Décisions de la Commission de révision agricole du Canada

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Référence :     Greidanus Poultry Service Ltd. c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), 2013 CRAC 28

 

 

 

 

Date :  20130913

Dossier : CART/CRAC‑1618

 

 

 

 

Entre :

 

 

 

 

 

 

 

Greidanus Poultry Service Ltd., demanderesse

 

 

 

 

‑ et ‑

 

 

 

 

Agence canadienne d’inspection des aliments, intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

[Traduction de la version officielle en anglais]

 

 

 

 

 

 

 

 

Devant :

Le président Donald Buckingham

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec :

R. Ian Robertson, avocat pour la demanderesse; et

 

Julia Turvey, avocate pour l’intimée

 

 

 

 

 

 

 

 

Affaire concernant une demande de révision des faits présentée par la demanderesse, en vertu de l’alinéa 9(2)c) de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, relativement à une violation, alléguée par l’intimée, du paragraphe 139(2) du Règlement sur la santé des animaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

DÉCISION

 

 

 

 

[1]     À la suite d’une audience et d’un examen de toutes les observations orales et écrites présentées par les parties, la Commission de révision agricole du Canada (la Commission) statue que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse, Greidanus Poultry Service Ltd., n’a pas commis la violation alléguée dans l’avis de violation 1011QC0220, daté du 22 février 2012, et n’a pas à payer la sanction pécuniaire à l’intimée, l’Agence canadienne d’inspection des aliments.

 

 

 

 

 

 

 

 

Audience tenue à Kitchener (Ontario),

 

 

les mercredi 10 avril et jeudi 11 avril 2013.


MOTIFS

 

Les incidents reprochés et les questions en litige

 

[2]              Le 22 février 2012, l’intimée, l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’Agence), a remis à la demanderesse, Greidanus Poultry Service Ltd. (Greidanus Poultry), deux avis de violation dans lesquels elle alléguait que Greidanus Poultry avait fait embarquer des animaux d’une façon susceptible de les blesser ou de les faire souffrir indûment, ce qui est contraire au paragraphe 139(2) du Règlement sur la santé des animaux. L’avis de violation 1011QC0220 portait sur un incident qui aurait eu lieu le 19 janvier 2011, à Bosanquet (Ontario), tandis que l’avis de violation 1112QC0097 portait sur un incident qui aurait eu lieu le 8 novembre 2011 à Teeswater (Ontario). Ces deux incidents font l’objet d’une instance et d’une décision distinctes, mais les parties ont accepté, tel que la Commission l’avait ordonné, que les deux affaires soient entendues en même temps.

 

[3]              Le paragraphe 139(2) du Règlement sur la santé des animaux est libellé comme suit :

 

139. (2)  Il est interdit d’embarquer ou de débarquer, ou de faire embarquer ou débarquer, un animal d’une façon susceptible de le blesser ou de le faire souffrir indûment.

 

[4]              En l’espèce, pour établir la validité de l’avis de violation 1011QC0220, portant sur l’incident qui aurait eu lieu le 19 janvier 2011 à Bosanquet (Ontario), et de l’avis de violation 1112QC0097, dans l’affaire connexe, portant sur l’incident qui aurait eu lieu le 8 novembre 2011 à Teeswater (Ontario), la Commission doit déterminer si l’Agence a établi tous les éléments exigés à l’appui des avis de violation contestés, à savoir :

 

  Élément no 1 – il y a eu embarquement d’une cargaison;

 

  Élément no 2 – la cargaison était un animal ou des animaux;

 

  Élément no 3 – l’embarquement de l’animal ou des animaux a causé la blessure de l’animal ou des animaux ou l’a ou les a fait souffrir indûment, ou était susceptible de lui ou de leur causer des blessures ou une souffrance indue;

 

  Élément no 4 – il existe un lien de causalité entre l’embarquement, la possibilité de blesser ou de faire souffrir indûment l’animal ou les animaux et Greidanus Poultry.

 

[5]              De plus, si elle conclut que l’Agence a établi tous les éléments exigés à l’appui des avis de violation contestés, la Commission doit déterminer si l’Agence a prouvé que le montant de la sanction est justifié pour chaque avis de violation aux termes de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (la Loi) et de son règlement d’application.

 

 

L’historique des procedures

 

[6]              L’avis de violation 1011QC0220, daté du 22 février 2012, indique que le 19 janvier 2011, à Bosanquet (Ontario), Greidanus Poultry aurait [traduction] « commis une violation, à savoir embarquer des animaux d’une façon susceptible de les blesser ou de les faire souffrir indûment, en contravention du paragraphe 139(2) du Règlement sur la santé des animaux, ce qui est contraire à l’article 7 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et à l’article 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire ».

 

[7]              L’avis de violation 1112QC0097, daté du 22 février 2012, indique que le 8 novembre 2011, à Teeswater (Ontario), Greidanus Poultry aurait [traduction] « commis une violation, à savoir embarquer des animaux d’une façon susceptible de les blesser ou de les faire souffrir indûment, en contravention du paragraphe 139(2) du Règlement sur la santé des animaux, ce qui est contraire à l’article 7 de la Loi sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire et à l’article 2 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire ».

 

[8]              L’Agence est réputée avoir signifié les deux avis de violation à Greidanus Poultry le 9 mars 2012. Conformément à l’article 4 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire (le Règlement), les violations ont été qualifiées de « graves », et la sanction pécuniaire pour chaque violation a été fixée à 6 000 $.

 

[9]              Dans une lettre datée du 14 mars 2012, envoyée à la Commission par télécopieur, puis par courrier recommandé, Greidanus Poultry, par l’entremise de son avocat, M. R. Ian Roberston (M. Robertson), a présenté à la Commission une demande de révision des faits relativement aux deux violations en application du paragraphe 9(2)c) de la Loi. Dans cette lettre, la demanderesse énonçait les motifs à l’origine de sa demande de révision. Le personnel de la Commission a confirmé auprès de M. Robertson que Greidanus Poultry souhaitait que la Commission examine les dossiers en anglais dans le cadre d’une audience qui serait tenue dans le sud‑ouest de l’Ontario.

 

[10]         Le 26 mars 2012, l’Agence a envoyé à Greidanus Poultry et à la Commission une copie de ses rapports (Rapports [collectivement] ou Rapport de l’Agence portant sur l’incident du 19 janvier 2011 et Rapport de l’Agence portant sur l’incident du 8 novembre 2011 [pour chaque rapport distinct]) concernant chacun des avis de violation. La Commission a reçu les Rapports le 27 mars 2012; ceux‑ci étaient toutefois présentés avec des parties en français et d’autres, en anglais.

 

[11]         Dans une communication à l’Agence datée du 27 mars 2012, la Commission invitait cette dernière à présenter en anglais ses observations qui étaient en français, étant donné que Greidanus Poultry avait choisi l’anglais comme langue des procédures. Le 25 avril 2012, l’Agence a indiqué qu’elle fournirait à Greidanus Poultry et à la Commission toutes ses observations en anglais; la Commission en a reçu copie le 1er mai 2012.

 

[12]         Dans une lettre datée du 2 mai 2012, la Commission invitait Greidanus Poultry et l’Agence à lui soumettre toutes leurs observations supplémentaires au plus tard le 1er juin 2012. La Commission a par la suite reporté ce délai au 7 août 2012.

 

[13]         Dans une lettre datée du 7 août 2012 et reçue par la Commission la journée même, Greidanus Poultry, par l’entremise de son avocat, M. Robertson, a fourni son argumentation à l’appui des demandes de révision qu’elle avait présentées.

 

[14]         Le 6 mars 2013, la Commission a envoyé aux parties des avis d’audience indiquant que l’audience demandée par Greidanus Poultry concernant les deux affaires aurait lieu les 10 et 11 avril 2013 à Kitchener (Ontario). La Commission a confirmé que les deux parties avaient bel et bien reçu les avis d’audience. L’audience demandée par Greidanus Poultry a eu lieu aux dates prévues; Greidanus Poultry y était représentée par son avocat, M. Robertson, et l’Agence, par son avocate, Mme Julia Turvey.

 

 

La preuve

 

Observations générales

 

[15]         Au début de l’audience, les parties ont convenu, et la Commission a rendu une ordonnance en conséquence, que les deux affaires soient entendues en même temps, en acceptant toutefois que, le cas échéant, les parties indiquent si les éléments de preuve déposés portent sur une des affaires ou sur les deux.

