrée réticente devant l’idée que les conclusions finales soient présentées à la fois par écrit et oralement. Elle était d’avis que ces arguments devraient être présentés soit par écrit, soit oralement. Dans une communication écrite ultérieure destinée à la Commission et envoyée en copie conforme à M. Folkes, Mme Wilson a mentionné qu’elle préférait que les conclusions finales soient présentées de vive voix seulement, parce qu’elle était d’avis que cette forme de présentation serait plus efficace.

[4]              La Commission doit soupeser divers intérêts, en recherchant principalement l’atteinte de l’équilibre entre les considérations liées à l’équité et celles liées à l’efficacité, comme le prévoit l’article 3 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (L.C. 1995, c. 40) :

3. La présente loi a pour objet d’établir, comme solution de rechange au régime pénal et complément aux autres mesures d’application des lois agroalimentaires déjà en vigueur, un régime juste et efficace de sanctions administratives pécuniaires.

[5]              La Commission est d’avis que le respect des principes d’équité sur le plan de la procédure et sur le plan du fond à l’égard des deux parties doit être au centre de ses délibérations, même si c’est au détriment de l’efficacité. Les gains d’efficacité peuvent prendre la forme de considérations liées aux coûts ou à la rapidité de résolution d’une affaire. Dans nombre de cas, compte tenu des moyens de défense limités susceptibles d’être invoqués dans un régime de responsabilité absolue, les affaires peuvent être résolues rapidement et d’une manière peu coûteuse. C’est ce qui ressort de l’expérience de la Commission résultant d’un grand nombre d’affaires intéressant l’Agence des services frontaliers du Canada, qui avaient trait à des violations en matière d’importation des aliments. Comme l’a mentionné la Commission au cours de l’audience, les mêmes considérations d’efficacité n’ont pas amené la Commission à acquérir de l’expérience aussi rapidement dans les affaires de violation intéressant l’Agence canadienne d’inspection des aliments. Ces affaires sont souvent beaucoup plus complexes du point de vue de la preuve et parfois du point de vue des questions procédurales. Les demandeurs sont souvent des parties dont la réputation professionnelle ou commerciale est susceptible d’être gravement compromise par la violation et dont les moyens de défense sont de ce fait beaucoup plus plaidés vigoureusement. Ainsi, la Commission doit se soucier particulièrement que les parties croient qu’elle agit de manière équitable sur le plan de la procédure et sur le plan du fond, même si cela implique des périodes d’audience plus longues et des coûts y afférents plus élevés et exige plus de temps de façon générale pour résoudre l’affaire par le prononcé d’une décision.

[6]              La nature prééminente de l’équité dans les instances de la Commission est confirmée dans ses propres règles. La règle 3 des Règles de la Commission de révision (agriculture et agroalimentaire), DORS/99-451 (les « Règles de la Commission ») est rédigée en ces termes :

3. Dans le cas où l’application d’une règle causerait une injustice à une partie, la Commission peut ne pas tenir compte de cette règle.

Aucune règle ne permet à la Commission d’éviter de se conformer aux considérations d’efficacité. Sous réserve d’un contrôle judiciaire concernant le règlement d’un conflit perçu entre la règle 3 des Règles de la Commission et l’article 3 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, la Commission est d’avis que les considérations d’efficacité présentent un intérêt seulement si elles se concilient avec sa conception des principes d’équité sur les plans de la procédure et du fond. De plus, sous réserve d’un contrôle judiciaire décidant du contraire, la Commission est d’avis que les conclusions qu’elle tire en matière d’équité s’appliquent aux présentes affaires, indépendamment de l’opinion contraire d’une ou des parties. L’’analyse par la Commission de ce qui est équitable pour les parties et la conclusion qu’elle en tirera dépendent de la nature et de la complexité de l’affaire dont elle est saisie. Dans bon nombre de cas, l’opinion des parties sur la question de l’équité dans une démarche relative à une affaire particulière, surtout si elles sont toutes les deux du même avis, sera acceptée sans hésitation, quoique la Commission n’ait pas l’obligation de l’accepter.

