Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence :         Hachey Livestock Transport Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2015 CRAC 19

 

Date : 20150909

Dossier : CART/CRAC‑1781

 

Entre :

 

 

Hachey Livestock Transport Ltd., demanderesse

 

 

‑ et ‑

 

 

Ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, intimé

 

 

 

[Traduction de la version officielle en anglais]

 

Devant :             Le président Donald Buckingham

 

 

Avec :                   Jean‑Pierre Hachey, représentant de la demanderesse;

Sarah Drodge et Jake Harms, avocats de l’intimé

 

Affaire intéressant une demande de révision présentée par la demanderesse en vertu du paragraphe 13(2) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire afin que la Commission révise la décision par laquelle le ministre a confirmé, le 17 avril 2014, le procès‑verbal no 1112QC0241 que l’Agence canadienne d’inspection des aliments a dressé à l’égard de la demanderesse pour une violation de l’alinéa 143(1)b) du Règlement sur la santé des animaux.

 

 

DÉCISION

 

À la suite d’un examen de la décision rendue le 17 avril 2014 par le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire et des motifs de cette décision, d’une audience et d’un examen des observations orales et écrites présentées par les parties à cette audience, la Commission de révision agricole du Canada, par ordonnance, ANNULE la décision du ministre et, par conséquent, conclut que la demanderesse n’est tenue pas tenue de payer de sanction pécuniaire à l’Agence canadienne d’inspection des aliments aux termes du procès‑verbal no 1112QC0241.

 

 

Audience tenue à Bathurst (Nouveau-Brunswick),

le vendredi 29 mai 2015.


MOTIFS

 

 

1.                  L’incident allégué et l’historique des procédures

 

[1]              En 2011, Hachey Livestock Transport Ltd. (Hachey Livestock) exploitait une entreprise de transport d’animaux destinés à l’alimentation entre les fermes et les abattoirs au Nouveau‑Brunswick et à l’extérieur de cette province.

 

[2]              La présente affaire se rapporte à un conflit opposant Hachey Livestock et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) au sujet de l’application des règles concernant le transport sans cruauté des animaux destinés à l’alimentation, qui sont énoncées dans le Règlement sur la santé des animaux (RSA).

 

[3]              L’affaire concerne l’allégation de l’Agence selon laquelle Hachey Livestock a transporté, en juin 2011, des porcs vivants du Nouveau‑Brunswick jusqu’au Québec, où ils devaient être abattus, dans un véhicule de transport comportant des attaches mal assurées ou des saillies susceptibles de blesser ou de faire souffrir indûment les porcs. Au moment du déchargement des 119 porcs à l’abattoir de Ste‑Hélène‑de‑Bagot, au Québec, l’Agence a trouvé 8 porcs morts dans le camion et un certain nombre de morceaux d’acier parmi les animaux. Ces morceaux d’acier faisaient partie du plancher de l’un des compartiments du camion où étaient placés les porcs pendant le transport.

 

[4]              Pour ce motif, l’Agence a délivré un procès‑verbal à l’égard de Hachey Livestock précisant que les événements ayant donné lieu à cet avis se sont produits le 15 juin 2011 à Ste‑Hélène‑de‑Bagot, au Québec, lorsque Hachey Livestock [traduction] « a commis une violation, à savoir qu’elle a transporté ou fait transporter un animal dans un milieu comportant des attaches mal assurées ou des saillies susceptibles de blesser l’animal, en contravention de l’alinéa 143(1)b) du Règlement sur la santé des animaux ». Le procès‑verbal n1112QC0241, daté du 4 février 2013, a été notifié à Hachey Livestock le 3 mars 2013. Le procès‑verbal précisait qu’il s’agissait d’une violation grave assortie d’une sanction de 7 800 $ (revue par la suite à 6 600 $ par le ministre).

 

[5]              Dans une lettre datée du 11 mars 2013, Hachey Livestock a contesté la validité du procès-verbal auprès du ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire (le ministre) en vertu de l’alinéa 9(2)b) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (la Loi SAP). Par conséquent, Hachey Livestock n’a pas payé la sanction qui lui a été infligée.

 

[6]              Le 17 avril 2014, le ministre a rendu une décision de quatre pages (la décision du ministre) suivant le paragraphe 13(1) de la Loi SAP. La première page, intitulée [traduction] « Avis de décision du ministre – Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire », comportait le passage suivant :

 

[traduction]

[√]  Le ministre a terminé, suivant le paragraphe 13(1) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, l’examen des faits rapportés dans le procès-verbal assorti d’une sanction susmentionné, par suite de votre demande de révision des faits allégués dans cette notification. Avis est donné par la présente de la décision du ministre :

______________________________________________

 

UNE VIOLATION A ÉTÉ COMMISE

 

[√]  La preuve établit qu’une violation a été commise.

 

Vous trouverez ci‑joints les motifs de la décision.

 

[7]              Les pages deux à quatre de la décision du ministre sont intitulées [traduction] « Motifs de la décision du ministre » et comptent 24 paragraphes. Le dernier paragraphe est formulé en ces termes :

 

[traduction]

[24]  La preuve établit qu’une violation a été commise. Le montant de la sanction est revu à 6 000 $.

 

[8]              La décision du ministre est réputée avoir été notifiée à Hachey Livestock le 11 mai 2014. Par une lettre envoyée le 16 mai 2014 par courrier recommandé à la Commission de révision agricole du Canada (la Commission), Hachey Livestock a contesté la décision du ministre au titre du paragraphe 13(2) de la Loi SAP. Hachey Livestock a demandé à la Commission de l’entendre au motif que sa [traduction] « remorque ne comporte pas d’attaches mal assurées ou de saillies susceptibles de blesser l’animal » (paragraphe 1 de la demande de révision de Hachey Livestock (demande de révision) adressée à la Commission).

