Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

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Référence :     Marble Ridge Farms Ltd. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2015 CRAC 15

 

Date : 20150731

Dossier : CART/CRAC‑1839

 

ENTRE :

 

Marble Ridge Farms Ltd., demanderesse

 

 

‑ et ‑

 

 

Agence canadienne d’inspection des aliments, intimée

 

[Traduction de la version officielle en anglais]

 

DEVANT :       Le président Donald Buckingham

 

 

Avec :              David Hofer, représentant de la demanderesse

Francesco Maragoni, représentant de l’intimée

 

 

Affaire intéressant une demande de révision des faits présentée par la demanderesse en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, relativement à une violation, alléguée par l’intimée, de l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux.

 

DÉCISION RELATIVE À L’ADMISSIBILITÉ

 

La Commission de révision agricole du Canada STATUE, par ordonnance, que la demande de révision du procès-verbal no 1516WA0006, en date du 25 mai 2015, présentée par la demanderesse, Marble Ridge Farms Ltd., en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, relativement à une violation de l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux reprochée à la demanderesse par l’Agence canadienne d’inspection des aliments, N’EST PAS ADMISSIBLE et, conformément à la présente ordonnance, la Commission la REJETTE.

 

Sur observations écrites seulement.


 

 

Motifs de la décision relative à l’admissibilité

 

[1]              La présente affaire concerne un porc souffrant d’une patte cassée appartenant à Marble Ridge Farms Ltd. (Marble Ridge). Le 4 décembre 2014, Marble Ridge a chargé le porc en question qui, suivant le personnel de Marble Ridge, évitait de mettre du poids sur une patte mais se portait sur les quatre, pour un voyage de deux heures jusqu’à Winnipeg (Manitoba), en vue d’être vendu. Toutefois, à son arrivée à Winnipeg, les inspecteurs de l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence) ont inspecté la cargaison et ont découvert que le porc avait une patte cassée. À la suite de cette découverte, l’Agence a délivré le procès-verbal no 1516WA0006 à Marble Ridge le 25 mai 2015. Le procès-verbal a été réputé signifié à Marble Ridge le 6 juin 2015.

 

[2]              Dans le procès-verbal, Marble Ridge a été informée qu’en raison des faits allégués, elle avait violé l’alinéa 138(2)a) du Règlement sur la santé des animaux ce qui constituait une violation de l’article 7 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (la Loi SAP), et de l’article 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (le Règlement SAP). De plus, la violation alléguée était considérée comme une « violation grave » au sens de l’article 4 du Règlement SAP, pour laquelle la sanction applicable prévue était de 6 000 $. Pour protéger les droits que lui confère la Loi SAP, Marble Ridge n’a pas payé la sanction qui lui avait été infligée.

 

[3]              Dans une lettre datée du 26 juin 2015, envoyée par courrier ordinaire le même jour et reçue par la Commission de révision agricole du Canada (la Commission) le 3 juillet 2015, Marble Ridge a déposé une demande de révision demandant à la Commission de l’entendre sur les faits qui lui étaient reprochés dans son avis de violation, comme le lui permettait l’alinéa 9(2)c) de la Loi SAP. La lettre de Marble Ridge ne contenait aucune coordonnée électronique ou numéro de télécopieur.

 

[4]              Utilisant les seules coordonnées que Marble Ridge lui avait communiquées, la Commission a, par courrier ordinaire, adressé le 3 juillet 2015 une lettre à Marble Ridge demandant qu’on lui communique des renseignements au plus tard le 20 juillet 2015 conformément aux articles 30 et 31 des Règles de la Commission de révision (Commission de révision agricole du Canada) (les nouvelles Règles de la Commission) pour se prononcer sur l’admissibilité de la demande de Marble Ridge. Une copie des nouvelles Règles de la Commission était jointe à la lettre. Plus tard le jour même où la lettre avait été envoyée, le personnel de la Commission a réussi à repérer le numéro de téléphone et l’adresse électronique de Marble Ridge. Le personnel de la Commission a alors laissé un message dans la boîte vocale du contact téléphonique indiquant qu’il était impératif que Marble Ridge dépose sa demande de révision dès que possible par voie électronique ou par service de messagerie pour protéger ses droits.