[7]              L’affaire R. c. Maple Lodge Farms, citée précédemment, intéressait deux accusations criminelles types portées en vertu de la Loi sur la santé des animaux, relativement à des faits qui s’étaient produits en 2008 et en 2009. Le procès a nécessité 15 jours d’audience entre septembre 2011 et juin 2013 et une journée consacrée à la présentation d’observations de vive voix en janvier 2013, qui avait été précédée par la soumission d’observations écrites détaillées par les parties en décembre 2012 et en janvier 2013 : les observations écrites de la Couronne comptaient près de 40 pages, tandis que celles de la défense en comptaient plus de 100. Comme le jugement ne comporte aucun examen de la procédure, la raison pour laquelle une audience a été tenue en juin 2013, après la soumission des conclusions finales, est inconnue. Le jugement de 484 paragraphes et de près de 100 pages, qui a été rendu en septembre 2013, déclare Maple Lodge Farms coupable à l’égard des deux chefs d’accusation. À la suite du prononcé du verdict, les observations relatives à la détermination de la peine ont été entendues pendant deux jours en mars 2014, et une sentence a été rendue. Les motifs de la sentence ont été publiés en avril 2014, sous l’intitulé R. v. Maple Lodge Farms, à 2014 ONCJ 212. Par conséquent, il s’est écoulé plus de deux ans et demi entre le début de l’instance et la publication des motifs de la sentence. Il s’agit d’un compte rendu sommaire des faits, sans imputation défavorable intentionnelle.

[8]              La présente instance intéresse des sanctions administratives pécuniaires relatives à des violations de responsabilité absolue imposées en application du Règlement sur la santé des animaux, pour lesquelles le fardeau de la preuve des éléments de la violation s’établit selon la prépondérance des probabilités, et non hors de tout doute raisonnable. De plus, comme il s’agit d’un régime de responsabilité absolue, les moyens de défense susceptibles d’être soulevés par Maple Lodge Farms, outre l’opposition à la preuve de l’Agence en plaidant qu’elle ne lui permet pas de s’acquitter du fardeau qui lui incombe, sont très limités. Il est donc compréhensible que Maple Lodge Farms passe beaucoup de temps à s’opposer à la preuve de l’Agence et à présenter de la preuve à l’appui de sa version des faits pour compenser. Jusqu’à maintenant, six journées d’audience ont été tenues. Si, tel qu’il est prévu, quatre autres journées d’audience sont nécessaires pour terminer la présentation et l’examen de la preuve, le temps consacré à ces audiences avoisinera 70 % du temps qui avait été consacré à la présentation et à l’examen de la preuve dans la procédure criminelle dont il a été question précédemment.

[9]              Dans les affaires dont la Commission est saisie, le demandeur a, en vertu du règlement applicable, le droit à une révision orale, c'est-à-dire une audience, s’il en fait la demande. Les affaires peuvent aussi être tranchées sur présentation d’observations écrites seulement. La Commission procède implicitement avec des observations écrites seulement, à moins que le demandeur n’exige qu’il en soit autrement. Le paragraphe 15(1) du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (DORS/2000-187) prévoit ce qui suit :

15. (1) Lorsqu’elle est saisie d’une affaire au titre de la Loi, la Commission procède par la tenue d’une audience si l’intéressé en fait la demande

[10]         Dans le contexte du mandat de révision de la Commission, le terme « audience » s’entend exclusivement d’une révision orale. Or, les affaires peuvent aussi être tranchées sur présentation d’observations écrites seulement. Cette conception étroite de la nature d’une « audience », dans le contexte du mandat de révision de la Commission, est étayée par la règle 34 des Règles de la Commission qui est ainsi libellée :

34. La personne qui dépose une demande de révision doit y indiquer les motifs de la demande, la langue de son choix et, dans le cas où le procès-verbal en cause inflige une sanction, si elle demande la tenue d’une audience.

Il s’ensuit, en vertu des Règles de la Commission, que celle-ci procède implicitement avec les observations écrites seulement, sauf si une révision orale est demandée, ce qui prend la forme d’une audience. Le déroulement de l’audience, décrit aux règles 12 à 15 des Règles de la Commission, fait référence à une audience orale seulement :

12. (1) La Commission peut tenir une audience à huis clos sur demande de l’une des parties, à condition que celle-ci lui en démontre la nécessité.

(2) La Commission peut exclure un témoin de l’audience jusqu’à ce qu’il soit appelé à témoigner.

13. Les audiences de la Commission sont enregistrées.

14. Sauf si les parties ont convenu des modalités à l'avance, la Commission fixe les modalités de la conduite de ses audiences au début de celles-ci.

15. (1) Les témoignages sont déposés oralement sous serment ou sous affirmation solennelle.

(2) Toute partie a le droit d’interroger ses propres témoins, de contre-interroger les témoins de l’autre partie et de réinterroger ses propres témoins.