 

 

2.                  La question en litige et le dossier en l’espèce

 

[9]              La Commission doit établir s’il convient de confirmer, de modifier ou d’annuler la décision du ministre aux termes du paragraphe 14(1) de la Loi SAP.

 

[10]         Le dossier actuellement à la disposition de la Commission comporte les documents énumérés ci‑dessous.

 

En provenance du ministre (et de l’Agence)

 

(i)                Le procès-verbal qu’a délivré l’Agence le 4 février 2013 au sujet de la violation qu’aurait commise Hachey Livestock le 15 juin 2011;

 

(ii)              La décision du ministre (y compris les motifs de décision) datée du 17 avril 2014;

 

(iii)            La copie certifiée du dossier du ministère datée du 27 juin 2014 (qui comprenait la preuve de l’Agence en l’espèce, présentée dans le Rapport de l’Agence transmis au ministre le 26 avril 2013);

 

(iv)            Les observations écrites des avocats du ministre sur le bien‑fondé de l’affaire, datées du 22 septembre 2014.

 

En provenance de Hachey Livestock

 

(i)                La demande de révision de la violation adressée au ministre, datée du 11 mars 2013;

 

(ii)              Les observations supplémentaires adressées au ministre, datées du 17 avril 2013;

 

(iii)            La demande de révision (et les motifs de la demande) de la décision du ministre adressée à la Commission, datée du 16 mai 2014;

 

(iv)            Les observations écrites supplémentaires sur le bien‑fondé de l’affaire, datées du 1er août 2014.

 

[11]         La Commission a également entendu les observations que les parties ont présentées de vive voix à l’audience demandée par Hachey Livestock, qui a eu lieu à Bathurst, au Nouveau‑Brunswick, le 29 mai 2015.

 

 

3.                  L’analyse et le droit applicable

 

3.1              La compétence et la fonction de la Commission

 

[12]         La Commission est constituée par le Parlement en vertu de la Loi sur les produits agricoles au Canada, S.R.C 1985, c. 20 (4e suppl.) (LPAC) et de la Loi SAP.

 

[13]         La Commission est « spécialisée ». Le paragraphe 4.1(2) de la LPAC énonce une exigence concernant la composition de la Commission :

 

Les membres sont nommés en raison de leurs connaissances et de leur expérience dans le domaine de l’agriculture ou de l’agroalimentaire et au moins le président et un autre membre sont obligatoirement choisis parmi les avocats ou notaires inscrits respectivement, depuis au moins dix ans, au barreau d’une province ou à la Chambre des notaires du Québec.

 

[14]         La Commission est indépendante. L’article 4.2 de la LPAC apporte la précision suivante :

 

4.2 (1)  La charge de membre est incompatible avec d’autres fonctions dans l’administration publique fédérale.

 

(2)  Les membres ne peuvent accepter ni occuper de charge ou d’emploi incompatibles avec leurs fonctions, ni se saisir d’une affaire dans laquelle ils ont un intérêt.

 

[15]         La Commission a compétence pour répondre aux demandes de révision d’affaires découlant de l’imposition de sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire. Le paragraphe 12(1) de la LPAC est formulé en ces termes :

 

La Commission a compétence exclusive pour les affaires visées par la présente loi et la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire.

 

 

3.2              Les révisions en première instance et les révisions des décisions du ministre aux termes de la Loi SAP et du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (le Règlement SAP)

 

[16]         La Loi SAP établit une procédure à deux volets en ce qui concerne la contestation d’un procès-verbal; soit auprès du ministre, soit auprès de la Commission. De plus, aux termes de la Loi SAP, la décision du ministre rendue en première instance peut faire l’objet d’une révision administrative ou d’une révision en appel devant la Commission.

 

3.2.1         Les révisions en première instance par le ministre ou la Commission

 

[17]         Aux termes de la Loi SAP, deux options s’offrent à la personne ayant reçu un procès‑verbal qui souhaite contester la validité de cet avis : elle peut « contester auprès du ministre les faits reprochés » (paragraphe 8(1) et alinéa 9(2)b) de la Loi SAP) ou « demander à la Commission de l’entendre sur les faits reprochés » (paragraphe 8(1) et alinéa 9(2)c) de la Loi SAP).

 

[18]         Dans les deux cas, il s’agit d’une « révision en première instance » de la décision discrétionnaire prise par un organisme d’application de la loi de délivrer un procès-verbal comportant un avertissement ou une sanction suivant la Loi SAP ou le Règlement SAP.

 

[19]         Aux paragraphes 13(1) et 14(1) de la Loi SAP, le législateur utilise les mêmes termes pour décrire la révision en première instance par le ministre et celle par la Commission.

 

13. (1) Saisi d’une contestation au titre de l’alinéa 9(2)b), le ministre détermine la responsabilité du contrevenant [...]

 

14. (1)   Saisie d’une affaire au titre de la présente loi, la Commission, par ordonnance, [...] détermine la responsabilité du contrevenant [...]

 

[20]         Le législateur doit établir la même norme en ce qui concerne la révision des faits visés par un procès-verbal, qu’elle soit faite par le ministre ou par la Commission.

 

[21]         La Loi SAP ne décrit pas en détail la procédure que doit appliquer le ministre ou la Commission dans le cadre de la révision des faits se rapportant à la violation. Cependant, dans les deux cas, le législateur exige que le ministre ou la Commission s’appuie sur l’article 19 de la Loi SAP, qui est formulé en ces termes :

 

19.  En cas de contestation devant le ministre ou de révision par la Commission, portant sur les faits, il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, la responsabilité du contrevenant.