 

[16]         Le dossier écrit pour chaque affaire comprend les éléments suivants :

 

Pour l’Agence :

 

         Avis de violation 1011QC0220 daté du 22 février 2012, relativement à l’incident qui aurait eu lieu le 19 janvier 2011 à Bosanquet (Ontario) et Rapport de l’Agence sur l’incident (dans sa version originale et en version traduite en anglais, en format papier et sur disque compact);

 

         Avis de violation 1112QC0097 daté du 22 février 2012 relativement à l’incident qui aurait eu lieu le 8 novembre 2011 à Teeswater (Ontario) et Rapport de l’Agence sur l’incident (dans sa version originale et en version traduite en anglais, en format papier et sur disque compact), ce qui comprend, à l’onglet 22 du Rapport, une lettre datée du 15 novembre 2011 provenant du Dr Louis Fortin et destinée à Greidanus Poultry au sujet de cet incident et d’autres événements.

 

 

Pour Greidanus Poultry :

 

         Demande de révision des faits présentée par M. Robertson et datée du 14 mars 2012, relativement à l’avis de violation 1011QC0220 daté du 22 février 2012 portant sur l’incident qui aurait eu lieu le 19 janvier 2011 à Bosanquet (Ontario);

 

         Demande de révision des faits présentée par M. Robertson et datée du 14 mars 2012, relativement à l’avis de violation 1112QC0097 daté du 22 février 2012 portant sur l’incident qui aurait eu lieu le 8 novembre 2011 à Teeswater (Ontario); et lettre datée du 6 décembre 2011 provenant de Greidanus Poultry et destinée au Dr Louis Fortin (onglet 23 du Rapport de l’Agence) en réponse à la lettre de ce dernier (onglet 22 du Rapport de l’Agence) au sujet de l’incident en question.

 

[17]         Les parties ont également présenté un témoignage oral au cours de l’audience, par l’entremise des témoins suivants :

 

Pour l’Agence :

 

         Dre Stéphanie Lefebvre (Dre Lefebvre), docteure en médecine vétérinaire, qui a présenté un témoignage d’expert sur la pathologie des poulets ainsi qu’un témoignage sur l’incident du 19 janvier 2011;

 

         Dr Louis Fortin (Dr Fortin), docteur en médecine vétérinaire, qui a présenté un témoignage d’expert sur la pathologie des poulets ainsi qu’un témoignage sur l’incident du 8 novembre 2011;

 

         M. Donato Fazio (M. Fazio), enquêteur de l’Agence, qui a mené une enquête sur les deux incidents, a présenté des documents et a compilé les Rapports de l’Agence à cet égard; il a également présenté un témoignage au sujet des deux incidents.

 

 

Pour Greidanus Poultry :

 

         M. Terry Greidanus (M. Greidanus), propriétaire et président de Greidanus Poultry, qui a présenté un témoignage d’expert au sujet de la capture et de l’embarquement des poulets ainsi qu’un témoignage sur les incidents du 19 janvier et du 8 novembre 2011;

 

         M. James Bank (M. Bank), employé de Greidanus Poultry, qui a présenté un témoignage d’expert au sujet de la capture et de l’embarquement des poulets ainsi qu’un témoignage sur l’incident du 8 novembre 2011;

 

         M. Gary Souch (M. Souch), employé de Greidanus Poultry, qui a présenté un témoignage d’expert au sujet de la capture et de l’embarquement des poulets ainsi qu’un témoignage sur l’incident du 19 janvier 2011;

 

         M. Jason Buttar (M. Buttar), employé de Greidanus Poultry, qui a témoigné au sujet de l’incident du 19 janvier 2011.

 

[18]         À l’audience, les parties ont également versé en preuve les six pièces suivantes :

 

Pour l’Agence :

 

         Pièce 1 – Curriculum vitæ et formation professionnelle continue de Stéphanie Lefebvre (non datés), lesquels sont pertinents en ce qui a trait aux deux incidents en question;

 

         Pièce 2 – Facture datée du 26 janvier 2011, produite par Greidanus Poultry et destinée à la Ferme des Voltigeurs pour la capture et l’embarquement à la ferme des producteurs Rombouts les 19 et 20 janvier 2011;

 

         Pièce 3 – Curriculum vitæ et formation professionnelle continue de Louis Fortin (non datés), lesquels sont pertinents en ce qui a trait aux deux incidents en question;

 

         Pièce 4 – Facture datée du 18 novembre 2011 produite par Greidanus Poultry et destinée à Avicomax Inc. pour la capture et l’embarquement à la ferme du producteur Ritchie les 8 et 9 novembre 2011.

 

 

Pour Greidanus Poultry :

 

         Pièce 5 – Livret intitulé « Should this bird be loaded? » [Cet oiseau devrait-il être embarqué?], un guide sur la préparation, l’embarquement et le transport de la volaille (Ontario Farm Animal Council et al., non daté), qui est pertinent relativement aux deux incidents en question;

 

         Pièce 6 – Livret intitulé « Broiler Chicken Industry – Safe Work Practices » [L’industrie du poulet à griller – pratiques de travail sécuritaires] (Poultry Service Association et al., non daté), qui est pertinent en ce qui a trait aux deux incidents en question.

 

 

Éléments de preuve communs aux deux affaires

 

[19]         Bien que les deux incidents ayant donné lieu aux accusations pour lesquelles des avis de violation ont été signifiés à Greidanus Poultry soient distincts, la Commission est en mesure d’accepter plusieurs éléments de preuve qui sont communs aux deux incidents examinés, même si près de 10 mois se sont écoulés entre eux.

 

[20]         Pour comprendre les deux incidents, il est essentiel d’examiner le processus selon lequel les poulets vivants sont acheminés de la ferme d’origine à l’usine de transformation où ils doivent ensuite être abattus. MM. Greidanus, Bank, Souch et Buttar ont présenté à la Commission un aperçu de la façon dont se déroule généralement ce processus à partir de la capture des poulets jusqu’à leur embarquement à la ferme d’origine, tandis que les Drs Fortin et Lefebvre et M. Fazio ont présenté à la Commission un aperçu de la façon dont ce processus se déroule à partir du débarquement des poulets jusqu’à leur transformation à l’abattoir. Évidemment, d’un point de vue légal, les règles établies dans la Partie XII du Règlement sur la santé des animaux exigent que le processus en entier se déroule sans cruauté. De la même façon, les associations de l’industrie reconnaissent l’importance de faire en sorte que le transport des poulets s’effectue sans cruauté et de prendre les mesures nécessaires pour ce faire (onglet 29 du Rapport de l’Agence relativement à l’incident du 19 janvier 2011; onglet 24 du Rapport de l’Agence relativement à l’incident du 8 novembre 2011; et pièces 5 et 6).

 

[21]         La procédure pour transporter les poulets de la ferme d’origine jusqu’à l’abattoir aux fins de transformation se déroule de la façon décrite ci‑après. Immédiatement avant que les poulets atteignent le poids marchand souhaité, le transformateur et le producteur négocient la vente des oiseaux et leur livraison à partir des installations du producteur jusqu’à l’abattoir du transformateur. Ainsi, les poulets doivent être ramassés, capturés, placés dans des cages et embarqués dans des camions, transportés, sortis des cages, puis transportés au poste d’abattage de l’abattoir. De nombreux intervenants participent à ce processus. Du côté du producteur, l’agriculteur est généralement présent lorsque l’équipe de ramasseurs de poulets et de responsables de l’embarquement arrivent. Les ramasseurs de poulets capturent les animaux, puis les remettent aux responsables de l’embarquement, qui sont sur la remorque et qui placent les poulets dans les cageots situés sur la remorque, puis referment les couvercles des cageots. Au fur et à mesure que les cageots se remplissent, le conducteur du camion avance jusqu’à ce que tous les cageots soient pleins. Une fois l’embarquement terminé, le camionneur sécurise le chargement, généralement en installant des bâches, puis conduit les poulets à l’usine de transformation située quelques kilomètres plus loin, voire plusieurs centaines de kilomètres plus loin. Là‑bas, les cageots sont débarqués du camion, les poulets sont sortis des cages une fois dans l’abattoir, puis sont abattus et transformés. Il y a inspection des poulets ante mortem et post mortem, inspection qui permet de vérifier l’état de santé et les conditions de transport, c’est‑à‑dire si celui‑ci s’est déroulé sans cruauté. Si des poulets morts ou malades sont trouvés à l’inspection, ils sont comptés et un rapport est préparé, après quoi des mesures coercitives peuvent être prises par l’Agence, le cas échéant, contre quiconque viole la réglementation relative au transport sans cruauté des animaux à une étape ou une autre du processus.

 

 

Éléments de preuve portant sur l’incident des 19 et 20 janvier 2011

 

[22]         Les parties ne contestent pas bon nombre des faits concernant les produits transportés, certains aspects du processus utilisé pour transporter les produits et les intervenants ayant participé au processus pour ce qui est de l’incident des 19 et 20 janvier 2011. Les faits convenus sont les suivants :

 

         Producteurs : Peter et Lisa Rombouts, dont la ferme est située à Bosanquet (Ontario)

 

         Équipe chargée de la capture : Greidanus Poultry, c’est‑à‑dire M. Buttar dans le rôle du contremaître responsable de l’équipe de ramasseurs de poulets et de l’équipe effectuant l’embarquement, et M. Souch, qui faisait partie des personnes responsables de l’embarquement des poulets dans les cages sur le camion

 

         Grosseur des poulets à transporter : de 3,8 à 4,0 kg (gros poulets – poulets à griller)

 

         Densité de chargement des poulets par cage : 6 ou 7

 

         Nombre de poulets embarqués et transportés : 9 599 sur deux remorques, l’une transportant 4 824 poulets et l’autre, 4 775 poulets

 

         Transporteur : Les Volailles Trans Canada Inc.