 

[5]              Par courriel daté du 9 juillet 2015, l’Agence a fourni des renseignements complémentaires indiquant le 6 juin 2015 comme date de signification de l’avis de violation à Marble Ridge et précisant que l’amende de 6 000 $ n’avait pas encore été acquittée.

 

[6]              La Commission n’a reçu aucun autre renseignement de Marble Ridge avant la date limite du 20 juillet 2015. Le 21 juillet 2015, la Commission a envoyé, par courriel et par courriel ordinaire, une seconde lettre à Marble Ridge dans laquelle elle lui demandait de fournir des renseignements à l’appui de sa demande de révision en lui faisant observer qu’il était nécessaire que ces demandes soient envoyées par courrier recommandé pour être admissibles. La Commission a reçu une seconde communication écrite de Marble Ridge le 23 juillet 2015. Cette communication de Marble Ridge, qui renfermait les renseignements exigés par l’article 31 des nouvelles Règles de la Commission, ne portait aucune date mais avait été postdatée et envoyée par courrier recommandé le 17 juillet 2015.

 

 

Analyse et règles de droit applicables

 

[7]              La Loi SAP prévoit une procédure à deux volets sans doute unique en son genre, voire assez déconcertante, pour contester les avis de violation délivrés sous son régime. Elle prévoit que celui qui se voit signifier un avis de violation dispose de deux recours préliminaires pour en contester la validité ‑ une demande de révision adressée soit au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire ou au ministre de la Santé, selon le cas (paragraphe 8(1) et alinéa 9(2)b) de la Loi SAP), soit à la Commission pour qu’elle l’entende sur les faits reprochés (paragraphe 8(1) et alinéa 9(2)c) de la Loi SAP).

 

[8]              Dans les deux cas, la révision consiste en un examen administratif de la décision discrétionnaire prise par un organisme d’application de la loi de délivrer un avis de violation comportant un avertissement ou une sanction. Le réviseur – qu’il s’agisse du ministre ou de la Commission, selon le choix du requérant – reçoit la preuve des parties, examine les règles de droit applicables, les applique aux faits de l’espèce, et détermine ensuite la responsabilité de la personne qui demande la révision. Dans un cas comme dans l’autre, cet exercice aboutit à une décision administrative « de première instance » relativement à cette affaire.

 

[9]              Marble Ridge a choisi de s’adresser à la Commission au sujet de la décision administrative de « première instance ». Après avoir reçu le procès-verbal n1516WA0006, elle a, en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la Loi SAP, demandé à la Commission, comme elle en avait le droit, de l’entendre sur les faits qui lui étaient reprochés.

 

[10]         Lorsqu’elle révise les faits reprochés dans l’avis de violation, la Commission détermine la responsabilité du contrevenant (paragraphe 14(1) de la Loi SAP). Lorsqu’elle révise la décision du ministre, la Commission est soumise au droit administratif canadien et à ses procédures et s’en inspire. Bien entendu, les parties qui sont insatisfaites de la décision qu’elle rend à l’issue de la révision ont encore la possibilité d’en solliciter le contrôle judiciaire devant la Cour d’appel fédérale (CAF).

 

[11]         Aux termes de la Loi SAP, du Règlement SAP et des nouvelles Règles de la Commission, celle-ci doit, avant de procéder à l’audience complète d’une affaire, se prononcer sur l’admissibilité de la demande de révision présentée par le demandeur. Il y aura irrecevabilité absolue lorsque le demandeur a déjà payé la sanction jointe à le procès-verbal ou qu’il n’a pas déposé sa demande de révision dans le délai prescrit et selon les modalités réglementaires prévues par la Loi SAP et le Règlement SAP.

 

[12]         Le paragraphe 11(2) et le paragraphe 14(1) du Règlement SAP précisent le délai requis, ainsi que les modes de transmission autorisés pour le dépôt devant la Commission d’une demande de révision de la décision du ministre :

 

11. … (2) Lorsque, en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi, la personne nommée dans un procès-verbal qui comporte une sanction conteste les faits reprochés auprès du ministre ou demande à la Commission de l’entendre sur ces faits ou, si la sanction est de plus de 2 000 $, demande au ministre de transiger, elle le fait par écrit dans les 30 jours suivant la date de notification du procès-verbal.