 

 

[22]         En outre, dans l’arrêt Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152 (Doyon), la Cour d’appel fédérale a conclu qu’en plus d’établir la responsabilité du contrevenant, le ministre doit prouver tous les éléments constitutifs de la violation commise pour que le procès-verbal soit maintenu. Bien que la violation alléguée visée par la révision dans cette affaire diffère de la violation visée par la révision en l’espèce, le principe des « éléments constitutifs » s’applique de la même manière à toutes les violations tombant sous le coup de la Loi SAP. Au paragraphe 42 de l’arrêt Doyon, la Cour d’appel fédérale s’exprime en ces termes :

 

[42]  Chacun de ces éléments constitutifs de la violation doit être prouvé pour qu’il puisse être conclu à une violation par le contrevenant à qui elle est reprochée.

 

[23]         Par conséquent, lorsque le ministre ou la Commission effectue une révision en première instance des faits se rapportant à une violation, ils doivent trouver des faits qui, selon la prépondérance des probabilités, appuient une conclusion selon laquelle : a) la responsabilité du contrevenant est établie; b) chaque élément constitutif de la violation alléguée existe.

 

[24]         Bien entendu, lorsque le ministre ou la Commission procèdent à la révision, ils doivent également respecter les exigences suivantes : 1) appliquer les normes relatives à l’équité et à l’application régulière de la loi pour les parties; 2) recevoir les éléments de preuve présentés par les parties; 3) établir les faits; 4) tenir compte du droit applicable; 5) évaluer les faits, tels qu’ils ont été établis en fonction du droit applicable, pour décider si la personne demandant la révision est le contrevenant désigné dans le procès-verbal.

 

[25]         Il convient de souligner que la Loi SAP place le ministre, lorsque celui‑ci procède à une révision en première instance, dans une situation peu enviable, à savoir qu’il s’agit de la personne morale responsable à la fois de rassembler les éléments de preuve à l’appui du procès-verbal et de rendre une décision quant au caractère suffisant de ces éléments de preuve afin de décider si la violation devrait être maintenue.

 

 

3.2.2         Les révisions administratives en appel d’une décision du ministre par la Commission

 

[26]         La Loi SAP prévoit également un autre type de révision. Lorsque la personne qui s’estime lésée demande au ministre plutôt qu’à la Commission d’effectuer la révision en première instance, la Loi SAP prévoit que, si le demandeur présente une demande en ce sens, la Commission peut se charger de réviser la décision du ministre (paragraphes 12(2) et 13(2) de la Loi SAP).

 

[27]         Les pouvoirs que le législateur a accordés à la Commission dans le cadre de cet exercice sont énoncés au paragraphe 14(1) de la Loi SAP : « Saisie d’une affaire au titre de la présente loi, la Commission, par ordonnance et selon le cas, soit confirme, modifie ou annule la décision du ministre [...] » Par conséquent, la fonction de la Commission n’est pas celle d’un décideur de première instance ni celle d’un tribunal effectuant un contrôle judiciaire, mais bien celle d’un tribunal administratif d’appel révisant une décision administrative rendue en première instance.

 

 

3.3              La réalisation d’une révision exigée au titre de l’article 14 de la Loi SAP

 

[28]         Bien que la Loi SAP prévoie la révision et les recours possibles, elle ne précise pas le type de révision que la Commission doit effectuer. De quel type de révision s’agit‑il? Il existe trois possibilités dans la jurisprudence canadienne : les révisions s’appuyant sur la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, élaborée pour le contrôle judiciaire des décisions administratives; les révisions administratives en appel « de novo » des décisions administratives; les révisions administratives en appel des décisions administratives commandant une « déférence limitée »

 

 

3.3.1         Les révisions s’appuyant sur la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir

 

[29]         Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a décrit l’analyse selon la norme de contrôle que doivent respecter les tribunaux procédant au contrôle judiciaire d’une décision rendue par un organe administratif. Au paragraphe 34 de cet arrêt, la Cour suprême du Canada a réduit les trois normes en fonction desquelles s’effectue actuellement le contrôle judiciaire à deux seules normes, soit celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable.

 

[30]         Au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada établit la norme de la décision raisonnable et l’application de celle‑ci :

 

[47]  La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[31]         Au paragraphe 50, la Cour suprême du Canada établit la norme de la décision correcte et l’application de celle‑ci :

 

[50]  S’il importe que les cours de justice voient dans la raisonnabilité le fondement d’une norme empreinte de déférence, il ne fait par ailleurs aucun doute que la norme de la décision correcte doit continuer de s’appliquer aux questions de compétence et à certaines autres questions de droit. On favorise ainsi le prononcé de décisions justes tout en évitant l’application incohérente et irrégulière du droit. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

 

3.3.2         Les révisions « de novo »

 

[32]         La Cour fédérale, dans la décision Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799 (Huruglica) [actuellement en appel devant la Cour d’appel fédérale], a dû décider du type de révision qu’un organe administratif d’appel doit effectuer lorsqu’il révise une décision administrative de première instance. Le juge Phelan a résumé la question en litige et sa conclusion aux paragraphes 1 et 3 :

 

[1]   La décision visée par le présent contrôle judiciaire nécessite, entre autres, de déterminer le type approprié de contrôle que la Section d’appel des réfugiés [la SAR] doit effectuer à l’égard de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [la SPR] dans la présente affaire. La SAR et la SPR font toutes deux partie de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la CISR].