 

         Transformateur : Ferme des Voltigeurs Inc., Saint‑Charles‑de‑Drummond (Québec)

 

         Date et heure du début de la capture et de l’embarquement : pour la première remorque : le 19 janvier 2011 à 17 h 45; pour la deuxième remorque : 19 janvier 2011, à 19 h 55

 

         Date et heure de départ de la ferme de la dernière remorque chargée : le 19 janvier 2011, à 22 h

 

         Distance et durée approximative du trajet de la ferme jusqu’à l’usine de transformation : 924 km – environ 10 heures et 38 minutes

 

         Date et heure d’arrivée du chargement à l’usine de transformation : le 20 janvier 2011, 6 h pour la première remorque, et 7 h 43 pour la deuxième remorque

 

         Date et heure du début de la transformation : le 20 janvier 2011, 9 h 30 pour la première remorque, et 14 h 30 pour la deuxième remorque

 

         Durée totale, à partir du début du chargement jusqu’au début de la transformation : 15 heures et 45 minutes pour la première remorque et 18 heures et 35 minutes pour la deuxième remorque

 

         Personnes ayant effectué l’inspection ante mortem et post mortem à l’usine de transformation et heure de l’inspection : Luc Henri, inspecteur de l’ACIA – inspection ante mortem à 9 h 30 le 20 janvier 2011; Dre Lefebvre – inspection ante mortem à 10 h 15 le 20 janvier 2011, pour le premier chargement de poulets; personne non précisée – inspection ante mortem à 14 h 30 le 20 janvier 2011, pour le deuxième chargement de poulets

 

         Nombre de poulets trouvés morts au moment du déchargement à l’usine de transformation : 334

 

         Nombre de poulets trouvés morts sur le dos au moment du déchargement à l’usine de transformation : 156

 

         Enquêteur de l’Agence responsable de l’enquête après l’incident : M. Fazio

 

(Onglets 20, 21, 23 et 25 du Rapport de l’Agence et témoignage oral de la Dre Lefebvre et de MM. Fazio, Greidanus, Souch et Buttar)

 

[23]         En l’espèce, les actes reprochés à Greidanus Poultry ont trait au fait que les poulets auraient été embarqués « d’une façon susceptible de [les] blesser ou de [les] faire souffrir indûment » le soir du 19 janvier 2011. L’Agence a présenté plusieurs centaines de pages de documents écrits à l’appui de sa position. À l’audience, la Commission a entendu le témoignage de sept témoins, pour une durée totale de près de deux jours complets. Sur le plan de la preuve, les parties n’ont pas contesté le fait que Greidanus Poultry a embarqué les poulets en question la nuit du 19 janvier 2011. La preuve indique aussi clairement que le 20 janvier 2011, lorsque les poulets ont été débarqués aux fins de transformation, 334 des 9 599 oiseaux étaient morts et 156 oiseaux morts se trouvaient sur le dos. À la lumière de ces éléments de preuve, la Commission juge que l’Agence a prouvé les deux premiers éléments de la violation alléguée, dont il est fait état au paragraphe 4 ci‑dessus, c’est‑à‑dire qu’une cargaison a été embarquée et que cette cargaison était composée d’animaux.

 

[24]         Ce sont les éléments de preuve produits par les parties au sujet de l’élément no 3 – le fait que l’embarquement des animaux ait causé la blessure des animaux ou les ait fait souffrir indûment – et de l’élément no 4 – le fait qu’il y ait un lien de causalité entre l’embarquement, la possibilité de blesser ou de faire souffrir indûment les animaux et Greidanus Poultry – qui exigent un examen approfondi par la Commission.

 

[25]         Les deux parties ont présenté une preuve directe et des témoignages d’expert sur la façon dont les poulets ont été embarqués le 19 janvier 2011 et sur la façon dont ils pourraient être décédés après leur embarquement, mais avant leur débarquement de nombreuses heures plus tard et de nombreux kilomètres plus loin le 20 janvier 2011.

 

[26]         La Commission examinera d’abord la preuve directe des parties présentée par les personnes qui étaient sur place au moment de l’embarquement des oiseaux. Ces éléments sont présentés à la Commission à la fois par l’Agence et Greidanus Poultry.

 

[27]         L’Agence a présenté, à l’onglet 20 du Rapport de l’Agence, une preuve directe écrite concernant les conditions de capture qui ont été observées la nuit du 19 janvier 2011. L’onglet 20 contient trois documents et six photos. Les photos ne fournissent pas de précisions sur la manière dont les poulets ont été capturés ou embarqués cette nuit‑là, mais les trois documents sont en revanche pertinents à cet égard. Le premier document s’intitule « Chicken Farmers of Ontario Flock Production and Marketing Form » [formulaire sur le marketing et la production de volaille des Chicken Farmers of Ontario], et les deuxième et troisième s’intitulent « Chicken Farmers of Ontario Flock Information Reporting Form » [feuille d’information sur la bande des Chicken Farmers of Ontario]. Sur les deux derniers documents, il y a une case pour inscrire des commentaires ponctuels en ce qui a trait au processus de capture des animaux. Quant au deuxième document, pour les 4 824 premiers poulets capturés le soir du 19 janvier 2011, la feuille d’information sur la bande affiche le commentaire [traduction] « Bien » en ce qui a trait au processus de capture. Pour les 4 775 autres poulets capturés ce soir‑là, la feuille d’information sur la bande contient le commentaire « OK » en ce qui a trait au processus de capture. Ces commentaires ont été rédigés ou approuvés par le producteur, qui doit apposer sa signature au bas du formulaire. Ces faits ont été confirmés dans le témoignage oral de M. Greidanus et ils ne sont pas contestés par l’Agence. Tous les formulaires figurant à l’onglet 20 du Rapport de l’Agence sont signés par Lisa Rombouts, la productrice des poulets capturés et embarqués le 19 janvier 2011. L’Agence n’a fourni aucune autre preuve directe sous forme écrite concernant les conditions de capture observées le soir du 19 janvier 2011.

 

[28]         L’Agence n’a présenté aucune preuve orale directe concernant les conditions de capture observées la nuit du 19 janvier 2011, étant donné qu’aucun employé de l’Agence n’était présent au moment de l’embarquement et que tous les témoins cités par l’Agence étaient des employés de l’Agence.

 

[29]         Pour Greidanus Poultry, il y a une preuve écrite directe concernant les conditions de capture et d’embarquement la nuit du 19 janvier 2011, bien que cette preuve soit très ténue. Dans sa demande de révision des faits, Greidanus Poultry a fait valoir que [traduction] « ses employés ont suivi une formation rigoureuse, que les oiseaux en question ont été correctement placés dans les cageots de transport, debout, et que tout oiseau qui aurait ensuite été trouvé sur le dos s’est retourné après avoir été correctement placé en position debout dans les cageots ».

 

[30]         À l’audience, Greidanus Poultry a présenté une preuve directe comportant de plus amples détails au sujet des conditions de capture la nuit du 19 janvier 2011 au moyen des témoignages de MM. Souch et Buttar, qui étaient sur place au moment de la capture et de l’embarquement des poulets cette nuit‑là.

 

[31]         Dans son témoignage, M. Souch a expliqué qu’il exerçait le métier de ramasseur de poulets depuis 24 ans et qu’il travaillait pour Greidanus Poultry depuis 2005 à ce titre. M. Souch a été reconnu comme expert et était donc en mesure de fournir un témoignage d’expert concernant la capture et l’embarquement des poulets. Il travaille actuellement à l’embarquement des poulets pour Greidanus Poultry. Il a expliqué à la Commission qu’il avait suivi un cours sur les mesures de sécurité relatives à la manipulation des oiseaux offert par Greidanus Poultry en 2010, puis qu’il avait participé en 2011 à un autre séminaire de formation organisé par l’entreprise sur le même sujet. M. Souch a expliqué que le processus général pour la capture et l’embarquement des oiseaux était le suivant :

 

1.      l’agriculteur enlève la nourriture et l’eau aux poulets;

 

2.      le transporteur arrive;

 

3.      l’équipe responsable de la capture et de l’embarquement arrive;

 

4.      le contremaître de l’équipe de capture et d’embarquement des poulets poursuit les poulets pour les diriger dans une zone clôturée du poulailler, de plus petite taille, afin de faciliter le processus de capture;

 

5.      le transporteur se prépare en vue de l’embarquement des poulets en enlevant la première rangée de cageots du camion;

 

6.      les ramasseurs de poulets commencent à capturer les poulets en en attrapant trois ou quatre dans chaque main;

 

7.      les ramasseurs de poulets apportent les oiseaux au responsable de l’embarquement qui remplit ensuite les cageots du camion;

 

8.      au fur et à mesure que les rangées de cageots se remplissent, les responsables de l’embarquement remplissent les rangées suivantes jusqu’à ce que le camion soit entièrement rempli ou qu’il ne reste plus de poulets à embarquer.