[11]         La question en litige est de savoir si le droit à une révision orale, ou à une audience, signifie que les parties ont le droit de présenter leurs conclusions finales oralement. En l’absence de toute opinion judiciaire susceptible de l’amener à conclure autrement, la Commission a décidé que le droit à la tenue d’une audience n’est pas rattaché à un droit, dans un sens absolu, de présenter des conclusions finales oralement. L’audience permet principalement de tirer des conclusions relatives à la crédibilité, si le demandeur croit qu’elle est justifiée et si pareilles conclusions sont notamment complétées par des interrogatoires et des contre-interrogatoires. À cet égard, dans l’arrêt Khan v. University of Ottawa, 1997 CanLII 941 (paragraphes non numérotés), la Cour d’appel de l’Ontario, à la majorité (motifs du juge Laskin auxquels a souscrit le juge Brooke), a formulé les observations suivantes :

 

Dans bon nombre d’appels interjetés devant des instances universitaires, l’équité procédurale n’exigera pas la tenue d’une audience. La possibilité de présenter des observations écrites peut être suffisante. Ainsi, je doute que les étudiants qui contestent leur note parce qu’ils croient qu’ils auraient dû en obtenir une meilleure aient ordinairement droit à une audience. La présente affaire est différente parce que la question déterminante dont avait été saisi le comité des examens portait sur la crédibilité de Mme Khan. En refusant le redressement demandé par Mme Khan, le comité a jugé sa crédibilité de façon négative. À mon avis, le comité n’aurait pas dû lui imposer ce refus sans lui avoir accordé une audience en personne et la possibilité de présenter des observations oralement. Dans la plus récente édition de son ouvrage intitulé Administrative Law (3e éd., Toronto: Carswell, 1996), le professeur Mullan a écrit ce qui suit au paragraphe 108 :

La tenue d’une audience peut être requise dans certaines circonstances, notamment si des droits garantis par la Charte sont en jeu, et dans les situations où la crédibilité des parties et des témoins constitue généralement un facteur déterminant dans le processus décisionnel.

Bon nombre de tribunaux de différentes instances ont souligné que, lorsqu’une décision dépend de la crédibilité, le décideur ne devrait pas tirer une conclusion défavorable sans que la personne concernée ait eu droit à une audience. Dans Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, 17 D.L.R. (4th) 422, la juge Wilson, après avoir fait remarquer que la « justice fondamentale » dont il est question à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés comprend l’équité procédurale, a expliqué, aux pages 213 et 214 (p. 465 D.L.R.), pourquoi une question relative à la crédibilité ne devrait pas être tranchée à partir d’observations écrites.

Je ferai cependant remarquer que, même si les auditions fondées sur des observations écrites sont compatibles avec les principes de justice fondamentale pour certaines fins, elles ne donnent pas satisfaction dans tous les cas. Je pense en particulier que, lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition. Les cours d’appel sont bien conscientes de la faiblesse inhérente des transcriptions lorsque des questions de crédibilité sont en jeu et elles sont donc très peu disposées à réviser les conclusions des tribunaux qui ont eu l’avantage d’entendre les témoins en personne : voir l’arrêt Stein c. Le navire "Kathy K", 1975 CanLII 146 (CSC), [1976] 2 R.C.S. 802, aux pages 806 à 808 (le juge Ritchie). Je puis difficilement concevoir une situation où un tribunal peut se conformer à la justice fondamentale en tirant, uniquement à partir d’observations écrites, des conclusions importantes en matière de crédibilité.

[12]         Qui plus est, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817, madame la juge L’Heureux-Dubé a fait remarquer ce qui suit aux paragraphes 22 et 28 :

[22] Bien que l’obligation d’équité soit souple et variable et qu’elle repose sur une appréciation du contexte de la loi particulière et des droits visés, il est utile d’examiner les critères à appliquer pour définir les droits procéduraux requis par l’obligation d’équité dans des circonstances données. Je souligne que l’idée sous-jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.

[28] (…) Les valeurs qui sous-tendent l’obligation d’équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision.

[13]         Plus récemment, le juge de Montigny de la Cour fédérale, dans Black c. Canada (Conseil consultatif de l’Ordre du Canada), 2012 CF 1234 (conf. à 2013 CAF 267), a formulé les observations suivantes au paragraphe 68 :

[68] […] l’obligation d’équité procédurale ne fait pas naître un droit absolu à une audience. Sur le plan de l’équité procédurale, la question fondamentale est de savoir s’il est nécessaire de tenir une audience pour que les parties aient la possibilité raisonnable de présenter efficacement leur position. […]