 

                                                                                     [...]

 

[3]   Pour les motifs exposés ci-après, j’ai conclu que la SAR a commis une erreur en contrôlant simplement la décision de la SPR selon la norme de la raisonnabilité plutôt qu’en procédant à un examen indépendant de la demande d’asile des demandeurs.

 

[33]         Dans cette décision, le juge Phelan a conclu que la SAR n’aurait pas dû appliquer la norme de la décision raisonnable et de la décision correcte établie dans l’arrêt Dunsmuir, ou une norme semblable à celles‑ci, à l’égard de la décision rendue par la SPR en première instance.

 

[39]  En ce qui concerne la nature du contrôle auquel doit procéder la SAR, si la SAR se borne à contrôler les décisions de la SPR selon la norme de la raisonnabilité, son rôle d’appel est restreint. Il ne ferait que dupliquer ce qui se produit lors d’un contrôle judiciaire. En outre, si la SAR ne faisait que jouer un rôle qui fait double emploi avec celui de la Cour fédérale, cela serait incompatible avec la création de la SAR et le vaste régime législatif de la LIPR.

 

[...]

 

[41]  Au plan juridique, la création d’un tribunal d’appel tendrait à indiquer que le législateur a voulu réaliser quelque chose d’autre que ce que permettait un contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Columbia Society for the Prevention of Cruelty to Animals c British Columbia (Farm Industry Review Board), 2013 BCSC 2331, 237 ACWS (3d) 16 [BC SPCA] de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, la question à l’examen était celle de la création d’un organe d’appel interne entre le premier niveau de décision et le contrôle judiciaire. La Cour a statué que l’appel devait porter sur le fond de l’affaire.

 

[42]  Dans l’arrêt BC SPCA, au paragraphe 40, la Cour a résumé le principe susmentionné, qui s’applique également en l’espèce :

 

[traduction]

Logiquement, si le législateur avait voulu le contrôle empreint de retenue que la SPCA préconise, elle n’aurait rien modifié et aurait laissé toute l’affaire au processus de contrôle judiciaire. C’est toutefois là ce que la législature souhaitait éviter. À cette fin, elle a créé un tout nouveau processus d’appel à la FIRB. Le résultat n’était certainement pas censé n’être qu’une tribune différente pour le même processus qu’avant.

 

[43]  Il s’ensuit qu’en créant un organe d’appel interne au sein du pouvoir exécutif du gouvernement, le principe de norme de contrôle, une fonction de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, est d’une importance et d’une applicabilité moindres. L’analyse traditionnelle relative à la norme de contrôle n’est pas nécessaire.

 

[44]  Sous réserve d’un libellé précis, le besoin de faire preuve de déférence, par exemple, est moins important entre la SAR et la SPR qu’il ne l’est entre le judiciaire et l’exécutif. La relation s’apparente davantage à celle entre un tribunal de première instance et un tribunal d’appel, mais elle est influencée en outre par les pouvoirs réparateurs beaucoup plus vastes conférés au tribunal d’appel.

 

[45]  Par conséquent, une analyse relative à la norme de contrôle n’est pas une démarche analytique appropriée. Il faut examiner des facteurs comme l’objet du tribunal d’appel (dont il a été question précédemment), les dispositions législatives, les compétences spécialisées comparables et les régimes d’appel comparables.

 

 

3.3.3         Les révisions commandant une « déférence limitée »

 

[34]         Dans l’arrêt Newton c. Criminal Trial Lawyers’ Association, 2010 ABCA 399 (Newton), la Cour d’appel de l’Alberta, après avoir examiné l’arrêt Dunsmuir et d’autres précédents, s’est penchée sur le type de contrôle que doit effectuer un tribunal d’appel administratif à l’égard de la décision d’un tribunal inférieur, et a conclu qu’il faut faire preuve de « déférence limitée » selon la présence ou l’absence d’un certain nombre de facteurs.

 

[35]         Au paragraphe 43 de l’arrêt Newton, la Cour d’appel de l’Alberta énonce les facteurs à prendre en compte pour décider du type de contrôle que doit effectuer un tribunal d’appel à l’égard d’une décision administrative de première instance :

 

[traduction]

[43]  Les facteurs suivants devraient généralement être examinés :

 

a)            les rôles respectifs du tribunal de première instance et du tribunal d’appel, suivant l’interprétation de la loi habilitante;

 

b)           la nature de la question en litige;

 

c)            l’interprétation de la loi dans son ensemble;

 

d)           l’expertise et la position avantageuse du tribunal de première instance, en comparaison avec celles du tribunal d’appel;

 

e)            la nécessité de limiter le nombre, la durée et le coût des appels;

 

f)             la préservation de l’économie et de l’intégrité des procédures du tribunal de première instance;

 

g)            d’autres facteurs qui sont pertinents dans le contexte particulier de l’affaire.