 

M. Souch a expliqué que huit personnes faisaient partie de l’équipe de Greidanus Poultry responsable de l’embarquement des poulets des producteurs Rombouts le 19 janvier 2011. Il faisait lui‑même partie de cette équipe. M. Souch a expliqué à la Commission que le conducteur du camion de transport avait indiqué aux membres de l’équipe combien de poulets ils devaient placer dans chaque cageot, soit six ou sept poulets seulement, étant donné qu’il s’agissait de gros oiseaux. M. Souch a expliqué que les cageots auraient pu contenir huit ou neuf oiseaux de cette grosseur et qu’il croyait qu’il restait de la place dans les cages des oiseaux qui avaient été embarqués cette nuit‑là. M. Souch a expliqué à la Commission que s’il avait embarqué des oiseaux qui avaient atterri sur le dos, il les aurait retournés pour qu’ils soient debout sur leurs pattes avant de refermer le couvercle du cageot. De plus, si un oiseau devait mourir dans le cageot, il avait suffisamment de place pour se retourner sur le dos. Il a affirmé n’avoir vu aucun oiseau mourir dans les cageots cette nuit‑là pendant l’embarquement et qu’il ne se souvenait pas d’avoir vu des oiseaux s’étant retournés sur le dos après l’embarquement à la ferme des Rombouts.

 

[32]         Au cours du contre‑interrogatoire, M. Souch a expliqué à la Commission qu’il arrivait parfois que les poulets soient placés sur le dos dans les cageots, leur nombre pouvant aller jusqu’à deux par cageot, mais qu’il n’avait vu aucun poulet sur le dos lorsqu’il avait refermé le couvercle des cageots après le chargement à la ferme des producteurs Rombouts. Il a affirmé qu’il devait travailler rapidement et qu’il avait environ 15 secondes pour remplir un cageot et s’assurer qu’aucun poulet n’était sur le dos. M. Souch a affirmé qu’il n’avait vu aucun poulet mort dans les cageots après l’embarquement à la ferme des producteurs Rombouts. Enfin, il a déclaré fermement qu’il était impossible qu’il ait manqué ne serait‑ce qu’un seul poulet placé sur le dos dans un cageot sur la quantité de plus de 4 000 poulets qu’il avait embarqués cette nuit‑là. En réponse à la question de l’avocate de l’Agence, il a affirmé à la Commission qu’il n’avait jamais été informé qu’il y avait eu des problèmes en ce qui a trait à la façon dont ces poulets avaient été capturés et embarqués.

 

[33]         Dans son témoignage, M. Buttar a affirmé qu’il travaillait pour Greidanus Poultry à titre de ramasseur de poulets et de contremaître de l’équipe depuis sept ans. Il occupe actuellement le poste de contremaître de l’équipe pour Greidanus Poultry. Il a expliqué à la Commission qu’il avait suivi un cours sur les mesures de sécurité relatives à la manipulation des oiseaux offert par Greidanus Poultry en 2010, et qu’il avait ensuite approuvé des séances d’information de l’entreprise présentées annuellement sur le même sujet. M. Buttar a expliqué que son travail à titre de contremaître consistait à sélectionner des ramasseurs de poulets et des responsables de l’embarquement compétents et expérimentés pour un mandat donné, à discuter avec l’agriculteur, à installer le poulailler en vue de la capture et de l’embarquement et à déterminer combien de poulets embarquer. M. Buttar a expliqué qu’il était le contremaître de l’équipe de Greidanus Poultry qui avait embarqué les poulets des producteurs Rombouts le 19 janvier 2011. Ainsi, c’est lui qui avait mis sur pied l’équipe et discuté de tout problème relatif aux poulets avec l’agriculteur. M. Buttar a confirmé à la Commission que cette nuit‑là, il avait discuté des problèmes de santé de la bande de poulets avec le producteur, et que celui‑ci l’avait informé qu’il avait observé un taux élevé de décès chez les poulets la semaine précédant l’embarquement, de l’ordre de 80 oiseaux par jour au cours de cette période, ce que M. Buttar a pu vérifier en consultant le registre du producteur la journée de l’embarquement. M. Buttar a poursuivi en disant que M. Rombouts était resté avec les ramasseurs de poulets et les responsables de l’embarquement pendant tout le processus d’embarquement et qu’il n’avait exprimé aucune préoccupation à M. Buttar concernant la capture et l’embarquement des oiseaux. M. Buttar a toutefois affirmé qu’à la fin du processus d’embarquement, il avait discuté avec le producteur et avait remarqué au moins 60 oiseaux morts et 10 oiseaux de plus petite taille qui semblaient blessés ou affaiblis dans le poulailler du producteur; ces oiseaux n’avaient pas été embarqués par son équipe. M. Buttar a affirmé que les cageots dans lesquels ces gros oiseaux avaient été placés cette nuit‑là pouvaient contenir environ neuf oiseaux de 4 kg, de sorte que si l’on suivait les instructions d’embarquement, c’est‑à‑dire si on plaçait seulement six ou sept oiseaux par cageot, il restait de la place pour un ou deux oiseaux dans chaque cageot.

 

[34]         Pendant le contre‑interrogatoire, M. Buttar a expliqué à la Commission que le taux élevé de mortalité à la ferme des producteurs Rombouts qui avait été observé les journées précédant l’embarquement n’avait été porté à son attention qu’à la fin du processus d’embarquement. Même s’il s’agissait là d’une préoccupation, l’un des camions chargés était déjà parti lorsque M. Buttar a appris ce fait et, de toute façon, il a expliqué à la Commission que la décision de faire partir ou non le camion relevait du producteur ou alors du transformateur. Toutefois, M. Buttar a affirmé qu’à titre de contremaître, il avait l’obligation de n’embarquer que des oiseaux qui étaient aptes au transport. En réponse à une question de l’avocate de l’Agence, M. Buttar a expliqué à la Commission qu’il n’avait remarqué aucune blessure sur les poulets qui avaient été embarqués ce soir‑là. Il a également affirmé que le producteur, M. Rombouts, était sur place au moment de la capture et de l’embarquement, qu’il lui avait parlé et qu’il avait apporté des boissons gazeuses à l’équipe responsable de la capture. Pendant tout ce temps, M. Rombouts n’a jamais formulé de commentaire négatif au sujet de la capture et de l’embarquement des animaux. M. Buttar a affirmé qu’il avait assumé le rôle de contremaître pour l’ensemble du processus, mais qu’il n’avait pas vu la capture et l’embarquement de tous les poulets pendant la durée totale du processus où ceux‑ci ont été embarqués dans les deux camions. Il a toutefois affirmé à la Commission que lorsqu’il a vu le chargement, il était [traduction] « certain que 100 % des poulets étaient en position debout dans les deux camions ».

 

[35]         La majeure partie de la preuve orale et écrite de l’Agence porte sur l’état des oiseaux tels qu’ils ont été trouvés par les représentants de l’Agence au moment du débarquement de la volaille le 20 janvier 2011, à l’abattoir situé au Québec. L’opinion d’expert porte quant à elle sur le lien entre ces observations et la cause possible du décès des 334 poulets trouvés morts dans les deux chargements provenant de la ferme des producteurs Rombouts de l’Ontario qui avaient été embarqués en Ontario la veille.