[14]         Compte tenu de la nature et de l’ampleur de la preuve présentée jusqu’à maintenant dans les deux affaires, et vu la complexité de cette preuve et l’étendue des interrogatoires principaux et des contre-interrogatoires, la Commission demeure d’avis que les parties doivent présenter leurs conclusions finales par écrit et que ce sera leur seule forme de présentation. La Commission prévoit que le reste de la preuve à présenter sera tout aussi complexe et susceptible de faire l’objet d’interrogatoires principaux et de contre-interrogatoires tout aussi serrés. La Commission est d’avis que l’équité envers les parties exige que leurs conclusions finales, qui impliquent nécessairement l’examen et l’appréciation d’une preuve complexe et volumineuse, soient présentées par écrit. La Commission est d’avis que l’intégrité et la crédibilité de la preuve auront été débattues complètement par les deux avocats au cours de l’audience, au moyen de témoignages et d’arguments présentés de vive voix, et que l’exigence relative à la présentation par écrit des conclusions finales ne compromet pas l’équité envers les avocats sous ce rapport.

[15]         La Commission souligne que la Cour d’appel fédérale s’est récemment penchée sur la norme de contrôle de la décision correcte applicable à des décisions administratives en matière d’équité procédurale. Dans Ré:Sonne c. Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48, le juge Evans a déclaré, aux paragraphes 34 à 42, ce qui suit au sujet de cette norme :

[34] Le droit est bien fixé : le juge doit appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’il se penche sur des allégations de manquement à l’équité procédurale de la part de décideurs administratifs (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

[35] La retenue judiciaire envers les décideurs n’est pas de mise quand il faut rechercher si l’obligation d’agir équitablement joue dans des cas administratifs ou juridiques donnés, comme il ressort de l’enseignement de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 77 et s. (Dunsmuir) sur la question de savoir si David Dunsmuir avait droit à l’équité procédurale avant qu’il ne soit mis fin à son emploi de fonctionnaire provincial.

[36] La réponse est toutefois plus nuancée lorsqu’on se demande quelle norme de contrôle s’applique à une allégation de manquement à l’équité procédurale qui met en cause la teneur de l’obligation d’équité dans un cas donné et l’existence, ou non, à cet égard d’un manquement. L’obligation d’équité est d’intensité variable puisqu’elle s’applique à une vaste gamme d’interventions administratives, d’intervenants, de régimes législatifs et de programmes gouvernementaux et que les répercussions sur les particuliers sont diverses. Il faut faire preuve de souplesse pour assurer une participation significative des citoyens au processus administratif, tout en veillant à ce que les organismes publics ne soient pas assujettis à des obligations procédurales qui nuiraient à l’intérêt public au regard d’un processus décisionnel public efficace.

[37] En l’absence de dispositions législatives en sens contraire, les décideurs administratifs jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire pour fixer leur propre procédure, notamment quant aux aspects qui relèvent de l’équité procédurale (Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, aux pages 568 et 569 (Prassad)). Parmi ces aspects, mentionnons la question de savoir si l’» audience » sera tenue selon une procédure orale ou écrite, si une demande d’ajournement doit être accueillie ou si la représentation par un avocat est autorisée, et la mesure dans laquelle le contre-interrogatoire sera autorisé ou les renseignements dont le décideur dispose doivent être divulgués. Le contexte et les circonstances dicteront l’étendue du pouvoir discrétionnaire du décideur à l’égard de ces questions de procédure et permettront de savoir s’il y a eu manquement à l’obligation d’équité.

[38] La jurisprudence Dunsmuir ne porte pas sur la norme de contrôle s’appliquant aux choix procéduraux d’un tribunal lorsqu’ils sont contestés pour manquement à l’obligation d’équité. La Cour suprême a toutefois déclaré, au paragraphe 53, que l’exercice du pouvoir discrétionnaire administratif appelait habituellement la norme de contrôle de la décision raisonnable. Ce principe semble s’appliquer à l’exercice de ce pouvoir au regard des questions de procédure et de réparation ainsi que des questions touchant davantage au fond. La cour de révision ne peut donc remettre en question chaque choix procédural d’un organisme administratif, qu’il soit concrétisé dans ses règles générales de procédure ou fait dans le cadre d’une décision individuelle.

[39] Cela dit, le pouvoir discrétionnaire administratif s’arrête lorsqu’il y a manquement à l’équité procédurale (Prassad, à la page 569). Le juge doit lui-même décider, selon la norme de la décision correcte, si cette ligne a été franchie. Il existe une certaine tension inhérente entre, d’une part, le principe du recours à la norme de la décision correcte pour examiner le caractère équitable de la procédure d’un organisme et, d’autre part, celui du pouvoir discrétionnaire des décideurs à l’égard de leur propre procédure.