 

[36]         Au paragraphe 95 de l’arrêt Newton, la Cour d’appel de l’Alberta conclut [traduction] « qu’il fallait faire preuve de déférence à l’égard des décisions du président concernant les questions de fait, et que le conseil de révision n’avait pas à intervenir, sauf si ces conclusions étaient déraisonnables ». L’arrêt Newton utilise une définition de la « raisonnabilité » ressemblant à celle employée dans l’arrêt Dunsmuir. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision administrative de première instance aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[37]         Des universitaires ont également formulé des commentaires sur ces trois solutions différentes pour établir le type de contrôle qu’un tribunal administratif d’appel devrait retenir lorsqu’il effectue le contrôle de décisions administratives de première instance. Le professeur Paul Daly de la faculté de droit de l’Université de Montréal, dans l’article intitulé « Les appels administratifs au Canada » (La Revue du Barreau canadien, vol. 93, 2015, à paraître; accessible actuellement uniquement en français à partir du Social Science Research Network http://papers.ssrn.com/so13/papers.cfm?abstract_id=2579424; site consulté le 15 juillet 2015), conclut, comme les cours dans l’arrêt Newton et la décision Huruglica, que le contrôle des décisions rendues par des organes administratifs d’autres organes administratifs (appels administratifs) ne devrait pas s’effectuer conformément aux normes de contrôle judiciaire établies dans l’arrêt Dunsmuir. Le professeur Daly cite une troisième décision à l’appui de cette conclusion, soit Parizeau c. Barreau du Québec, 2011 QCCA 1498 (Parizeau), où la cour s’exprime en ces termes au paragraphe 75 :

 

Les raisons qui justifient la déférence des cours de justice envers les instances administratives spécialisées, raisons qui dérivent de l’organisation et du rôle respectif des branches exécutive et judiciaire de l’État ainsi que du respect de la volonté législative, ne sont guère persuasives quand l’instance d’appel appartient elle aussi à l’ordre administratif et qu’elle est elle aussi investie d’un mandat spécialisé.

 

[38]         Le professeur Daly soutient que, lorsque le contrôle de décisions administratives revient, par un décret énoncé dans une loi, aux organes administratifs et non aux tribunaux, les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir ne sont pas appropriés. C’est plutôt le type d’organe administratif responsable du contrôle de la décision administrative qui permet de choisir la norme qu’il convient d’appliquer parmi les trois (à la page 29) :

 

Nous avons proposé un cadre analytique afin de mieux structurer les appels administratifs au Canada. Tirant notre inspiration de la jurisprudence actuelle, nous favorisons une structure essentiellement tripartite. La norme de l’appel de novo, normalement à un réviseur externe sera appropriée dans des cas limités ou il s’avère nécessaire d’avoir recours à un organisme à l’extérieur du décideur de première instance pour que des bonnes décisions factuelles et juridiques soient prises après un processus équitable. Les tribunaux doivent favoriser celle de l’appel sur la substance, normalement à un tribunal spécialisé lorsque l’instance d’appel se dote d’une expertise semblable au décideur de première instance, ce qui amène à une convergence de décisions potentiellement contradictoires et l’élaboration de la mission décisionnelle de l’organisme en question. Enfin, la norme de l’appel ordinaire, normalement à un tribunal généraliste sera appropriée lorsque le législateur crée une instance d’appel à part du décideur de première instance, normalement afin de s’assurer d’une cohérence dans le droit ou un régime réglementaire. Qui plus est, d’après nous, la norme de la décision correcte s’applique à cette question, donnant ainsi aux tribunaux de justice le dernier mot sur la structure des appels administratifs au Canada. [Non souligné dans l’original.]

 

[39]         En ce qui concerne les deux premiers types d’organes d’appel administratif, le professeur Daly énonce la norme qu’il convient d’appliquer dans le contexte de leur travail en ces termes (à la page 2) : « Appel portant sur la substance à un tribunal spécialisé = l’instance d’appel doit tenir ses propres conclusions juridiques et factuelles tout en soupesant les conclusions du décideur de première instance » et « Appel de novo à un réviseur externe = dans des cas limités, l’instance d’appel ne sera aucunement liée par des conclusions du décideur de première instance. »

 

 

3.3.4         Conclusion concernant le type de révision que doit effectuer la Commission

 

[40]         Les avocats du ministre, dans leurs observations écrites, soutiennent que la Commission doit s’appuyer sur la norme énoncée dans l’arrêt Dunsmuir pour effectuer la révision administrative de la décision du ministre. Ils font également valoir que la norme applicable est celle de la décision raisonnable, soit l’une des deux normes établies dans l’arrêt Dunsmuir, que la décision du ministre est raisonnable et qu’elle devrait être confirmée.

 

[41]         Le type de contrôle s’appuyant strictement sur la norme établie dans l’arrêt Dunsmuir a une applicabilité limitée pour la Commission, car celle‑ci n’est pas une cour de révision, mais bien un organe administratif d’appel révisant une décision administrative de première instance.

 

[42]         À tout le moins, la Commission est un organe spécialisé dans les affaires en matière d’agriculture, d’agroalimentaire et de droit en raison des compétences que ses membres doivent posséder pour être nommés, et elle est un organe distinct du ministre et des organismes infligeant des sanctions administratives pécuniaires. La Commission doit prendre les mesures nécessaires pour s’acquitter de sa fonction principale, qui consiste à assurer une surveillance juridique indépendante dans le domaine spécialisé des violations assorties de sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire. D’après les critères énoncés dans l’arrêt Newton et dans la catégorie du « tribunal spécialisé » employée par le professeur Daly, en l’espèce, la Commission doit au moins titrer ses propres conclusions de fait et de droit au cours de la révision et soupeser les conclusions du décideur de première instance.

 

[43]         Parmi les facteurs énumérés dans l’arrêt Newton, les facteurs suivants sont applicables en l’espèce :

 

  les rôles respectifs du ministre et de la Commission, suivant l’interprétation de la loi habilitante;

 

  la nature de la question en litige;

 

  l’expertise et la position avantageuse de la Commission de première instance, en comparaison avec celles du ministre;

 

  la nécessité de limiter le nombre, la durée et le coût des contrôles et des appels.

 

[44]         La Commission a une meilleure expertise juridique que le ministre, et, par conséquent, au moins en ce qui concerne l’interprétation de la loi, elle doit effectuer sa révision sans faire preuve de déférence à l’égard de l’interprétation du ministre.