 

[36]         Le premier témoin de l’Agence, la Dre Lefebvre, est une vétérinaire qualifiée employée par l’Agence qui travaillait à la Ferme des Voltigeurs Inc. de Saint‑Charles‑de‑Drummond, au Québec, le 20 janvier 2011, à titre de vétérinaire responsable. La Dre Lefebvre possède une vaste expérience en pathologie des poulets et a été reconnue comme experte dans ce domaine aux fins de la présentation d’un témoignage d’expert. Son témoignage oral, ses Rapports écrits (onglets 23 et 25 du Rapport de l’Agence), son courriel destiné à M. Fazio (onglet 27) et les photos qu’elle a prises le jour même (onglets 22 et 23 du Rapport de l’Agence) décrivent les conditions qu’elle a observées chez les poulets au moment du débarquement au Québec. La Dre Lefebvre a expliqué qu’au moment du débarquement des poulets, l’autre inspecteur de l’Agence qui travaillait à l’abattoir cette journée‑là, Luc Henri, et elle‑même avaient constaté que de nombreux poulets se trouvaient sur le dos. Après avoir fait ce constat, elle a demandé au personnel de l’usine de transformation de compter et de recueillir les oiseaux morts, en prenant note du nombre d’oiseaux qui se trouvaient sur le dos. La Dre Lefebvre a expliqué à la Commission que même en tenant compte de la densité de chargement de six ou sept poulets par cageot, ce qui constituait une densité acceptable, il aurait été impossible qu’un poulet puisse se retourner sur le dos. Parmi les oiseaux morts, une proportion d’environ 45 % était sur le dos, ce qui est anormal. La seule explication plausible, selon son opinion professionnelle, était que les poulets morts qui se trouvaient sur le dos avaient été placés incorrectement dans les cageots, c’est‑à‑dire qu’ils avaient été placés sur le dos. Si l’on place des oiseaux sur le dos, compte tenu de leur physiologie, ils manquent d’oxygène, voient leur peau bleuir, souffrent et meurent. La Dre Lefebvre a affirmé que c’est ce qu’elle avait observé chez les poulets morts sur les deux remorques.

 

[37]         La Dre Lefebvre a aussi expliqué que les poulets grossissent rapidement et que dans certains cas, le cœur n’arrive pas à suivre la cadence. Il existe une maladie ou syndrome connu sous le nom de « maladie de la mort subite » et qui fait en sorte qu’un poulet, debout sur ses pattes, se retourne soudainement sur le dos et meurt dans les minutes qui suivent. Elle a ajouté que la cause de cette maladie demeure obscure et qu’elle est très rare, mais qu’elle peut décimer jusqu’à 50 % d’une bande d’oiseaux et que ceux‑ci ne montrent généralement aucune lésion particulièrement au moment de l’examen. À l’onglet 27 du Rapport de l’Agence, la Dre Lefebvre affirme que l’explication de M. Greidanus selon laquelle les poulets sont morts d’une crise cardiaque causée par le stress découlant de la manipulation et du transport n’était pas plausible pour les trois raisons suivantes :

 

1.      [traduction] « Compte tenu de la présence d’autres oiseaux dans le cageot, il est impossible qu’un oiseau soit tombé et qu’il se soit retrouvé sur le dos. Si un oiseau est sur le dos, c’est parce qu’il a été placé dans cette position par le ramasseur de poulets »;

 

2.      [traduction] « Un transporteur a fourni des éléments de preuve dans le premier Rapport concernant les conditions dans lesquelles les oiseaux ont été capturés »;

 

3.      [traduction] « Quant à l’explication selon laquelle les oiseaux auraient eu une "crise cardiaque", une faible proportion des oiseaux morts qui se trouvaient sur le dos montraient effectivement des symptômes d’un problème cardiaque (ascite). Ces oiseaux auraient survécu au transport s’ils avaient été placés dans une position normale. »

 

[38]         Au cours du contre‑interrogatoire, la Dre Lefebvre a expliqué à la Commission qu’elle n’était pas présente lorsque les poulets ont été embarqués, qu’elle avait observé les poulets pour la première fois après le début du débarquement en vue de la transformation et que, bien que les remorques contenant les poulets aient été équipées de bâches, elle ne savait pas à quel moment les bâches avaient été retirées. Elle a affirmé que la densité de chargement des poulets était de six ou sept poulets par cageot, mais elle n’était pas en mesure de dire si les cageots auraient pu en contenir plus. Lorsqu’elle les a observés, les poulets étaient humides, car ils étaient couverts d’excréments ou de condensation, ou des deux. En réponse à une question de l’avocat de Greidanus Poultry, la Dre Lefebvre a dit à la Commission qu’elle n’avait jamais communiqué avec le producteur pour obtenir d’autres renseignements. La Dre Lefebvre a affirmé que les poulets grossissent très rapidement et que leur cœur en ressent les contrecoups, mais elle a toutefois nuancé ses propos en affirmant que ce ne sont pas tous les oiseaux qui sont touchés, bien que cette tendance soit à la hausse depuis quelques années et que la pathologie qui en découle soit également en augmentation. La Dre Lefebvre a ajouté qu’il n’est pas normal que des poulets se retrouvent sur le dos à leur arrivée à l’abattoir, mais que les problèmes se trouvent certainement augmentés lorsque les chargements doivent parcourir de longues distances entre la ferme et l’abattoir. Cependant, la Dre Lefebvre a répété qu’il était pratiquement impossible que des poulets se tournent pour se retrouver sur le dos une fois installés dans le cageot.

 

[39]         M. Fazio, un autre témoin cité à comparaître par l’Agence, est l’enquêteur de l’Agence qui a compilé le rapport d’enquête. Sa participation à cette affaire a commencé lorsqu’on lui a remis plusieurs dossiers portant sur divers incidents impliquant Greidanus Poultry. Il a appelé les représentants de l’entreprise le 15 février 2011 et a présenté le compte rendu de cette conversation à l’onglet 26 du Rapport. M. Fazio a indiqué que M. Greidanus lui avait affirmé ce qui suit : [propos rapportés tels quels]

 

[traduction] Le mardi 15 février 2011, aux alentours de 13 h 30, j’ai appelé M. Terry Greidanus de l’entreprise Greidanus Poultry Services Ltd. J’ai discuté avec lui des cinq rapports que j’ai en main au sujet de grosses volailles ayant été placées sur le dos au moment de l’embarquement. Selon ce qu’il m’a expliqué, M. Greidanus a tenté de communiquer avec les vétérinaires pour discuter du problème, sans succès. Les oiseaux meurent de crise cardiaque en raison du stress découlant de la manipulation et du transport. Lorsqu’ils meurent de crise cardiaque, en raison des soubresauts, ils peuvent se retrouver sur le dos. Il y a suffisamment de place dans ces cages pour que les oiseaux, même de cette taille, puissent se retourner. Il éprouve ce problème avec ce type d’oiseaux depuis trois ans et demi et en a discuté avec son agent au Québec, Serge Leferre. C’est le seul abattoir (Ferme les Voltigeurs) où il envoie de gros poulets à griller – tous les autres oiseaux qu’il capture sont plus petits. Ce n’est qu’avec les gros oiseaux qu’il éprouve ce problème; il affirme qu’il cessera d’attraper ces oiseaux puisque ce sont les seuls qui lui causent ce problème. Il a répété qu’il cesserait de capturer ces oiseaux puisqu’ils ne lui apportent que des ennuis. Il a ajouté que tous ses employés suivent une formation avant d’attraper les oiseaux.

 

Après avoir eu cette conversation avec M. Greidanus, M. Fazio a fait part de la théorie de la crise cardiaque, qu’il entendait pour la première fois, à la Dre Lefebvre, qui lui a répondu par courriel (onglet 27 du Rapport). M. Fazio a expliqué à la Commission qu’essentiellement, la Dre Lefebvre lui avait répondu que si c’était un cas de crise cardiaque, tous les poulets seraient morts, alors que certains étaient toujours en vie retrouvés sur le dos une fois rendus à destination.

 

[40]         En contre-interrogatoire devant la Commission, M. Fazio a affirmé qu’il n’avait pas communiqué avec le producteur lors de son enquête pour obtenir des renseignements concernant le déroulement de l’embarquement des poulets, car il ne croyait pas que le producteur était demeuré sur place à cette étape. M. Fazio a également dit à la Commission qu’il n’avait pas communiqué avec le transporteur ni avec les conducteurs, lors de son enquête, pour obtenir des renseignements au sujet de ce qui s’était passé pendant l’embarquement, car il ne croyait pas que ces personnes posséderaient des renseignements pertinents à cet égard. M. Fazio a également déclaré devant la Commission qu’il n’avait pas non plus communiqué avec des membres de l’équipe de Greidanus Poultry qui étaient sur place au moment de l’embarquement le 19 janvier 2011 lors de son enquête pour obtenir des renseignements au sujet de l’embarquement. Enfin, M. Fazio a déclaré à la Commission qu’il n’avait pas demandé à M. Greidanus le nom des membres de son équipe qui étaient présents cette nuit‑là au cours de son entretien téléphonique avec ce dernier le 15 février 2011.

 

[41]         M. Fazio a également affirmé à la Commission qu’à titre d’enquêteur dans ce dossier, c’est lui qui avait préparé le Rapport de l’Agence. La Commission remarque que le Rapport de l’Agence contient 30 onglets relatifs à la preuve. Bien qu’en général, la Commission apprécie grandement l’abondance des éléments de preuve déposés dans ce type d’affaires par l’Agence, il est clair que les onglets 3 à 19 et 30, qui représentent près des deux tiers de tous les éléments de preuve fournis par écrit, portent sur des événements impliquant Greidanus Poultry, mais qui se sont produits avant l’incident du 19 janvier 2011. Aucun de ces événements ne semble avoir donné lieu à un avis de violation par l’Agence, et encore moins à une constatation selon laquelle Greidanus aurait commis une violation.