 

[…]

 

14. (1) Une personne peut présenter une demande prévue aux articles 11, 12 ou 13 en la livrant en mains propres ou en l’envoyant par courrier recommandé ou par messagerie, ou par télécopieur ou autre moyen électronique, à une personne et à un lieu autorisés par le ministre.

 

[13]         La CAF a retenu une interprétation très stricte de ces dispositions, estimant qu’elles n’autorisaient pas le courrier ordinaire comme moyen de transmettre une demande de révision. Dans l’arrêt Renvoi relatif à l’article 14 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, DORS/2000‑187 (CA), 2012 CAF 130, la CAF a déclaré ce qui suit :

 

[22] À mon avis, l’article 14 ne saurait être interprété comme autorisant le courrier ordinaire comme moyen de transmettre une demande. Le paragraphe 9(2) de la Loi prévoit qu’une personne peut demander à la Commission de l’entendre sur les faits reprochés « dans le délai et selon les modalités réglementaires ». L’article 14 du Règlement ne prévoit tout simplement pas que le courrier ordinaire constitue une façon de présenter une demande à la Commission.

 

[23] Le fil conducteur qui se dégage de l’article 14 est que la question de savoir si une demande a été présentée dans le délai prescrit peut être examinée de façon indépendante par la Commission, soit en fonction de la date à laquelle la demande a été effectivement « transmise » ou « reçue » en mains propres ou par moyen électronique conformément à l’alinéa 14(2)a) ou 14(2)c), soit sur la foi d’éléments de preuve présentés par des tiers indépendants quant à la date à laquelle la demande a été « envoyée », lorsqu’on recourt comme mode de transmission au courrier recommandé ou à un service de messagerie. En pareil cas, l’alinéa 14(2)b) prévoit que la demande est réputée avoir été présentée à la date à laquelle le destinataire la reçoit ou à la date de récépissé remis à l’expéditeur par le service des postes ou le messager, celle de ces deux dates qui est antérieure à l’autre étant à retenir.

 

[24] Par contraste, si l’on interpolait le courrier ordinaire à l’article 14, on ne disposerait d’aucun moyen indépendant de déterminer si la demande postée a effectivement été envoyée, dans l’hypothèse où elle ne parviendrait pas à son destinataire. Ce problème aurait pu être résolu en présumant que cette demande a été faite à la date indiquée sur le cachet postal apposé sur l’enveloppe, comme on l’a fait dans le cas du paiement du montant réduit de la sanction prévu à l’article 10 (voir notamment l’alinéa 10(4)b)). Toutefois, ce n’est pas l’approche qui a été retenue et ceux qui ont rédigé le Règlement n’ont rien prévu à ce sujet au paragraphe 14(2). Il faudrait que la Cour se livre à un exercice illégitime de rédaction législative si elle devait interpoler à l’article 14 la méthode prévue à l’article 10 (comparer avec l’arrêt Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, aux paragraphes 97 à 99).

 

[25] Je conclus donc qu’on ne peut interpréter l’article 14 comme englobant le courrier ordinaire comme mode de transmission autorisé. [...]

 

[14]         C’est exactement la situation dans laquelle se trouve Marble Ridge pour ce qui est du dépôt de sa demande de révision qu’elle a adressée à la Commission en vue de l’entendre sur les faits qui lui sont reprochés dans le procès-verbal. Le délai prévu par la loi dans le cas de Marble Ridge pour la réception de sa demande de révision selon un mode de transmission autorisé était de 30 jours après la date de signification du procès-verbal. Marble Ridge a reçu signification le 6 juin 2015. Par conséquent, la dernière date à laquelle Marble Ridge pouvait respecter le délai de 30 jours en déposant sa demande de révision auprès de la Commission était le lundi 6 juillet 2015.

 

[15]         La première communication reçue par la Commission de Marble Ridge a malheureusement été envoyée par courrier ordinaire, et ce, même si elle avait été envoyée avant l’expiration du délai de 30 jours prescrit pour l’envoi d’une demande de révision. Cette lettre était datée du 26 juin 2015 et a été reçue par la Commission le 3 juillet 2015. Suivant les règles de droit énoncées dans le Renvoi relatif à l’article 14 du Règlement SAP, DORS/2000‑187, 2012 CAF 130, cette lettre ne satisfait pas aux exigences de la Loi SAP et du Règlement SAP et ne constitue donc pas une signification valide d’une demande de révision.