 

[45]         Cependant, la Commission conclut qu’elle devrait effectuer une révision « de novo » des décisions du ministre. Des indices relevés dans la loi habilitante de la Commission révèlent que celle‑ci agit comme un réviseur indépendant et spécialisé des constatations du ministre et qu’elle devrait ainsi, dans le cadre de sa révision, faire preuve de peu de retenue, voire d’aucune, à l’égard des constatations et des conclusions du ministre, comme dans la décision Huruglica ou comme l’a expliqué le professeur Daly en ce qui concerne le contrôle effectué par un « réviseur externe ». La Commission est tenue de réaliser un examen de novo des faits et de tirer ses propres conclusions de fait et de droit pour les motifs énoncés ci‑dessous.

 

[46]         Dans la loi habilitante de la Commission, le législateur a manifesté son intention de faire en sorte que la Commission soit indépendante du ministre et agisse à titre de réviseur externe des décisions du ministre.

 

[47]         Premièrement, la Commission n’est pas une cour (bien qu’elle possède certains pouvoirs ressemblant à ceux d’une cour aux termes de l’article 8 de la LPAC) et n’effectue pas le « contrôle judiciaire » de décisions administratives. Il s’agit d’un tribunal administratif quasi judiciaire (et d’une « juridiction [...] d’archives », là encore aux termes de l’article 8 de la LPAC) établi par le législateur afin de surveiller l’administration des violations assorties de sanctions administratives pécuniaires.

 

[48]         Deuxièmement, lorsque la Commission révise les décisions du ministre, elle agit comme un organisme administratif d’arbitrage possédant une expertise spécialisée en matière d’agriculture, d’agroalimentaire et de droit (conformément aux exigences relatives à la nomination énoncées au paragraphe 4.1(2) de la LPAC), qui est susceptible de dépasser la portée de l’expertise du ministre et de ses représentants rendant les décisions du ministre au sujet de l’administration des violations assorties de sanctions administratives pécuniaires.

 

[49]         Troisièmement, la Commission, par l’entremise de ses membres nommés, bien qu’elle fasse partie du pouvoir exécutif du gouvernement, est indépendante du ministre, de l’administration publique fédérale et de toute charge ou de tout emploi incompatibles avec le travail de la Commission (conformément aux exigences relatives à la nomination, énoncées à l’article 4.2 de la LPAC).

 

[50]         Enfin, la Commission est l’organe de dernier recours responsable de l’administration des sanctions administratives pécuniaires. Par conséquent, elle joue un rôle important dans la normalisation de l’interprétation des règles, des procédures et des issues découlant des mesures d’application prises en vertu de la Loi SAP.

 

[51]         En conséquence, il convient que la Commission réalise un examen de novo des faits, tire ses propres conclusions de fait et de droit en faisant preuve de peu de déférence, voire d’aucune, à l’égard des constatations, du raisonnement et de la conclusion énoncées dans la décision du ministre du 17 avril 2014.

 

 

3.4              L’application du type de révision appropriée en l’espèce

 

3.4.1         L’examen des faits

 

[52]         En l’espèce, pour effectuer un examen de novo des faits, la Commission n’est pas tenue de demander aux parties de présenter de nouveaux éléments de preuve. Elle doit cependant examiner la preuve présentée en profondeur, évaluer la pertinence et le poids de celle‑ci, et évaluer les conclusions de fait du ministre et d’autres conclusions de fait, le cas échéant, qui sont nécessaires pour trancher l’affaire.

 

[53]         La preuve que les parties ont présentée au ministre lorsque celui‑ci était saisi de l’affaire et à la Commission afin que celle‑ci révise la décision du ministre était détaillée et n’était pas contestée en ce qui a trait à la majeure partie des faits rapportés.

 

[54]         Les parties s’entendent sur les faits suivants :

 

  Le 14 juin 2011, vers 17 h 30, un employé ou un agent de Hachey Livestock a procédé au chargement de 119 porcs dans une remorque à Sussex, au Nouveau‑Brunswick, et les a amenés par camion jusqu’à l’abattoir L.G. Hébert et Fils Ltée, situé à Ste‑Hélène‑de‑Bagot, au Québec.

 

  Le camionneur est arrivé avec le chargement à l’abattoir le 15 juin 2011 vers 5 h. Il a fait le tour du chargement, n’a rien vu qui sortait de l’ordinaire, puis est retourné dans son camion pour dormir.

 

  Vers 8 h 30, le camionneur s’est fait dire que le moment était venu de décharger la remorque. Pendant le déchargement de la remorque, il est vite devenu évident que des pièces du plancher de la partie centrale de la remorque s’étaient détachées, de sorte que les porcs du niveau supérieur étaient tombés dans le compartiment où se trouvaient les porcs du niveau inférieur.

 

  En raison du fait que des porcs sont tombés sur d’autres porcs et du fait que plusieurs pièces de métal de neuf pouces de large par plusieurs pieds de long, qui composaient le plancher, sont tombées sur des porcs, huit porcs ont été trouvés morts dans la remorque, quatre ont été euthanasiés après avoir été déchargés en raison de leurs blessures et deux autres ont été condamnés après avoir été abattus en raison des blessures qu’ils avaient subies lorsqu’ils se trouvaient dans la remorque.

 

[55]         Le ministre a tiré des conclusions de fait semblables, sauf en ce qui concerne la largeur du plancher de métal (paragraphes 8 à 12 de la décision du ministre).