 

[42]         Deux autres témoins experts, l’un pour l’Agence, le Dr Fortin, et l’autre pour Greidanus Poultry, M. Greidanus, ont présenté une opinion d’expert concernant la présente affaire.

 

[43]         Le Dr Fortin est un vétérinaire qualifié employé par l’Agence qui travaillait dans un autre abattoir du Québec le 20 janvier 2011, de sorte qu’il n’était pas sur place lorsque les poulets ont été débarqués et qu’il n’a pas pu les observer directement. Il possède toutefois une vaste expérience en pathologie des poulets et a donc été reconnu comme expert dans ce domaine aux fins de la présentation d’une opinion d’expert. La majeure partie de la preuve qu’il a présentée portait expressément sur les événements s’étant produits lors de l’incident des 8 et 9 novembre 2011 impliquant Greidanus Poultry. Selon son opinion générale d’expert, il était effectivement inhabituel que de nombreux oiseaux se retrouvent sur le dos au moment du débarquement et qu’il n’existait aucune véritable explication à cet égard, à part le fait que les poulets aient été placés de cette façon dans le cageot, étant donné qu’ils n’ont pas assez d’espace pour se retourner sur le dos ou, s’ils sont placés sur le dos, pour se lever sur leurs pattes. Quant à la possibilité que cet incident résulte de la maladie de la mort suite, le Dr Fortin a affirmé que les poulets qui se trouvaient sur le dos ne pouvaient pas être morts des suites de cette maladie, étant donné que le décès survient dans la minute suivant le début de la maladie et, compte tenu de la densité de chargement dans les cageots, les oiseaux n’auraient pas pu se retourner sur le dos.

 

[44]         M. Greidanus est le propriétaire de Greidanus Poultry, une entreprise constituée en 2006. Il effectue la capture et l’embarquement de poulets depuis 22 ans; depuis qu’il a commencé, il a attrapé plus d’un million d’oiseaux. Il a participé à la préparation de deux publications de l’industrie sur le transport et le traitement sans cruauté des animaux (pièces 5 et 6). Il donne de la formation aux employés de Greidanus Poultry sur le traitement et le transport sans cruauté des poulets. Il possède une vaste expérience dans le domaine de la capture et de l’embarquement des poulets et a donc été reconnu comme expert dans ce domaine aux fins de la présentation d’une opinion d’expert. M. Greidanus n’était pas présent au moment de l’embarquement des poulets le 19 janvier 2011, de sorte que la majeure partie de la preuve qu’il a présentée porte globalement sur les procédures en vigueur au sein de Greidanus Poultry pour l’embarquement des poulets, la façon de les attraper et de les embarquer ainsi que les réactions qu’il a observées chez les poulets au cours de sa longue carrière. Selon son opinion générale d’expert, le temps moyen pour charger une remorque était d’environ deux heures et le camionneur était toujours présent puisqu’il devait faire avancer le camion petit à petit, tandis que l’agriculteur devait être sur place, mais n’était pas toujours présent tout au long du processus. Les transformateurs informent l’équipe responsable de la capture et de l’embarquement de l’heure à laquelle ils doivent commencer leur travail à la ferme, tandis que c’est le camionneur qui informe l’équipe du nombre d’oiseaux à placer par cageot, selon le poids des oiseaux et la température extérieure. M Greidanus a expliqué à la Commission que son entreprise éprouvait beaucoup de problèmes lorsqu’elle devait livrer des oiseaux au Québec en raison de la distance de transport accrue et de la grosseur des oiseaux. Il a affirmé que les oiseaux grossissent maintenant tellement vite qu’ils éprouvent du stress et que le moindre petit facteur peut précipiter leur décès. M. Greidanus a affirmé qu’il avait vu des oiseaux mourir dans un cageot et qu’il avait également vu des oiseaux se retourner et mourir dans le cageot. Il a affirmé que, selon son expérience professionnelle et ses observations, lorsque cela se produisait, l’oiseau se mettait généralement à s’agiter, puis se retournait généralement et mourait sur le dos; cette situation pouvait se produire dans un cageot de transport. De plus, M. Greidanus a aussi affirmé qu’il était possible qu’un oiseau qui se trouvait sur le dos dans un cageot se remette sur ses pattes à l’intérieur du cageot. En ce qui a trait à l’incident précis du 19 janvier 2011, M. Greidanus a expliqué à la Commission qu’il avait parlé par téléphone au producteur, M. Rombouts, et que ce dernier lui avait dit qu’il avait remarqué un taux de mortalité supérieur à la moyenne au début du mois de janvier. M. Rombouts avait également dit à M. Greidanus que l’embarquement s’était bien déroulé ce soir‑là.

 

[45]         En réponse à une question posée lors de son contre-interrogatoire, M. Greidanus a convenu qu’environ 9 600 poulets avaient été embarqués par son équipe en l’espace d’environ deux heures et qu’il était possible qu’un membre de l’équipe responsable de l’embarquement place un poulet sur le dos dans un cageot, particulièrement dans le cas des poulets plus lourds. M. Greidanus a ajouté qu’il ne laisserait pas un poulet placé sur le dos dans un cageot, mais que [traduction] « tout le monde est humain et il est possible d’omettre de replacer un poulet sur ses pattes ». Il a également affirmé à la Commission qu’il ne se rappelait pas la date exacte de son appel à M. Rombouts.

 

 

Droit applicable et analyse

 

[46]         La Commission a pour mandat de déterminer la validité des sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire imposées en vertu de la Loi. L’objet de la Loi est énoncé comme suit à l’article 3 :

 

3.  La présente loi a pour objet d’établir, comme solution de rechange au régime pénal et complément aux autres mesures d’application des lois agroalimentaires déjà en vigueur, un régime juste et efficace de sanctions administratives pécuniaires.

 

[47]         L’article 2 de la Loi définit comme suit la notion de « loi agroalimentaire » :

 

2.  « loi agroalimentaire » La Loi sur les produits agricoles au Canada, la Loi sur la médiation en matière d’endettement agricole, la Loi relative aux aliments du bétail, la Loi sur les engrais, la Loi sur la santé des animaux, la Loi sur l’inspection des viandes, la Loi sur les produits antiparasitaires, la Loi sur la protection des végétaux ou la Loi sur les semences.

 

[48]         Aux termes de l’article 4 de la Loi, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, ou le ministre de la Santé, selon les circonstances, est habilité à prendre des règlements pour désigner des violations :

 

4. (1)  Le ministre peut, par règlement :

 

a)  désigner comme violation punissable au titre de la présente loi la contravention — si elle constitue une infraction à une loi agroalimentaire

 

(i)  aux dispositions spécifiées d’une loi agroalimentaire ou de ses règlements […]

 

[49]         Le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire a pris un tel règlement, le Règlement, qui définit comme violations plusieurs actes énoncés dans des dispositions précises de la Loi sur la santé des animaux et du Règlement sur la santé des animaux, de même que dans la Loi sur la protection des végétaux et le Règlement sur la protection des végétaux. Ces violations sont énumérées à l’annexe 1 du Règlement sur les sanctions administratives pécuniaires en matière d’agriculture et d’agroalimentaire, dans laquelle il est fait renvoi au paragraphe 139(2) du Règlement sur la santé des animaux.

 

[50]         Les tribunaux considèrent ce régime avec circonspection, particulièrement parce que les violations entraînent une responsabilité absolue. Dans la décision Doyon c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 152, le juge Létourneau, qui s’exprimait au nom de la Cour d’appel fédérale, s’est exprimé en ces termes :

 

[27]  En somme, le régime de sanctions administratives pécuniaires a importé les éléments les plus punitifs du droit pénal en prenant soin d’en écarter les moyens de défense utiles et de diminuer le fardeau de preuve du poursuivant. Une responsabilité absolue, découlant d’un actus reus que le poursuivant n’a pas à établir hors de tout doute raisonnable, laisse au contrevenant bien peu de moyens de disculpation.

 

[28]  Aussi, le décideur se doit-il d’être circonspect dans l’administration et l’analyse de la preuve de même que dans l’analyse des éléments constitutifs de l’infraction et du lien de causalité. Cette circonspection doit se refléter dans les motifs de sa décision, laquelle doit s’appuyer sur une preuve qui repose sur des assises factuelles et non sur de simples conjectures, encore moins de la spéculation, des intuitions, des impressions ou du ouï-dire.

 

 

[51]         De plus, la Cour d’appel fédérale, dans la décision Doyon, souligne que la Loi impose un lourd fardeau à l’Agence :

 

[20]  Enfin, et il s’agit là d’un élément important de toute poursuite, la charge de la preuve d’une violation appartient au ministre ainsi que le fardeau de persuasion. Il doit établir selon la prépondérance des probabilités la responsabilité du contrevenant : voir l’article 19 de la Loi.