 

[16]         En revanche, la seconde communication envoyée par Marble Ridge, bien qu’elle ait été envoyée par courrier recommandé portant un timbre de Postes Canada indiquant la date du 17 juillet 2015, ne constitue pas non plus une date valide de demande de révision parce qu’elle a été adressée après l’expiration du délai de 30 jours prescrit pour le dépôt d’une telle demande.

 

[17]         Ce résultat peut sembler sévère et inéquitable, mais compte tenu de l’interprétation stricte donnée aux règles applicables par la CAF, la demande de révision de Marble Ridge n’est pas admissible, étant donné qu’elle n’a pas été déposée dans le délai prescrit par la loi selon un des modes de transmission autorisés.

 

[18]         Par conséquent, comme la première lettre de Marble Ridge n’a pas été transmise conformément à l’une des méthodes de transmission autorisées et que sa seconde lettre n’a pas été déposée dans le délai prescrit, la Commission n’a reçu aucune demande valable de révision. Malheureusement, dans les deux cas, Maple Ridge n’a pas respecté le délai qui lui était imparti ni le mode de transmission exigé par la Loi SAP et le Règlement SAP. Il s’agit d’un défaut qui ne peut plus être corrigé par la Commission ou par Marble Ridge, compte tenu de l’interprétation proposée par la CAF dans l’arrêt Renvoi relatif à l’article 14 du Règlement SAP, DORS/2000‑187, 2012 CAF 130, précité.

 

[19]         Par conséquent, la Commission conclut que la demande de révision que Marble Ridge souhaite adresser à la Commission n’est pas admissible. Suivant la loi, le défaut de Marble Ridge vaut déclaration de responsabilité à l’égard de la violation qui lui est reprochée dans le procès-verbal no 1516WA0006 daté du 4 décembre 2014. Le paragraphe 9(3) de la Loi sur les SAP est ci-après reproduit :

 

(3) Le défaut du contrevenant d’exercer l’option visée au paragraphe (2) dans le délai et selon les modalités prévus vaut déclaration de responsabilité à l’égard de la violation.

 

[20]         La Commission a examiné ces questions à la lumière des dispositions de la Loi SAP, du Règlement SAP, des nouvelles Règles de la Commission, de la jurisprudence applicable et de l’ensemble des observations fournies par les parties.

 

[21]         Les inspecteurs de l’Agence ont pour tâche de protéger les Canadiens, la chaîne alimentaire et la production agricole du Canada contre les risques que représentent les menaces biologiques pour les plantes, les animaux et les humains. Il ne fait aucun doute que ces tâches doivent être accomplies sérieusement. La Commission est consciente que l’Agence a mis en place ses propres mesures pour le traitement des plaintes formulées par les Canadiens contre les agissements de ses inspecteurs comme on peut le lire en consultant l’« Énoncé des droits et des services à l’intention des producteurs, des consommateurs et autres intervenants » sur le site Internet de l’Agence.

 

[22]         La capacité de la Commission d’accorder des réparations découle uniquement de ces lois habilitantes, qui ne lui accordent ni le mandat ni la compétence d’annuler ou de rejeter un avis de violation pour des motifs d’ordre humanitaire ou financier. Toutefois, Marble Ridge pourrait se renseigner auprès des représentants de l’Agence pour établir un calendrier de versement ou pour prendre d’autres dispositions que l’Agence pourrait juger acceptables relativement à l’acquittement de l’amende.

 

[23]         Cependant, la Commission informe Marble Ridge que cette violation n’est pas un acte criminel. Dans cinq ans, Marble Ridge pourra demander au ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire de rayer la violation de son dossier conformément à l’article 23 de la Loi SAP, qui dispose :

 

23. (1) Sur demande du contrevenant, toute mention relative à une violation est rayée du dossier que le ministre tient à son égard cinq ans après la date soit du paiement de toute créance visée au paragraphe 15(1), soit de la notification d’un procès-verbal comportant un avertissement, à moins que celui-ci estime que ce serait contraire à l’intérêt public ou qu’une autre mention ait été portée au dossier au sujet de l’intéressé par la suite, mais n’ait pas été rayée.

 

 

Fait à Ottawa (Ontario), en ce 31e jour de juillet 2015.

 

 

 

 

 

 

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Don Buckingham, président

 

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