 

[56]         Cependant, le ministre ne tire pas de conclusions de fait sur le moment où les pièces du plancher se sont détachées ni sur la condition du camion et de la remorque de Hachey Livestock. Il se limite plutôt à répéter les observations de Hachey Livestock au sujet de ces éléments de preuve (paragraphes 14 à 16 de la décision du ministre). La Commission estime que ces conclusions de fait sont pertinentes et nécessaires pour trancher cette affaire.

 

[57]         Par conséquent, en ce qui a trait aux pièces du plancher qui se sont détachées, la Commission conclut que la meilleure preuve en l’espèce est celle fournie par le camionneur, qui a affirmé qu’au moment où il a effectué l’inspection à 5 h, à son arrivée à l’abattoir, il n’y avait aucun problème. S’il en avait été autrement, il aurait entendu des sons révélant l’inconfort des porcs et en aurait informé quelqu’un, soit à l’abattoir, soit chez Hachey Livestock. La Commission conclut que les commentaires de l’inspecteur Brock de l’Agence, selon lesquels les pièces du plancher se sont détachées avant l’arrivée de la remorque, sont très spéculatifs et rétrospectifs en fonction de la gravité des blessures des porcs. Par conséquent, la Commission tire la conclusion de fait selon laquelle les pièces du plancher de la remorque se sont détachées après l’arrivée de la remorque à l’abattoir, en attente du déchargement. La Commission conclut également que rien dans le dossier ne prouve que le plancher de la remorque a déjà subi pareil dommages avant le 15 juin 2011.

 

[58]         En ce qui a trait à la condition du camion et de la remorque de Hachey Livestock ayant servi à transporter ce chargement, la Commission conclut que la meilleure preuve en l’espèce est celle fournie par M. Jean‑Pierre Hachey (M. Hachey), selon laquelle il s’agissait d’une remorque haut de gamme de moins de trois ans bien entretenue par Hachey Livestock. À l’audience, M. Hachey a informé la Commission que le plancher en question était composé de plusieurs pièces de métal de neuf pouces de large par plusieurs pieds de long installées par ajustement serré sur des rails de soutien fixés sur les bords de la remorque. Le dossier atteste également ce fait. Selon le dossier, le camionneur a signalé qu’il a chargé les porcs dans la remorque au Nouveau‑Brunswick sans incident, qu’il a parcouru plus de 800 kilomètres et qu’à son arrivée à l’abattoir au Québec, la remorque n’avait rien qui clochait. De plus, l’Agence n’a fourni aucun élément de preuve révélant le contraire.

 

[59]         En conséquence, la Commission tient pour avéré que la remorque qu’a utilisée Hachey Livestock pour transporter le chargement était très récente, était en excellente condition et avait moins de trois ans, et que le plancher dont les pièces se sont détachées était composé de plusieurs pièces de métal de neuf pouces de large par plusieurs pieds de long installées par ajustement serré sur des rails de soutien fixés sur les bords de la remorque.

 

 

3.4.2         L’interprétation de la loi

 

[60]         L’alinéa 143(1)b) du RSA est formulé en ces termes :

 (1)  Il est interdit de transporter ou de faire transporter un animal dans un wagon de chemin de fer, un véhicule à moteur, un aéronef, un navire, un cageot ou un conteneur, si l’animal risque de se blesser ou de souffrir indûment en raison : [...]

 

b)  d’attaches mal assurées, de la présence de têtes de boulons, d’angles ou autres saillies; [...] [Non souligné dans l’original.]

 

[61]         Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la Commission conclut que le ministre a omis d’interpréter et d’expliquer les éléments de la violation alléguée, et que, par conséquent, le dossier ne comportait pas d’éléments de preuve, selon la prépondérance des probabilités, établissant que la violation a été commise. Par conséquent, la décision du ministre doit être annulée.

 

[62]         Pour qu’il y ait violation, l’animal doit « risquer » de se blesser ou de souffrir indûment en raison d’attaches mal assurées, de la présence de têtes de boulons, d’angles ou autres saillies. Le législateur a inclus intentionnellement et délibérément le verbe « risquer ». Il importe de souligner que, dans toute la partie XII (Transport des animaux) du RSA, qui énonce les exigences juridiques entourant le transport sûr et sans cruauté des animaux destinés à l’alimentation, le verbe « risquer » et l’adjectif « susceptible » sont utilisés respectivement seulement trois et deux fois. Malgré le fait que les dispositions de cette partie (articles 136 à 159) comportent 70 violations pouvant faire l’objet de sanctions administratives pécuniaires, seules celles décrites aux paragraphes 139(1), 139(2), 140(1), 140(2) et 143(1) utilisent le verbe « risquer » et l’adjectif « susceptible ».

 

[63]         Comment peut‑on donc interpréter l’utilisation du le verbe « risquer » à l’alinéa 143(1)b) du RSA? La Cour d’appel fédérale, dans les arrêts Doyon et Canada (Procureur général) c. Porcherie des Cèdres Inc., 2005 CAF 59 (Porcherie des Cèdres), et plus récemment dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Stanford, 2014 CAF 234 (Stanford), a fourni des directives sur l’interprétation du RSA. La méthode d’interprétation des lois qui est privilégiée a été ainsi formulée par E. A. Driedger dans Construction of Statutes (2e édition, 1983), à la page 87 :

 

[traduction]

Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou une seule solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

 

[64]         Il faut interpréter l’alinéa 143(1)b) de sorte à assurer l’atteinte d’un équilibre entre, d’une part, les activités commerciales habituelles des intervenants dans les systèmes de production agricole et agroalimentaire et, d’autre part, la protection des animaux dans ces systèmes. Par conséquent, l’interprétation des termes réellement employés pour définir une violation doit tenir compte de cet équilibre en raison de l’esprit et de l’objet de la Loi sur la santé des animaux (LSA) et du RSA.