 

[52]         L’article 19 de la Loi est ainsi libellé :

 

19.  En cas de contestation devant le ministre ou de révision par la Commission, portant sur les faits, il appartient au ministre d’établir, selon la prépondérance des probabilités, la responsabilité du contrevenant.

 

[53]         Par conséquent, l’Agence doit prouver l’ensemble des éléments de la violation, selon la prépondérance des probabilités. En l’espèce, pour qu’il soit établi qu’il y a eu violation du paragraphe 139(2), l’Agence doit établir les quatre éléments énoncés au paragraphe 4 reproduit ci‑dessus. Comme il a déjà été établi, les parties ne contestent pas le fait que l’Agence a prouvé les deux premiers éléments. La Commission doit maintenant déterminer, en prenant en considération la grande quantité d’éléments de preuve directs et d’opinions d’expert, qui sont largement contradictoires entre les parties, si l’Agence a prouvé les deux autres éléments de la violation.

 

[54]         L’avocate de l’Agence, dans ses conclusions finales, invitait la Commission à tenir compte de deux affaires déjà tranchées par la Commission. À l’appui de sa position, l’avocate a cité les décisions Transport Robert Laplante et Fils Inc. c. Canada (ACIA), 2010 CRAC 05 (décision Laplante) et Maple Lodge Farms Ltd. c. Agence canadienne d’inspection des aliments, RTA‑60347, rendue le 4 mars 2009 (décision Maple Lodge). Ces deux affaires portaient sur une violation alléguée du paragraphe 139(2) du Règlement sur la santé des animaux. L’affaire Laplante portait sur un porc dont la patte arrière avait été fracturée, tandis que l’affaire Maple Lodge portait sur plusieurs poulets blessés. Dans la décision Laplante, la Commission a annulé l’avis de violation, tandis que celui‑ci a été maintenu dans la décision Maple Lodge. Toutefois, dans les deux cas, les blessures faisant l’objet de l’avis de violation examiné par la Commission s’étaient produites au moment du débarquement des animaux. Par conséquent, des preuves directes pouvaient être fournies par des témoins de l’Agence et étaient jugées suffisantes ou non, selon le cas, pour prouver l’allégation selon laquelle le débarquement des animaux avait causé ou était susceptible d’avoir causé des blessures ou une souffrance indue aux animaux (élément no 3). De plus, il y avait un lien de causalité entre l’embarquement ou le débarquement, la possibilité de blesser ou de faire souffrir indûment l’animal et le contrevenant (élément no 4), c’est‑à‑dire la personne qui a fait débarquer l’animal.

 

[55]         En l’espèce, la situation est très différente étant donné que les accusations portent sur l’embarquement, plutôt que sur le débarquement des animaux. La Commission doit ainsi déterminer si les oiseaux ont été embarqués de façon inappropriée, c’est‑à‑dire d’une façon qui était susceptible de leur causer des blessures ou une souffrance indue, par le personnel de Greidanus la nuit du 19 janvier 2011. Selon tous les témoignages directs présentés par les témoins de Greidanus Poultry, soit MM. Souch et Buttar, de même que les commentaires du producteur au sujet du processus de capture, tels qu’ils ont été consignés dans la feuille d’information sur la bande présentée par l’Agence, les poulets ont été embarqués conformément au processus habituel, et si un poulet était placé sur le dos par inadvertance, il était remis sur ses pattes avant que le couvercle du cageot soit fermé. La preuve directe montre sans équivoque qu’il était humainement possible d’omettre de replacer un ou deux poulets sur leurs pattes, mais que d’en omettre 156, soit la quantité de poulets qui ont été trouvés morts sur le dos le lendemain à l’abattoir, était tout simplement impossible. Selon l’opinion d’expert présentée par l’Agence, il était toutefois impossible que 156 poulets soient morts et soient tombés sur le dos compte tenu de la pathologie observée à l’abattoir le 20 janvier 2011 (Dre Lefebvre). Par ailleurs, des ramasseurs de poulets expérimentés (MM. Greidanus et Souch) ont formulé l’opinion professionnelle qu’il était peut‑être possible qu’une grande quantité de poulets soient tombés sur le dos pendant la période de transport et à l’abattoir, avant leur débarquement.

 

[56]         Dans l’affaire Doyon, lorsqu’elle effectuait le contrôle judiciaire de la conclusion de la Commission concernant la violation alléguée en vertu d’un article connexe du Règlement sur la santé des animaux, la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit :

 

[…]

 

b)         L’analyse et l’administration de la preuve

 

[54]  La principale fonction d’un tribunal de première instance consiste à recevoir et à analyser la preuve. Dans l’exercice de cette importante fonction, il peut rejeter une preuve pertinente, mais il ne peut omettre de la considérer, surtout si elle en contredit une autre sur un élément essentiel du litige : voir Oberde Bellefleur OP, Clinique dentaire O. Bellefleur c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 13; Parks c. Canada (Procureur général), [1998] A.C.F. no. 770 (QL); Canada (Attorney General) v. Renaud, 2007 FCA 328; et Maher c. Canada (Procureur général), 2006 CAF 223. S’il décide de la rejeter, il doit fournir une explication : ibidem.

 

[55]  Dans le cas qui nous occupe, la Commission a relaté brièvement le témoignage du demandeur, mais elle l’a écarté sans en faire une analyse et sans indiquer quelque raison que ce soit pour laquelle elle l’écartait. Or, ce témoignage portait sur des éléments essentiels de la violation et contredisait celui de la médecin-vétérinaire.

 

[56]  En outre, le demandeur est un producteur de porcs jouissant d’une expérience de vingt-neuf (29) ans. De son propre chef, il a suivi à un Centre de formation continue une activité de formation sur le transport et l’euthanasie de porcs fragilisés : voir le dossier du demandeur à la page 35. Il n’avait aucun antécédent au moment où la poursuite fut intentée. Il a vu le porc sur une longue période de temps et s’est assuré d’un transport en isolement alors que, comme nous le verrons ci-après, la médecin-vétérinaire ne l’a vu vivant que durant tout au plus cinq minutes. Il n’avait aucun intérêt à encourir une pénalité de 2 000 $ pour un porc valant 100 $ alors qu’il aurait déboursé une somme de seulement 3,50 $ s’il avait décidé de ne pas l’inclure dans le transport et de le garder à la ferme : voir dossier du demandeur à la page 73. Le rejet de ce témoignage digne de foi méritait une explication qui n’est jamais venue.

 

[…]

 

[57]         Gardant à l’esprit ces remarques incidentes exprimées par la Cour dans l’affaire Doyon, la Commission a en l’espèce attentivement examiné les éléments de preuve fournis à la fois par Greidanus Poultry et l’Agence. La Commission a entendu le témoignage de sept témoins, et elle n’a aucune raison de remettre en question la crédibilité de l’un ou l’autre, étant donné qu’ils ont tous présenté un témoignage clair, instructif, honnête et direct au sujet de ce qu’ils ont observé les 19 et 20 janvier 2011; elle n’a pas non plus de motif de remettre en question les opinions d’expert que les témoins ont formulées en se fondant sur leur propre expérience et cheminement professionnel antérieur.

 

[58]         En ce qui a trait aux éléments nos 3 et 4 de la violation alléguée, la Commission dispose d’une preuve directe et sans équivoque provenant d’employés de Greidanus qui, à titre de témoins oculaires, ont affirmé avoir suivi les procédures normales pour la capture et l’embarquement des poulets la nuit du 19 janvier 2011. M. Souch, qui s’occupait de l’embarquement, a témoigné sous serment qu’il n’avait placé aucun oiseau sur le dos et qu’il n’avait vu aucun oiseau sur le dos au moment où le couvercle des cageots a été fermé avant de quitter la ferme des producteurs Rombouts. M. Buttar, qui était le contremaître de l’équipe responsable de la capture et de l’embarquement cette nuit‑là, n’a pas non plus vu d’oiseaux sur le dos lorsque les couvercles des cageots ont été refermés avant le départ de la ferme des producteurs Rombouts. Ces témoignages n’ont été contredits par aucune preuve directe produite par l’Agence, puisque celle‑ci a fourni des documents qui indiquaient également que le processus de capture cette nuit‑là avait été qualifié de [traduction] « bien » ou de « Ok » sur le document approuvé par le producteur. Dans son enquête sur la violation alléguée, l’Agence a décidé de ne pas obtenir de preuve de la part du producteur, du conducteur de camion ni de quiconque aurait pu contredire la preuve directe de MM. Souch et Buttar.