[40] S’exprimant au nom des juges de la majorité à l’occasion de l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 27, la juge L’Heureux-Dubé a ainsi inclus les choix de procédure et les pratiques du décideur parmi les facteurs que le juge doit prendre en compte pour décider de la teneur de l’obligation d’équité dans tel ou tel cas. La juge a déclaré qu’une retenue considérable s’imposait au regard de ces choix lorsque le législateur a accordé un large pouvoir discrétionnaire en matière de procédure à l’organisme concerné ou lorsque le domaine d’expertise de l’organisme s’étend aux questions de procédure.

[41] La juge Abella, qui a rédigé les motifs de la majorité dans l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences c. VIA Rail Canada Inc., 2007 CSC 15, [2007] 1 R.C.S. 650, a retenu cet enseignement aux paragraphes 230 et 231. Elle a observé, au paragraphe 231 :

Il faut faire montre d’une grande déférence à l’égard des décisions procédurales d’un tribunal qui a le pouvoir de contrôler sa propre procédure. La détermination de la portée et du contenu de l’obligation d’agir équitablement est fonction des circonstances et peut bien dépendre de facteurs qui relèvent de l’expertise et des connaissances du tribunal, notamment la nature du régime législatif ainsi que les attentes et pratiques des personnes et organismes régis par l’Office.

[42] Bref, si le juge saisi de la demande de contrôle doit décider selon la norme de la décision correcte de la conformité des choix procéduraux d’un organisme, généraux ou particuliers, à l’obligation d’équité, il doit le faire en se montrant respectueux de ces choix. Il convient donc que le juge accorde de l’importance à la manière dont l’organisme a cherché à établir un équilibre entre, d’une part, la participation maximale et, d’autre part, l’efficacité du processus décisionnel. Compte tenu de l’expertise dont dispose l’organisme, le degré de retenue que commande un choix de l’administrateur en matière de procédure peut être particulièrement important lorsque le modèle procédural utilisé par l’organisme visé par la demande de contrôle diffère considérablement du modèle judiciaire que les juges connaissent le mieux.

[16]         Comme l’a mentionné le juge Evans dans Ré:Sonne, « le pouvoir discrétionnaire administratif s’arrête lorsqu’il y a manquement à l’équité procédurale ». En ce qui a trait à la question de procédure faisant l’objet de la présente ordonnance, il semblerait que la Commission ne possède pas l’expertise nécessaire à sa résolution, laquelle justifierait en soi qu’un tribunal d’instance supérieure fasse preuve de retenue. Même si la tendance à la retenue judiciaire semble continuer de s’accentuer, comme l’a bien illustré la Cour suprême du Canada dans McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, la Commission continue de bénéficier des rectifications et de l’enseignement des tribunaux d’instance supérieure, sans démonstration d’une déférence particulière. Parmi les exemples récents, mentionnons les décisions de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Services frontaliers) c. Tao, 2013 CAF 52, Canada (Procureur général) c. Tam, 2014 CAF 220, et Canada (Procureur général) c. Stanford, 2014 CAF 234. Ces décisions, compte tenu du fait qu’elles ont valeur de précédent, donnent également des indications plus générales aux autres instances, outre celles visant directement la Commission.

[17]         En prononçant la présente ordonnance à cette étape-ci, la Commission vise à informer les parties de ses attentes, de sorte qu’elles puissent commencer dès maintenant à au moins songer à leurs observations écrites, sinon à les formuler. De plus, cette ordonnance survient à temps pour que les parties puissent décider si elles souhaitent en demander le contrôle judiciaire avant le début d’une autre période de journées d’audience, prévue en avril 2015, au plus tôt. Dans ces circonstances, la Commission est d’avis qu’il n’y a pas lieu de reporter l’audition de la preuve. Au contraire, les conclusions finales ne seraient pas entendues, dans l’attente d’une décision de la Cour d’appel fédérale sur la question de savoir si la Commission a le droit d’insister pour que les conclusions finales soient présentées par écrit seulement, contrairement à ce que souhaite l’avocate de l’Agence et aussi contrairement à ce que souhaite l’avocat de Maple Lodge Farms, qui veut conserver le droit de présenter des observations orales, après le dépôt des conclusions finales par écrit.

Ordonnance

[18]         La Commission ordonne ce qui suit :

L’avocat de la demanderesse et l’avocate de l’intimée soumettront par écrit seulement leurs conclusions finales relatives aux dossiers CART/CRAC-1728 et CART/CRAC-1729. Celles-ci devront parvenir à la Commission dans les dix jours ouvrables suivant la fin de la présentation de la preuve dans les deux dossiers et, le cas échéant, avant 17 h le dernier jour du délai.

 

Fait à Ottawa (Ontario), en ce 19e jour de janvier 2015.

 

Original signé par :

 

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Bruce La Rochelle, membre

 

 

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