 

[65]         Par conséquent, dans l’évaluation des éléments de preuve fournis à l’appui de la violation, la Commission doit interpréter les termes « si l’animal risque de se blesser ou de souffrir indûment en raison [...] d’attaches mal assurées, de la présence de têtes de boulons, d’angles ou autres saillies » dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la LSA, l’objet de la LSA et l’intention du législateur.

 

[66]         Pour être chargés ou transportés, les animaux devront nécessairement être forcés ou contraints d’entrer dans un espace confiné. Les industries de l’agriculture et de l’agroalimentaire ainsi que les organismes de réglementation reconnaissent que ces mesures peuvent faire en sorte que les animaux se blessent ou souffrent indûment, ou risquent de le faire. Par conséquent, les véhicules de transport ne doivent pas, en soi, être dangereux pour les animaux qu’ils transportent. Ils doivent être conservés en bon état de fonctionnement sans problème mécanique « risquant » de blesser les animaux, particulièrement en raison « d’attaches mal assurées, de la présence de têtes de boulons, d’angles ou autres saillies », comme l’exige l’alinéa 143(1)b) du RSA.

 

[67]         Toutefois, en utilisant le verbe « risquer » dans la formulation des normes à respecter aux termes de l’alinéa 143(1)b) du RSA, le législateur a reconnu que les industries de l’agriculture et de l’agroalimentaire ne seraient pas tenues d’avoir le pouvoir surhumain de prévoir et de prévenir des problèmes mécaniques imprévisibles que peut présenter du matériel de technologie récente bien entretenu. La prévisibilité relative et la diligence raisonnable ne doivent pas être combinées ni confondues (ce qui est explicitement exclu des moyens de défense à la disposition de Hachey Transport aux termes de l’article 18 de la Loi SAP).

 

 

3.4.3         L’application du droit aux faits et les conclusions juridiques en découlant

 

[68]         Les deux parties ont présenté des éléments de preuve révélant que, dans la remorque bien entretenue de Hachey Transport, des pièces de la section du plancher se sont détachées, ou la section du plancher a cédé ou s’est effondrée, et les barres d’acier composant le plancher sont tombées sur les porcs, ce qui a blessé gravement, et même tué, des porcs. La Commission tient pour avéré que la remorque était presque neuve, bien entretenue et de technologie récente, et que la situation visée en l’espèce ne s’était auparavant jamais produite dans cette remorque de Hachey Livestock. La Commission conclut, d’après le dossier, que le ministre a fourni peu d’éléments de preuve afin de contester l’une de ces conclusions de fait. Rien ne donnait à penser que le camionneur responsable du transport de la remorque, soit au moment du chargement le 14 juin 2015, soit à son arrivée à l’abattoir le 15 juin 2015, disposait d’un quelconque indice révélant que la remorque présentait un problème préexistant ou réel, ou un problème mécanique « risquant » de blesser les porcs qu’il transportait.

 

[69]         Compte tenu de cette disposition précise du RSA, le ministre devait prouver que les animaux de ce chargement « risquaient » de se blesser ou de souffrir indûment en raison d’attaches mal assurées dans la remorque pendant le transport commercial des animaux entre la ferme du producteur et l’abattoir du transformateur. La Commission n’est pas convaincue que le ministre a fourni suffisamment d’éléments de preuve selon lesquels les porcs « risquaient » de se blesser ou de souffrir indûment comme ce fut le cas. C’est plutôt un problème mécanique imprévisible touchant une partie du plancher de la remorque qui a causé les blessures pendant la période d’attente entre l’arrivée de la remorque à l’abattoir et l’abattage des porcs.

 

[70]         La Commission conclut qu’il convient de tenir compte du passage « si l’animal risque de se blesser ou de souffrir indûment » dans l’interprétation de l’alinéa 143(1)b) du RSA. La Commission conclut également que le ministre n’a pas présenté suffisamment d’éléments de preuve, le cas échéant, permettant de conclure que « l[es] anima[ux] risqu[aient] de se blesser ou de souffrir indûment ». Par conséquent, il est impossible de conclure qu’il existe un lien de causalité entre, d’une part, le risque auquel étaient exposés les animaux, et d’autre part, les attaches mal assurées, la présence de têtes de boulons, d’angles ou autres saillies.

 

 

4.                  Conclusion

 

[71]         En conclusion, la décision du 17 avril 2014 doit être annulée, parce que le ministre :

 

                                 i.            n’a pas tiré les conclusions de fait nécessaires pour établir s’il avait prouvé que Hachey Livestock avait commis la violation;

 

                               ii.            a omis de définir adéquatement la violation à prouver aux termes de l’alinéa 143(1)b) du RSA, comme l’exige le droit;

 

                             iii.            a commis une erreur dans l’interprétation de la loi et dans les conclusions de fait, a tiré une conclusion déraisonnable, incorrecte et entachée d’un vice fondamental.

 

[72]         La Commission ordonne l’annulation de la décision du ministre et conclut qu’il n’a pas été prouvé que la violation alléguée qui est décrite dans le procès-verbal no 1112QC0241, daté du 4 février 2013 et dressé à l’égard de Hachey Livestock, a été commise. Par conséquent, la demanderesse n’est pas tenue de payer de sanction pécuniaire à l’intimé suivant le procès-verbal.

 

Fait à Ottawa, le 9e jour du mois de septembre 2015.

 

 

 

 

___________________________________________________

Donald Buckingham, président

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.