 

[59]         Il n’y a aucun motif impérieux pour lequel la Commission devrait entièrement faire fi de cette preuve directe et non contestée au profit de celle présentée par les témoins de l’Agence, qui portait sur des faits survenus non pas au moment de l’embarquement, mais bien plusieurs heures plus tard et plusieurs centaines de kilomètres plus loin, au moment du débarquement. Contrairement aux affaires Laplante et Maple Lodge citées par l’avocate de l’Agence en l’espèce, les éléments de preuve directs les plus pertinents dont dispose la Commission pour déterminer si l’Agence a prouvé les éléments nos 3 et 4 de la violation alléguée sont ceux qui proviennent des ramasseurs de poulets et des responsables de l’embarquement, à moins que ces éléments de preuve ne soient pas fiables, ce qui n’est pas le cas selon la Commission. Les éléments de preuve présentés par les Drs Lefebvre et Fortin, s’il n’y avait eu aucune preuve directe du contraire au moment de l’embarquement, auraient été suffisants pour prouver les troisième et quatrième éléments de la violation alléguée; la Commission ne peut toutefois pas tirer cette conclusion étant donné qu’il existe des éléments de preuve directs et crédibles qui prouvent le contraire. Si la Commission agissait de la sorte, elle risquerait de commettre exactement la même erreur contre laquelle la Cour l’a prévenue dans l’affaire Doyon.

 

[60]         En ce qui a trait à l’élément no 3, il n’existe donc pas suffisamment d’éléments de preuve, selon la prépondérance des probabilités, pour prouver que la façon dont les poulets ont été embarqués le 19 janvier 2011 était « susceptible de [les] blesser ou de [les] faire souffrir indûment », étant donné que la preuve directe indique que la densité de chargement des poulets était correcte et que ceux‑ci étaient placés dans la bonne position, ou que s’il arrivait qu’un poulet soit placé sur le dos, il était remis sur ses pattes avant la fermeture du couvercle sur les cageots. Sans contredit, les ramasseurs de poulets et les responsables de l’embarquement travaillent très rapidement, mais les éléments de preuve indiquent qu’il s’agit de professionnels dûment formés et que, vu leur formation et leur expérience, ils ont effectué leur travail correctement cette nuit‑là.

 

[61]         Ainsi, les points qui restent à élucider sont la façon exacte dont les poulets sont morts et le moment de leur décès. Les experts des deux parties ont leur propre théorie à cet égard. Les vétérinaires Lefebvre et Fortin estiment que c’est parce que les poulets ont été placés sur le dos et n’ont pas été remis sur leurs pattes avant le transport, ce qui contredit directement la seule preuve directe qui a été fournie concernant l’embarquement des poulets la nuit du 19 janvier 2011. M. Greidanus croit pour sa part que les poulets sont de gros oiseaux qui subissent un stress et qui sont transportés sur de très longues distances, de sorte qu’ils sont morts d’une crise cardiaque en route, ce qui pourrait éventuellement être le signe d’un rare phénomène mentionné par les Drs Lefebvre et Fortin, soit une maladie observée chez les poulets connue sous le nom de « maladie de la mort subite ».

 

[62]         Par ailleurs, pour conclure que, selon la prépondérance des probabilités, les 334 poulets morts ont été embarqués par les employés de Greidanus d’une façon susceptible de les blesser ou de les faire souffrir indûment, il faudrait que la Commission écarte complètement les témoignages de MM. Buttar et Souch et la déclaration écrite des producteurs Rombouts, ou qu’elle estime que ceux‑ci ne sont pas fiables du tout. Or, la Commission juge que tous les témoins étaient crédibles, et donc que la preuve présentée par l’Agence est insuffisante pour démontrer, même selon la prépondérance des probabilités, que les blessures se sont produites au moment où les poulets ont été embarqués. Existe‑t‑il d’autres possibilités pouvant expliquer où et comment les poulets ont été blessés et sont décédés? Les poulets étaient peut‑être effectivement fragilisés avant l’embarquement, comme l’indique le registre du producteur, qui fait état d’un taux de mortalité anormalement élevé dans les journées et les semaines précédant l’embarquement. Les poulets ont également pu subir un stress accru en raison de leur poids élevé, de la longue distance parcourue et de la période prolongée de transport entre la ferme d’origine et l’abattoir, ce qui a pu faire augmenter le taux de mortalité en route. Toutefois, ce ne sont là qu’hypothèses, étant donné qu’aucune conclusion ne s’impose quant à la raison pour laquelle les poulets sont morts cette nuit‑là.

 

[63]         La Commission est consciente du fait que la Loi crée un régime de responsabilité qui est très peu tolérant puisqu’il ne permet aucune défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait. Le paragraphe 18(1) de la Loi est libellé comme suit :

 

18. (1)  Le contrevenant ne peut invoquer en défense le fait qu’il a pris les mesures nécessaires pour empêcher la violation ou qu’il croyait raisonnablement et en toute honnêteté à l’existence de faits qui, avérés, l’exonéreraient.

 

[64]         Toutefois, les conclusions susmentionnées de la Commission ne se rapportent pas à une défense de diligence raisonnable ou d’erreur de fait de Greidanus Poultry. Il est certain que si Greidanus Poultry avait invoqué de tels arguments, ceux‑ci auraient été rejetés, conformément aux dispositions non équivoques du législateur à cet égard qui figurent au paragraphe 18(1).

 

[65]         Étant donné qu’il est expressément indiqué à l’article 18 de la Loi qu’il est impossible pour un demandeur de se fonder sur des preuves de pratiques exemplaires ou antérieures pour se défendre contre une accusation, il semblerait approprié, par souci d’équité, que la Commission refuse généralement d’accepter de l’intimé une preuve de pratiques ou d’activités antérieures semblables imputées au demandeur (à moins que ces actes n’aient donné lieu à un avis de violation n’ayant pas été contesté ou ayant été maintenu) pour prouver comment aurait pu agir le demandeur à un moment précis. En l’espèce, il est clair que les onglets 3 à 19 et 30, qui représentent plus de la moitié de la preuve présentée dans les observations écrites, portent sur des événements ayant eu lieu avant le 19 janvier 2011.

 

[66]         Accepter de tels éléments de preuve équivaudrait en fait à accepter une preuve de « faits similaires ». Bien que la Commission dispose de par sa loi habilitante d’une grande latitude pour accepter de nombreux types de preuves, la preuve de faits similaires est rarement considérée comme probante en droit canadien. La Cour suprême préconise que la valeur probante de ce type de preuve soit évaluée à la lumière du préjudice qui pourrait être causé à l’accusé. Il convient de noter à cet égard que le terme « préjudice » ne porte pas sur l’affaire de l’accusé, mais bien sur son droit d’avoir accès à une procédure équitable. Dans l’affaire R. c. Arp [1998], 3 RCS 339, le juge Cory a affirmé que pour être déclarée admissible, la preuve de faits similaires doit avoir une valeur probante qui l’emporte sur son effet préjudiciable. Il doit également y avoir un degré de similitude entre les actes qui rend une coïncidence objectivement improbable. Il y a trois risques possibles qui sont associés à l’acceptation d’une preuve de faits similaires. Le premier a trait au fait que les éléments de preuve peuvent servir à « dépeindre » l’accusé comme une « mauvaise » personne et ainsi faire en sorte que la culpabilité soit évaluée en fonction de son caractère. Le deuxième risque consiste à punir un accusé pour sa conduite antérieure, plutôt que pour la conduite qui fait l’objet de l’affaire en cause. Enfin, la preuve de faits similaires peut distraire les décideurs et les amener à se détourner des questions qui sont réellement en litige, souvent de façon à camoufler des lacunes dans la preuve présentée.

 

[67]         Quant à l’admission de la preuve de faits similaires dans des affaires instruites par la Commission, il ne fait aucun doute que les membres de la Commission ont la possibilité d’examiner et d’accepter ce type de preuve, mais la valeur de cette preuve semble plutôt limitée. L’objectif principal de la Commission consiste à examiner les avis de violation produits relativement aux violations de la Loi. Ainsi, la conduite passée n’est pas de nature à fournir quelque précision que ce soit sur le fait que la violation se soit produite ou non, mais elle peut être prise en considération lorsqu’il s’agit de déterminer si le montant de la pénalité évaluée est correct.

 

 

Conclusion

 

[68]         Par conséquent, la Commission conclut que, selon la prépondérance des probabilités, l’Agence n’est pas parvenue à prouver l’ensemble des éléments essentiels de la violation et que, de ce fait, Greidanus Poultry n’a pas commis la violation alléguée. Conséquemment, Greidanus Poultry n’a pas à payer la sanction pécuniaire imposée. Comme la Commission conclut que l’Agence n’a pas établi l’ensemble des éléments exigés à l’appui de l’avis de violation contesté, il n’est pas nécessaire qu’elle détermine si l’Agence a prouvé ou non que le montant de la sanction était justifié en vertu de la Loi et de son règlement d’application.

 

 

Fait à Ottawa (Ontario), le 13ième jour du mois de septembre 2013.

 

 

 

 

 

 

______________________________________________

Donald Buckingham, président

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.